Douglas Fairbanks (1883-1939)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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allen john
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par allen john »

The thief of Bagdad (Raoul Walsh, 1924)

Au moment d'entamer la réalisation de ce film, Douglas Fairbanks triomphe: ses trois premiers films spectaculaires (The Mark of zorro, The three musketeers, Robin Hood) ont confirmé la validité de son intuition, et c'est en héros qu'il a été accueilli en Europe. Reçu en embassadeur partout, il a aussi pu vérifier la solidité de l'industrie Allemande du cinéma, et s'est porté volontaire pour faire distribuer un certain nombre de films par le biais de la United Artists... avec une idée derrière la tête. Il envisage de réaliser un film merveilleux, et va s'inspirer de ce qu'il a vu. C'est une sage décision, le film fantastique Américain étant à cette époque en l'état de voeu pieux, il fallait s'inspirer de ceux qui savaient y faire: en 1924, la révolution de Caligari est passée par là, et on a pu voir sur les écrans Allemands Der müde Tod (Les trois lumières) et Die Nibelungen, de Fritz Lang, ou Le cabinet des figures de cire, de Paul Leni: ces trois films en particulier fourniront l'inspiration visuelle du nouveau Doug... Et puis il peut se vanter de bien remplir les salles avec ses films, et comme la United artists a été créée en premier lieu dans la but de satisfaire aux désirs des artistes (Chaplin, fairbanks, Pickford et Griffith) qui l'ont imaginée, c'est en toute confiance qu'il se lance dans le tournage d'un film unique pour les années 20: un film fantastique, extravagant, mais tellement bien pensé et tellement soigné qu'il est encore irrésistible 9 décennies plus tard... Pour accomplir cet exploit, Fairbanks s'attache les services d'un jeune réalisateur qui monte, Raoul Walsh, avec lequel la complicité sera des plus efficaces.

Ahmed, le voleur de Bagdad interprété par fairbanks, rejoint la liste des héros typiques de l'acteur: valeureux, c'est dans l'action qu'ils se définissent; ils ne négligent pas le déguisement (Zorro), et seront le plus souvent aidés dans leur volonté de sauver autrui par l'amour. Une fois motivés, ils peuvent déplacer les montagnes, et l'énergie athlétique dont ils font preuve peut éventuellement s'accompagner d'une aide, venue au bon moment, des hommes et des femmes qu'ils ont fédéré: voir bien sur Robin Hood, et plus tard The gaucho, ou The black Pirate. Mais surtout, les films sont un peu des parcours initiatiques dans lesquels le personnage principal va définir sa vraie nature: A Don Diego, l'inutile nobliau ridicule, Fairbanks oppose la flamboyance de Zorro; le "pirate noir" n'est pas en réalité le chef dur qu'il semble être, c'est un prince, et le Gaucho sera sauvé par l'amour... Comme le voleur de Bagdad. Mais celui-ci sera aussi sauvé par un certain nombre d'accessoires magiques, importés d'Allemagne: objets venus de l'orient dont un tapis volant (Les trois lumières) bestiaire imaginaire fantastique dans lequel brille un dragon (Die Nibelungen); le tout sera situé dans un orient constamment stylisé, assumé comme faux (Inspiré du Cabinet des figures de cire), et dont le rendu va bénéficier d'une idée toute simple: c'est une immersion complète, on ne verra aucune couture, ainsi on pourra assumer que le décor de Bagdad est fait d'un sol ciré, y compris dans la rue, ainsi, il sera possible d'assumer cette fausse mer faite de toile... Le résultat est proche d'un décor d'opéra.

A l'expressionisme de ses sources, Fairbanks va opposer une autre forme d'exagération, en accentuant le coté ballet de sa propre prestation, d'autant que les figurants sont tellement nombreux qu'il faut bien faire un effort pour que l'acteur s'en détache. Un bon exemple de cette gestuelle exagérée se trouve au début du film, lorsque Fairbanks est encore un simple voleur, et parcourt de balcon en toit les rues de Bagdad, en grapillant son déjeuner, et les bourses tentantes des passants. Voyant la démonstration d'une corde magique, il la convoite, et fait un geste de la main, qui fait d'ailleurs penser à un enfant. Ce geste répété n'a rien de naturel, mais est parfaitement clair. Autre avantage pour l'acteur, il peut, pour une fois, échapper au maquillage qui le blanchit considérablement habituellement, puisque Fairbanks est un adepte des activités sportives sous le ciel de Californie et sa peau constamment exposée a le plus souvent besoin qu'on l'assagisse un peu s'il veut jouer un D'artagnan ou un Robin Hood... Ici, c'est un Fairbanks au naturel, habillé de peu d'étoffe du reste, qui va exposer son corps d'athlète dans des gestes plus emphatiques encore que d'habitude. Enfin, l'exagération et l'exacerbation des mouvements sont étendues à l'ensemble du casting, dans lequel on reconnait Julanne Johnston en princesse, So-Jin en prince Mongol, Anna May Wong en traitresse, et Snitz Edwards en copain du héros; Ahmed est donc un voleur militant, qui ne vit que par une seule philosophie: quand il a envie de quelque chose, il le prend. Lorsque c'est une belle princesse qu'il convoite, il va mettre au point un stratagème pour être l'un des princes qui s'alignent pour venir lui faire officiellement la cour. Et va du même coup êrte transformé par la révélation de l'amour... Mais parmi ses rivaux, il y a ura aussi le fourbe prince des Mongols, cruel et plein de ressources pour faire le mal et assumer son but: la domination...

On le voit, ça se gâte vers la fin du résumé, puisque cette sale manie de donner le mauvais rôle aux Asiatiques est ici présentée de façon spectaculaire, avec deux des stars Orientales les plus populaires. Mais dans le cadre du film, situé dans un imaginaire de carton-pâte (Avec les beaux décors en somptueux vrai-faux de William Cameron Menzies), cette odieuse convention s'accepte finalement assez bien... Et avec ses treize bobines, et 152 minutes de projection, le film s'offre le luxe d'être l'un des plus longs films Américains des années 20, je parle ici des durées de films en exploitation, non lors de premières, souvent plus longues. Cette longueur inhabituelle est sans doute l'une des raisons qui vont pousser le public à bouder le film, hélas... Dommage parce que non seulement c'est une fête visuelle, mais en prime les effets spéciaux sont très réussis, la cohérence des séquences merveilleuses un rare succès dans un pays qui, répétons-le, ne savait pas encore faire du cinéma fantastique... Et Walsh dans tout ça? Disons que d'une part, il peut s'enorgueillir d'avoir réalisé non seulement le plus long, le plus cher, mais aussi le meilleur des films de Fairbanks. Et sa réputation n'est aujourd'hui plus à faire, mais l'image du conteur génial est née de ce genre de films, dans lesquels le metteur en scène s'efface derrière l'efficacité de ses dispositifs. Et il fallait du talent pour réussir à rendre cohérent un mélange entre personnages bien définis, décors délirant et envahissant, et histoire de longue haleine; réussite, selon moi, sur toute la ligne: on ne perd jamais de vue les héros, et les allers-retours entre Ahmed et ses concurrents lors de la recherche d'un objet magique pour permettre de départager les "princes" afin de déterminer qui emportera la main de la princesse sont un conte qui se boit comme du petit lait. Quant aux imports (Dragons, tapis volant, boule de cristal, cape d'invisibilité), ils sont parfaitement rendus, et ne se content pas d'apparaitre, le metteur en scène les a dotés de vie... Donc c'est un grand film de Raoul Walsh, autant qu'un grand Fairbanks... celui-ci va avoir du mal, d'ailleurs, à suivre ce film, c'est le moins que l'on puisse dire. En attendant, replongeons-nous dans l'un des plus beaux films des années 20, si possible avec la musique inspirée de Rimsky-Korsakov qui était déja le principal choix en 1924...

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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par someone1600 »

il faut définitivement que je vois ce film.
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Ann Harding
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par Ann Harding »

Je viens de revisiter Wild and Woolly qui est toujours aussi délectable. :)

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Wild and Woolly (1917, John Emerson) avec Douglas Fairbanks, Eileen Percy et Sam de Grasse

Jeff Hillington (D. Fairbanks), un new-yorkais, fils d'un riche magnat des chemins de fer, est obsédé par l'ouest sauvage. Sa connaissance de l'ouest se limite à la lecture de 'pulp magazines' et à la vision de westerns au cinéma. Un jour, son père l'envoie à Bitter Creek (Arizona) pour examiner la création d'un nouvel embranchement ferroviaire. Les habitants lui préparent une surprise : ils 'habillent en costume des années 1880...

Cette délectable parodie de western est due à la plume d'Anita Loos, qui était alors l'épouse de John Emerson, le réalisateur de ce film. Le rôle principal a été écrit pour un Fairbanks en grande forme qui se projette dans le monde du western comme le pourrait de nos jours quelque fana du DVD. Il a décoré sa chambre avec un tipi, des fusils, des tapis indiens, un selle de cheval et autres tableaux du Vieil Ouest. Evidemment de la fiction à la réalité, il y a un monde. En 1917, l'ouest est totalement civilisé. Il n'y a plus de chevaux, mais des voitures et plus personne ne porte les costumes de cow-boys qu'il affectionne. Qu'à cela ne tienne, les habitants de Bitter Creek vont faire de leur mieux pour ne pas décevoir ce citadin dans les nuages. On lui organise des fusillades, des chevauchées, etc. Il tombe d'autant mieux dans le panneau qu'il est ébloui par la belle Nell (E. Percy) qui joue elle aussi très bien son rôle. Mais, l'histoire prend un tournant inattendu lorsque cet escroc de Steve Shelby (S. de Grasse) décide de profiter des festivités pour attaquer le train. Et alors - coup de théâtre! - le citadin se métamorphose en héros de western caracolant à cheval à la poursuite des bandits. L'ensemble du film conserve un ton très 'tongue in cheek' avec un Fairbanks débordant de dynamisme et de gaîté.
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Ann Harding
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par Ann Harding »

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The Half-Breed (Le Métis, 1916) d'Allan Dwan avec Douglas Fairbanks, Alma Rubens, Jewel Carmen, Sam de Grasse et George Beranger

Le métis "Lo Dorman" (D. Fairbanks) est courtisé par Nellie (J. Carmen) la fille du pasteur provoquant la fureur du Shérif Dunn (Sam de Grasse) qui ignore qu'il est son propre fils...

A ses débuts, Douglas Fairbanks travaille au sein de la société Triangle qui produit également les films de T.H. Ince avec William S. Hart. On retrouve donc dans leurs films certaines actrices comme Alma Rubens et Winifred Westover (qui devint brièvement Mrs Hart). Cet excellent film d'Allan Dwan avait bien besoin d'une restauration. J'avais vu la copie incomplète de la Cinémathèque française il y a quelques années et j'étais restée sur ma faim. La fin du film était incomplète, le montage laissait à désirer avec des scènes qui réapparaissait deux fois de suite et il y avait des intertitres en français mal placés. Dans cette nouvelle réstauration réalisée par le San Francisco Silent Film Festival, le film retrouve une chronologie logique et ses intertitres en langue originale.
Cette fable panthéiste se veut une célébration de l'homme des bois face à la corruption de la civilisation. Plus encore, c'est le métis, fils d'une squaw, qui est le héros du film face aux Blancs malfaisants. Dans les années 10, les Indiens sont très souvent bien représentés au cinéma contrairement à ce qui se passera plus tard dans les années 30 où les Indiens ne seront plus que des sauvages hurlants. Le film commence par un strip-tease de Fairbanks qui nous permet d'admirer sa plastique irréprochable. En fait, cette séquence dut être ajoutée par Allan Dwan pour contenter Mrs Fairbanks (Beth Sully) qui ne supportait pas l'idée de voir son époux jouer un "sale indien". On le montre donc plongeant dans la rivière pour se laver.
Bien qu'il soit un métis, il attire l'attention de la très séduisante Nellie (Jewel Carmen) qui est la fille du pasteur au grand dam de ses soupirants. Elevé par un botaniste, Lo Dorman (contraction de "L'eau dormante" - Sleeping water) est un homme simple et droit face à la mesquinerie et la violence des Blancs. Le film exploite au mieux les magnifiques décors naturels de la Californie avec ses gigantesques séquoias et ses vallées profondes où coulent les rivières.
Il faut mentionner Alma Rubens qui joue la douce Teresa victime de son protecteur qui l'exploite avec son "medicine show" pour attraper les gogos. Elle trouve enfin avec Lo Dorman, un homme qui lui apporte protection et respect. Cette jeune actrice sera victime plus tard d'un de ces docteurs marrons - qui fourmillaient à Hollywood - qui lui donnera une addiction à la morphine. Elle mourra à l'âge de 33 ans sans avoir pu vaincre cette addiction.
Le film était accompagné lors de la présentation à la Cinémathèque par un clavier électronique et une variété d'instruments à vent (harmonica, clarinette, saxophone). Hélas, les musiciens se sont contentés de ressasser constamment les mêmes thèmes - souvent particulièrement anachroniques pour la période du film (à l'époque de la ruée vers l'or) et ont ignoré les moments les plus comiques. Malgré cet accompagnement peu approprié et particulièrement bruyant, ce fut un plaisir de pouvoir redécouvrir ce film de Fairbanks.
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Alphonse Tram
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par Alphonse Tram »

Supfiction a écrit :Doc sur Fairbanks actuellement sur Arte.
Constitué uniquement d’images d’archives et narré à la première personne par Laurent Lafitte, vous ne pourrez qu’être charmé par les vues buccoliques de Hollywood, les plateaux gigantesques des studios, les scènes de tournages d’un autre temps. Il sacrifie parfois à la modernité avec quelques effets spéciaux, comme les profondeurs de champ sur les photos donnant l’illusion du mouvement, mais le format des films est respecté.
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Supfiction
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par Supfiction »

Alphonse Tram a écrit :
Supfiction a écrit :Doc sur Fairbanks actuellement sur Arte.
Constitué uniquement d’images d’archives et narré à la première personne par Laurent Lafitte, vous ne pourrez qu’être charmé par les vues buccoliques de Hollywood, les plateaux gigantesques des studios, les scènes de tournages d’un autre temps. Il sacrifie parfois à la modernité avec quelques effets spéciaux, comme les profondeurs de champ sur les photos donnant l’illusion du mouvement, mais le format des films est respecté.
J’ai toujours été étonné par l’incroyable popularité et succès de Fairbanks qui n’était ni beau ni plus tout jeune. Faut-il l’attribuer à son exceptionnelle agilité et capacité à réaliser des prouesses dans les scènes d’action ? Sans doute aussi a t-il profiter de la faible concurrence de l’époque parmi les stars d’Hollywood. Mais il avait certainement quelque-chose d’unique lui permettant de sortir du lot.
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Re: Douglas Fairbanks (1883-1939)

Message par Ikebukuro »

En ce moment, documentaire sur Arte sur ce très très grand acteur.

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