Tay Garnett (1894-1977)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99493
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Jeremy Fox »

bruce randylan a écrit :C'est pas faute d'avoir prévenu :twisted:

C'est sûr mais il me fallait quand même le voir :mrgreen:
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par bruce randylan »

T'avais bien fait l'impasse sur les sérials de William Witney (alors que certains sont vraiment sympa - son Arizona Raiders aussi ) :twisted:
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99493
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Jeremy Fox »

bruce randylan a écrit :T'avais bien fait l'impasse sur les sérials de William Witney (alors que certains sont vraiment sympa - son Arizona Raiders aussi ) :twisted:

C'était une règle que je m'étais fixé dès le départ : séries A et B uniquement :wink:
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Profondo Rosso »

Les Rois de la piste (1950)

Image

Un orphelin, Johnny Casar quitte son foyer dirigé par le père O'Hara pour devenir une vedette de patin à roulettes avec l'aide de la dévouée Mary Reeves. Le succès monte à la tête de Johnny, et des femmes comme Polly court après sa fortune et sa renommée.

The Fireball est un film sportif opérant selon un schéma classique du genre mais qui trouve une réelle identité en se pliant à la personnalité de son exubérante vedette, Mickey Rooney. Celui-ci entame déjà la pente descendante après des années de succès au sein de la série des Andy Hardy qu'il interprète depuis l'adolescence. Le virage vers des rôles adultes sera plus compliqué et alors qu'il a déjà la trentaine et trois mariages au compteur. The Fireball sera sa dernière interprétation juvénile tout en tenant néanmoins compte de sa maturité à la fois dans le scénario mais aussi la caractérisation de son personnage. Ayant déjà atteint l'âge de voler de ses propres ailes, l'orphelin Johnny Casar (Mickey Rooney) complexé par sa petite taille reste cloitré et trahi sa crainte du monde extérieur par colère constante. Une rage bien illustrée lors de la scène d'ouverture où on le voit vandaliser tous les symboles (ballon de football, gant de baseball, livre...) d'un possible épanouissement. La bienveillance du père O'Hara (Pat O'Brien) ne pourra rien pour l'apaiser et ce n'est que le temps d'une fugue et d'un concours de circonstances que Johnny va se découvrir une passion inattendue pour le patin à roulettes.

Bien encadré par la belle Mary (Beverly Tyler), notre héros va ainsi faire des progrès fulgurants et se lancer dans la compétition. L'extravagance et le bagout de Mickey Rooney permet de donner un tour plus ludique à la progression de Johnny. Son manque de confiance en lui et ses complexes se compensent ainsi par une forfanterie de tous les instants, ses moqueries publiques envers le champion en titre le forçant à se mettre au diapason lorsque ce dernier finira par le défier. La provocation précède la performance, l'abnégation et le talent de Johnny ne pouvant s'exprimer qu'une fois dos au mur après avoir trop bombé le torse. Cela rend dans un premier temps les personnages très attachant dans sa maladresse et besoin de lumière, mais ces qualités deviennent des défauts une fois arrivé au sommet. La confiance vira à l'arrogance, les airs de défi au mépris de ses coéquipiers et la quête d'attention au pur narcissisme. Le mal est tellement ancré qu'il ne pourra aller au-delà que dans les tous derniers instants. Tay Garnett film avec une sacrée énergie et inventivité ces courses de patins, à la fois dans leur hargne brutale (où l'on n'hésite pas à envoyer l'adversaire dans le décor par tous les moyens) et leur vitesse frénétique. Mickey Rooney plutôt bon aux patins donne de sa personne même si l'on devine le doubleur dans les instants les plus risqués, quand ce ne sont pas les effets spéciaux qui le mettent en valeur (tous les passages grossiers où il patine avec une rétroprojection de la piste). On sera étonné de croiser l'auteur Horace McCoy au scénario, l'énergie et la joie galvanisante de ses courses de patins étant en tout point opposés aux pistes des éreintants marathon de danse qu'il dépeignait dans son classique On achève bien les chevaux (plus tard adapté par Sydney Pollack). Une œuvre trépidante et fort plaisante donc où l'on croisera dans un petit rôle une débutante nommée Marilyn Monroe (qui tourne le Eve de Mankiewicz la même année) dont la carrière effectuera un parcours inversé à celle de Mickey Rooney. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Profondo Rosso »

La Vallée du jugement (1945)

Image

William Scott, un maître de forges de Pittsburgh, engage Mary, la fille de l'un de ses ouvriers, comme domestique. Paul Scott, son fils, s'en éprend, la séduit et la demande en mariage.

The Valley of Decision est une œuvre passionnante mêlant romanesque Hollywoodien à un propos social progressiste et habile. Le début du film évoque le roman de D.H. Lawrence Amants et Fils (d'ailleurs Dean Stockwell futur héros de l'adaptation de Jack Cardiff tiens ici un petit rôle) dans le panorama et la division qu'il offre de la vallée en titre. D'un côté le monde industriel avec les aciéries détenues par la famille Scott symboles des nantis, de l'autre celui des ouvriers loin de cette modernité et richesse et vivant dans des conditions très modestes. Mary Rafferty (Greer Garson), fille d'un ancien ouvrier estropié est engagée comme domestique au sein de la famille Scott. Tout tend au départ à signifier la séparation de ces et paradoxalement bien plus du côté des pauvres à travers la rancœur tenace que tient le père de Mary (Lionel Barrymore ) à son ancien employeur qui continue pourtant de lui verser un salaire. La différence finalement avec Amants et Fils, c'est l'environnement américain de cette cité de Pittsburgh qui ne peut reproduire l'injustice des clivages de classe de la vieille Europe. On apprendra au fil du récit que l'aciérie de la famille Scott a été façonnée par un ancêtre ouvrier et émigrant irlandais, traduisant la bienveillance du patron actuel William Scott (Donald Crisp) et de son fils Paul (Gregory Peck) qui a grandi dans la proximité des travailleurs. Dès lors les premiers pas de Mary dans la luxueuse maison seront intimidants de façon charmante mais jamais oppressante, faisant progressivement d'elle un membre de la famille plus qu'une simple domestique. Greer Garson gagne ainsi en assurance pour dompter et finalement s'imposer aux cadets plus capricieux et inconstants que sont Constance (Marsha Hunt) et Ted Scott (Marshall Thompson). Tay Garnett nous le fait ressentir par sa mise en scène, perdant la silhouette frêle de Mary dans l'immensité luxueuse de la demeure, en étirant les séquences anodines où se ressent la gêne du personnage (les hésitations pour annoncer le dîner) avant de jouer de l'ellipse où l'implication domestique et personnelle de Mary prend de plus en plus d'ampleur. Cela se caractérisera par le rapprochement progressif avec Paul pour une romance contenue très attachante, le charme et la photogénie du couple Greer Garson/Gregory Peck (qui fait un fringant et charismatique jeune premier pour ce qui est seulement son deuxième rôle au cinéma) aidant.

Si l'Amérique semble faire fondre les clivages de classes anciens, elle en façonne de nouveaux avec le capitalisme moderne mettant à mal l'organisation chaleureuse de l'aciérie. On en verra les prémisses au début du film que William Scott refusera d'intégrer un plus vaste conglomérat, mais aussi par l'approche différente entre Paul soucieux des ouvriers et William jr (Dan Duryea) simplement soucieux du profit immédiat, ce qui conduira au conflit final. Le film évite tout manichéisme dans ce clivage de classe où les obtus comme les âmes de bonnes volontés se trouve tant chez les ouvriers que les nantis. L'immaturité de la jeunesse riche justifie ainsi la rancœur tenace du prolétariat (Lionel Barrymore impressionnant en vieil infirme aveuglé par la haine), mais à l'inverse la relation quasi filiale entre Mary sa patronne (Gladys Cooper) démontre l'inverse tout comme bien sûr la romance entre Mary et Paul. L'histoire d'amour manque de s'épanouir à la fois à cause de ses conflits anciens qui n'ont plus lieu d'être dans le Nouveau Monde (les origines irlandaises des personnages nous étant rappelés plus d'une fois) mais aussi aux nouveaux maux qu'il fait naître par cette lutte entre le syndicat et le patron. L'utopie de la conciliation et du compromis à l'ancienne se confronte donc à la brutalité du capitalisme sauvage et des briseurs de grève, Garnett ayant pourtant longuement exposé la proximité irlandaise et l'amitié qui lient ces deux mondes. En passant toujours subtilement par cette belle histoire d'amour, le film n'est jamais lourd dans son propos tout en respectant les préoccupations sociales du roman de Marcia Davenport - présentes dans une autre adaptation de ses romans avec le Ville haute, Ville basse (1949) de Mervyn LeRoy.

Visuellement Tay Garnett manie habilement l'intime et les envolées romanesques, l'élégance et une certaine crudité s'alternant constamment. Les gros plans scrutent avec autant d'acuité le visage monstrueux et déformé par la haine de Lionel Barrymore que les détestables airs hautains de la prétendante Louisa Kane (Jessica Tandy bien fielleuse). Les vues impressionnantes de l'usine en font un havre de paix puis un champ de bataille, la maison des Scott constituera un cocon chaleureux puis un lieu de division au final, chaque rupture possible étant brisée dès que Greer Garson et Gregory Peck s'enlacent. Une belle odyssée sociale et intime, prenante de bout en bout et très touchante. 5/6
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99493
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Jeremy Fox »

Le Serment du chevalier noir par Florian Bezaud à l'occasion de la sortie du film en DVD chez Sidonis.
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22135
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Supfiction »

bruce randylan a écrit :Divorcé malgré lui (Eternally Yours - 1939)

Bien médiocre celui-ci.
David Niven y jour un prestidigitateur un peu volage qui se marrie avec Loretta Young. Fatiguée de vivre dans la crainte de ses tour dangereux (sauter d'un avion menotté), elle obtient le divorce et se fiance à un homme plus simple. Il décide alors de tenter de la récupérer.

Pas grand à en dire, mise en scène très routinière et sans saveur (même les séquences de magie ne fonctionnent pas), pratiquement aucun rythme, les bonnes idées du postulat ne sont bien exploitée et le film n'est pas très drôle.
Les acteurs en revanche s'acquittent d'un bon travail et donnent du charme à cette comédie romantique prévisible à l'extrême qui se regarde sans implication. Celà, dans le 3ème quart du film, on trouve 10-15 minutes assez réjouissantes quand David Niven s'incruste dans la future belle-famille de son ex-femme et contrarie son rival. On trouve là un tempo enlevée qui n'est pas sans anticiper ce que Blake Edwards pourra quelques décennies plus tard.

Les curieux pourront y jeter un coup dans les différents dvds existant aux USA et en Angleterre (mais sans aucun sous-titres j'imagine)
Pas exceptionnel (euphémisme) mais une très belle complémentarité entre la douce excentricité de Niven et une Loretta Young qui savait se montrer piquante et pas seulement romantique quand on lui en donnait l’occasion comme ici.
Et donc un couple de cinéma qui me fait penser dans les meilleurs moments à Myrna Loy et William Powell.
Malheureusement le film est souvent laborieux et penche trop vers le drame alors qu’il aurait pu être une très bonne comédie du remariage.
Et la copie digne des plus grandes heures de Bach films.

Image

On retrouvera le couple Niven-Young dans The bishop’s wife.
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par bruce randylan »

Supfiction a écrit :
bruce randylan a écrit :Divorcé malgré lui (Eternally Yours - 1939)

Bien médiocre celui-ci.
David Niven y jour un prestidigitateur un peu volage qui se marrie avec Loretta Young. Fatiguée de vivre dans la crainte de ses tour dangereux (sauter d'un avion menotté), elle obtient le divorce et se fiance à un homme plus simple. Il décide alors de tenter de la récupérer.

Pas grand à en dire, mise en scène très routinière et sans saveur (même les séquences de magie ne fonctionnent pas), pratiquement aucun rythme, les bonnes idées du postulat ne sont bien exploitée et le film n'est pas très drôle.
Les acteurs en revanche s'acquittent d'un bon travail et donnent du charme à cette comédie romantique prévisible à l'extrême qui se regarde sans implication. Celà, dans le 3ème quart du film, on trouve 10-15 minutes assez réjouissantes quand David Niven s'incruste dans la future belle-famille de son ex-femme et contrarie son rival. On trouve là un tempo enlevée qui n'est pas sans anticiper ce que Blake Edwards pourra quelques décennies plus tard.

Les curieux pourront y jeter un coup dans les différents dvds existant aux USA et en Angleterre (mais sans aucun sous-titres j'imagine)
Pas exceptionnel (euphémisme) mais une très belle complémentarité entre la douce excentricité de Niven et une Loretta Young qui savait se montrer piquante et pas seulement romantique quand on lui en donnait l’occasion comme ici.
Et donc un couple de cinéma qui me fait penser dans les meilleurs moments à Myrna Loy et William Powell.
Malheureusement le film est souvent laborieux et penche trop vers le drame alors qu’il aurait pu être une très bonne comédie du remariage.
Et la copie digne des plus grandes heures de Bach films.
.
Oh la vache, c'est un véritable texte à trous que j'avais écrit à l'époque. :oops:
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22135
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Supfiction »

bruce randylan a écrit :
Oh la vache, c'est un véritable texte à trous que j'avais écrit à l'époque. :oops:
Pas grand à en dire! :lol:
bruce randylan
Mogul
Messages : 11652
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par bruce randylan »

C'était pour rendre mes avis moins linéaires et plus participatifs.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Profondo Rosso »

Jour de terreur (1951)

Image

George Jones, dont la santé n'est pas bonne, est persuadé que sa femme veut l'assassiner. Peu de temps après avoir écrit une lettre aux autorités, il décède d'une crise cardiaque. Tous les indices accusent sa femme mais cette dernière est innocente. Comment va-t-elle pouvoir prouver qu'elle n'est pas responsable de la mort de son époux ?

Tay Garnett signe un habile petit suspense domestique avec ce Cause for Alarm!. Le film est coécrit et produit par le scénariste Tom Lewis qui envisage Judy Garland dans le premier rôle, avant de céder à son épouse Loretta Young qui le convoitait également. Cette dernière fait appel à Tay Garnett qui l'avait déjà dirigée deux fois dans L'Amour en première page (1937) et Divorcé malgré lui (1939). La carrière cinématographique de Tay Garnett va nettement se ralentir dans les années suivantes pour s'orienter vers la télévision. C'est également dans la petite lucarne que Loretta Young va se relancer dans les années 50 avec la série Letter to Loretta qui triomphera de 1953 à 1961 et 165 épisodes. Jour de terreur par son tournage à l'économie de 14 jours et son décorum limité à trois pièces est donc un terrain d'exploitation technique et financier de ce futur télévisé. Le postulat avait tout pour lorgner sur les mélodrames oppressants des années 50 démystifiant l'american way of life (on pense notamment à Derrière le miroir de Nicolas Ray (1956)) avec cet époux (Barry Sullivan) diminué et sombrant dans la paranoïa qui fait vivre un enfer domestique à son épouse Loretta Young. On entrevoit un peu cette facette là mais un rebondissement saisissant nous emmène plutôt vers une course contre la montre dont la tension repose sur la menace latente qu'exerce des éléments bienveillants du quotidien. Cela va du facteur trop zélé à un gamin turbulent du quartier, en passant par une voisine trop curieuse. Avec une belle économie de moyen et bien aidé par la prestation suffoquée de Loretta Young, Tay Garnett façonne une efficace suspense minimaliste qui fonctionne parfaitement. Néanmoins on peut se dire qu'un pitch pareil recèle un potentiel certainement plus grand que ce simple véhicule pour Loretta Young, et l'on serait curieux (d'autant que les droits du films sont dans le domaine public) d'en voir un remake plus nanti entre de bonnes mains. 4/6
Nestor Almendros
Déçu
Messages : 24314
Inscription : 12 oct. 04, 00:42
Localisation : dans les archives de Classik

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Nestor Almendros »

"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99493
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Jeremy Fox »

DoreFa
Stagiaire
Messages : 10
Inscription : 9 janv. 24, 18:02

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par DoreFa »

Jeremy Fox a écrit : 15 janv. 24, 07:43 La Maison des sept péchés par Justin.
La séduisante Marlene Dietrich... Son film "Témoin à charge", adapté de la pièce éponyme d'Agatha Christie, est remarquable.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Tay Garnett (1894-1977)

Message par Profondo Rosso »

La Malle de Singapour (1935)

Image

Un navire quitte le port de Hong Kong avec à son bord une cargaison d'or qui attire la convoitise des pirates de la mer de Chine. Alan Gaskell est le capitaine du bateau. Deux femmes sont également du voyage, l'une, anglaise distinguée a connu le capitaine autrefois, l'autre, China Doll, est sa dernière conquête, qui ne se résout pas à le quitter.

La Malle de Singapour est le troisième film produit par la MGM (Dans tes bras (1933) et Hollywood Party (1934) le précède, Saratoga (1937) le suivra)) pour capitaliser sur l'attrait et l'alchimie du couple Clark Gable/Jean Harlow inauguré avec le succès de La Belle de Saïgon (1932). Le film se veut d'ailleurs explicitement une variante de La Belle de Saïgon avec ce même mélange d'exotisme, d'aventures, sur fond de triangle amoureux où la caractérisation de Gable et Harlow est presque similaire. Le cœur de Gaskell (Clark Gable) est ainsi partagé entre une China Doll (Jean Harlow) folle d'amour mais dont le manque de distinction et le tempérament orageux le maintien dans la modestie de son environnement social, et la plus élégante Sybil (Rosalind Russell reprenant la fonction qu'occupait Mary Astor dans La Belle de Saïgon) dont la distinction anglaise pourrait au contraire l'élever. Sybil représente pour Gaskell à la fois le futur auquel il aspire et le passé qu'il regrette, tous deux ayant dut renoncer des années plus tôt à une relation amoureuse car Sybil était mariée. China Doll symbolise pour Gaskell la médiocrité de son présent mais aussi la conséquence de son passé, la déception amoureuse auprès de Sybil ayant entraîné pour lui une vie plus dissolue où il se rapprocha de China Doll. Il semble ainsi faire une différence sentimentale entre la bagatelle de China Doll et la pureté de son lien à Sybil. Un voyage en bateau les forçant à cohabiter tous les trois va mettre leurs émotions à l'épreuve.

Tay Garnett caractérise à la fois son trio amoureux et plusieurs personnages satellites avec brio, les petites ou grandes histoires de chacun constituant autant de fils rouges que l'on ne perd jamais de vue. Les péripéties du voyage offrent une dynamique efficace faisant naviguer (!) le film entre les genres. D'un côté la facette romantique et screwball met en valeur la gouaille d'une Jean Harlow aussi drôle que touchante dans ses échanges avec Gable ou ses tentatives d'attirer son attention (ou de se contenir en vain en public), et de l'autre l'impressionnante reconstitution met en valeur le dépaysement exotique. La scène d'embarquement est un tour de force de Garnett montrant le grouillement portuaire de Hong Kong, l'affection vacharde entretenue par Gaskell avec son équipage et les indices judicieusement semés sur les passagers plus louches comme Jamesy (Wallace Beery). Les soubresauts amoureux créent le liant avec toutes ces ruptures de ton, certains morceaux de bravoures relançant par le spectaculaire ou le suspense les enjeux. Une séquence de tempête où une machine glisse sur le bateau et sème un carnage parmi les ouvriers chinois fait preuve d'un sens du mouvement incroyable, tout comme une attaque de pirate ne lésinant pas sur les morts cruelles et les tortures sadiques. Dans les moments plus intimistes, Tay Garnett fait ressentir par l'image le fossé des deux couple. Gaskell et Sybil partagent un souvenir, le fantasme de ce qui aurait pu être dans des scènes faisant office de capsules à l'écart du monde et de la vie du bateau quand la rudesse conflictuelle entre Gaskell et China Doll les rattachent au présent. Gaskell se présente à Sybil tel que dans leurs souvenirs, mais assument d'être négligé et faire preuve de son mauvais caractère avec China Doll. La délicatesse romantique de Gaskell/Sybil crée paradoxalement une distance alors que l'agitation Gaskell/China Doll exprime implictement une proximité, une complicité.

L'efficacité narrative est comme souvent magistrale dans ce récit resserré (l'ensemble dure moins de 1h30), ménageant tranches de vie, destinées individuelles (le capitaine déchu joué par Lewis Stone très touchant) et dilemmes moraux. On sent encore la marque Pré-Code dans la conclusion où l'évidence de la finalité sentimentale ne cède pas à un happy-end trop idéal, avec cette ombre judiciaire qui plane. Un divertissement rondement mené, la MGM à son meilleur. 5/6
Répondre