Le cinéma suédois naphta... à part Bergman

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

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Eld ombord (Le Vaisseau tragique, 1923) de Victor Sjöström avec Matheson Lang, Jenny Hasselqvist et Victor Sjöström

Le skipper Jan Steen (M. Lang) a épousé Ann-Britt (J. Hasselqvist) qui fut autrefois aimée de Dick (V. Sjöström). Couvert de dettes, Jan doit accepter de transporter une cargaison dangereuse. Son second ayant été blessé, c'est Dick qui le remplace à bord. La tension entre les deux hommes monte rapidement...

Eld ombord (littéralement: incendie à bord) est le dernier film muet suédois de Sjöström réalisé avant son départ pour Hollywood. Pour la première fois, il utilise un acteur canadien, Matheson Lang dans le rôle principal. Ce choix est certainement lié au désir de vendre mieux son film à l'international. Cependant le résultat n'est pas tout à fait à la hauteur des précédents films de Sjöström. Matheson Lang, un acteur Shakespearien, n'a pas la subtilité et le naturel des acteurs utilisés généralement par Sjöström. De plus, le scénario est nettement plus traditionnel et attendu que ses précédents chefs-d'oeuvre. On est face à un film d'aventures maritimes plus traditionnels, dans la lignée des produits manufacturés par Hollywood. Cela ne signifie pas que le film est mal réalisé. Sjöström sait parfaitement faire monter la tension et le suspense à bord du navire avec de multiples rebondissements: mutinerie, falgellation, bagarres, incendie, etc. Mais, on attendait de lui des personnages plus complexes et psychologiquement plus fouillés que ce qu'il nous offre. La photo signée de Julius Jaenzon est toujours magnifique d'ombres et de lumières, mais il manque à ce film ce petit quelque chose qui font les chefs-d'oeuvre. On a l'impression que Sjöström est déjà pris dans l'engrenage des studios américains qui n'attendent de leurs réalisateurs qu'une adhésion servile à leur scénario. Le film est spectaculaire au sens premier du mot. Il se clôture par l'explosion d'une goëlette. Par contre, la fin heureuse qu'il nous propose est fort peu crédible. A-t-elle été imposée par les producteurs? Ce n'est pas impossible car il est fort difficile de croire que Jan et Dick puisse se réconcilier après que ce dernier ait mis le feu au navire pour se venger. Un film moins personnel de Sjöström, mais qui tient bien la route en terme de divertissement.
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Ann Harding
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par Ann Harding »

Quelques nouveaux af Klercker. Je commence à vraiment devenir fan de ce réalisateur! :)

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För fäderneslandet (L'Espion d'Œsterland, 1914) de Georg af Klercker et Ragnar Ring avec G. af Klercker, Lilly Jacobson et J. Lange

Ivan von Kaunowitz (G. af Klercker) est attaché militaire en Oesterland. c'est en fait un espion envoyé pour prendre les plans d'un fort. Pour ce faire, il séduit Ebba von Tell (L. Jacobson) qui est la fille du Chambellan Von Tell...

L'Espion d'Œsterland est un film d'espionnage produit par la filiale suédoise de Pathé-Frères. Georg af Klercker est alors un jeune réalisateur et il y joue le rôle principal. L'opérateur est le frère du célèbre Julius Jaenzon (l'opérateur de Sjöström et Stiller) Henrik Jaenzon. Ce long métrage contient tous les ingrédients requis pour ce type de film. Klercker dans le rôle principal change d'identité au milieu du film pour mieux se fondre dans l'environnement. Il passe ainsi de la jolie Edda à Gunhild, une humble fille de pêcheur pour arriver à ses fins. Alors qu'il tente de faire sauter un pont, il tombe dans un torrent où il se noie. On pense un peu aux sérials de Feuillade pour les rebondissements, mais il y a déjà une utilisation habile des paysages suédois qui donne à ce film une couleur tout à fait particulière. Un film de Klercker moins remarquable que les suivants, mais qui montre déjà un talent certain.

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I minnenas band (Dans le ruban des souvenirs, 1916) de Georg af Klercker avec G. af Klercker, Elsa Carlsson et Manne Göthson

Le Comte Cronschöld (G. af Klercker) a surpris un groupe de bohémiens qui occupent illégalement un château en ruines sur ses terres. Il leur demande de déguerpir au plus vite. Cependant, il a remarqué la jolie Roszica (E. Carlsson) qu'il va emmener avec lui et épouser...

Plusieurs oeuvres de Georg af Klercker explore les différences sociales dans la Suède des années 1910. Il faut dire qu'il est lui-même issue d'une lignée aristocratique et a fait une mésalliance selon les critères de sa famille. Il joue ici un comte, avec sa longue silhouette distinguée et bottée, qui n'est pas insensible au charme d'une petite bohémienne qui songe à exploiter ce penchant pour aider sa famille. On imagine d'abord qu'il va faire d'elle sa maîtresse. En fait, pas du tout, il va épouser la jeune fille, ce qui pour l'époque devait être encore pire qu'uen mésalliance! Bien qu'il y ait une réelle affection entre les deux époux, Roszica perd rapidement pied dans cette nouvelle vie d'aristocrate. Sa famille lui manque et elle va finalement quitter sa riche demeure pour retrouver la vie itinérante de sa famille. Le récit est joliment troussé avec des extérieurs magnifiquement photographiés.

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Mella liv och död (Entre la vie et la mort, 1916) de Georg af Klercker avec Ivar Kalling, Lilly Cronwin et Mary Johnson

Le Docteur Brinck (I. Kalling) fait de la recherche scientifique avec sa fidèle assistante Inger (L. Cronwin). Il fait un jour la connaissance d'Elsa (M. Johnson) et en tombe amoureux. Jalouse, Inger décide d'éliminer sa rivale...

Cette histoire de meurtre machiavélique est encore une oeuvre remarquable de Georg af Klercker. Un médecin-chercheur n'imagine pas une minute que sa fidèle assistante, qui passe la journée avec lui au laboratoire, puisse planifier un meurtre par jalousie. Le film n'est pas confiné en sudios. Au contraire, bon nombres de scènes sont tournées en extérieur et offrent de longs travellings pris depuis une voiture. On suit ainsi la promenade en vélo de Brinck et de son assistante. Le plan machiavélique d'Inger consiste à envoyer une lettre à sa rivale, la jeune Elsa, en lui demandant une réponse. Elle fournit même une enveloppe pour la réponse. Elle a passé du poison sur la colle de celle-ci sachant que la malheureuse Elsa passera sa langue dessus pour la fermer. Le piège fatal fonctionne. Elsa tombe et Brinck est au désespoir. Dans un rêve, il voit Elsa vivante puis morte comme dans Posle Smerti (Après la mort, 1915) d'Evgeny Bauer où le héros est hanté par le fantôme de sa bien-aimée. Si l'univers de Klercker n'est pas aussi morbide et prenant que celui de Bauer, il est cependant apparenté. Cependant, la fin de l'histoire est heureuse. Prise de remords, Inger trouve un antidote qui guérit Elsa tout en attribuant la découverte à son mentor. Une belle oeuvre de Klercker.

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I mörkrets bojor (Prisonnière de l'obscurité, 1917) de Georg af Klercker avec Sybil Smolova, Carl Barcklind et Ivar Kalling

Elinor Petipon (S. Slomova) a été arrêtée pour le meurtre de son époux (C. Barcklind). Elle n'a aucun souvenir des événements qui ont précédé sa mort. En prison, elle tente de se souvenir de ce jour fatidique...

Ce film de Georg af Klercker produit par la compagnie Hasselblad de Göteborg offre une structure narrative tout à fait extraordinaire pour son époque. En effet, l'histoire d'Elinor, suspectée de meurtre, nous est racontée par une série de flash-backs au fur et à mesure que la mémoire des événements lui revient. L'utilisation du flash-back n'est guère commune avant 1920 et encore moins lorsque le récit est fragmenté comme dans ce film. Klercker travaille avec un excellent opérateur Carl-Gustaf Florin qui utilise intelligemment les excellentes lentilles fabriquées par Hasselblad à la profondeur de champ remarquable. On est convaincu dès le début qu'Elinor est innocente du crime dont elle est accusée. Suite au choc, elle est devenue amnésique et est incapable de se défendre. En discutant avec l'aumônier de la prison, différents moments de la journée lui reviennent en mémoire. En sortant de prison, elle ne sait toujours pas comment son époux est mort. Elle va sciemment dans un petit bar mal famé où elle surprend une conversation entre plusieurs malfrats qui préparent un cambriolage dans sa propre maison. Elle intègre leur équipe pour tenter de protéger son fils qui est seul sur les lieux. C'est au cours du cambriolage que la mémoire des événements devient plus précise et qu'elle découvre le nom du meurtrier. Certains plans du film dans les rues de Göteborg m'ont rapellé le style d'Evgeny Bauer. D'ailleurs dans ce récit à la limite de la psychanalyse, on retrouve un peu l'atmosphère de ces oeuvres russes où la vie et la mort peuvent se rencontrer. Une oeuvre fascinante de Georg af Klercker.
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Message par Ann Harding »

Dernier ajout, une comédie.

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Svärmor på vift ("Belle-mère fait la noce" ou "Chemins interdits", 1916) de Georg af Klercker avec Maja Cassel, Nils Olaf Chrisander, Manne Göthson et Tekla Sjöblom

Le Docteur Berg (N.O. Chrisander) reçoit la visite de ses beaux-parents qui viennent semer le désordre dans son train-train quotidien avec sa femme (M. Cassel) ...

Georg af Klercker ne tournait pas seulement des drames. Pour la société Hasselblad, il a aussi réalisé de charmantes comédies. L'intrigue fait penser au théâtre de boulevard, mais sans vulgarité. L'arrivée des beaux-parents du Dr Berg est le signal du désordre. Beau-papa ne songe qu'à se rincer l'oeil en scrutant les jolies femmes, y compris les patientes de son gendre. Il faut dire que belle-maman est du genre vieille harpie. Même le déjeuner se révèle immangeable : les beaux parents sont arrivés avec un vieux coq (vivant !) qui est dur comme de la vieille charogne. Les deux hommes en profitent pour aller se restaurer dans un restaurant et aller ensuite dans un bal masqué. C'est compter sans la perspicacité de belle-maman qui a flairé le subterfuge. Les deux couples vont donc se retrouver masqués au dit-bal avec moults quiproquos. Tout cela est très enlevé et amusant sans atteindre le niveau des meilleures comédies de Mauritz Stiller.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Ce mercredi 10 septembre sort dans les salles une nouvelle adaptation de la pièce d'August Strindberg, Mademoiselle Julie, la troisième pour le cinéma à ce jour. Derrière la caméra, Liv Ullmann, qui succède ainsi à Mike Figgis (version 1999) et à Alf Sjöberg. C'est la version de ce dernier, réalisée en 1951, qui nous intéresse aujourd'hui, le distributeur Splendor Films la ressortant opportunément à la même date.
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Message par Commissaire Juve »

Anecdote en passant... Hier soir, j'ai découvert :

Et si j'épousais le pasteur (1941) deuxième film de Viveca Lindfors...

L'histoire d'une institutrice nommée dans une petite école perdue dans la forêt, à 20 km de la gare la plus proche. Une fille aux idées pédagogiques qui ne plaisent pas à tout le monde (classique). Une fille assez libérée aussi ; ce qui déplait à bien du monde également.

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L'anecdote c'est que, depuis des années, la IMDb et Wikipédia (et... moi-même... sur mon site perso) annonçaient à la terre entière que ce film était le tout premier de la filmographie de Maj-Britt Nilsson (si vous ne connaissez pas, j'avais créé cette page sur mon site en 2001). Elle y jouait -- disait-on -- un rôle d'écolière.

Hier soir, j'ai examiné les élèves un par un, et, pas de Maj-Britt Nilsson à l'horizon. :? J'ai fini par aller jeter un coup d'œil sur la base de données de l'Institut du film suédois et j'ai compris qu'il y avait un problème d'homonymie. Il y avait bien une Maj-Britt Nilsson parmi les élèves, mais ça n'était pas du tout la même.

J'ai donc passé ces dernières minutes à rectifier les pages IMDb et Wikipédia (pages française, suédoise et américaine) de la comédienne. En espérant que ça ne fera pas trop d'histoires.

Le tout premier film de Maj-Britt Nilsson fut en réalité Vårat gäng / Notre équipe [notre bande], une comédie musicale de 1942 avec Alice Babs. Elle avait 17 ans et je me souviens avoir mis un moment avant de la répérer.

EDIT (en janvier 2019) : et encore... même pour Vårat gäng il pourrait y avoir un problème d'homonymie !!!
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Bref : tout ça pour dire que les sites passent leur temps à se copier les uns sur les autres et que les infos fantaisistes circulent joyeusement.
Dernière modification par Commissaire Juve le 2 janv. 23, 08:20, modifié 2 fois.
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Message par Commissaire Juve »

Parmi mes dernières découvertes, je vous présente...

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Gröna hissen / L'ascenseur vert (Börje Larsson, 1944)

C'est une comédie de boulevard... Disons-le tout net : il n'est pas plus question d'ascenseur dans ce film que de beurre en broche. "Gröna hissen", c'est le nom d'un cocktail (dans le film c'est un mélange pas possible à base de Chartreuse verte ; si ma mémoire ne me joue pas des tours). Ce qui fait que ça aurait très bien pu s'appeler Nuit d'ivresse, comme le film de 1986 avec Lhermitte et Balasko.

L'histoire : Un soir, à Stockholm, un homme et une femme -- qui sont voisins et amis -- décident de se faire passer pour amants aux yeux de leurs moitiés respectives avec l'espoir de provoquer une crise de jalousie et de donner un second souffle à leurs vies de couples. Ils vont d'abord au restaurant, puis à l'hôtel, font tout pour se faire remarquer, mais cela ne fonctionne pas. Ils retournent alors à l'appartement de l'homme et attendent le bon moment pour être surpris dans une situation compromettante. Pour tuer le temps, ils se mettent bientôt à boire, à boire, à boire... et tout part en vrille.

C'est l'adaptation d'une pièce américaine de 1915 -- Fair and warmer -- qui avait déjà eu droit à une version cinéma US en 1919. En 1944, il paraît que le public suédois a beaucoup ri, au point qu'on avait dû sous-titrer le film parce qu'on n'entendait plus les dialogues. Vu de France, en 2014, c'est une autre affaire. L'ivresse feinte, ça passe ou ça casse. Quand les deux malheureux héros commencent à partir en vrille, on sourit, mais il manque un je-ne-sais-quoi de folie pour emporter l'adhésion. C'est peut-être un problème de rythme, de mobilité de la caméra, d'utilisation de la musique, ou -- tout simplement -- de jeu des comédiens. Cela dit, comme je suis client de Fernandèleries, j'avoue que je me suis quand même poilé une fois : quand Sickan Carlsson se glisse dans une peau de tigre et se met à déambuler à quatre pattes -- en ressemblant vraiment à un tigre -- encouragée par les coups de fouet de Max Hansen :mrgreen: . C'est complètement idiot, mais ça marche. Tout comme la réaction du concierge lorsqu'il croit tomber sur un vrai fauve. :lol:

Bref : c'est du cinéma d'auteur, vous l'avez compris. :mrgreen:

Edition DVD suédoise avec sous-titres suédois seulement. Master pas terrible.


Sur Wikipédia, il y a une photo du film américain de 1919. Eh bien, cette séquence du lit (avec Lillan cachée en dessous) figure également dans la version suédoise. Vous voyez le niveau.

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Message par Commissaire Juve »

Pettersson & Bendel (Per-Axel Branner, 1933)

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L'histoire : années 30, un chômeur suédois et un Polonais juif parviennent à créer une petite entreprise avec un capital de départ d'un quart de couronne. Malheureusement, comme le second est prêt à tout pour faire du profit, l'horizon ne tarde pas à s'assombrir...

Je l'ai donc vu, ce "terrible" film antisémite que la télévision suédoise a toujours refusé de programmer. Je m'attendais à un truc "fort", "dérangeant", "moralement abject" (la dernière locution n'est pas de moi, je l'ai lue dans un article consacré au "Juif Süss") et j'en suis sorti en me disant "tout ça pour ça ?"

Sur le DVD, il y a une intro où une dame nous explique que, dans les années 30, la société suédoise n'était pas du tout épargnée par l'antisémitisme ambiant, qu'ont pouvait trouver dans certains films suédois des personnages négatifs de Juifs, mais toujours à l'arrière-plan. L'originalité de "Pettersson & Bendel", c'est d'avoir été le premier film à donner un rôle de premier plan à un personnage pouvant susciter l'antipathie à cause de son "origine" (à la base, on a affaire à un clandestin déjà expulsé plusieurs fois de Suède).

Alors, effectivement, Bendel cumule des stéréotypes bien connus : il n'est pas très grand, brun, frisé, un peu basané, il parle avec un fort accent, il se déplace en faisant le dos rond, il est mielleux, veule et ne pense qu'à faire du fric ! Seulement, pendant une bonne partie du film, il est relativement sympathique, il a de bons rapports avec les personnages suédois (qui vont jusqu'à le cacher pendant une descente de police), et, à moins d'avoir un esprit obsessionnel, d'être un nazi convaincu, on finit très rapidement par ne plus voir en lui qu'un simple immigré clandestin. Si la silhouette évoque une certaine propagande, la judéité du personnage est presque anecdotique. D'ailleurs, dans le film, on n'entend le mot "juif" que deux fois. On a un "Tu ne serais pas juif ?" et un "Il est juif" (suivi d'une moue). On ne peut pas vraiment parler de matraquage.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Rien à voir avec "The Djuden" d'Adenoïd Hynkel ! (à partir de 3'20) :mrgreen:

Pour le reste -- les histoires de débrouille pour survivre, les histoires sentimentales -- on a affaire à un film très classique qui se suit comme n'importe quel mélo des années 30 (pour le côté "débrouille", on pense parfois à "Rayon de soleil / Gardez le sourire" de Paul Fejos, avec Annabella et Gustav Fröhlich).

A partir de là, on a du mal à imaginer que la première à Berlin ait pu déclencher des manifestations antijuives. Même si le dernier tiers de l'histoire nous montre Bendel comme un faux-jeton, vu de 2015, ce genre de réaction violente est assez incompréhensible. Il fallait vraiment avoir la haine chevillée au corps pour s'exciter devant un tel spectacle (ou alors les manifs ont été orchestrées).

Je suis allé jeter un coup d'œil aux critiques suédoises d'époque (une synthèse proposée par l'Institut suédois du film). Pour autant que je puisse juger, l'accueil fut plutôt bon.

Il y a même eu une suite en 1945 (avec d'autres acteurs) ; c'est dire. Mais là, la critique s'est montrée nettement moins conciliante. Il faut dire que la guerre était passée par là et qu'il y avait des sujets sur lesquels on n'avait plus du tout envie de plaisanter.
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

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Herr Arnes Pengar / Le trésor d'Arne
Mauritz Stiller (1919) :

Etrange et lointain, "Le trésor d'Arne" est un film à l'esthétique troublante et au récit tragique. Si l'histoire racontée ne m'a pas toujours convaincue sur la durée - ainsi que la longueur, souvent conséquente, des intertitres - Stiller apporte au film dans son ensemble suffisamment d'une magique fluidité mystérieuse pour nous emmener sans peine jusque dans les dernières minutes. Mélange de (vague) récit historique, de conte surnaturel et d'histoire d'amour tourmentée, le film abonde de scènes aux riches détails visuels et distille une émotion discrète mais existante. Apre, souvent éprouvant, une oeuvre en forme de secret à découvrir. 7/10
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par Commissaire Juve »

Singoalla (Christian-Jaque, 1949) ... avec Pierre Véry au manuscrit...

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C'est une coproduction franco-suédoise qui a été tournée en trois versions : une française, une suédoise et une anglaise. Dans la version française, le rôle du chevalier Erland est tenu par Michel Auclair (mais en voyant Alf Kjellin, j'ai souvent pensé que Gérard Philipe aurait été comme un ours au salon du miel dans ce film :mrgreen: ), dans les deux autres versions c'est Alf Kjellin -- assez fade -- qui tient la barre. Quant au personnage de la Tzigane Singoalla, il est interprété par Viveca Lindfors dans les trois versions (là, elle nous la joue Gina Lollobrigida dans "Notre-Dame de Paris"... mais en Suède).

C'est censé commencer vers 1340 et cela se termine en 1350 quand la peste noire est arrivée en Suède... En gros, c'est l'histoire d'une malédiction : tous les chevaliers de la famille Månesköld sont condamnés à mourir jeunes et, partant, on s'efforce de les marier rapidement pour que la lignée puisse survivre. Seulement, dans le film, le chevalier Erland tombe malencontreusement amoureux d'une Tzigane, ce qui dérange bien du monde...

Dans les cinq premières minutes, on est plongé dans une ambiance à la Pierre Véry ("Les Disparus de Saint-Agil"), les couloirs du château font penser à "Sylvie et le fantôme" (1946), le chevalier somnambule au "Baron fantôme" (Serge de Poligny, 1943). Enfin, quand Erland décide de partir avec les Tziganes, on se dit qu'il y a un petit côté capitaine Fracasse (qui, je vous le rappelle, décide de suivre une troupe de comédiens par amour). Mais l'aspect fantastique est vite désamorcé. A la sixième minute, le chapelain dit qu'il n'y a pas plus de malédiction que de beurre en broche, que c'est un problème d'alignement des planètes (réplique qui a mis en colère les gens de la "National Legion of Decency" pour qui il était impensable qu'un prêtre catholique puisse faire de l'astrologie) et le film change de registre.

A partir de là, on se retrouve devant une simple histoire d'amants maudits.

Cela se laisse regarder, mais, en dehors de Viveca Lindfors (qui est habitée par son rôle), l'interprétation est assez fade voire caricaturale. Enfin, à l'arrière-plan, la figuration n'est pas très convaincante. Là, je pense surtout à l'attaque du château qui est vraiment jouée avec les pieds. On est loin du Robin des Bois de Curtiz (1938). En voyant le tricot à l'épée de certains combattants, j'ai carrément pensé à José Noguéro dans Mandrin (René Jayet, 1947) ; affreux !

Quant au maelstrom final, j'avoue qu'il m'a laissé songeur ! On peut se contenter de le prendre au premier degré, bien sûr. Mais, personnellement, j'ai eu le sentiment que le réalisateur ne savait plus quoi faire de ses personnages et que, faute de pouvoir démolir sa caméra sur scène à la façon d'un Pete Townsend, il s'est dit : "Foutu pour foutu, faisons tout péter !"

Au passage : je signale que ce film a eu droit à deux fins. J'ignore comment se termine la version française, mais les versions suédoise et américaine ne se terminent pas du tout de la même manière (mais je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler).

C'est un film qui a coûté très cher (en décors et en costumes), mais qui a probablement souffert d'avoir été tourné en trois versions. Même s'il a fait des entrées, il a été mal reçu par la critique suédoise qui l'a trouvé plutôt risible ! Tout comme la version tournée en anglais. En fait, d'après la notice de l'Institut suédois du film, seule la version française tiendrait la route (mais, c'est bien connu, l'herbe est toujours plus verte ailleurs).

J'ajoute qu'ayant travaillé à la fac sur le Moyen Age suédois, je n'ai pu m'empêcher de le regarder d'un point de vue historique et... oué... :uhuh: Et je ne dis rien du fait que les Tziganes / Roms ne soient mentionnés en Suède qu'à partir du 16e siècle ! Bref : on a un grand écart entre le 14e siècle et le 16e siècle.

Comme d'habitude, le DVD suédois n'offre que des sous-titres suédois. On a une qualité d'image "Gaumont à la demande" plutôt pas mal (sauf sur les 4 premières minutes qui ont un peu trop noirci).
Dernière modification par Commissaire Juve le 9 avr. 16, 11:35, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par Jeremy Fox »

Crime à froid de Bo Arne Vibenius. Un film chroniqué par Pierre Charrle et que l'on peut trouver en DVD chez Synapse Films.
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hellrick
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par hellrick »

Jeremy Fox a écrit :Crime à froid de Bo Arne Vibenius. Un film chroniqué par Pierre Charrle et que l'on peut trouver en DVD chez Synapse Films.
Le film est aussi sorti chez Bach Films dans sa version hardcore l'année dernière sous son titre Thriller. Je n'avais pas trop aimé mais je lui redonnerais bien sa chance :wink:

L'auteur de l'article semble en ignorer l'existence puisqu'il souhaite une édition chez le Chat et qu'il dit qu'aucun autre dvd uncut n'existe. :wink:
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par shubby »

Jeremy Fox a écrit :Crime à froid de Bo Arne Vibenius. Un film chroniqué par Pierre Charrle et que l'on peut trouver en DVD chez Synapse Films.
Son coté provoc' a vieilli (encore que le coup de l’œil crevé d'un vrai cadavre...) mais le film reste surprenant. Je lui préfère toutefois nettement Breaking Point, que je trouve toujours aussi fascinant, profond, fendard et gonflé. J'avais scribouillé ça à son propos.
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par Kevin95 »

shubby a écrit :Je lui préfère toutefois nettement Breaking Point, que je trouve toujours aussi fascinant, profond, fendard et gonflé. J'avais scribouillé ça à son propos.
Celui-là, je rêve de le voir. Hormis sa bande-annonce française out this world, il est impossible à choper.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Le cinéma suédois naphta...à part Bergman

Message par Palmu »

hellrick a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Crime à froid de Bo Arne Vibenius. Un film chroniqué par Pierre Charrle et que l'on peut trouver en DVD chez Synapse Films.
Le film est aussi sorti chez Bach Films dans sa version hardcore l'année dernière sous son titre Thriller. Je n'avais pas trop aimé mais je lui redonnerais bien sa chance :wink:

L'auteur de l'article semble en ignorer l'existence puisqu'il souhaite une édition chez le Chat et qu'il dit qu'aucun autre dvd uncut n'existe. :wink:
Merci de cette plus que précieuse précision !

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Re: Le cinéma suédois naphta... à part Bergman

Message par Commissaire Juve »

Un crime au paradis / Brott i Paradiset (Lars-Eric Kjellgren, 1959)

Découvert hier soir en DVD suédois.

Au cours d'un cambriolage, un gardien de nuit trouve la mort. Dix ans plus tard, le beau-fils du décédé reçoit le coup de fil mystérieux d'une dame prétendant avoir des informations sur le casse et sur la mort de son beau-père. Comme elle ne peut rien dire au téléphone, elle invite le gars à aller chercher une enveloppe dans un bureau de tabac, enveloppe dans laquelle il trouvera la marche à suivre pour en savoir plus. Intrigué, le type va chercher son enveloppe, mais après l'avoir ouverte, il se rend compte qu'il y a eu erreur, qu'on lui a remis un courrier destiné à une jeune femme passée quelques secondes plus tôt. Il se lance à sa poursuite et...


Sauf erreur de ma part, au début des années 50, en Suède, les polars suédois ne marchaient pas très bien au cinéma. Et puis la Sandrew avait fini par faire deux succès (avec les deux premiers Hillman d'Arne Mattsson, j'imagine) et on s'était dit qu'il y avait un filon à exploiter.

On se retrouve donc avec ce polar avec -- en tête d'affiche -- Karl-Arne Holmsten (48 ans... c'était justement le héros des Hillman de Mattsson), Gunnar Björnstrand (50 ans) et Harriet Andersson (27 ans). Du beau linge quoi.

Malheureusement, le résultat n'est pas à la hauteur des attentes. Si le réal s'amuse avec la forme (l'ombre et la lumière, les moments de tension, la musique très t-t-tsaaan), le fond -- lui -- laisse à désirer.

On voit des tas de gens s'agiter à l'écran, il y a quelques morts violentes, mais on ne sait pas trop pourquoi. Alors oui : Harriet Andersson et Gunnar Björnstrand ont l'air de s'amuser comme des petits fous (on pense souvent à du pré-Chapeau Melon et Bottes du cuir), mais le spectateur -- lui -- reste plutôt sur le bord du chemin. Et lorsque vient le moment du dénouement, euh... grosse déception. Il n'y a quasiment pas d'explications, on se dit que la montagne a accouché d'une souris.

Le film -- qui n'est pas très long -- est plutôt à voir comme un exercice de style. Mais le scénario ne vaut pas tripette. Et, globalement, c'est ce que la critique suédoise a conclu à l'époque.

EDIT : à certains moments, j'ai pensé à la chanson de Pierre Vassiliu :
Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là ! Complètement gaga ! Il a drôle de tête, ce type-là !
Dernière modification par Commissaire Juve le 23 sept. 16, 15:59, modifié 2 fois.
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
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