Tai Katô (1916-1985)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

L'un meilleur artisan japonais des 60's mérite bien son topic d'autant que la rétrospective à la MCJP permet de découvrir le cinéaste en 12 films (qui furent également projetés lors de l'hommage à la cinémathèque au début des années 2000).

Un spécialiste du chambara parfois teinté de mélodrame (pas toujours très subtil) dont la réalisation repose souvent sur de long plan-séquences. :)


Le ninja du vent (1964)
1er film découvert lors de ce rétro MCJP (j'en avais déjà vu 3 auparavant, il faut que je retrouve mes avis d'époque)

Pas de bol, c'est l'un des plus mauvais film du cinéaste... Enfin, de l'un des moins intéressant tout du moins.
La narration manque énormément de rigueur et de clarté. Je ne sais pas si Kato Tai a voulu complexifier ou non l'histoire mais c'est vraiment difficile à suivre avec un trop grand nombre de seconds rôles (et qui se ressemblent en plus beaucoup comme les 2 femmes). Et puis, c'est difficile à suivre parce que ça n'est tout simplement pas passionnant ni rythmé.
Vu la présence de ninja dans le titre, on pouvait s'attendre à un bon film d'action et c'est avant tout un mélodrame grossier qui prend le dessus.

Assez ennuyeux au final même si quelques passages relèvent le niveau comme les quelques combats qui demeurent honorables et quelques jolis plans en extérieur avec une belle utilisations de le lumière.


Contes cruels au pays du soleil couchant (1964)

Un samurai, lâche mais ambitieux, parvient à être accepter dans le Shinsegumi, clan officiel des Tokugawa. Il y découvre le fonctionnement, les pratiques et les rivalités troubles qui boulversent sa personnalité.

Sorti quelques temps après Hara-kiri de Kobayashi et contes cruels du Bushido de Tadashi Imai, Kato s'en prend à son tour au code d'honneur des samurai et de leurs rôles politiques.
C'est donc une vision très critique du Shinsengumi qui ne connait pas la pitié ni la demi-mesure : le recrutement oppose les différents prétendants dans des combats sanglants qui se conclut souvent par la mort, le moindre écart de conduite amène au seppuku, les élèves sont déshumanisé pour obeir sans réfléchir aux ordres etc...
Cette vision très cruelle est accompagnée d'une légère dose décalée et grotesque due à la personnalité trouillarde du jeune samurai dont on suit le parcours. Ses réactins sont souvent suffisament exagéré pour désamorcé la dureté des images sans évacuer la virulence du propos. Comme on peut prévoir, la tonalité devient de plus en plus sombre au fur et à mesure que l'histoire évolue et que le personnage perd sa naïveté.
Celà est surtout évoqué par une histoire d'amour incontournable mais qui s'intègre habilement dans la trame du récit en prenant plus d'importance vers la fin. Du point de vue du héros poltron, on glisse sur celui de la jeune femme horrifiée par l'arrivisme de son amoureux qui se porte volontaire pour être bourreau de seppuku afin de se faire bien voir de sa hierarchie... Au point d'en devenir aveugle et de ne plus se poser de questions éthiques.

La structure du récit n'est pas toujours très équilibrée mais en revanche la réalisation est époustouflante et se place parmi les meilleures du cinéaste. Elle est un parfaitement représentative de son style avec énorméments de plan(-séquence) fixes remplis de personnages occupant tout l'espace, surchargeant le cadre d'informations, venant se placer parfois devant l'objectif. Une caméra immobile mais qui offre un dynamisme saisissant dans une chorégraphie très précise qui doit demander beaucoup de répétition d'autant que le ton des acteurs est toujours spontané.
Cette longueur permet de donner un rythme très naturel aux scènes en parvenant à installer progressivement le second degré ou au contraire le malaise et la tension grandissantes.

On trouve aussi de virtuose travelling circulaire qui viennent progresser au plus près des comédiens.
j'ai trouvé que c'était dans ce film que ces procédés prenait le plus leurs sens car ces travallings circulaires traduisent l'évolution psychologique des personnages. Les arcs de cercles (plus ou moins grands) qu'ils décrivent renvoient à leur changement de mentalité, à une modification litérale de leur point de vue. C'est flagrant sur la fin avec plusieurs mouvements de caméra marquants. Le premier est un travelling tournoyant autour du visage d'un condamné à mort. Le second montre le bras droit du chef qui décide de quitter le clan à la suite de désaccord idéologiques. Pour vraiment symboliser cette cassure, la caméra traverse même une paroi au moment paroxytique de la scène.
Le troisème se déroule dans la pièce du chef du clan quand le héros annonce un fait qui va boulverser l'histoire. Le lent mouvement qui traverse la pièce change ainsi la géométrie du lieu.

A celà, il faut ajouter un très beau noir et blanc assez constratée qui rend le sang d'une densité abyssale.

Cependant, le constat n'est pas parfait à cause d'une dernière partie assez idiote où un rebondissement vient changer les motivations du héros. Au lieu d'apporter une vraie plus-valus, ça contredit toute la psychologie (et son évolution). Pour le coup, je n'ai vraiment pas compris l'intérêt. :|

Et puis, si on compare avec les contes cruels du Bushido, la critique est loin d'être aussi contestataire et aboutie (même si on trouve des références très naturels à l'homosexualité entre samurais).

Malgré ces quelques remarques, cet opus de Tai Kato est un excellent cru en même temps qu'une parfaite démonstration de ses dons de réalisation. Plus que recommandable donc.



Par ailleurs requiem pour un massacre (rien à voir avec le film de Klimov) est une bombe absolue. Un film policier très rance d'une violence physique et visuelle d'une âpreté à peine imaginable. Je compte en faire un texte pour 1kult.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par Abdul Alhazred »

De ce que j'en ai vu pour l'instant, je le trouve très inégal, capable de faire des films stylistiquement impressionnants (comme Requiem pour un Massacre) ou bien prenants (comme Contes cruels au pays du soleil couchant malgré, comme tu le signales, le retournement final un peu crétin), mais également des mélodrames lourdingues (comme Le ninja du vent) et au moins un très mauvais film (Chroniques guerrières du clan Sanada).

Au final, et avant de voir le réputé Délit de faciès, je dirais que j'ai vu de sa part un mauvais film, quelques films moyens, quelques bons films et un très bon film (Requiem pour un massacre, malgré mes réserves exprimées dans ma rapide critique).

Pour regrouper les informations dans un sujet dédié, je remets ici ma critique rapide de Chroniques guerrières du clan Sanada et de Requiem pour un massacre, faites dans le sujet généraliste sur le cinéma japonais. Je les avais écrites le lendemain de la projection.
Avec le recul, j'aurai pu être plus indulgent avec Requiem pour un massacre : bien que je ne sois pas fan des films de serial killer, même si la première partie est un peu mollassonne et l'acteur principal peu emballant, l'histoire est assez bien mené et, de toute façon, le choc stylistique mérite à lui seul la vision du film.
Je ne modifierai toutefois pas mes avis copiés ici, qui correspondent à une opinion à chaud.


Requiem pour un massacre :
MCJP a écrit :Takako Yasuda, femme riche et oisive, est assassinée chez elle par un inconnu. Avant de la tuer, celui-ci l’a forcée à noter le nom sur une feuille de papier de quatre femmes…
Autre film noir réalisé par Katô pour le compte des studios Shôchiku.
Entre film de serial killer à la Le voyeur de Michael Powell et film de vengeance, c’est le type d’œuvre susceptible de plaire aux amateurs de thriller ou de films de serial killer. N’étant pas fan de ce dernier genre (je n’ai pas accroché au Voyeur justement, pour ne mentionner que le plus réputé), je n’ai pas été complètement convaincu.
Sur le plan stylistique, le film est très intéressant et nous a rappelé certaines œuvres de Seijun Suzuki par son côté quasi expérimental. Il y a certaines scènes superbes, surtout dans la deuxième moitié du film, plus rythmée et intéressante que la première. Mais j’avoue avoir trouvé le temps un peu long, ne me sentant pas franchement concerné par les péripéties du tueur et de ses victimes. Je ne suis pas fan de l’acteur principal, Makoto Satô, ce qui n’a pas aidé.

Au final, un film que je conseillerai tout de même, histoire de se faire sa propre opinion.
Il existe une critique dithyrambique en anglais, qui spoile tout le film : http://wondersinthedark.wordpress.com/2 ... -tai-kato/


Chroniques guerrières du clan Sanada :
MCJP a écrit :Après la bataille de Sekigahara, un groupe d’enfants intrépides se lie à un samouraï, Sanada, qui part à l’assaut du château d’Ôsaka.
Une comédie musicale à costumes atypique mêlant combats de ninjas, anachronismes loufoques et science-fiction. À travers l’histoire du clan Sanada qui, par opportunisme, ne choisit jamais son camp au cours de ce conflit décisif, Tai Katô transpose dans le Japon guerrier du 16e siècle les troubles politiques de 1960, l’année où la jeune génération s’opposa violemment à la reconduction du traité de paix nippo-américain par le gouvernement.
Hum… Sur le papier, ça pouvait être sympa. Je n’ai pas peur des films barrés et, la semaine passée, j’avais vu à la Cinémathèque Oshidori utagassen de Masahiro Makino, une comédie musicale de 1939 assez géniale (cf. ce billet en anglais pour un avis détaillé : http://vermillionandonenights.blogspot. ... n-edo.html. Je conseille d’ailleurs ce blog, qui propose une vision souvent originale du cinéma japonais).

Je diviserai le film en deux parties.
Les deux premiers tiers sont assez pathétiques : humour lourd, acteurs peu charismatiques en roue libre, personnages principaux agaçants, effets spéciaux lamentables. La même chose en français avec un doublage un peu ridicule et on aurait un bon nanar.
Le dernier tiers sauve un peu les meubles : le récit devient plus sombre, l’humour disparaît, et le film se concentre sur d’autres personnages et acteurs plus intéressants. Le sous-texte politique est bien présent et contribue à assombrir ce dernier tiers. Ça ne devient pas exceptionnel hein, mais au moins c’est regardable sans souffrance.

Ne pouvant pas faire avance rapide au cinéma pour sauter les deux premiers tiers, je déconseille donc fortement ce film, qui n’intéressera que les fans les plus hardcore de cinéma populaire japonais des années 60.
Abdul Alhazred
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par Abdul Alhazred »

Délits de faciès (1968)
Samedi dernier, j’ai vu Délit de faciès de Tai Kato (Otoko no kao wa rire­ki­sho, 1968) et, plusieurs jours après, je reste dubitatif.

Le film a un scénario assez classique. Une bande de méchants sème la terreur dans un quartier pauvre. Ils cherchent à récupérer les droits des terrains du quartier afin d’y construire un complexe de jeu et de plaisir. Les droits en question sont détenus par un médecin, ancien officier durant la seconde guerre mondiale, qui ne cède pas mais ne souhaite pas non plus se lancer dans une guerre contre la bande.
La situation va dégénérer avec l’arrivée du petit frère du médecin, bien décidé à expulser la bande.

Délit de faciès se déroule dans le Japon d’après-guerre, peu après la défaite. Il commence dans les années 50 et est construit en flash-back : l’arrivée d’un blessé amène le médecin à se souvenir d’évènements survenus huit ans plus tôt.

Jusqu’ici rien de bien choquant. La réalisation est plutôt bonne, de même que les décors et éclairages.
Le problème vient d’un « détail » non mentionné dans mon résumé : les méchants en question ne sont pas de vulgaires yakuza mais des Coréens (tous joués par des acteurs japonais).
Le scénario prend dès lors des accents nationalistes et xénophobes, malgré un carton au début du film nous expliquant qu’il faut s’aimer les uns les autres et un rappel de cette morale à deux euros à la fin du métrage.

A l’exception de deux personnages (un homme et une femme), qui apparaissent comme des exceptions, les Coréens ne sont constitués que d’affreux bonshommes, des types sans foi ni loi, cruels et grotesques. Ils aiment tabasser du Japonais, violer des femmes en buvant et en riant.
Si les Japonais osent protester, ils invoquent la maltraitance qu’ils ont subie durant la guerre. Ils n’en apparaissent que plus perfides, justifiant leur infamie par les actions du passé.

Le film date de 1968, époque à laquelle la situation des Coréens au Japon n’était pas franchement folichonne (encore aujourd’hui, les Japonais d’origine coréenne sont discriminés) et où, après le succès des jeux olympiques de Tokyo en 1964, le Japon reprenait confiance en soi.

On pourrait me rétorquer que l’image des Japonais dans le film n’est pas non plus reluisante, avec des personnages assez mesquins et individualistes. Certes, mais, en sortant du film, on retient surtout l’ignominie des Coréens et la réaction du personnage principal : après de nombreuses hésitations, afin de sauver la communauté, pour venger son frère et pour « arrêter le cycle de la violence », il décide de tuer tous les Coréens, quitte à mourir oui à aller en prison. Tuer tout le monde pour arrêter le cycle de la violence, une démarche originale…

Quelques autres petits détails de ci de là renforcent cette vision douteuse des Coréens :
1) Le métrage comporte une scène de guerre en flash-back. Dans cette scène, on découvre que le gentil Coréen était un soldat de l’Empire. Le médecin était son supérieur juste et pas raciste (à l’inverse des autres soldats).
Le seul homme Coréen sympa du film est donc celui qui a été embrigadé et a fait la guerre dans une unité japonaise (alors que la plupart des Coréens engagés dans l’armée japonaise ont servi dans des travaux de construction ou dans des unités entièrement coréennes). Il a d’ailleurs gardé respect et admiration pour son supérieur japonais.

2) Les deux gentils Coréens du film sont nés au Japon de parents coréens et sont orphelins. Ce sont les seuls Coréens dont on mentionne les origines.

3) Malgré le discours du personnage principal, comme quoi la violence c’est mal, la situation se règle lorsqu’il se révolte. Il ose tuer tous ces Coréens qui se retranchaient derrière l’excuse du « on est méchant parce que les Japonais ont pas été gentils durant la guerre ».
Remis dans le contexte historique de l’époque, le film rejoint ici l’idée que le Japon doit, comme il commence à le faire, s’affirmer sur la scène internationale, rejeter sa honte et aller de l’avant.

J’ai beaucoup étudié le nationalisme japonais, sujet de mon mémoire en sciences politiques, et j’ai sans doute une optique biaisée.
Toutefois, je considère qu'au mieux, le film est ambigu idéologiquement, reflétant peut-être un tiraillement entre un positionnement progressiste et un nationalisme renaissant. Au pire, le film est affreusement raciste.
Il me faudrait plus d’éléments sur le réalisateur, le scénariste, les conditions de production et la réception du film pour me prononcer, éléments que je n’ai pas réussis à trouver (car métrage peu connu d’un réalisateur invisible en Occident).

En l'état, cette image des Coréens m'a pas mal pourri Délit de faciès.
Sans être un partisan du politiquement correct, j'ai trouvé le film franchement limite compte tenu du contexte historique de l'époque et les divers éléments du scénario mentionnés précédemment.
Je serai curieux d'avoir le point de vue de Bruce Randylan, on n'a pas eu le temps d'en discuter après la séance.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

Oui, moi aussi, ce racisme anti-coréen m'a plus que gêné, surtout quand on voit le carton très hypocrite qui ouvre le film. A part ces 2 seconds rôles que tu évoques, le portrait des méchants coréens revanchards sans morale ni honneur est très réducteur et manichéen au possible. C'est non seulement racoleur, populiste et nationaliste en diable, mais surtout on passe à côté d'un sujet passionnant qui aurait pu donner un portrait social et politique fabuleux. Quand on voit requiem pour un massacre, on peut se dire quand même que Tai Kato a l'air assez réactionnaire (avec une vision du Japon que n'aurait pas renié Mishima pour reprendre les propos de Christophe Gans.)

Sinon, pour le film en tant que tel, je l'ai trouvé sacrément efficace. Comme Requiem pour un massacre (je crois que c'est le même studio qui a produit le film - Shochiku au lieu de la Toei), Kato délaisse les mouvements de caméra qui sont une partie de sa marque de fabrique pour pousser encore très loin ses recherches sur le cadre fixe, la longueur des plans, les légères contre-plongées et l'utilisation du décor ou mobilier pour parasiter la composition des images. Un travail d'orfèvres en la matière avec un excellent décor général de ce marché / bidon ville.
C'est pour une fois bien raconté sans trop de relâchement dans le rythme pour une narration en flash-back un peu inutile mais bien exploitée au final.
Quelques scènes de combats et/ou de foules assez fiévreuses qui explosent dans un final démentiel où le héros affronte à lui tout seul une vingtaine de méchants coréens sans foi ni loi : gunfight et chambara se mélangent avec un bonheur sauvage pour un morceau de bravoure qui n'a pas pris une ride. Intense, nerveux et démesuré ! :D
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

l'indomptable d'Edo (1964)
Tatsugorô, Un homme au caractère bien trempé décide de devenir pousse-pousse en s'établissant près de la gare. Le gang local voit d'un mauvais oeil que celui-ci leur vole des clients. De plus, Tatsugorô tombe amoureux de la fiancée du chef.

Une nouvelle bonne pioche avec cette comédie (presque une farce)complétés de quelques touches beaucoup plus sombres et noires. L'ambiance est assez irrésistible avec sa galerie de personnages assez immatures servis par des comédiens juste ce qu'il faut de caricaturaux. On s'amuse donc bien de l'intransigeance de Tatsugorô, de la naïveté du chef du clan, de la geisha timide et des yakuza qui roulent de mécaniques.
La première demi-heure est vraiment savoureuse avec en point d'orgue le héros balançant la pauvre jeune fille à la rivière suivie d'une séquence mémorable où Tatsugorô avoue son amour pour la geisha devant l'ensemble du clan. Ca ne manque pas d'humour décalé, de fraicheur et de vitalité.
Comme toujours Kato fait vivre admirablement bien ses scènes avec des plans toujours aussi long (cadrés fixes et en contre-plongée). Dans un registre humoristique, ça fait ici des merveilles d'autant que la gestion de l'espace, de la profondeur de champ et des acteurs est réellement épatant et toujours aussi virtuose. Et puis le noir et blanc en impose.

Après le film tourne un petit peu en rond (avec les différents mariages avortés) mais la mort d'un personnage secondaire impose un brusque changement de ton aussi radical que surprenant. Ca redonne un nouveau souffle au film qui retrouve l'élan initial mais avec forcément moins de légèreté.

PS : Tai Kato place aussi son plan signature "travelling circulaire" autour d'un visage en gros plan. Là, il fait même un 720° qui a de la gueule mais qui sert pas à grand chose pour une fois. :mrgreen:
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

Ah puisqu'on parlait de Tai Kato dans le topic des conseils en cinéma japonais, je viens de voir que j'avais pas mis de lien vers ma critique de requiem pour un massacre, sorte de giallo et incroyable joyau d'une noirceur et d'une virulence étouffante,

http://www.1kult.com/2012/07/27/requiem ... -tai-kato/
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

Et j'en profite pour rapatrier deux avis précédents (les premiers titre de Tai Kato que j'ai découvert)


Le spectre de dame Iwa (Tai Kato – 1961)

Aussi sortie sous le titre Contes fantastiques de l'ère Edo, voilà une autre version du fantôme de Yatsuda signé 2 ans après les versions de Misumi et Nakagawa. L'histoire est d'ailleurs un peu un mixe des deux : Iemon est une belle ordure égoïste mais ce n'est pas lui qui est à l'origine de l'empoisonnement et de la mort de sa femme.
Il développe aussi le personnage de la sœur (très présente au début), réduit celui de l'acolyte de Iemon qui ne prend pas part au complot et enfin supprime l'amour du serviteur pour Iwa.
Par contre, comme les deux autres versions, l'histoire est toujours aussi complexe à suivre et il faut presque une demi-heure pour remettre tous les personnages à leurs places.

Sinon, la grosse différence de taille réside dans le fait que cette version est en noir et blanc. Contrainte ou choix délibéré ? Quoiqu'il en soit, Kato tourne logiquement le dos aux effets visuels colorés pour se recentrer sur l'histoire et le personnage peu reluisant de Iemon incarné par Tomisaburo Wakayama qui lui donne toute la force et la puissance nécessaire. Il est impressionnant et inquiétant par la violence qu'il dégage qu'il s'agisse de passer à tabac sa femme pour obtenir de quoi picoler ou qu'il maltraite son serviteur qui a essayé de le voler.
La pauvreté du personnage est donc plus mis en avant que dans les autres versions et cette dimension sociale (faut le dire vite quand même) permet au réalisateur de situer une bonne partie de son film dans des lieux qu'il affectionne : bars bondés, bordels populaires, rue grouillante de passants...

D'ailleurs c'est Kato qui signe lui-même l'adaptation de cet opus dont on reconnaît immédiatement le style avec ses longues focales qui mêlent premiers plans très rapprochés et des nombreux personnages dans le fond du cadre s'activant ; le tout capté dans des plans (fixes) assez longs. Il rend une nouvelle fois les images très vivantes, occupant à merveille l'espace et dont le mouvement à l'intérieur du cadre donne une dynamique très soutenue au film même quand la narration fait du sur place.

Son découpage est aussi plus rythmé que dans les autres film que j'avais pu voir de lui (ma mère dans les paupières et le sang de la vengeance) et on peut sans doute déceler l'influence de Kihachi Okamoto (et de la nouvelle vague ?) y compris dans l'utilisation du noir et blanc.
C'est un excellent travail et cette réalisation plus sèche et nerveuse tranche avec la théâtralité des autres adaptations. Ce traitement est peut-être anachronique et pas très fidèle à l'histoire mais un peu d'originalité ne fait pas de mal.
Et puis la réalisation s'avère très efficace à plusieurs moments notamment le plan-séquence où l'épouse s'empoisonne ou quand son mari la malmène et la blesse à la main. Il y a des séquences plein de bruit et de fureur vers la fin : la scène très impressionnante où Iemon massacre sa belle-famille alors qu'un orage gronde et le combat final assez intense bien que plus brouillon.

Pour ceux qui s'attendait à une histoire de fantôme, la déception et la frustration risquent d'être au rendez-vous. Les autres pourront profiter de la mise en scène élaborée de Kato et de la belle photographie même si la narration alambiquée peut refroidir et que l'histoire en générale est moins viscérale que les autres versions.



La mère dans les paupières ( Tai Kato - 1962 )

Une mise en scène impressionnante au service d'une histoire qui m'a laissée totalement hermétique, pour ne pas dire agacé.

Kinnosuke Nakamura joue un samouraï abandonné par sa mère qui décide de la retrouver tout en aidant un ami qui cherche à devenir Yakuza... ce qui justement rend la mère de celui-ci triste, chose que qu'il ne peut bien sur accepter.

Le premier tiers est correct mais pas exceptionnel. L'histoire est un peu brouillonne et on ne comprend pas les enjeux en cours. L'introduction qui nous plonge au cœur de l'action est tel qu'on a l'impression de débarquer en milieu du film (ou dans le 2ème film d'une série).
Comme les bons sentiments sont en plus un peu poussés vers la guimauve ( "moi qui n'ait pas de maman, je ne comprends pas pourquoi tu veux faire pleurer la tienne, c'est donc moi qui irait me battre à ta place" ).
La photographie ( très automnale ) apporte une belle touche mélancolique tandis que la réalisation, qui traduit visuellement l'absence d'attache du héros, passe son temps à perturber l'espace et l'image : objet dans le 1er plan cachant la vue, cadre très serré lors des combats, peu de profondeur de champ etc...
Ce qui semble ici un peu gratuit et maladroit devient en revanche très émouvant dans la suite du film où les partis pris de la réalisation parviennent vraiment à faire vivre le film.
Pratiquement toutes les scènes qui suivent alors deviennent des séquences stylisées où la longueur des plans permet de faire réellement vivre ces moments avec une science du détail inhabituelle et virtuose : la très longue scène ( un plan séquence il me semble ) avec la musicienne où le va et vient des quelques passants en arrière plan apporte un réel plus ; la discussion avec la vieille prostituée ; l'incroyable scène où la tenancière d'une auberge entend un jeune intrus tenter d'arriver jusqu'à elle ; la discussion de celle-ci plus tard avec sa fille.
Dans ces moments là, que la caméra soit immobile, qu'elle effectue un léger travelling ou un impressionnant mouvement circulaire autour d'un visage, on sent que chaque cadre, que chaque raccord, coupe, ou déplacement accompagnent véritablement les sentiments des personnages. Pour les séquences des deux faces-à-faces de la tenancière, on peut presque parler de chorégraphie émotionnelle tant la mise en scène appuie la psychologie et éclaire le doute naissant dans les différents personnages.

La conclusion si elle est tout aussi belle et magnifiquement filmée ( avec un duel saisissant à la clé ), elle ne m'a malheureusement pas emballée avec un comportement illogique des personnages pour une approche beaucoup mélodramatique au point de trouver strident.

Voilà, si j'ai des réserves sur l'histoire, sa mise en scène m'a littéralement ébloui.


Je constate aussi que je n'avais pas pris le temps de parler de Tokajiro, le loup solitaire (1966). Je le regrette car dans mon souvenir, c'était un joli film qui tient là aussi plus du mélodrame que du chambara même si on trouve quelques combats. Il me semble que la première partie était un peu trop classique mais la suivante déployait un belle mélancolie avec un Ronin qui doit escorter une veuve et son enfant et qui lutte contre ses sentiments pour ne pas tomber amoureux d'elle. Je me souviens d'une belle scène d'adieu dans un paysage enneigé et d'une habile utilisation de la couleur et lumière (parfois théâtrale) pour mieux symboliser la solitude de ce loup solitaire.
Et l'aspect mélodramatique n'était pas trop lourdingue mais faisait preuve d'une douce délicatesse même si on avait du mal à comprendre pourquoi le héros masculin refusait à ce point le bonheur et l'amour.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par AtCloseRange »

Abdul Alhazred a écrit :Délits de faciès (1968)
Samedi dernier, j’ai vu Délit de faciès de Tai Kato (Otoko no kao wa rire­ki­sho, 1968) et, plusieurs jours après, je reste dubitatif.

Le film a un scénario assez classique. Une bande de méchants sème la terreur dans un quartier pauvre. Ils cherchent à récupérer les droits des terrains du quartier afin d’y construire un complexe de jeu et de plaisir. Les droits en question sont détenus par un médecin, ancien officier durant la seconde guerre mondiale, qui ne cède pas mais ne souhaite pas non plus se lancer dans une guerre contre la bande.
La situation va dégénérer avec l’arrivée du petit frère du médecin, bien décidé à expulser la bande.

Délit de faciès se déroule dans le Japon d’après-guerre, peu après la défaite. Il commence dans les années 50 et est construit en flash-back : l’arrivée d’un blessé amène le médecin à se souvenir d’évènements survenus huit ans plus tôt.

Jusqu’ici rien de bien choquant. La réalisation est plutôt bonne, de même que les décors et éclairages.
Le problème vient d’un « détail » non mentionné dans mon résumé : les méchants en question ne sont pas de vulgaires yakuza mais des Coréens (tous joués par des acteurs japonais).
Le scénario prend dès lors des accents nationalistes et xénophobes, malgré un carton au début du film nous expliquant qu’il faut s’aimer les uns les autres et un rappel de cette morale à deux euros à la fin du métrage.

A l’exception de deux personnages (un homme et une femme), qui apparaissent comme des exceptions, les Coréens ne sont constitués que d’affreux bonshommes, des types sans foi ni loi, cruels et grotesques. Ils aiment tabasser du Japonais, violer des femmes en buvant et en riant.
Si les Japonais osent protester, ils invoquent la maltraitance qu’ils ont subie durant la guerre. Ils n’en apparaissent que plus perfides, justifiant leur infamie par les actions du passé.

Le film date de 1968, époque à laquelle la situation des Coréens au Japon n’était pas franchement folichonne (encore aujourd’hui, les Japonais d’origine coréenne sont discriminés) et où, après le succès des jeux olympiques de Tokyo en 1964, le Japon reprenait confiance en soi.

On pourrait me rétorquer que l’image des Japonais dans le film n’est pas non plus reluisante, avec des personnages assez mesquins et individualistes. Certes, mais, en sortant du film, on retient surtout l’ignominie des Coréens et la réaction du personnage principal : après de nombreuses hésitations, afin de sauver la communauté, pour venger son frère et pour « arrêter le cycle de la violence », il décide de tuer tous les Coréens, quitte à mourir oui à aller en prison. Tuer tout le monde pour arrêter le cycle de la violence, une démarche originale…

Quelques autres petits détails de ci de là renforcent cette vision douteuse des Coréens :
1) Le métrage comporte une scène de guerre en flash-back. Dans cette scène, on découvre que le gentil Coréen était un soldat de l’Empire. Le médecin était son supérieur juste et pas raciste (à l’inverse des autres soldats).
Le seul homme Coréen sympa du film est donc celui qui a été embrigadé et a fait la guerre dans une unité japonaise (alors que la plupart des Coréens engagés dans l’armée japonaise ont servi dans des travaux de construction ou dans des unités entièrement coréennes). Il a d’ailleurs gardé respect et admiration pour son supérieur japonais.

2) Les deux gentils Coréens du film sont nés au Japon de parents coréens et sont orphelins. Ce sont les seuls Coréens dont on mentionne les origines.

3) Malgré le discours du personnage principal, comme quoi la violence c’est mal, la situation se règle lorsqu’il se révolte. Il ose tuer tous ces Coréens qui se retranchaient derrière l’excuse du « on est méchant parce que les Japonais ont pas été gentils durant la guerre ».
Remis dans le contexte historique de l’époque, le film rejoint ici l’idée que le Japon doit, comme il commence à le faire, s’affirmer sur la scène internationale, rejeter sa honte et aller de l’avant.

J’ai beaucoup étudié le nationalisme japonais, sujet de mon mémoire en sciences politiques, et j’ai sans doute une optique biaisée.
Toutefois, je considère qu'au mieux, le film est ambigu idéologiquement, reflétant peut-être un tiraillement entre un positionnement progressiste et un nationalisme renaissant. Au pire, le film est affreusement raciste.
Il me faudrait plus d’éléments sur le réalisateur, le scénariste, les conditions de production et la réception du film pour me prononcer, éléments que je n’ai pas réussis à trouver (car métrage peu connu d’un réalisateur invisible en Occident).

En l'état, cette image des Coréens m'a pas mal pourri Délit de faciès.
Sans être un partisan du politiquement correct, j'ai trouvé le film franchement limite compte tenu du contexte historique de l'époque et les divers éléments du scénario mentionnés précédemment.
Je serai curieux d'avoir le point de vue de Bruce Randylan, on n'a pas eu le temps d'en discuter après la séance.
Grosse découverte en ce qui me concerne et je ne vois pas trop en quoi les Coréens seraient montré de façon plus négative que les japonais (tous les personnages sont quand même globalement en eaux troubles, souvent perdus entre 2 camps). D'ailleurs ce côté dual et certains autres aspects (l'amitié entre les 2 hommes de camps opposés, les lunettes de soleil) m'ont pas mal fait penser à John Woo (enfin pas dans la mise en scène donc)
J'ai surtout vu une vraie personnalité, enthousiasmant visuellement et grosse envie de découvrir d'autres films de Katô.
Possible film du mois.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

AtCloseRange a écrit :
Abdul Alhazred a écrit :Délits de faciès (1968)
Délit de faciès
Grosse découverte en ce qui me concerne et je ne vois pas trop en quoi les Coréens seraient montré de façon plus négative que les japonais (tous les personnages sont quand même globalement en eaux troubles, souvent perdus entre 2 camps). D'ailleurs ce côté dual et certains autres aspects (l'amitié entre les 2 hommes de camps opposés, les lunettes de soleil) m'ont pas mal fait penser à John Woo (enfin pas dans la mise en scène donc)
J'ai surtout vu une vraie personnalité, enthousiasmant visuellement et grosse envie de découvrir d'autres films de Katô.
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Tiens, je me demande dans quel cadre tu l'as découvert. :)

Great King of Mongolia / Kogan no misshi (1959)

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Une œuvre qui se situe dans le début de carrière du cinéaste, à un moment où il n'avait pas encore trouvé son style. On ne note ici aucune de ses futures signatures visuelles. On voit pourtant qu'on a pas à faire à un tâcheron et le film regorge de plans inspirés, d'habiles mouvements de caméra et surtout d'une photographie somptueuse.
Sur la forme, c'est assez curieux, c'est un mélange entre le chambara conventionnel et le péplum italien d'où la présence d'étrangers «exotiques». Bonne surprise, le film n'a absolument rien de kitsch et bénéficie d'une solide production et d'un design soignée.
Pour le scénario, c'est plus problématique et l'on sent constamment les productions values comme la sous-intrigue avec la jeune fille à la recherche de son père qui est d'une vacuité absolu. Du coup bien que le rythme soit assez soutenu, on a mal du mal à se motiver pour suivre cette intrigue par ailleurs assez brouillonne et régulièrement niaise, tout en se disant pratiquement à chaque nouveau plan que le film a vraiment une sacré tenue d'un pure aspect pictural et visuel.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par AtCloseRange »

bruce randylan a écrit :
AtCloseRange a écrit : Grosse découverte en ce qui me concerne et je ne vois pas trop en quoi les Coréens seraient montré de façon plus négative que les japonais (tous les personnages sont quand même globalement en eaux troubles, souvent perdus entre 2 camps). D'ailleurs ce côté dual et certains autres aspects (l'amitié entre les 2 hommes de camps opposés, les lunettes de soleil) m'ont pas mal fait penser à John Woo (enfin pas dans la mise en scène donc)
J'ai surtout vu une vraie personnalité, enthousiasmant visuellement et grosse envie de découvrir d'autres films de Katô.
Possible film du mois.
Tiens, je me demande dans quel cadre tu l'as découvert. :)
Il traînait sur YouTube.
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par Spike »

Pour ceux que ça intéresse, le site Cinefiles a mis en ligne (gratuitement et légalement) un livret de 81 pages en anglais de la Japan Foundation consacré au cinéaste. Le livret, écrit uniquement par des intervenants japonais, contient une biographie, revient sur le style du réalisateur et aborde sa filmographie (avec résumés et anecdotes).
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

Merci bien :D
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par bruce randylan »

The Ondekoza (1981)

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Roh, c'te claque ! :shock:

Pour sa dernière réalisation pour le cinéma (il réalisera juste un court-métrage quelques années plus tard), Tai Kato fait preuve d'une vitalité et d'une virtuosité plastique sensationnelle pour accoucher d'un film inclassable et hors-norme.
Sur le principe, il s'agit d'un documentaire sur la troupe musicale "Ondekoza" composée d'une douzaine de jeunes gens de 25 ans en moyenne qui se sont établi dans une île du nord du Japon pour s'entraîner tant physiquement que techniquement. Mais loin du documentaire classique, Tai Kato alterne reconstitution de leur périple sous forme de courte scénettes, de quelques moments pris sur le vif et surtout de nombreux séquences de leur numéros qu'il s'agisse d’interprétation sur scènes ou de scénographies plus sophistiquées. Dans tous les cas, c'est ahurissant de beauté et le moindre plan est un choc esthétique témoignant d'une photographie époustouflante, d'une texture de l'image incroyablement charnel, d'un sens du cadrage à tomber et d'idées graphiques inventives à souhait.
Certaines scènes sont d'une beauté à couper le souffle : le numéro de théâtre Bunraku où la marionnette est remplacer par une vraie artiste, la cithare japon­aise au bord de l'eau, les séquences dans la neige, celle au milieu des "volcans" artificielles, la danse avec les masques dans un temple en bois, la performance au milieu d'une foule citadine, la danse sur la plage... Et on pourrait citer chaque extérieur, chaque gros plan ou chaque insert.
La nature est bien-sûr au cœur des créations et prestations (mer, vagues, neige, soleil, montagne, fleur, arbre, nuit), y compris pour celle éloignée des décors naturels.
Après, il faut évidement apprécier la musique traditionnelle et folklorique japonaise à base de flûte, shamisen et surtout percussions qui se paye la part du lion.

J'enchaîne les superlatifs mais le film m'a autant hypnotisé, fasciné que subjugué de la première à la dernière image.

Le film a été restauré récemment pour un résultat somptueux.

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Beule
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par Beule »

J’ai vu hier Target of Roses, signé par l’obscur – en tout cas pour moi – Kiyoshi Nishimura. Cette production Toho semble capitaliser sur le succès de Bullet Wound. Trois ans plus tôt, le film de Moritani, remarquable, avait su surfer sur la vague de défiance à l’égard des relations privilégiées nippo-américaines pour étalonner progressivement un polar taiseux et stylisé, aux inclinaisons volontiers existentialiste, vers un chroma paranoïaque très prégnant et bien de circonstance. Même producteur, mêmes interprètes principaux ici, reprenant peu ou prou des rôles similaires (Eiji Okada en boss d’une organisation nébuleuse manipulant Kayama, son exécuteur des basses œuvres). C’est peu dire que le film de Nishimura lorgne sur le patron narratif de son brillant ancêtre pour un résultat bien moins probant - euphémisme. Scénario abracadabrant aux développements psychologiques aberrants sanctionnés par de grotesques champs-contrechamps sur-signifiants ; direction d’acteurs inexistante (particulièrement quand les interprètes ânonnent en anglais des lignes de dialogues, nombreux, qu’eux-mêmes ne semblent pas comprendre) ; à bien des égards ce succédané manifeste tous les atours du nanar labellisé. À ceci près que, çà et là, le plus souvent le temps de quelques plans épars mais aussi, vers la fin, sur des séquences dans leur intégralité, l’œil se surprend à rester captif de trouvailles visuelles qui jurent avec la médiocrité de l’ensemble. Pas de doute, ces choix d'axes privilégiant les contreplongées oppressantes, cette composition si particulière par blocs et strates pour opacifier la lecture du cadre relèvent en propre de la manière de faire du grand Tai Katô. Son empreinte, sa signature visuelle si éloquente se glissent partout pour conférer à ce produit bâclé dans l'écriture une puissance opératique, intermittente certes mais indéniable, qui lui permet constamment de se relever de ses approximations a priori rédhibitoires.

J'en mettrais ma main à couper. Katô est donc - largement - intervenu sur ce film. Au demeurant après vérification, le chef op n'a jamais travaillé ailleurs avec lui et je n'ai rien vu dans le parcours de Nishimura qui laisse à penser qu'il puisse filmer sous son influence stylistique. Pourtant, je n'ai rien trouvé pour étayer ma position. Pas même dans le précieux document que Spike avait généreusement mis à notre disposition. Donc à votre bon cœur M'sieurs Dames... si vous êtes en mesure d'éclairer ma lanterne, je vous en serai très reconnaissant.


Petit florilège de plans qui selon moi ne laissent que peu de place au doute quant à la participation de Tai Katô
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Re: Tai Katô (1916-1985)

Message par Spike »

Beule a écrit : 6 août 21, 13:14 (...) Target of Roses (...) Cette production Toho semble capitaliser sur le succès de Bullet Wound. Trois ans plus tôt, le film de Moritani, remarquable, avait su surfer sur la vague de défiance à l’égard des relations privilégiées nippo-américaines pour étalonner progressivement un polar taiseux et stylisé, aux inclinaisons volontiers existentialiste, vers un chroma paranoïaque très prégnant et bien de circonstance. Même producteur, mêmes interprètes principaux ici, reprenant peu ou prou des rôles similaires (Eiji Okada en boss d’une organisation nébuleuse manipulant Kayama, son exécuteur des basses œuvres). C’est peu dire que le film de Nishimura lorgne sur le patron narratif de son brillant ancêtre pour un résultat bien moins probant - euphémisme.
Si je me base sur ce qu'a écrit notre internaute finlandais résidant au Japon... La Toho a produit plusieurs films "labellisés" New Action (à l'instar - je suppose - de la Nikkatsu avec ses New Action / Borderless Action, dont certains figurent dans le coffret DVD Criterion Nikkatsu Noir). Au sein de ces films Toho New Action, quatre forment une tétralogie informelle dans laquelle Yûzô Kayama joue à chaque fois un tireur d'élite et/ou tueur à gages : Sun Above, Death Below (1968), Bullet Wound (1969), The Creature Called Man (1970) et Target of Roses (1972).
Beule a écrit : 6 août 21, 13:14l’obscur – en tout cas pour moi – Kiyoshi Nishimura.
Notre internaute finlandais le présente comme un réalisateur injustement tombé dans l'oubli, car il avait pourtant tourné des thrillers intéressants et des films d'action existentialistes. Voici les liens vers ses mini-critiques :
Bullet Wound
The Creature Called Man
Hairpin Circus
The Target of Roses + Attack on the Sun
Tokyo Daijishin Magnitude 8.1
Too Young To Die

Beule a écrit : 6 août 21, 13:14(...) les interprètes ânonnent en anglais des lignes de dialogues, nombreux, qu’eux-mêmes ne semblent pas comprendre)
(...) le plus souvent le temps de quelques plans épars mais aussi, vers la fin, sur des séquences dans leur intégralité, l’œil se surprend à rester captif de trouvailles visuelles qui jurent avec la médiocrité de l’ensemble. Pas de doute, ces choix d'axes privilégiant les contreplongées oppressantes, cette composition si particulière par blocs et strates pour opacifier la lecture du cadre relèvent en propre de la manière de faire du grand Tai Katô. (...)

J'en mettrais ma main à couper. Katô est donc - largement - intervenu sur ce film. Au demeurant après vérification, le chef op n'a jamais travaillé ailleurs avec lui et je n'ai rien vu dans le parcours de Nishimura qui laisse à penser qu'il puisse filmer sous son influence stylistique.


Personnellement, je n'ai vu que The Creature Called Man (1970), donc je ne saurais pas m'exprimer au sujet de The Target of Roses. Bon, alors dans The Creature Called Man, un dictateur étranger vient se réfugier au Japon (car il avait participé autrefois à une guerre avec comme alliés les Japonais). Un contrat est placé sur sa tête et de nombreux tueurs à gages débarquent au Japon pour empocher la mise. Un policier qui est également un champion de tir olympique (Yûzô Kayama) est chargé de le protéger, mais officieusement. Néanmoins, le flic partage l'affiche avec un des tueurs à gages, interprété par Jirô Tamiya. Ce dernier a de nombreuses répliques en anglais, qu'il prononce parfaitement, sans accent. (Son personnage rencontre une Américaine qui devient sa petite amie). Certes, il se montre alors un chouïa plus raide dans son jeu, mais c'est relativement normal. Il suffit de comparer avec Mariko Kaga, qui se retrouve également avec plusieurs répliques dans la langue de Shakespeare, et qui reste intelligible, mais dont l'accent se remarque fort.

A ce propos, on sent une volonté d'acquérir une dimension internationale, avec cette histoire de dictateur étranger, ces dialogues en anglais, cette actrice gaijin, ... Du point de vue formel, le film évoque pas mal les productions d'espionnage anglophones de l'époque, comme les James Bond des années 60. La réalisation m'a paru maitrisée, notamment dans les scènes d'action. Par contre, je ne me souviens pas d'avoir remarqué des effets de style / de mise en scène propres à Taï Katô. Pas de plans au ras du sol, par exemple.

D'ailleurs, le film, avec ce récit de policier et de tueur à gages (tombé amoureux) obsédé l'un par l'autre, cette fusillade finale au ralenti, ... donne à penser que John Woo s'en est inspiré pour The Killer. L'intérêt du réalisateur hongkongais pour le cinéma nippon est bien connu : la dernière grosse demi-heure du Syndicat du crime 2 est calquée sur le déroulement d'un ninkyô. The Killer, dont on réduit souvent en Occident le terreau au Samouraï de Melville, mélange en fait des éléments d'An Outlaw (1964), de The Heartbreak Yakuza (1987) et même de Golgo 13: Assignment Kowloon (1977). Ou son remake du Manhunt avec Ken Takakura.

Alors, malheureusement, je ne pourrais pas t'aider à confirmer / infirmer une éventuelle participation de Taï Katô. La ressemblance ne proviendrait-elle pas du recours au même chef-opérateur (que tu mentionnes toi-même) ? Ou alors, ce que tu associes au style personnel de Taï Katô était peut-être plus répandu à l'époque que tu ne le crois. C'est difficile de juger sur captures, mais la similitude ne me saute pas aux yeux. Après, peut-être que j'ai de la m... dans les yeux :mrgreen: ou que Nishimura s'est étalé avec The Target of Roses...

Essaie d'envoyer un message privé à cet intenaute finlandais (il poste également sur blu-ray.com). Etant donné qu'il habite au Japon, il saura indubitablement trouver plus de renseignements que moi.
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