Tony Richardson (1928-1991)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99491
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Tony Richardson (1928-1991)

Message par Jeremy Fox »

J'ouvre un topic consacré au réalisateur à l'occasion de la critique du film La Charge de la brigade légère sorti chez Opening
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Lord Henry »

Je replace ici un commentaire datant de quelques années:

The Sailor from Gibraltar (Le Marin de Gibraltar) (1967)

Image

Un fonctionnaire britannique (Ian Bannen) se sépare de sa compagne (Vanessa Redgrave) à l’occasion de leurs vacances italiennes. Son désœuvrement le mènera à bord du « Gibraltar » et dans les bras de sa propriétaire (Jeanne Moreau), laquelle vogue inlassablement de port en port à la recherche d’un amant perdu voici longtemps.

Le charme de cette adaptation de Marguerite Duras par Tony Richardson est aussi ténu et frêle qu’une volute de brouillard dissipée par le soleil matinal. On la quitte avec un sentiment d’inachevé sans pour autant se départir d’un attachement vague mais néanmoins tenace.
Car si Richardson ne jouit pas d’un imaginaire visuel qui lui permette d’offrir autre chose qu’une illustration appliquée, on lui saura gré de l’ambition artistique sincère présidant à cette entreprise.
Orson Welles y joue les utilités éphémères, alors que Jeanne Moreau est lumineuse de sensualité.
Image
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Profondo Rosso »

Je remet ça ici aussi du topic british


La Solitude du coureur de fond de Tony Richardson (1962)

Image

Colin Smith est un jeune révolté, qui, à la suite d’un vol commis dans une boutique, est placé dans un centre d'éducation surveillée. Pratiquant la course de fond, il s’évade en rêveries de son morne quotidien durant ses courses solitaires. Il gagne sa notoriété dans l'établissement grâce à ses performances de coureur et prend le parti de suivre les ambitions qu’a pour lui Ruxton Towers, le directeur du centre...

Un des très grands films du "free cinema" anglais que ce The Loneliness of the Long Distance Runner dont le titre poétique tient parfaitement ses promesses. Après le succès critique et commercial du Saturday Night and Sunday Morning qu'il produisit pour son ami Karel Reisz, Tony Richardson transposait à son tour un écrit de Alan Sillitoe qui adapte à nouveau lui-même sa nouvelle. Comme dans nombre de films issus des kitchen sink drama, il est à nouveau ici question d'un jeune homme en colère contre son environnement et en plein questionnement existentiel. Colin Smith (Tom Courtenay) est un jeune délinquant fraîchement débarqué dans un centre d'éducation surveillé. Teigneux, la langue bien pendue et insolente et rebelle à toute autorité, il n'y a guère d'espoir à entretenir pour ce qui nous semble d'emblée un irrécupérable en puissance. Seulement Colin a un talent particulièrement utile dans le programme du centre, il est très doué pour la course de fond. Rapidement repéré par l'ambitieux directeur du centre (Michael Redgrave), il est pris sous son aile et mis dans les meilleure condition pour concourir à la compétition scolaire qui va opposer nos jeunes voyous aux élèves d'un établissement huppé.

Le film justifie alors son titre à travers les séquences d'entraînement de Colin où durant l'effort il s'évade dans de longues rêveries en flashback qui nous permettront de savoir comment il en est arrivé là. Tony Richardson était un des réalisateurs anglais les plus aventureux formellement (se souvenir du traitement de choc qu'il administre au film en costume l'année suivant avec son délirant Tom Jones) de l'époque et le prouve à nouveau ici. L'esthétique la plus austère et naturaliste côtoie donc les expérimentations les plus déroutantes. Un caméra portée en vue subjective accompagne ainsi les courses saccadées de Colin pour s'évader vers la cimes des arbres et du ciel lorsqu'il se perd en pensées, la bande son se fait soudain silencieuse en plein tumulte dans les gros plan sur Courtenay soudainement absorbé par tout autre chose et le montage ose les enchaînement les plus surprenants (dont l'usage de l'accéléré qu'il réutilisera dans Tom Jones et précurseur d'une scène culte du Orange Mécanique de Kubrick) d'un lieu où d'une temporalité à une autre.

Tout ses artifices sont là pour faire le parallèle entre le passé peu reluisant de Colin et la manière dont sa situation présente peu y répondre. Nous découvrons ainsi certes un jeune voyou mais pas pire que les autres et dont les possibilités du monde des adultes ne disent rien de bon : un père mourant qui s'est éreinté à la tâche en vain dans un travail pénible, une mère qui s'abandonne au premier nanti venu et qui lui rappelle à chaque incartade que c'est bien elle qui détient le porte monnaie et donc le pouvoir... La vie adulte et rangée ne semble qu'un appel à la course à la consommation (on a d'ailleurs une brillante scène de shopping tournée et monté comme une réclame tapageuse) et au renoncement (autre beau moment où un discours politique télévisé de d'abnégation et de soumission est raillé par Colin), soit tout ce que rejette Colin le rebelle. Bien moins avenant et fragile que dans Billy Liar, Tom Courtenay offre une prestation étincelante et tout en intensité. Son physique malingre, son visage en lame de couteau l'identifie immédiatement à cette jeunesse anglaise mal dans sa peau mais qui ne sait vers quel autre destin se tourner que celui des parents. Les seuls moments apaisés sont du coup ceux d'une innocente romance adolescente où les héros peuvent pour un temps se détendre notamment lors d'une très belle séquence d'excursion en couple à la plage.

C'est pourtant lors de sa conclusion que l'histoire dévoile pleinement son ambition. Loin d'être une porte de sortie, la course de fond n'est qu'une autre voie pour entrer dans le moule. Colin se rend alors compte qu'en se prêtant au jeu du directeur, il se renie et suit finalement le même chemin de conformisme qui déteste. Jamais le scénario n'évoque une jalousie quelconque des autres camarades durant tout le film si ce n'est une rivalité avec un autre coureur délinquant. Ce dernier semble plus motivé par les avantages dus à son statut de sportif vedette, de la mise en avant de sa personne que d'une réelle motivation pour la compétition. c'est donc dans une démarche inverse que s'attèle Colin dans la magistrale conclusion où il prouve sa valeur durant l'épreuve tout en délivrant un formidable camouflet à tout ceux faisant reposer leurs ambition sur lui. Cette dernière course nous offre une ultime évasion de Colin en kaléidoscope où se bousculent toute les séquences du film, l'arrivée correspondant à un esprit enfin en paix avec lui-même. On a rarement vu appel à la rébellion plus virulent symbolisé par cette scène de conclusion où Tom Courtenay désormais dénigré se fond dans la masse des autres élèves, ayant choisi l'anonymat et l'individualité plutôt que la gloire de façade et l'acceptation de tous. Un grand film où on tutoie un peu l'état d'esprit du Fountainhead de King Vidor 5/6
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Lord Henry »

En revanche, il a connu une fin de carrière curieuse; relégué à la télévision américaine dans des réalisations anonymes. Je me souviens notamment d'un succédané de Out of Africa avec Stephanie Powers (Beryl Markham: A Shadow on the Sun ) et d'une adaptation sans éclat du Fantôme de l'Opéra.
Image
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Profondo Rosso »

Lord Henry a écrit :En revanche, il a connu une fin de carrière curieuse; relégué à la télévision américaine dans des réalisations anonymes. Je me souviens notamment d'un succédané de Out of Africa avec Stephanie Powers (Beryl Markham: A Shadow on the Sun ) et d'une adaptation sans éclat du Fantôme de l'Opéra.
Ah oui pas glorieuse la fin de carrière, Stéphanie Powers ouch !

Sinon retrouvé ça aussi dans mes archives

Tom Jones de Tony Richardson (1963)

Image

Les aventures d'un bâtard éduqué par un noble, dans la haute société britannique du XVIIIe siècle...

Un virevoltant et très novateur dynamitage du film en costume qui anticipa toute la vague des films délirant pop psyché à venir durant la décennie. Adapté d'un classique anglais de Henry Fielding, on suit les aventures du jeune Tom Jones, enfant illégitime élevé dans la campagne par un noble anglais. Doté d'un talent certain pour s'attirer les pires ennuis, il se retrouve chassé de chez lui à tort suite aux manipulations de son frères adoptif. C'est parti pour une suite d'aventures et de rencontres délirantes où il va essayer de lever le secret de ses origines et surtout gagner le coeur de sa bien aimée Sophie (joué par la charmante Susanna York) que le destin s'acharne à constamment éloigner de lui.

Raconté comme cela ça a l'air de donner dans le drame romantique et social en costume classique sauf que pas du tout. Tony Richardson applique un traitement cartoonesque, psyché et non sensique (et surtout avant que ce soit complètement à la mode le film datant de 1963) à son film qui offre un spectacle classieux (reconstitution splendide décors comme costumes dans l'esprit des meilleures productions anglaise du genre) et totalement distancié à la fois. Arrêt sur images incongru, narration en voix off so british moqueuses, des acteurs qui interpelle le spectateur en plein action, retour en arrière intempestifs, tout y passe. On peut ajouter aussi des séquences filmées en dépit du bon sens (dont une partie de chasse visuellement chaotique et bien barbare) à coup d'accélérés ou de zoom agressifs pour un grand moment de folie furieuse.

Les personnages sont au diapason à commencer par le héros campé par un Albert Finney génial. Donc Tom Jones tout en gardant le côté candide et innocent du héros romantique est coureur, buveur et bagarreur, aux antipodes d'un Darcy. Face à lui des des paysanne à la cuisses légères aux visages crasseux, des hommes tous pervers au visages rougeaud (l'alcool de la campagne c'est le meilleur) et aux dent gâtées... Ca ne vaut pas bien mieux lorsque l'intrigue se déplace à Londres sur la fin. Tout n'y est que perversions, mensonges et intrigues de palais (où Tom Jones aura fort à faire pour manoeuvrer dans ce monde hypocrite) et niveau reconstitution l'ambiance pouilleuses des bas fond est certainement plus proche de la réalité que nombre de films plus sérieux à l'esthétique léchée.

Bref malgré de petits défauts de longueur (2h à ce régime c'est un peu trop) un sacré spectacle entre l'académisme le plus pur (tout es bien qui finit bien ou presque la morale est sauve) et l'avant gardisme le plus délirant. Et puis rien que pour la prestation hilarante de Hugh Griffiths en propriétaire fermier rustaud et paillard c'est à voir. Judicieusement récompensé par 4 Oscars à l'époque et c'était tout à fait mérité. 5/6
BB_Vertigo
Stagiaire
Messages : 40
Inscription : 11 févr. 12, 08:55
Localisation : Lille

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par BB_Vertigo »

Ses deux plus grandes réussites esthétiques:

ImageImage

:mrgreen: :oops:
Image
pak
Electro
Messages : 990
Inscription : 23 mars 08, 00:25
Localisation : Dans une salle, ou sur mon canapé, à mater un film.
Contact :

La Charge de la brigade légère (1968)

Message par pak »

La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade, 1968) :

Je vais parler de ce film ici, bien qu'un bel article détaillé existe sur le site (voir lien du message d'ouverture). Je l'ai vu trop tard, aussi désolé pour les redites, j'ai trop la flemme de modifier mon texte (déjà que j'ai la plume laborieuse... ).

La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade) de Tony Richardson, 1968. Avec Trevor Howard, David Hemmings, Vanessa Redgrave, John Gielgud, Harry Andrews, Jill Bennett, Ben Aris, Mickey Baker, Peter Bowles... Scénario de John Osborne et Charles Wood - Musique : John Addison - Production : Neil Hartley / Woodfall Film Productions - Film anglais - Sortie Grande-Bretagne : 11/04/1968 - 1ère sortie France : 19/02/1969.

6 Nominations aux BAFTA (meilleur acteur pour Trevor Howard, ainsi que meilleurs costumes, direction artistique, photo, montage et chanson) et prix Anthony Asquith pour la musique à John Addison.
Image
Octobre 1854, au cours de la Guerre de Crimée, l'Angleterre et la France défendent la Turquie contre l'expansionnisme russe. Au sein du 11ème régiment de hussards une rivalité s'installe entre les officiers supérieurs le colonel Cardigan, chef de la Brigade légère et son beau-frère Lord Lucan. Sur le terrain, l'incompétence des militaires va se manifester dramatiquement bien que le capitaine Nolan tente vainement d'éviter la catastrophe...


La guerre de Crimée est l'un de ces conflits européens de la fin du XIXème siècle mêlant brouilles entre familles royales, alliances politiques européennes, empires s'affrontant pour protéger colonies et territoires, sortes de répétitions localisées de ce que sera la grande boucherie de 1914-18. D'ailleurs cette guerre porte les germes de celle dite moderne, où la technologie commence à bouleverser les tactiques guerrières, ce que les vieilles badernes d'officiers supérieurs ne réalisent pas, l'époque étant, notamment dans l'armée britannique, dans le respect des traditions, où l'ascendance familiale permettait d'obtenir hauts grades et commandements plus sûrement que les compétences. La cavalerie en est l'image, arme aussi glorieuse que brutale, encore efficace face à des fantassins en déroute, mais vulnérable en terrain découvert et face à l'artillerie, un obus parcourant plus vite qu'un cheval les centaines de mètres qui le séparent de sa cible, ce que mettra en valeur, si je puis dire, l’hécatombe racontée dans ce film, mais qui n'empêchera pas son utilisation ultérieure dans d'autres conflits et d'autres armées, et ceci durant encore des décennies (on se souviendra des lanciers polonais allant se fracasser contre les panzers allemands en 1939).

Qu'est-ce que la guerre de Crimée ? Une guerre qui opposa l'Empire Russe à une coalition quasi contre-nature constituée du Royaume-Uni, de la France, du royaume de Sardaigne et de l'Empire Ottoman. Le Tsar Nicolas 1er caresse alors l'espoir de démanteler l'Empire Ottoman et profite d'une querelle religieuse surréaliste avec l'empereur français Napoléon III (chacun des deux empereurs veut assurer en exclusivité la protection des Lieux Saints de Jérusalem, partie intégrante de l'empire turc, mais le sultan d’Istanbul semble donner la préférence aux catholiques représentés par le français, ce qui exaspère le russe) pour envahir en juillet 1853 les provinces roumaines de Moldavie et de Valachie, chrétiennes mais vassales des musulmans ottomans. En octobre, la guerre est déclarée entre les deux empires. Pragmatiques, les anglais craignent pour la sûreté de leur route des Indes, et donc l'accès à leur principale colonie, puisque le tsar vise clairement la domination de la Méditerranée orientale. Mais ne voulant pas entrer seuls en guerre contre la Russie, les anglais poussent Napoléon III à les suivre dans cette voie alors que ce dernier tente de faire entendre raison au tsar. Les pourparlers entre Paris, Londres et Saint-Pétersbourg étant dans une impasse, l'empereur français, soucieux de plaire à l'ancien ennemi héréditaire, accepte, et le 12 mars 1854, la France et l'Angleterre s'allient officiellement contre la Russie. 15 jours plus tard suit la déclaration de guerre. Une guerre qui se terminera avec les accords de Paris du 30 mars 1856, aux dépends des russes.
Image
Pour situer un peu où ça s'est déroulé
La charge de la brigade légère en est un fait de guerre réel, bien connu et même légendaire en Grande-Bretagne, et qui inspira poètes (Rudyard Kipling et Alfred Tennyson), peintres (les toiles guerrières de Richard Caton Woodville), et cinéastes (Michael Curtiz et son film éponyme de 1936, inspiré du poème de Tennyson). Tous ont en commun une image de l'évènement pleine de panache, d’héroïsme et d'une certaine beauté du geste. Sauf que...
Image
Une des toiles de Richard Caton Woodville
Sur le papier, nous avons environ 670 cavaliers lancés à l'assaut des forces russes le 25 octobre 1854 dans la vallée de Balaklava (de nos jours en Ukraine) sensées être en retraite, afin de les empêcher d'emporter leur artillerie. Mais, loin d'être en déroute, l'armée russe est bien en place, et reçoit la charge avec 50 canons, épaulés par 20 bataillons d'infanterie, forces implantées face et de chaque côté des cavaliers, qui sont fauchés par dizaines. Lors du regroupement après le terrible assaut, seuls 195 hommes ont encore leurs chevaux. Près de 250 hommes sont tués ou blessés, auxquels s'ajoutent une soixantaine de prisonniers, et environ 360 chevaux furent massacrés. Un acte militaire aussi fou qu'héroïque...

Mais dans les faits, l'héroïsme, bien réel, est largement tempéré par les circonstances qui ont déclenché cette charge, circonstances que Tony Richardson va s'attacher à décortiquer. Car Richardson est un réalisateur indépendant, qui s'est révélé quelques années avant ce film avec le Free Cinema, que l'on pourrait apparenter à une Nouvelle Vague à l'anglaise apparue en 1956 jusqu'à la fin des années 1960. L'époque est à la contestation, et plus particulièrement contre une guerre du Vietnam qui s'enlise et se durcit. D'ailleurs plusieurs films sur la guerre, antimilitaristes et dénonciateurs, entre nihilisme et ironie mordante, verront le jour entre la fin des années 1960 et le début des 1970 : Ah Dieu ! Que la guerre est jolie de Richard Attenborough (1969), M.A.S.H. de Robert Altman (1970), Soldat bleu de Ralph Nelson (1970), Johnny s'en va-t-en guerre de Donald Trumbo (1971)... La charge de la brigade légère appartient à cette mouvance ayant en commun de porter un regard plus qu'acerbe sur la guerre et ceux qui la font.
Image
Dès le début, avec ses séquences animées à la Monty Python (mais le groupe de joyeux lurons n'y est pour rien, il ne sévira à la télévision que l'année d'après la sortie du film), utilisant des caricatures telles que l'on pouvait les voir dans les journaux anglais du XIXème siècle alors que la photographie balbutiait, et même durant la première moitié du XXème, avec le lion britannique, le coq français, l'ours tsariste, on comprend que l'on n'a pas à l'écran un film de guerre comme les autres. Ces animations serviront d'intermèdes tout le long du film, posant le contexte social et les enjeux avec un regard sarcastique. Ce mélange de sérieux et de comique sera la constante d'un film dont la morale serait un désabusé « mieux vaut en rire... ». Richardson était un cinéaste anglais, nationalité qui induit généralement un regard lucide et aigu sur les aspects sociaux du récit et des personnages. Ainsi la première partie du film confronte les relations entre les soldats du rang et leurs officiers, pauvreté et future chair à canon pour les premiers, oisiveté et vanité des seconds. D'ailleurs l'auteur fonctionne ici par oppositions : riches et pauvres, rouge éclatant des uniformes et hardes sanglantes du champ de bataille, compétence et idiotie, courage et jalousie... La construction du film suit ce schéma, entrainement et préparation s'opposant à la réalité du champ de bataille, structure classique du film de guerre (Les 12 salopards, Full metal jacket... ). Dans la même logique, la charge est montrée non comme une volonté tactique assumée, mais comme ce qu'elle a réellement été, une conséquence de succession d'ordres confus, mal rédigés et mal compris, bref une série d'incompétences qui mèneront à l'abattoir hommes et chevaux.
Image
Une trentaine d'années avant ce film, Michael Curtiz donna sa version de ces évènements, transposés en Inde, avec le panache qu'on lui connait et un ébouriffant Errol Flynn, où il célébrait héroïsme et camaraderie. Il est intéressant de pouvoir confronter les deux visions aujourd'hui. Nettement moins premier degré, le cinéaste anglais insiste sur les erreurs et les morts qu'elles provoquent, la guerre n'étant pour lui que poussière, sueur, sang et tripes (même lorsque les britanniques célèbrent une éphémère victoire, c'est avec au premier plan les cadavres de leurs camarades). Deux points de vue très différents sur un même événement guerrier, le réalisme s'opposant à l'imagerie d’Épinal, ce qui ne fait pas du film de Curtiz une œuvre ratée, bien au contraire. Car le soucis de réalisme de Tony Richardson peut produire un effet repoussoir, et son désir jusqu'au-boutiste de refuser toute apologie de la chose militaire lui fait presque rater la scène clé du film, la fameuse charge de centaines de cavaliers, moment cinématographique habituellement très fort (celle de Curtiz est un modèle du genre). Or il n'est pas impossible de filmer l'absurdité de la guerre de manière paradoxalement et faussement euphorique, comme l'ont démontré des gens comme Francis Ford Coppola (Apocalypse Now) ou Sam Peckinpah (Croix de fer).

Toutefois, rehaussé par un casting solide, avec un impeccable et ambigu Trevor Howard, un incroyable John Gielgud en lord qui a une (ou plusieurs) guerre(s) de retard, un solide Harry Andrews (comme toujours), et un David Hemmings qui ne souffre aucunement de la comparaison d'avec Errol Flynn, mais aussi par ses cadrages très dynamiques et travaillés, sa reconstitution victorienne et ses costumes qui flattent l’œil, ce film aurait pu être un chef-d’œuvre s'il avait usé d'un peu moins de satire. Il reste tout de même un grand moment de cinéma.
Image
Dernière modification par pak le 30 juin 13, 11:09, modifié 2 fois.
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99491
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Jeremy Fox »

Vu aussi en ce début de mois et ce fut une très agréable surprise ; l'un des films les plus virulents contre la guerre, la colonisation et l'armée. Jamais ennuyeux et superbement interprété
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8963
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: La Charge de la brigade légère (1968)

Message par feb »

pak a écrit :La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade, 1968) :

Je vais parler de ce film ici, bien qu'un bel article détaillé existe sur le site (voir lien du message d'ouverture). Je l'ai vu trop tard, aussi désolé pour les redites, j'ai trop la flemme de modifier mon texte (déjà que j'ai la plume laborieuse... ).
Heureusement que tu as dit "laborieuse"... :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
Rick Blaine
Charles Foster Kane
Messages : 24077
Inscription : 4 août 10, 13:53
Last.fm
Localisation : Paris

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Rick Blaine »

Vu également en début de mois, j'avais été quelque peu déstabilisé par le début du film, au cours duquel le point de vue m'a semblé passer d'un personnage à l'autre, sans que j'arrive facilement à comprendre ce qui se mettait en place. Une fois tout cela installé par contre, le propos fonctionne bien et la deuxième partie du film, durant la campagne, est superbe.

Je suis sur que c'est un film que je pourrais largement réévaluer à une seconde vision, en en connaissant mieux le propos.
blaisdell
Assistant opérateur
Messages : 2285
Inscription : 2 mai 05, 16:19

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par blaisdell »

Un excellent film en effet, exemple rare de "Remake négatif" pour rejoindre l'avis de Roland Lacourbe et Raymond Lefèvre dans leur excellent livre Trente ans de cinéma britannique.

Outre le plaisir trop peu renouvelé par la suite de retrouver David Hemmings dans un rôle principal un an après Blow Up, le portrait des vieilles badernes notamment Gielgud, Harry Andrews et Trevor Howard est saisissant.

L'idée d'incorporer des séquences animées est excellente.

Un excellent film qui a très bien vieilli mais auquel il manquait dans mon souvenir d'un petit quelque chose pour faire un chef-d'oeuvre absolu.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Profondo Rosso »

Joseph Andrews (1977)

Image

Angleterre, XVIIIème siècle. Joseph Andrews, abandonné par ses parents, est recueilli par Lady Booby. Plus le temps passe et plus la jeune femme est séduite par le charme et la jeunesse du garçon. Bien décidée à l'initier aux plaisirs de l'amour, elle ne comprend pas quand celui-ci, éperdument amoureux d'une autre, refuse ses avances. Mis dehors, contre son gré, par Lady Booby, Joseph Andrews va vivre des aventures extraordinaires et va tout faire pour conquérir sa Belle...

14 ans après son génial Tom Jones, Tony Richardson adaptait pour la seconde fois Henry Fielding avec ce Joseph Andrews. On se souvient qu'avec Tom Jones, Richardson avait idéalement transposé la truculence, la provocation et la touche picaresque et morale de l'auteur avec une approche visuelle pop outrancière jamais vue dans un film en costume. Joseph Andrews est dans cette continuité et plus excessif encore, les dernières entraves de la censure freinant (un peu) la provocation de Tom Jones étant ici totalement dynamité. Tony Richardson réalise là l'anti Barry Lyndon par excellence. Rarement le XVIIIème aura paru aussi laid à l'écran (quand Tom Jones sous le délire gardait encore une certaine élégance classique de film en costume). Donc ici le manque d'hygiène de cette période se rappelle à notre bon souvenir avec son défilé de figures rougeaudes, crasseuses et grotesque à la dentition gâtée chez les démunis quand pour les nantis l'avalanche de poudre sur les visages semble dissimuler les maladies de peau les plus diverses et faire ressembler ses membres à des spectres ridicule (les maquilleurs exagérant la chose avec du grain de beauté bien immondes placés n'importe comment). Les costumes et décors sont à l'avenant, tout en couleur criarde affreuse et en corset monstrueux perdant tout aura érotique.

Les seuls à traverser cet ensemble sordide en conservant leur beauté et leur innocence son notre héros Joseph Andrews (Peter Firth) et son aimée Fanny (Natalie Ogle). Leur traits fin et juvéniles, leur candeur en font presque des intrus dans ce cadre horrible et le récit cherche constamment souiller cette innocence à travers diverses péripéties toujours plus folles. Fanny manque donc d'être sauvagement violée plus d'une fois dans des circonstances de plus en plus extravagante (le summum étant atteint lors d'un cérémonie "religieuse" où des nonnes au formes généreuse entament un cantique paillard) tandis que Joseph subira les assauts de tout ce que le casting compte de personnage féminin, de la noble au port altier à la servante obèse repoussante (Beryl Reid géniale en Mrs. Slipslop). Le roman de Fielding dénonçait la perversion des classes aisées sous couvert de vertus morales et de valeurs chrétiennes auquel il confrontait des figures idéalisées de pureté. Richardson saisit bien cela avec un couple de héros frisant la niaiserie et la transparence tandis que le reste de la distribution s'en donne à cœur joie. A ce petit jeu, Ann-Margret au charme toujours aussi ravageur tire une performance jubilatoire en noble tiraillée par le désir pour son valet Joseph dont la vertu la désespère. Il faut voir ces tentatives de séduction outrancières sans succès et le machiavélisme dont elle fait preuve pour séparer le couple.

Le traitement anarchique des meilleurs moments de Tom Jones est ici étendu à tout le film où Richardson use d'une mise en scène toujours aussi peu conventionnelle et truffée d'astuces narratives (les passages chantés et poétique qui alimentent en informations qui conduiront aux révélations lors de la chute) inventive. Par contre le charisme d'Albert Finney permettait d'être captivé par le destin du héros de bout en bout quand ici (même si c'est voulu) Peter Firth s'avère un peu insipide, l'innocence n'empêchait pas un personnage plus volontaire quand ici il passe au second plan face à Ann-Margret. Très plaisant tout de même notamment le final qui ose les transgressions généralement évitées dans d'autres adaptations quand se révèleront les liens familiaux entre tout ce petit monde.4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Profondo Rosso »

Mademoiselle (1966)

Image

Institutrice respectable d'un village corrézien, Mademoiselle souffre d'une sexualité refoulée. Ce mal-être se traduisant par des actes de destruction, elle allume des incendies au sein de son village laissant croire que Manou, le bûcheron italien qu'elle désire, en est l'auteur.

Mademoiselle est le premier des deux films que Tony Richardson tournera avec Jeanne Moreau (Le Marin de Gibraltar(1967) suivra) pour laquelle il venait de quitter son épouse Vanessa Redgrave. Si l'on retrouve le style austère et exigeant de ses œuvres inscrites dans le mouvement free cinema, Mademoiselle est film éloignée de la réalité anglaise, de l'art et essai et lourdement marqué du sceau de ses scénaristes, Marguerite Duras et Jean Genet.

La libération des pulsions ou le bouillonnement à les contenir aura souvent constitué le thème des films de Tony Richardson, que ce soit à des fin comiques (Tom Jones (1963) ou Joseph Andrews (1977)) ou dramatiques (la bataille désespérée de La Charge de la brigade légère (1968) ou la défiance taiseuse du marginal de La Solitude du coureur de fond (1962)). Ce thème est au cœur de Mademoiselle où le drame naît également de ces pulsions, dans leurs expressions comme leur refoulement. Une vague d'accidents tourmente le quotidien d'un petit village de Corrèze, entre incendie criminel, inondation et empoisonnement des bêtes. Tous les soupçons des fermiers se portent sur Manou (Ettore Manni), massif et séduisant bûcheron italien pour lequel la méfiance repose plus sur la haine ordinaire de "l'étranger" mais aussi de la jalousie quant à l'attirance qu'il exerce sur les femmes du village. C'est justement à l'une d'elles que sont dus tous ces maux, Mademoiselle (Jeanne Moreau) jeune institutrice à la sexualité refoulée faisant jaillir ses névroses dans des actes de vandalisme dont elle sait qu'elle ne sera jamais accusée. Jeanne Moreau est excellente pour exprimer le contrôle permanent du personnage où guette pourtant à tout moment la folie dans le phrasé, la gestuelle rigide. A l'abri des regards, elle peut s'abandonner pour fixer intensément l'objet inaccessible de ses désirs et libèrera sa frustration par le chaos. La simple scène de début où elle broie sans raison les œufs d'un nid d'oiseau éveille d'emblée un malaise qui ne se démentira pas. N'osant approcher Manou et le voyant posséder toutes les jeunes femmes consentantes du village, elle se vengera en transformant son environnement en enfer.

C'est paradoxalement quand le film fait dans la retenue qu'il est plus troublant. Les incendies dévastateurs offrent d'impressionnantes séquences mais la folie de Mademoiselle ne trouble jamais plus que dans le quotidien comme les humiliations que subira en classe Bruno (Keith Skinner) le fils de Manou, cette rigidité teinté de jubilation quand elle inflige le mal. Un mal qui semble contenu en sourdine dans cette campagne magnifiquement filmée par Tony Richardson, la superbe photo de David Watkin faisant baigner la pénombre des forêts ou les champs de récolte d'un éclat inquiétant sous la magnificence. C'est le souffle de ses pulsions néfastes qui finiront par contaminer tout le monde (le jeune Bruno tuant un lapin sauvagement) et notamment les fermiers prêts à libérer violemment leurs angoisses sur l'étranger. La tonalité austère avec cette bande-son sans musique jouant sur les bruits de la nature contribue grandement à cette aura maléfique. Seul problème, le film se perd un peu quand il devient plus explicite notamment avec la grande scène d'amour entre Manou et Mademoiselle (l'image érotique de Jeanne Moreau depuis Les Amants (1958) ne pouvant être évitée) qui a sûrement dû faire son effet à l'époque mais dont l'érotisme teinté de naturalisme est très forcé d'autant que la séquence est bien trop longue - sans parler des analogie bien lourde comme quand Manou enjoindra Mademoiselle de toucher son "serpent". Ettore Manni est assez limité aussi en gros rustre à la sensualité animale et on regrette que le choix initial de Tony Richardson ne se soit pas concrétisé, Marlon Brando n'ayant pas pu se rendre disponible. En dépit de ce bémol, le final d'une rare noirceur marque tout de même durablement, Mademoiselle pratiquant symboliquement la politique de la "terre brûlée" une fois assouvie. 4,5/6
zeotrope
Assistant(e) machine à café
Messages : 296
Inscription : 9 sept. 13, 18:42

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par zeotrope »

Le film est dans ma liste d'attente, tu dévoiles trop de choses pour quelqu'un qui ne l'a pas vu, j'ai arreté à la moitié de ton texte. Je lirai donc peut-être après visionnage.
N'avoir rien accompli et mourir en surmené.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tony Richardson (1928-1991)

Message par Profondo Rosso »

Pas d'alerte spoiler je ne dis rien qu'on ne sait pas dès le premier quart d'heure à part qu'il y a une scène de sexe entre Jeanne Moreau et l'italien :mrgreen: Le résumé de la jaquette du dvd dévoile toute l'intrigue par contre et ça ne m'a pas empêché d'apprécier :wink:
Répondre