Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Ann Harding »

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Il n'y avait aucun topic dédié à ce grand réalisateur allemand. Alors, j'ai pensé qu'il fallait en créer un. D'autant plus que sa carrière couvre l'Allemagne expressionniste, la France des années 30 et même Hollywood (pour un seul film). C'est d'ailleurs ce film américain que j'ai découvert hier.


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A Modern Hero (1934) de G.W. Pabst avec Richard Barthelmess, Jean Muir, Marjorie Rambeau et Florence Eldridge

Aux Etats-Unis, avant la première guerre mondiale, Pierre Radier (R. Barthelmess) est écuyer dans un cirque ambulant avec sa mère (M. Rambeau). Il séduit une jeune fille, Joanna (J. Muir), avant de l'abandonner alors qu'elle est enceinte. Pierre rêve de devenir un riche homme d'affaire...

La seule incursion de Georg Wilhelm Pabst dans l'univers Hollywoodien a produit un film pour la Warner qui se révèle plus noir et immoral que la production habituelle de ce studio. Le héros du titre n'en est pas un. Richard Barthelmess, qui fut le héros au coeur pur des films muets de Griffith et Henry King, s'était reconverti dans les années 30 dans les personnages victimes de l'après-guerre avec deux grands chefs d'oeuvres: The Last Flight (1931, W. Dieterle) et Heroes for Sale (1933, Wm A. Wellman). Dans ce film de Pabst, Barthelmess est un séducteur sans scrupules qui ne pense égoïstement qu'à faire fortune. Il séduit prestement l'innocent Joanna et s'introduit même dans sa chambre dès leur premier rendez-vous. Celle-ci n'est pas dute et se rend bien compte qu'il ne restera pas. Elle choisit de son propre gré d'en épouser un autre qui lui offrira un marriage solide. Pierre est un émigré français qui gagne sa vie dans un cirque avec sa mère, une ancienne dompteuse aigrie, jouée par Marjorie Rambeau. Elle a perdu un bras et noie son chagrin dans l'alcool. Pierre ne songe qu'à trouver une petite affaire pour quitter le cirque et faire fortune. L'opportunité se présente grâce à une certaine Leah (Florence Eldridge) qui lui prête de l'argent alors qu'il devient son amant. Il va monter rapidement les échelons de la fortune et épouser une riche héritière. Sa réussite financière ne lui apporte néanmoins pas le bonheur. Il est sans enfant et il souhaite revoir ce fils qu'il n'a pas reconnu. Une série de catastrophes va le laisser seul et démuni. La trajectoire montante et descendante de Pierre est l'occasion pour Pabst de montrer le revers de la société américaine. Son 'héros' n'hésite pas à utiliser ses charmes pour obtenir de l'argent auprès des femmes ou à spéculer avec des margoulins à la bourse. Cette obsession de la réussite lui fait oublier toutes les valeurs humaines d'honnêteté et d'abnégation. Il va le payer très cher. Mais, on ne ressent pas cette scène finale comme une sanction moralisatrice, mais plutôt, comme le résultat inévitable de sa cupidité. Dans ce rôle, Barthelmess apporte une ambiguité intéressante. Lui qui fut toujours l'image de l'honnêteté est ici un homme égoïste obsédé par l'argent et le pouvoir. On ressent pour lui un mélange de compassion et d'écoeurement. Le film appelle un chat un chat, car il fait encore partie de la production pre-code. Il aurait été fort difficile de réaliser le même film l'année suivante. Même s'il ne s'agit pas d'un chef d'oeuvre, ce film de Pabst est fort intéressant.
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Ann Harding
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Ann Harding »

Je reposte ici une critique d'un Pabst muet.

Die Liebe der Jeanne Ney (L'amour de Jeanne Ney, 1927) de GW Pabst avec Edith Jéhanne et Uno Henning

Raymond Ney, un immigré français en Crimée est tué durant la Révolution. Sa fille Jeanne (E. Jéhanne) fuit en France aidée par un bolchévique (W. Sokoloff). Elle laisse derrière elle, Andréas (U. Henning) dont elle est amoureuse, bien qu'il ait tué son père. A Paris, elle trouve refuge chez son oncle, un détective privé qui vit avec Gabrielle, sa fille aveugle (Brigitte Helm)...

Ce film de Pabst a une distribution assez internationale avec la française Edith Jéhanne dans le rôle principal. Cette jeune ingénue qui fut à l'affiche de trois films muets de Raymond Bernard (Triplepatte, Le Joueur d'Echec et Tarakanova) a fait une carrière éclair dans le cinéma français des années 20. Elle représentait la jeune fille innocente (comme Annabella) avec beaucoup de talent face à de nombreuses actrices plus mûres. Ici, elle est à nouveau victime des hommes qui l'entourent: son oncle libidineux et le sinistre Khalibiev. J'ai énormément aimé les scènes tournées dans Paris au Buttes-Chaumont et dans les Halles. Son partenaire est le suédois Uno Henning qui tient aussi le rôle principal dans A Cottage on Dartmoor d'Asquith. On retrouve les obsessions de Pabst qui aime fouiller dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine avec le personnage de Khalibiev (F. Rasp) qui veut épouser Gabrielle pour son argent bien que son handicap lui fasse horreur. On retrouve les très gros-plans claustophobiques habituels pour les scènes les plus tendues. Mais, le film conserve une couleur assez claire dans l'ensemble si on le compare à La Rue sans joie ou à Loulou. Je dois signaler que la musique de Thimothy Brock sur le DVD Kino est excellente: une suite de chambre avec une tonalité qui rappelle le Herrmann de Vertigo.
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par allen john »

Excellente initiative: je reposte donc ici mon chant d'amour à un de mes films préférés.

Die freudlose Gasse (G.W. Pabst, 1925)

Dans le chaos qui a suivi la débâcle de 1918, le cinéma n’a pas été le dernier a se faire le reflet des inquiétudes populaires aussi bien que des hésitations des classes bourgeoises. Malgré la richesse, pour ne pas dire la pléthore, aussi bien de films que de talents que de styles et genres explorés durant ces années d’or, on retient surtout un mot, un film, et ses conséquences plus ou moins comprises. Vrai, Le Cabinet du docteur Caligari a bien été une révolution, l’explosion d’un nouveau genre, mais l’insistance des critiques a nommer tout ce qui vient d’Allemagne « film expressionniste » lui donne une importance inattendue, et une paternité qui n’a rien de concret : après la vague de cinéma « Expressionniste » née immédiatement de l’effet Caligari (Lui ont emboîté le pas Wegener et son Golem par exemple, en atténuant considérablement l’expressionnisme de ses costumes, et en refaçonnant l’extrême exagération des décors, ou encore dans un autre genre Le cabinet des figures de cire, de Paul Leni, en 1923), d’autres films ont exploré d’autres voies : Nosferatu, film fantastique, tourné en décors naturels, ou encore la trilogie du Kammerspiel, autour des scénarios de Carl Mayer pour Murnau (Le dernier des hommes) et Lupu-Pick (Le rail, La nuit de la St-Sylvestre) sont encore des films d’un autre genre. Et Lang ? Si le cinéaste s’est toujours déclaré avoir été à la base de Caligari, il faut reconnaitre que son cinéma en ces années charnières (Je parle ici des années 1919-1923) est dominé par le feuilleton (Mabuse, Die Spinnen), par un certain sens du mélodrame(Das wanderne Bild, Die vier um die Frau) et par une version toute personnelle des déformations de l’expressionnisme (Der müde Tod/Les trois lumières), ce qu’on peut d’ailleurs aussi dire du Lubitsch de La poupée, et de la Chatte des montagnes … Au milieu de ce qui est un kaléidoscope de formes, de genre, d’expérimentations dont les meilleurs exemples sont encore à venir, apparait un cinéaste qui va d’abord se livrer à sa propre vision des formes expressionnistes : Der Schatz (Le trésor) est en 1923 un film très marqué par Le cabinet du docteur Caligari, qui nous conte une intrigue assez proche des drames paysans de Murnau, mais dont le cadre volontiers distordu et le jeu volontiers outré de certains acteurs renvoie à cette tendance décidément envahissante du cinéma Allemand… Et pourtant, on verra, encore aujourd’hui, des critiques qui mettent tout cela dans le même panier : même des films aussi éloignés de l’expressionnisme que Loulou (Pour rester chez Pabst ) ou Tartuffe (Pour saluer le plus grand selon moi de tous ces cinéastes) se verront ainsi esampiller "expressionistes" par facilité, de façon aussi stupide que ces gens qui vous demandent si vous ne regardez que du cinéma en noir et blanc ou si vous aimez les autres genres. Voila pourquoi je me suis amené à me demander ce qui peut bien rattacher Die freudlose Gasse (la rue sans joie) de Georg Wilhelm Pabst à l’expressionnisme. Parce que sinon, je pense qu’il vaudrait mieux aller chercher du coté du mélodrame, ou même à un hypothétique « naturalisme », puisque sans surprise, au-delà de quelques décors stylisés, qui n’ont que peu de points communs avec les décors totalement faux et esquissés du fameux film de Robert Wiene, au-delà du jeu outrancier et en roue libre de quelques moments-clés de la performance de Valeska Gert, au-delà enfin de la noirceur de l’ensemble, du tournage en studio ou de l’utilisation du clair-obscur (Presque tout le film se passe de nuit, dans une seule rue), on est bien loin de l’expressionnisme, en effet. Mais le film est une somme. Loin de la rigueur paralysante des expériences de Mayer, qui souhaitait se passer notamment des intertitres, ou de la mégalomanie d’un Lang qui souhaitait construire (Metropolis) ou reconstruire (Mabuse, Die Nibelungen) des mondes, Pabst se repose sur des acquis dans lesquels on peut voir une certaine tradition populaire du cinéma, également incarnée par Lang à cette époque avant qu’il ne reconstitue le Walhalla en studio… on peut aussi y voir soit l’influence de Stroheim, soit un conception simultanée à celle du grand cinéaste Américain, qui à cette même époque s’investissait dans un cinéma romanesque et fleuve : La rue sans joie, avec ses 15 personnages dans un lieu unique, égrène quelques jours de ces destins croisés, et se rapproche d’un Greed à l’Allemande : il partage avec lui, et avec L’argent de L’Herbier, un autre chef d’œuvre du muet, le thème de l’argent justement ; mais chacun des ces trois films a su prendre une route différente. En tout cas, voici définie pour ce film exceptionnel de Pabst une place qui dépasse bien sur le cinéma Allemand, et qui renvoie plutôt à l’idée qu’on se ferait d’un cinéma muet Européen, dont il serait bien sur l’un des fleurons, expressionniste… ou pas.


http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 21582.html
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :Je reposte ici une critique d'un Pabst muet.

Die Liebe der Jeanne Ney (L'amour de Jeanne Ney, 1927) de GW Pabst avec Edith Jéhanne et Uno Henning

Raymond Ney, un immigré français en Crimée est tué durant la Révolution. Sa fille Jeanne (E. Jéhanne) fuit en France aidée par un bolchévique (W. Sokoloff). Elle laisse derrière elle, Andréas (U. Henning) dont elle est amoureuse, bien qu'il ait tué son père. A Paris, elle trouve refuge chez son oncle, un détective privé qui vit avec Gabrielle, sa fille aveugle (Brigitte Helm)...

Ce film de Pabst a une distribution assez internationale avec la française Edith Jéhanne dans le rôle principal. Cette jeune ingénue qui fut à l'affiche de trois films muets de Raymond Bernard (Triplepatte, Le Joueur d'Echec et Tarakanova) a fait une carrière éclair dans le cinéma français des années 20. Elle représentait la jeune fille innocente (comme Annabella) avec beaucoup de talent face à de nombreuses actrices plus mûres. Ici, elle est à nouveau victime des hommes qui l'entourent: son oncle libidineux et le sinistre Khalibiev. J'ai énormément aimé les scènes tournées dans Paris au Buttes-Chaumont et dans les Halles. Son partenaire est le suédois Uno Henning qui tient aussi le rôle principal dans A Cottage on Dartmoor d'Asquith. On retrouve les obsessions de Pabst qui aime fouiller dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine avec le personnage de Khalibiev (F. Rasp) qui veut épouser Gabrielle pour son argent bien que son handicap lui fasse horreur. On retrouve les très gros-plans claustophobiques habituels pour les scènes les plus tendues. Mais, le film conserve une couleur assez claire dans l'ensemble si on le compare à La Rue sans joie ou à Loulou. Je dois signaler que la musique de Thimothy Brock sur le DVD Kino est excellente: une suite de chambre avec une tonalité qui rappelle le Herrmann de Vertigo.
...Il faut que je le revoie, celui-ci. c'est je crois le seul de ses muets que je n'aie vu qu'une fois!! J'ai le souvenir d'un film d'aventures assez bien mené, avec une sympathie pour les causes révolutionnaires.
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Demi-Lune
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Demi-Lune »

Le Journal d'une fille perdue (1929)

Malgré une mise en place longuette et quelques ressorts dramatiques qui chargent la mule, j'ai bien aimé. Ce qui marque avant tout, c'est la cinégénie pabstienne du désir. Il y a dans la manière de composer et photographier les plans une glamourisation érotique des visages, des corps, des regards pénétrants, des chevelures impeccablement plaquées, qui fait de ce film une sorte de petit manifeste d'avant-garde : l'insolent sex-appeal mutin de Louise Brooks n'est que l'arbre qui cache la forêt de détails vicieux et libidineux. Et qui feront logiquement scandale. Enfoirés de la bonne société versus camaraderie du bordel : un match dont la censure n'apprécia apparemment pas trop le vainqueur moral. Quasiment tous les personnages semblent avoir une déviance sur la conscience et Pabst prend manifestement un malin plaisir à croquer cette galerie d'intrigants et de pervers des deux sexes, souvent pathétiques (les représentants de la bonne société), parfois attendrissants (les clients du bordel). Pabst semble s'accrocher ferme à la bouée de secours qu'est l'humanisme inébranlable de la douce Thymiane, qui illumine cette vaste Comédie humaine : face à la tartufferie de la bourgeoisie allemande de cette République de Weimar, le film relativise de manière provocante la moralité des attitudes, et dégage par l'entremise de sa comédienne principale un parfum de libération sexuelle que plus de 80 années de maturation n'ont pas éventé.
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Music Man »

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REINE DU THEATRE - COMEDIENS (Komödiaten) de G W PABST – 1941
Avec Käthe DORSCH, Hilde KRAHL et Henny PORTEN


Au XVIIIe siecle, l'actrice Karoline Neuber, animée par l’amour de l’art, cherche à améliorer le sort des comédiens de sa troupe tout en essayant d’affiner le goût du public, de prime abord plus attiré par les bouffonneries. Elle réussit à obtenir la protection de la duchesse Amalia de Wissembourg qui s'intéresse aux arts, mais finit par se fâcher avec celle-ci, en prenant la défense d’une jeune fugueuse.

Après l'arrivée au pouvoir des nazis, Pabst, un des plus grands génies du cinéma muet allemand, passa un temps à l'étranger, tournant aux États-Unis et en France (Salonique, nid d'espions, 1937), avant de revenir piteusement en Allemagne, où il poursuit son travail de cinéaste tout en s'accommodant du nouveau régime.
Cette « reine du théâtre » est une oeuvre à la gloire d’une héroïne très oubliée de la culture allemande, qui fut imposée à Pabst par Goeebbels (à plusieurs reprises on insiste bien sur la volonté de l’actrice de développer l’art dramatique purement allemand, plutôt que la traduction des classiques du théâtre français ; comme souvent dans le cinéma nazi, le personnage central se sacrifie pour son idéal (ici l’amour de l’art), et meurt dans le plus grand dénuement après avoir été abandonnée par sa troupe et les faveurs de sa protectrice.
Sans atteindre la force des chefs d’œuvre muets de Pabst, ce film très féministe propose trois très beaux portraits de femmes de tête, courageuses, indépendantes et libres.
Dans le rôle principal Kâthe Dorsch est souvent très émouvante. On retrouve avec grand plaisir l’immense star du muet Henny Porten, qui prouve de manière incontestable qu’elle n’avait nullement perdu de sa présence, de son autorité et de son talent avec le cinéma parlant ; Il semble que Pabst lui-même ait insisté pour engager cette star du passé : on ne peut que regretter qu’une actrice aussi fine et intelligente ait si peu tourné pour le cinéma parlant !
La belle Hilde Krahl, jeune première la plus douée du cinéma nazi (avec Ilse Werner), m’a semblé meilleure dans le Maître de poste (1940).
Tout le talent de Pabst ressurgit dans une spectaculaire scène d’orgie dans un palais russe, admirablement filmée.
Le film remporta un prix au festival de Venise en 1941.
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Demi-Lune
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Demi-Lune »

Crise (Abwege) (1928)

Petit focus sur ce muet méconnu et rare, que l'on croyait perdu et qui a pu être élégamment restauré et diffusé sur Arte.
C'est l'histoire d'une épouse de la bourgeoisie allemande, Irène (Brigitte Helm, auréolée du succès de Metropolis), qui se lasse des indifférences de son mari froid et enfermé dans son travail, et entretient une liaison secrète avec un portraitiste. Après un affront de plus commis par son mari, Helm et son amant décident de mettre les voiles à Vienne mais, filés par le mari, sont découverts dans leurs plans ; le mari neutralise en aparté le concurrent et rapatrie l'épouse volage au bercail, cette dernière n'ayant dès lors plus qu'une idée en tête : se laisser guider par le vice pour oublier sa peine et maudire les deux hommes qui la font souffrir.

Crise intervient un an avant les classiques Journal d'une fille perdue et Loulou et leur ouvre clairement la voie. Fasciné par le relâchement moral d'une société qui ne l'avoue pas, Pabst illustre déjà les déviances bourgeoises de la République de Weimar au travers des errances d'Irène. En crise, le personnage croit trouver un échappatoire en s'abandonnant aux fêtes décadentes dans lesquelles se presse et se torche toute la notabilité. Elle y découvre l'alcool à flots et la drogue (bon évidemment, on va pas nous le montrer cash), et retiendra de cette expérience qu'elle peut jouer de son pouvoir sexuel (elle chauffe un type avant de faire sa mijaurée, et se déshabille devant son mari qui débarque pour qu'il s'imagine qu'elle a eu une relation sexuelle avec son amant).
Pabst joue une nouvelle fois sur l'opposition de deux mondes, le confort bourgeois rigoriste et la fête du slip nocturne, et cependant ce monde de la marge n'a pas encore les faveurs du cinéaste comme dans ses deux prochains films. Ici, ce milieu de débauche (incarné par le visage livide et égaré de la toxico) pervertit et salit Irène et n'est pas un refuge bienveillant. Pabst reste ce cinéaste de mœurs intéressant mais souffre ici des limites du scénario qui s'étire beaucoup pour finalement pas grand-chose, survole les idées osées et ne peut aller plus loin que ce que le cinéma peut alors montrer (la toxicomanie s'élude pudiquement derrière un rideau, l'érotisme est très prudent d'autant que Brigitte Helm n'a pas le sex-appeal ni le jeu moderne d'une Louise Brooks qui pouvait subvertir un film par son seul regard). Il aurait fallu un vrai vicelard comme Von Stroheim, là. S'il témoigne d'une photogénie typiquement pabstienne, Crise est un film social qui a perdu de son pouvoir de provocation et la fin achève de rendre l'entreprise très conformiste. C'est peut-être pour ça que Pabst a embrayé ensuite sur quelque chose de beaucoup plus osé et critique.
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Jeremy Fox »

La rue sans joie par François Massarelli
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par feb »

:shock: lecture obligatoire ce soir, bravo et merci François :wink:
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par allen john »

feb a écrit ::shock: lecture obligatoire ce soir, bravo et merci François :wink:
De rien... Ce fut un plaisir, surtout quand ça permet de se replonger au coeur de ce film fabuleux.
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par feb »

Et merci pour les captures :oops: :mrgreen:
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par allen john »

feb a écrit :Et merci pour les captures :oops: :mrgreen:
De rien, petit fripon! Le film est plein de belles images avec de vrais bouts de Greta Garbo dedans, il est vrai!
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Tommy Udo »

Petit rappel : ce soir, au CDM : L'ATLANTIDE (1932) :wink:
Je crois que les édition DVD sont dorénavant introuvables à prix démocratique. C'est donc une occasion de (re)découvrir cette version^^
feb
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par feb »

Tommy sais-tu quelle version est diffusée ?
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Tommy Udo
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Re: Georg Wilhelm Pabst (1885-1967)

Message par Tommy Udo »

feb a écrit :Tommy sais-tu quelle version est diffusée ?
C'est la version parallèle française :wink:
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