The Big Parade - King Vidor (1925)
Un jeune américain issu d'une riche famille, James Apperson (John Gilbert), s'engage lors de l'entrée en guerre des Etats-Unis dans le 1er conflit mondial. Envoyé près du village de Champillon, il devient amis avec 2 soldats de son régiment et tombe amoureux d'une jeune française, Melisande (Renée Adorée). Alors que les premiers jours sont relativement plaisants, il va être vite confronté au vrai visage du conflit et quitter celle qu'il aime...
Le film de King Vidor est clairement une source d'inspiration pour le film de Lewis Milestone,
All quiet on the Western Front, sorti 5 ans plus tard et focalisé sur la vie d'un jeune soldat allemand pendant 1ère guerre mondiale. Si le film de Milestone se démarque avant tout par la présence du son, par la violence de ses images et par un point de vue qui se place du coté de l'armée allemande, on y retrouve des éléments déjà présents dans le film muet de Vidor qui permettent de comparer ces 2 films. S'ils offrent des visions différentes - d'un coté le réalisme des images et du son, de l'autre la beauté des images et l'histoire d'amour pour s'affranchir de cette absence - les deux films sont des oeuvres parfaitement ancrées dans cette période de notre histoire et dont la force est aussi importante d'un coté comme de l'autre.
Mais là où le film de Vidor s'écarte du film de Milestone, c'est sur le traitement de l'histoire : là où Milestone montre très rapidement l'horreur de la guerre et offre de nombreuses scènes au réalisme saisissant, Vidor préfère séparer son film en 2 parties presque distinctes.
La première partie du film introduit le personnage de James, sa relation vis-à-vis de sa famille - une mère aimante et inquiète par l'annonce de ce conflit, un père avec lequel il est en conflit car, à la différence de son frère qui ne vit que pour son travail, James profite de la vie sans penser au travail et enfin une petite amie qui rêve de le voir en uniforme - et son départ très rapide pour la France. Vidor ne cherche pas à rester trop longtemps sur le sol américain, il envoie très vite James en France pour y construire son histoire et développer tout ce qui va être la base de la seconde partie. Arrivé en France, James n'affronte pas directement la guerre mais retrouve un cadre de vie qui lui rappelle celui qu'il vient de quitter : des amis avec qui il tisse des liens solides, le temps qui s'écoule avec peu de contraintes et surtout la rencontre avec Melisande. Ces 3 points vont être les éléments clés du film et qui vont trouver un écho dans la seconde partie mais avec un traitement radicalement opposé. La force de cette première partie réside dans cette vision presque bucolique du conflit où Vidor se plait à jouer sur la franche camaraderie qui unit ces 3 hommes aux origines différentes mais totalement effacées par l'uniforme et surtout à développer une superbe histoire d'amour entre James et cette jeune française qui vit dans la ferme où les soldats ont pris leur quartier.
L'alchimie qui se crée entre ces 2 personnages est très particulière puisqu'ils ne peuvent se comprendre et doivent passer par un travail sur les gestes et les regards, ce qui, dans le cadre d'un film muet, prend une saveur toute particulière qu'il est plus difficile de retrouver dans les films parlants. James essaye donc de retranscrire ses pensées d'abord par les gestes - une bonne claque de la part de Melidande lui remettra les idées bien en place - avant d'essayer de se faire comprendre par le regard ce qui nous offre de très belles scènes où Gilbert, qui fait preuve d'un naturel faisant plaisir à voir, et Renée Adorée sont simplement parfaits.
Si l'on ne devait retenir qu'une chose de ce superbe muet de King Vidor, ce sont indiscutablement les scènes que partagent ces 2 acteurs, des scènes remplies de tendresse et de naturel, où l'amour se construit au fur et à mesure que le film se déroule et que le réalisateur va choisir de casser au moment du départ sur le front. Alors que Melisande vient de découvrir qu'une autre femme attend le retour de James, elle se retire, préférant pleurer à l'écart de cet homme pour lequel elle ressent quelque chose malgré la barrière de la langue et la guerre qui fait rage à quelques kilomètres de Champillon....une guerre qui fait son apparition à ce moment précis.
Tout ce que viennent de vivre James et Melisande devient des souvenirs, cet amour naissant est brisé par la guerre car King Vidor décide de rompre cette histoire par la sonnerie du clairon qui annonce le départ de James sur le front. Prise de remords , Melisande se rue vers les colonnes de soldats qui quittent le village à la recherche de celui qu'elle aime et elle le retrouve sans doute pour la dernière fois. Vidor nous offre une scène de séparation d'une force incroyable, à la mise en scène magnifique et où le score de Carl Davis et la peine de Melisande finissent de nous achever.
Cette étape si difficile de la séparation marque le début de la seconde partie du film où Vidor fait affronter au personnage de James l'horreur de la guerre : les tranchées, la perte de repères, les cadavres qui jonchent le sol, les hommes qui tombent tel des pantins. Le réalisateur présente cette rentrée dans la guerre comme une longue marche vers un point de non-retour. Ils traversent tout d'abord un bois où des mitrailleuses et des snipers les attendent mais qui n'est comparé à ce qui les attend par la suite...tel un gigantesque terrain de jeu, Vidor présente le champ de bataille comme un espace ouvert et vide où les vies disparaissent aussi vite qu'elles y pénètrent.
Tout comme dans le film de Milestone, la guerre est présentée avec force et avec un traitement plastique des plus riches - explosions, fumée, travellings dans les tranchées et cadres au plus près de l'action - King Vidor fait preuve d'une remarquable maitrise de sa mise en scène et nous plonge réellement dans l'action, accompagnant les 3 soldats jusqu'à ce fameux point de non-retour...
...obligés de se réfugier dans un trou de mortier, la caméra s'arrête et reste avec eux jusqu'à ce que les ordres prennent le dessus et obligent un des 3 à quitter cet espace de sécurité. Après la perte de Melisande, James va perdre coup sur coup ses 2 amis...
...puis va se retrouver coincé avec l'ennemi. Blessé mortellement, James n'arrive pas à l'achever et préfère lui offrir sa dernière cigarette en le laissant mourir de ses blessures.
Vidor continue de nous abreuver des horreurs de la guerre avant de clore cette partie sur un Gilbert blessé qui apprend que Champillon est au coeur des combats. Il décide alors de rejoindre le village seul et handicapé mais sur place il découvre une ferme en ruine et est contraint d'abandonner les lieux de nouveau blessé. La guerre est finie, l'homme est brisé mentalement et physiquement - Vidor prenant soin de nous révéler la perte de la jambe uniquement quand le jeune homme rentre dans le domicile familial - et plus que tout, il se sent désormais seul et étranger dans une famille où seule la mère semble comprendre les épreuves que son fils a traversé. D'ailleurs, le réalisateur prend soin de glisser dans ses retrouvailles des images en sur-impression qui sont celles que se remémore cette mère si attristée de retrouver, dans un tel état, son fils.
Ce détail montre l'intelligence de King Vidor dans sa démarche narrative, une simple succession d'images montre le lien qui unit la mère à son fils et met en lumière la faille qui existe avec les autres membres de la famille. Seule la mère peut le comprendre et peut accepter de le revoir partir pour retrouver celle qui l'aime.
Le film de King Vidor n'a nul besoin de paroles pour transmettre ses émotions - la scène de séparation entre James et Melisande en est la parfaite illustration -, la beauté plastique, l'alchimie entre ces 2 interprètes principaux, l'intelligence de sa mise en scène, la force de ses images et la sincérité de son histoire vous emportent littéralement. Ajoutez à cela une partition de Carl Davis magistrale - le thème principal est superbe - et vous n'avez pas besoin de plus d'arguments pour comprendre que
The Big Parade est un chef d'oeuvre du cinéma muet et que King Vidor est un grand.