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Punishment Park (Peter Watkins - 1971).
"Le président des Etats-Unis d'Amérique a le droit sans l'approbation du Congrès, de décider s'il y a insurrection aux Etats-Unis et de déclarer l'état d'urgence. Le Président a alors le droit d'appréhender et de détenir toute personne censée être susceptible de commettre ultérieurement des actes de sabotage. Les personnes appréhendées seront interrogées, sans caution ou besoin de preuve, pour être ensuite incarcérées dans des lieux de détention."
Article 2 de la loi McCarran au 2 septembre 1950.
L'Amérique est en état d'urgence et des mesures de répression importantes sont appliquées afin de mater les citoyens qui s'écartent du droit chemin que le gouvernement a choisi pour eux. L'on suit à la fois un simulacre de procès sous une tente (le groupe 638) tout en étant avec des "insurgés" (le groupe 637) projetés dans le Punishment Park pour éviter de lourdes peines de plus de 10 à 20 ans de prison. Le but ? Survivre dans ce qui peut devenir une sorte de fournaise dans la journée et un monde glaciaire à la nuit tombée pour parcourir près de 85 km pendant trois jours et atteindre un drapeau américain afin d'être gracié mais les choses ne sont hélas pas si simples...
Peter Watkins est sans doute l'un des rares à pouvoir témoigner sous une forme à la fois actuelle et engagée de la folie et de la mort de l'Homme. Dans La Bombe (The War Game - 1965), il démontrait avec une rare acuité les ravages d'une bombe nucléaire en plein sur des petites villes de la campagne anglaise alors peu préparées tandis que dans Culloden (1964), il filmait la tentative de pacification totale des Anglais sur les Ecossais en 1746 qui tournait au massacre total, filmé sur le vif, caméra à l'épaule avec une reconstitution de l'Histoire qui la fait basculer dans un présent plus qu' accessible. Reconstituer le passé, voire le futur possible ou alternatif afin de l'amener dans le présent par la technique du reportage sur le vif, là est tout le génie de Watkins, encore peu égalé aujourd'hui.
Quoique parfois un peu didactique, ses films utilisent des acteurs (la part de fiction) ou des gens non-professionnels qu'il va lentement faire rentrer dans le rôle tout en privilégiant un travail de recherche documentaire assez impressionnant (ce qui, du côté du documentaire finit par emporter complètement le film). La Bombe témoignait ainsi de la possibilité d'une future 3e guerre mondiale et du fait que les pays coincés entre deux superpuissances mondiales (naturellement l'Amérique et la Russie) n'auraient que peu de moyens de s'en sortir. On suivait sur plusieurs semaines, voire mois, un avant la bombe (avec moult pourcentages et hypothèses) puis, l'après bombe, monstrueusement hallucinant où lentement, aux victimes des radiations s'ajoutaient les agonisants et les mourants à petits feu (famine, pénurie de vivre). Même en étant conscient du fait que le film était une vaste reconstitution, on ne pouvait qu'être profondément ébranlé par toutes les conséquences que Watkins exposait, la part de réel ressortant de l'importante recherche activée l'emportant violemment.
Pour Punishment Park, Watkins "partait d'un contexte d'affrontements violents entre autorités politiques, forces de l'ordre et groupes étudiants gauchistes lors des manifestations contre la guerre du Viêt Nam sur les campus américains. En mai 1970, quatre étudiants trouvèrent la mort lors d'affrontements avec la garde nationale à l'université de Kent, dans l'Ohio. L'année précédente, en mars 1969, s'était tenu le procès des "Chicago seven", jeunes gauchistes protestant contre la guerre du Viêt Nam, accusés d'avoir fomenté une conspiration et d'avoir suscité des émeutes lors de la convention démocrate d'août 1968. En février 1970, le président Nixon, face à la montée des protestations contre les bombardements de plus en plus intensifs en Indochine, décréta l'état d'urgence et mis en application le McCarran Act de 1950. C'est le point de départ de Punishment Park, tourné au début de l'été 1970 en Californie : imaginer en plans réalistes une application si rigoureuse de cette loi d'exception qu'elle transforme les Etats-Unis en un régime totalitaire, exerçant contrainte, jugement et punition contre ses propres enfants. (*)".
Sans jamais juger, Watkins filme les tenants de chaque camp dans un discours qui peut très vite tourner au dialogue de sourd. D'un côté des gens choisis pour assurer une parodie de procès, sûrs de leurs bon droits mais inconscients face aux réalités de la guerre et de la violence (passage fabuleux entre une "mère de famille" qui se dit choquée face aux propos jugés déplacés d'une chanteuse engagée et contestataire de folk), de l'autre des gens déjà victimes du système (les dés sont truqués dès le début et le procès ne sert qu'a envoyer des gens à Punishment Park ou en prison, personne n'est gracié, l'avocat commis à la défense des prisonniers de cette séance ne s'en rend compte que trop tard à la fin d'ailleurs) et qui tentent de faire valoir, d'expliquer au mieux leur point de vue, souvent entre froide résignation ou colère qui enfle d'un coup. Watkins prend des acteurs (des gens du village d'à côté en fait !) mais les laisse dire ce qu'ils pensent du système sans jamais restreindre leur parole (ce qui n'est pas le cas lors de reportage télés où l'on ne peut pas dire tout ce qu'on pense vraiment, risquant bien souvent d'être coupés au montage). Pour les forces militaires, il va, de même, prendre de vrais militaires sur une base proche pour leur faire jouer leur rôle et leur faire dire ce qu'ils en pensent. Même chose pour les gens du procès, recrutés dans l'opposition aux mouvements contestataires alors en vigueur, auquel Watkins leur fait là aussi surtout dire ce qu'ils pensent face aux jeunes engagés. Le choc est incroyable bien souvent.
A sa sortie, pour les rares l'ayant vus (4 jours d'exploitation en salle en Amérique avant qu'on le retire d'urgence, craignant des actes violents lors des séances) , le film fut un choc, des décennies après, ça dérange encore méchamment. L'actualité de la fin du XXe/début XXIe siècle n'y est sans doute pas innocente, personne n'a oublié les liens douloureux que l'on peut tisser entre la toile et le monde réel (C'est moi ou j'ai pensé un peu à Guantanamo dans cette volonté de dépeindre les actes punitifs de l'Amérique à travers des procès expéditifs ? ) et le film de Watkins n'en prend que plus de relief. En déconstruisant le réel et le faisant entrer dans une fiction parfaitement documentée, le cinéaste n'en fait que donner plus de corps et de propos à celui-ci. Surtout, la grande force du film, c'est son accessibilité : on nage en plein western-politique avec des éléments presque glaçants de reality show. Vous devez voir ce film avant que la société ne fasse qu'empirer encore plus. C'est assez salutaire et recommandé.
6/6.
(*) L'Histoire-Caméra d'Antoine de Baecque, édition Gallimard, bibliothèque illustrée des Histoires, p.232.
Article 2 de la loi McCarran au 2 septembre 1950.
L'Amérique est en état d'urgence et des mesures de répression importantes sont appliquées afin de mater les citoyens qui s'écartent du droit chemin que le gouvernement a choisi pour eux. L'on suit à la fois un simulacre de procès sous une tente (le groupe 638) tout en étant avec des "insurgés" (le groupe 637) projetés dans le Punishment Park pour éviter de lourdes peines de plus de 10 à 20 ans de prison. Le but ? Survivre dans ce qui peut devenir une sorte de fournaise dans la journée et un monde glaciaire à la nuit tombée pour parcourir près de 85 km pendant trois jours et atteindre un drapeau américain afin d'être gracié mais les choses ne sont hélas pas si simples...
Peter Watkins est sans doute l'un des rares à pouvoir témoigner sous une forme à la fois actuelle et engagée de la folie et de la mort de l'Homme. Dans La Bombe (The War Game - 1965), il démontrait avec une rare acuité les ravages d'une bombe nucléaire en plein sur des petites villes de la campagne anglaise alors peu préparées tandis que dans Culloden (1964), il filmait la tentative de pacification totale des Anglais sur les Ecossais en 1746 qui tournait au massacre total, filmé sur le vif, caméra à l'épaule avec une reconstitution de l'Histoire qui la fait basculer dans un présent plus qu' accessible. Reconstituer le passé, voire le futur possible ou alternatif afin de l'amener dans le présent par la technique du reportage sur le vif, là est tout le génie de Watkins, encore peu égalé aujourd'hui.
Quoique parfois un peu didactique, ses films utilisent des acteurs (la part de fiction) ou des gens non-professionnels qu'il va lentement faire rentrer dans le rôle tout en privilégiant un travail de recherche documentaire assez impressionnant (ce qui, du côté du documentaire finit par emporter complètement le film). La Bombe témoignait ainsi de la possibilité d'une future 3e guerre mondiale et du fait que les pays coincés entre deux superpuissances mondiales (naturellement l'Amérique et la Russie) n'auraient que peu de moyens de s'en sortir. On suivait sur plusieurs semaines, voire mois, un avant la bombe (avec moult pourcentages et hypothèses) puis, l'après bombe, monstrueusement hallucinant où lentement, aux victimes des radiations s'ajoutaient les agonisants et les mourants à petits feu (famine, pénurie de vivre). Même en étant conscient du fait que le film était une vaste reconstitution, on ne pouvait qu'être profondément ébranlé par toutes les conséquences que Watkins exposait, la part de réel ressortant de l'importante recherche activée l'emportant violemment.
Pour Punishment Park, Watkins "partait d'un contexte d'affrontements violents entre autorités politiques, forces de l'ordre et groupes étudiants gauchistes lors des manifestations contre la guerre du Viêt Nam sur les campus américains. En mai 1970, quatre étudiants trouvèrent la mort lors d'affrontements avec la garde nationale à l'université de Kent, dans l'Ohio. L'année précédente, en mars 1969, s'était tenu le procès des "Chicago seven", jeunes gauchistes protestant contre la guerre du Viêt Nam, accusés d'avoir fomenté une conspiration et d'avoir suscité des émeutes lors de la convention démocrate d'août 1968. En février 1970, le président Nixon, face à la montée des protestations contre les bombardements de plus en plus intensifs en Indochine, décréta l'état d'urgence et mis en application le McCarran Act de 1950. C'est le point de départ de Punishment Park, tourné au début de l'été 1970 en Californie : imaginer en plans réalistes une application si rigoureuse de cette loi d'exception qu'elle transforme les Etats-Unis en un régime totalitaire, exerçant contrainte, jugement et punition contre ses propres enfants. (*)".
Sans jamais juger, Watkins filme les tenants de chaque camp dans un discours qui peut très vite tourner au dialogue de sourd. D'un côté des gens choisis pour assurer une parodie de procès, sûrs de leurs bon droits mais inconscients face aux réalités de la guerre et de la violence (passage fabuleux entre une "mère de famille" qui se dit choquée face aux propos jugés déplacés d'une chanteuse engagée et contestataire de folk), de l'autre des gens déjà victimes du système (les dés sont truqués dès le début et le procès ne sert qu'a envoyer des gens à Punishment Park ou en prison, personne n'est gracié, l'avocat commis à la défense des prisonniers de cette séance ne s'en rend compte que trop tard à la fin d'ailleurs) et qui tentent de faire valoir, d'expliquer au mieux leur point de vue, souvent entre froide résignation ou colère qui enfle d'un coup. Watkins prend des acteurs (des gens du village d'à côté en fait !) mais les laisse dire ce qu'ils pensent du système sans jamais restreindre leur parole (ce qui n'est pas le cas lors de reportage télés où l'on ne peut pas dire tout ce qu'on pense vraiment, risquant bien souvent d'être coupés au montage). Pour les forces militaires, il va, de même, prendre de vrais militaires sur une base proche pour leur faire jouer leur rôle et leur faire dire ce qu'ils en pensent. Même chose pour les gens du procès, recrutés dans l'opposition aux mouvements contestataires alors en vigueur, auquel Watkins leur fait là aussi surtout dire ce qu'ils pensent face aux jeunes engagés. Le choc est incroyable bien souvent.
6/6.
(*) L'Histoire-Caméra d'Antoine de Baecque, édition Gallimard, bibliothèque illustrée des Histoires, p.232.
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A noter une excellente chro' sur le site de DVDClassik au passage.