Voilà un Powell/Pressburger qui m'aura longtemps laissé insatisfait. Comme beaucoup, je n'en connaissais que la vision rapiécée et remontée par Selznick, The Wild Heart, agrémentée de quelques gros plans complémentaires de la belle Jennifer dus à un autre esthète, plus mercenaire, Rouben Mamoulian. L'alchimie ne prenait pas. Et puis, ô miracle ! il y a quelques années Patrick Brion et son Cinéma de Minuit nous donnaient accès à la copie magistralement restaurée du British Film Institute.
Quelle révélation ! Les splendeurs baroques mais éparses du métrage version Selznick retrouvaient enfin toute leur force et leur cohérence, et le plus naturellement du monde, l'oeuvre recouvrait son pouvoir d'envoûtement suprême. C'est peu dire que je vénère aujourd'hui ce poème cinématographique étrange et flamboyant placé sous le signe des croyances païennes et telluriques.
Le grand mérite des Archers et de leur chef opérateur (Christopher Challis, définitivement selon moi l'égal d'un Cardiff) est peut-être d'avoir su trouver une transposition picturale idéale au subtil et si révéré sensualisme du chef-d'oeuvre de Mary Webb. L'alternance de plans sous-exposés et surexposés, la violence rare des contrastes diurnes, l'étrangeté d'une bande son mixant des thèmes de harpes et l'indicible chant des oiseaux, quand ce n'est pas le murmure traînant du vent, tout concoure à l'envoûtement naturaliste teinté d'une morbidité lancinante. Au centre de cet univers d'un onirisme si particulier, Jennifer Jones, fragile, instinctive et obsédante, magicienne à la croisée de deux mondes, dotée du pouvoir de soumettre Dame Nature à ses désirs, mais se brûlant les ailes au contact de l'ordre social. Ah ce plan sublime de Jennifer prête à s'abandonner aux attraits du fier et antithétique David Farrar, l'ombre de son futur amant maculant progressivement la blancheur virginale de son délicat corsage. Sublime !
Etrangement ce joyau aujourd'hui disponible en zone 2 dans une édition anglaise absolument somptueuse (Les éditions Criterion du Colonel Blimp ou même des Chaussons Rouges n'ont que leurs yeux pour pleurer) reste le plus mésestimé des « grands » Michael Powell. Que les théoriciens du cinéma n'y trouvent pas satisfaction de leurs attentes cinéphiliques, soit, mais tous les amoureux du Narcisse Noir devraient quant à eux en célébrer les beautés rares, tant les réminiscences du chef d'oeuvre exotique de Powell sont ici flagrantes : même acrimonie des sentiments, mêmes conflits du corps et de l'esprit contés avec cette élégance de ton et cette pudeur extrème qui n'appartiennent qu'aux vrais esthètes.
C'est d'ailleurs bien simple, cette nouvelle vision me hante tant et si bien qu'il m'est impossible de trouver le sommeil.
Vos avis ?
- en tout cas tant qu'ils en étaient restés à la présentation des rushes. Le produit fini, leur désaccord s'amplifia et les deux hommes allèrent jusqu'au procès. Selznick rentra aux States et fit refaire en partie le film pour le marché occidental. Mais de ce fait, il est difficile de comprendre les réserves de Powell quant au métrage de 110 minutes qui lui appartiendrait donc en propre...
Simplement je pense que tu fais allusion à un petit débat datant de l'époque où j'avais déserté Rama., je ne vois que ça. D'ailleurs Fatalitas et moi n'avons pas trop fréquenté l'Orange au même moment. 
Le tact et la mesure des propos de Roy en matière de jugements ciné ne lasse pas de me surprendre 
Interloqué, oui, et surtout maladivement jaloux