Edmund Goulding (1891-1959)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Edmund Goulding (1891-1959)

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Le Charlatan (1947)

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A Chicago. Stanton Carlisle, bonimenteur de fête foraine, découvre le «truc» d'un numéro de télépathie. Montant une affaire avec Zeena, une tireuse de cartes, et le docteur Ritter, une psychologue, il devient rapidement un clairvoyant à la mode.

Le Charlatan est un des films noir les plus original et audacieux produit durant l'âge d'or Hollywoodien et dont la modernité frappe encore aujourd'hui. Il ne doit d'ailleurs son existence qu'à une suite d'heureux hasards. Au départ on trouve un roman de William Lindsay Gresham, écrivain aventureux aux penchants alcooliques et autodestructeurs qui y fait montre de son goût pour l'univers des fêtes foraines. Paru en 1946, le livre est un best-seller et George Jessel producteur à la Fox se hâte d'en acquérir les droits. Une initiative qui provoquera la colère de Daryl Zanuck tant le livre s'avère inadaptable sans risquer les foudres du Code Hays. Le projet est prêt à être enterré mais l'obstination de Tyrone Power qui s'est entiché de l'histoire aura raison d'un Zanuck dépité de voir la star du studio écorner son image dans un tel rôle. La légende veut que Lana Turner, amante d'alors de Tyrone Power ait intercédé en sa faveur auprès de Zanuck en lui rappelant que son rôle de femme fatale dans Le Facteur sonne toujours deux fois n'avait nullement troublé son image auprès du public. Le choix du réalisateur sera tout aussi déroutant, Power choisissant de retravailler avec Edmund Goulding avec lequel il vient de tourner Le Fil du rasoir (1946). Plutôt associé à la production de prestige (Grand Hotel son plus grand succès de 1932) et au portrait de femme (la fructueuse collaboration avec Bette Davis dont il était un des réalisateur favoris sur Une certaine femme (1937), Dark Victory ou La Vieille fille (1939)) Goulding va donc signer son chef d'œuvre sur un titre bien éloigné son territoire habituel.

Stanton Carlisle (Tyrone Power) est un jeune homme ambitieux végétant dans une troupe de forain itinérante. Bonimenteur hors-pair, il s'entend pour tenir une foule en haleine et la mystifier mais il lui manque encore quelque chose pour tutoyer les sommets auxquels il aspire. Ce pourrait être le "code", moyen de communication secret et infaillible permettant d'échanger des informations en public et passer pour un médium. Le couple de vedette déchu Zeena (Joan Blondell) et Pete (Ian Keith) pourrait lui transmettre, même les cartes ont d'emblée promis à Stan une ascension aussi vertigineuse que sa chute et la mort sur son parcours. Goulding conjugue avec brio cet aspect mystique à la personnalité enjôleuse et égoïste de son héros. Tyrone Power teinte son charme naturel d'une vraie noirceur se devinant dans le regard chargé de malice et de calcul sous l'allure séduisante. Sa mise en scène et la photographie de Lee Garmes font baigner l'ensemble dans une atmosphère quasi surnaturelle avec ses visions nocturnes et hallucinées du camp de forain. Les "freaks" y sont légions et font figure d'âmes damnées, pitoyable comme Pete ayant sombré dans l'alcoolisme ou monstrueuse comme la créature de foire dissimulant un vrai homme ayant sombré dans la folie. On ressent ainsi autant le poids d'une destinée tragique inéluctable que la détermination de Stan dans ses actions les plus cruelles où même s'il n'est pas directement responsable, sa soif de grandeur aura provoqué la mort.

Cette approche se fait plus subtile dans la seconde partie où Stan accède désormais aux hautes sphères du show business de Chicago. Son spectacle bien rôdé ne lui suffit plus de médium de foire il en vient à se prendre pour un véritable prophète révélant les vérités secrètes enfouies dans le cœur de ses interlocuteur (la remarquable séquence avec le shérif récalcitrant ayant brillamment introduit cela). Le film annonce à la fois Elmer Gantry (1960) de Richard Brooks dans sa dénonciation de la religion spectacle mais aussi Un homme dans la foule (1957) d'Elia Kazan sur la crédulité d'un public soumis à un beau parleur mégalomane. A cela s'ajoute une vision particulièrement noire de la psychanalyse, moyen de manipulation plus que d'aide entre des mains cynique avec le personnage incroyablement moderne d'Helen Walker. En ayant voulu défier Dieu Stan va pourtant se perdre à son tour, celle cruelle destinée lui faisant refaire le parcours de ce qu'il a écrasé et méprisé dans une terrible déchéance. Plus que le semblant de morale final, c'est réellement ce voyage au bout de la nuit d'une audace inouïe qui aura marqué le spectateur. Zanuck toujours aussi peu convaincu sabordera la sortie, en faisant un préambule la plus vendeuse prochaine production avec Tyrone Power, le film d'aventures Capitaine de Castille (1947) sortant en fin d'année. Avec le temps Le Charlatan aura néanmoins gagné ses galons de classique. 6/6
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Rick Blaine
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:D

Un film que je trouve très original pour son époque, extrêmement marquant, une grande réussite.
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Profondo Rosso
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Victoire sur la nuit (1939)

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Judith Traherne, jeune femme de la haute société, déborde d’activité entre ses chevaux, les voitures rapides et ses soirées mondaines. Seuls de violents et fréquents maux de tête freinent son enthousiasme. Après de sérieuses alertes, elle consulte auprès du docteur Frederick Steele qui lui diagnostique une tumeur au cerveau. Il lui conseille de se faire opérer très rapidement ce qu’elle finit par accepter. L’intervention chirurgicale semble être un succès, la jeune femme reprend sa vie légère et insouciante en entretenant une relation sincère avec le docteur. Ils décident de se marier mais Frederick cache à sa future femme la vérité, l’opération n’a fait que reculer le mal et Judith est condamnée à court terme.

Dark Victory constitue un des sommets de Bette Davis à la Warner avec une de ses interprétations les plus poignantes et sensible. Le film est au départ une pièce à succès de Broadway de 1934 et interprétée par Tallulah Bankhead. Le potentiel dramatique fort de la pièce devait rapidement intéresser le cinéma puisque David O. Selznick en acquiert les droits dès 1935 et propose le rôle principal à Greta Garbo qui préférera interpréter Anna Karénine (1935). Il tentera également d'engager Merle Oberon mais celle-ci sous contrat devra également renoncer. Bette Davis découvrant la pièce (et l'interprétation de Tallulah Bankhead dont elle admet s'être inspirée) s'entiche du sujet et demande à la Warner de racheter les droits à David O. Selznick. Malgré de fortes réticences au vu du sujet profondément déprimant le producteur Hal B. Wallis s'en charge donc, preuve du pouvoir de la star à l'époque au sein du studio. Réalisateur fétiche (avec William Wyler) de Bette Davis à la Warner, Edmund Goulding met en scène ce qui sera la plus grande réussite de leur collaboration.

Dans la fresque L'Insoumise (1938), Bette Davis interprétait une jeune héritière capricieuse et oisive dont la frivolité était rattrapé par les soubresauts historique de l'époque. Dark Victory par son sujet et sa tonalité constitue en quelque sorte le pendant intimiste de ce précédent succès, tant dans l'approche feutrée d'Edmund Goulding que dans la prestation sobre d'une Bette Davis ne vampirisant pas encre les films. Judith Traherne, jeune femme de la haute société vit donc une existence aussi trépidante que futile entre fêtes mondaines et courses de chevaux. Cette fuite en avant masque pourtant une angoisse quant à une santé qui se fait de plus en plus défaillante, les migraines, vertiges et malaise se multipliant malgré son déni. Frederick Steele (George Brent), médecin spécialiste du cerveau, saura pourtant trouver les mots pour la forcer à se soigner mais l'opération ne fera que retarder le sursis d'une Judith condamnée. L'enjeu du film ne reposera donc pas sur une éventuelle guérison miraculeuse, mais plutôt sur l'acceptation de la fatalité et de la volonté de s'épanouir et de vivre le meilleur du temps qui reste. Cette question concerne tout autant Judith que Frederick. Ce dernier au début du film cherche à fuir le contact avec le patient, frustré par ses échecs dans les opérations du cerveau pour se concentrer sur une médecine de laboratoire certes utile mais plus abstraite et moins douloureuse. La romance est donc source de retour à la vie pour le couple, le chemin étant plus long pour Judith devant accepter sa fin proche. Bette Davis (sortant de liaisons avec William Wyler et Howard Hughes et en instance de divorce avec ce mari d'alors Ham Nelson) et George Brent (sortant lui-même d'un divorce avec Ruth Chatterton) entamèrent une liaison passionnée durant le tournage et cette intimité donne toute sa force émotionnelle au film. Frederick redevenant le médecin concerné et Judith s'abandonnant enfin rassurée à ses mains bienveillante offre une merveilleuse scène de rencontre et l'ensemble de leurs séquences communes repose sur cette promiscuité sensible.

Bette Davis est aussi poignante quand elle se perd dans les excès que dans l'apaisement final tandis que George Brent offre une sobre et passionnée. Parmi les seconds rôles Geraldine Fitzgerald est également admirable en amie attentionnée alors que Humphrey Bogard et Ronald Reagan pas encore star sont en retrait. Edmund Goulding évite de bout en bout l'écueil du mélodrame appuyé, faisant preuve d'une retenue remarquable même dans les instants incitants à l'excès (voir la réaction de Bette Davis quand elle découvre son mal, la rage et le désespoir contenu se ressentant plus que l'apitoiement) et en totale empathie avec son héroïne cherche à reste digne. La dernière partie rend donc cette fin inéluctable bouleversante car douce, sans colère et apaisée (notamment par le score tout en sobriété de Max Steiner). Le meilleur du temps imparti a été vécu avec passion et c'est dans un ultime plan se floutant que l'âme de Judith peut s'échapper. 5/6
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Profondo Rosso
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Le Fil du rasoir (1946)

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Le Fil du rasoir met en scène les amours et la destinée de deux jeunes riches américains, Larry et Isabel, à partir de 1919. Bien qu'épris l'un de l'autre, et fiancés, ils se séparent en raison des aspirations métaphysiques insatiables de Larry, qui a été profondément marqué par la Première Guerre mondiale, à laquelle il a participé comme pilote de chasse.

The Razor's Edge est une grande curiosité de l'âge d'or Hollywoodien de par ses thématiques baignées de mysticisme et anticipant les questionnements des mouvements hippies. Adapté d'un des derniers romans Somerset Maugham (paru en 1944), le film doit essentiellement son existence à la volonté d'un Darryl Zanuck obsédé à l'idée de le porter à l'écran. On le verra dans les nombreuses embûches surmontées la production. Ayant acheté les droits du roman pour la coquette somme de 50 000 dollars en mars 1945, Zanuck s'engage à verser à nouveau ce montant à l'auteur si le tournage n'a pas débuté d'ici à février 1946. Les atermoiements de producteur vont pourtant dangereusement le rapprocher de la date fatidique. George Cukor initialement envisagé est remplacé par Edmund Goulding et Zanuck ne voyant que Tyrone Power dans le rôle principal va attendre la démobilisation militaire de celui-ci qui n'interviendra qu'en janvier 1946. Somerset Maughan (auteur d'une première version du scénario qui sera rejetée, le dégoutant d'Hollywood) recommande son amie Gene Tierney pour le premier rôle féminin mais Zanuck choisit Maureen O'Hara tout en lui enjoignant de garder le silence pour ne pas s'attirer les foudres de l'auteur. Celle-ci s'étant confiée à Linda Darnell et Zanuck l'ayant appris il la punit en confiant finalement bien le rôle à Gene Tierney. Dernière péripétie, alors que le réalisateur et le casting ne sont pas arrêtés, Zanuck filme lui-même les scènes de seconde équipe en aout 1945 pour le passage supposé se dérouler en Himalaya mais tourné dans les montagnes du Colorado avec une doublure figurant Tyrone Power.

Le récit s'interroge sur la quête qui anima nombre de jeune gens au lendemain de la Première Guerre Mondiale. La "Génération Perdue" se noya dans un tourbillon de fêtes et de plaisir divers en Europe durant les années 20 dont certains parvinrent à tirer une vraie matière artistique à l'instar des Ernest Hemingway ou F. Scott Fitzgerald. D'autres retournèrent aux Etats-Unis pour s'y construire une fortune balayée par le krach de 1929. Face à ces questionnements "concrets", Larry Darrell (Tyrone Power) est indifférent et semble attendre autre chose que la frivolité ou la richesse matérielle. Tout son environnement l'invite pourtant à céder à cette conformité. La scène d'ouverture retarde d'ailleurs son arrivée dans une tonitruante soirée mondaine dont on a tous le loisir de contempler le faste et l'hypocrisie avant de le laisser apparaître, visage pur et étranger à ce monde. Sa fiancée Isabel (Gene Tierney) le pousse à endosser une lucrative carrière tout comme Elliott Templeton (Clifton Webb), l'oncle snob de celle-ci. Seul le personnage et narrateur Somerset Maughan (Herbert Marshall) - le Madame Bovary (1949) de Vincente Minnelli poursuivra cette tendance à mettre en scène l'écrivain dans sa propre adaptation - semble saisir le souffle romanesque de Larry et le comprendre. Le récit suit donc en parallèle la destinée de Larry et celles d’Isabel et ses amis dont il s'est détourné pour poursuivre sa quête. Edmund Goulding le fait d'abord de manière ludique avec les manœuvres de l'oncle Elliott en voix-off pour faire entre Larry "dans le monde" contredites par l'existence janséniste à laquelle s'astreint ce dernier expérimentant les métiers les plus rudes (marin, mineur...) et fréquentant la population la plus modeste. Peu à peu, plus l'existence des amis laissés à la civilisation se fait dramatique (faillites, deuils...) plus celle de Larry prend un tour mystique avec comme sommet l'apprentissage spirituel en Inde et la véritable épiphanie vécue dans l'Himalaya. Edmund Goulding parvient à façonner un vrai spectacle étrange et mystique qui captive tout en conservant son caractère intangible à la quête de Larry. Au début du film lorsqu'il est frustré par le monde moderne, on comprend le manque qu'il ressent sans pouvoir définir ce qu'il recherche. L'assurance et la maturité du héros traduisent l'accumulation de savoir et d'expérience sans que l'on ait assisté à de vraies péripéties et enfin l'expérience mystique de l'Himalaya reste en ellipse et seul le visage transfiguré et apaisé de Larry expriment sa mue. Ces choix judicieux évitent au film de sombrer dans le ridicule kitsch qui lui tendait les bras, l'exotisme et l'onirisme de l'épisode indien restant sobre.

Le film perd pourtant de son bel élan et originalité avec le retour à la civilisation de Larry. Quand il voudra concrétiser ce savoir pour aider les siens, cela se résumera à une ridicule scène d'hypnose. Par la suite il se montrera impuissant à guérir les maux de ses amis tous punis là où ils ont péchés, le matérialisme pour Isabel, le snobisme et le poids des apparences pour l'oncle Elliott (très bon Clifton Webb pince sans rire et maniéré). Seul le personnage sacrificiel et marqué par la vie de Sophie (Anne Baxter) semble sortir des stéréotypes mais son destin ne sera guère plus enviable. Alors sans forcément faire de Larry une sorte de messie, il y avait matière à rendre plus profitable son expérience et savoir à son entourage mais tout cela reste très flou et tire en longueur. Il y néanmoins quelques belles fulgurances comme cette très touchante scène d'agonie paisible (on en attendait pas moins de Goulding avec la poignante scène de mort de son chef d'œuvre Victoire sur la nuit (1939)), la sexualité étonnement explicite et une reconstitution d'un Paris des bas-fonds dénués de toutes l'imagerie "Année Folle" - en plus d'oser de nombreuses scène en français (l'accent méridional alterne avec ceux des titis parisiens) pour plus de réalisme. Malheureusement malgré l'ambition du propos et l'interprétation habitée de Tyrone Power le film est plus original que réussi et passe un peu à côté de son sujet. 3/6
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Jeremy Fox
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Cinq mariages à l'essai (We're Not Married!) - 1952

Qu'y a-t-il de plus laborieux qu'une comédie pas drôle ? Une comédie à sketchs pas drôle ! Fâché avec les formats courts, je n'ai pas plus trouvé d'intérêt à ce film constitué d'une épine dorsale et de 5 parties différentes. C'est l'histoire de 5 couples apprenant la nouvelle après deux ans de vie commune qu'ils ne sont pas légalement mariés puisque le juge de paix les ayant unis n'était encore pas dans le droit d'exercer à ce moment là. Les idées de départ sont toutes amusantes et de réjouissant mauvais esprit concernant l'institution du mariage mais ne nécessitaient pour aucune d'entre elles un développement si long. Du coup, malgré un casting en or (mentions spéciales à Paul Douglas et Louis Calhern) on s'ennuie ferme. Reste la dernière partie avec Mitzi Gaynor et Eddie Bracken, moins sarcastique et plus fleur bleue, basée sur un petit suspense finalement bien plus sympathique que tout ce qui a précédé. Mais dans l'ensemble ç'aura été pénible et laborieux.
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Re: Edmund Goulding (1891-1959)

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La Vieille Fille (1939)

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Philadelphie, 1860. À la veille de la Guerre de Sécession, Delia Lovell a rompu ses fiançailles avec Clem Spender pour épouser le riche Joe Ralston. La cousine de Delia, Charlotte, console l’ancien fiancé. Ils se promettent le mariage à son retour de la guerre. Mais Clem meurt au combat et Charlotte se retrouve seule et enceinte. Le médecin de la famille, le docteur Lanskell, l’envoie accoucher en Arizona pour éviter le scandale. De retour à Philadelphie à la fin des conflits, Charlotte s’occupe d’une école d’orphelins de guerre dans laquelle elle peut élever sa petite Tina sans avoir à subir de questions sur sa fille illégitime. Après la mort accidentelle de son mari, Delia, sachant le secret de Charlotte, lui propose de venir vivre chez elle avec sa fille.

La Vieille Fille est un des sommets des women pictures de la fructueuse collaboration entre Bette Davis et Edmund Goulding, un de ses réalisateurs fétiches. Le film est adapté de la nouvelle éponyme d'Edith Wharton parue dans son recueil Vieux New York, mais plus précisément il s'agit en fait de la transposition de la pièce à succès qu'en tira Zoe Akins et récompensée du Prix Pulitzer en 1935. Ce sera la première fois depuis son ascension que Bette Davis partage l'affiche avec une autre star féminine, ici Miriam Hopkins. Les deux femmes s'étaient côtoyées au théâtre dans la compagnie new-yorkaise de George Cukor des années plus tôt, et c'était alors plutôt Miriam Hopkins la star et Bette Davis la jeune première montante. Une certaine rivalité en est restée et qui se répercutera sur le tournage, d'autant que Miriam Hopkins reproche à Bette Davis de s'être un peu trop inspirée de son interprétation scénique pour L'Insoumise (1938) qu'elle reprit au cinéma avec un Oscar de la meilleur actrice à la clé - Tallulah Bankhead aura d'ailleurs plus tard les mêmes griefs contre Bette Davis pour Victoire sur la nuit (1939).

Le film reprend le motif souvent utilisé dans le mélodrame hollywoodien de la maternité effacée et sacrificielle (Madame X de Lionel Barrymore (1929) et Frisco Jenny de William A. Wellman (1932) avec Ruth Chatterton, Stella Dallas de King Vidor avec Barbara Stanwyck), où la mère observe de loin sa progéniture ignorant son identité/existence. Les prémisses de cette existence recluse relève pourtant d'une audace initiale. Alors que sa cousine Delia (Miriam Hopkins) renonce par sécurité financière à Clem Spender l'homme qu'elle aime vraiment (George Brent), Charlotte (Bette Davis) amoureuse aussi risquera tout pour lui. Alors que Clem Spender est mort sur les champs de bataille de la Guerre de Sécession, Charlotte se retrouve mère de sa fille dans la pointilleuse haute société de Philadelphie. Tout le film dessine l'ambiguïté de la relation entre les deux cousines. L'affection sincère et la rivalité amoureuse pour cet homme qu'elles ont toutes deux aimées conduiront à une impasse pour Charlotte, renonçant au rôle d'épouse puis déchue de celui de mère. Contrairement aux films précédemment évoqués, ce drame d'une vie ne se noue pas à coup de grand rebondissement tragique. Edmund Goulding donne dans l'ellipse pour tout ce qui à trait à la vie amoureuse et à la maternité éphémère de Charlotte, les secrets intimes se devinant (Charlotte plus prévenante pour la petite Tina au sein de l'orphelinat) ou se révélant à des moments clés. A l'inverse le réalisateur s'attarde longuement sur les atermoiements sentimentaux contrariés de l'indécise Delia et plus tard dépeindra longuement la relation tendre fille/mère qu'elle entretien avec Tina au grand désespoir de Charlotte. Plus que les dialogues acerbes de Tina désormais adulte envers celle qu'elle ignore être sa vraie mère, le moment le plus cruel arrive durant l'enfance de Tina. Les deux cousines bordant la fillette celle-ci souhaite un chaleureux bonne nuit maman à Delia et un timide bonne nuit tante Charlotte à celle qui lui a tout sacrifiée.

Celle qui a tout risquée par amour passera pour la vieille fille acariâtre l'âge mûr venu alors que Delia s'étant reniée par intérêt devient la confidente ouverte et compréhensive pour Tina. Edmund Goulding par ses choix narratifs façonne ainsi le destin d'une malheureuse destinée à être toujours secondaire au détriment de sa cousine dans le cœur de ceux qu'elle aime, amants ou fille. Goulding le traduit à l'image en la montrant de plus en plus en retrait, les compositions de plans, cadrage et situations la voyant observatrice résignée et extérieure des évènements. On retrouve l'attrait de Bette Davis pour la déchéance physique avec un look raide, corseté et tout en maquillage disgracieux (qui prépare le terrain pour la godiche mal fagoté qu'elle interprètera dans Une femme cherche son destin (1942). A l'inverse Miriam Hopkins reflète par sa présence lumineuse l'affection et l'amour qu'elle suscite naturellement et conserve sa beauté même quand son personnage vieillit (d'autant que Miriam Hopkins aurait d'autant plus demandé aux maquilleurs de la rajeunir par rapport à une Bette Davis enlaidie). Goulding par sa direction d'acteur et la finesse de sa mise en image tisse ainsi une affection mêlé de calcul constant jusqu'au bout entre ses deux héroïnes jusqu'à une conclusion magnifique de sobriété où l'amour commun pour le même être ne les pousse plus à se déchirer. Une œuvre touchante qui confère une belle sobriété à un postulat habituellement plus porté sur l'emphase. 4,5/6
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Jeremy Fox
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