Le Piège (John Huston - 1973)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Major Tom
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Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Major Tom »

J'ai dû voir ce film une quinzaine de fois, et j'ai l'impression que je ne m'en lasserai jamais.
Joseph Rearden (Paul Newman) met au point un vol de diamant à la demande d’Angus MacKintosh (Harry Andrews), un des chefs des services secrets britanniques, et sa secrétaire, Mme Smith (Dominique Sanda). Le vol est accompli, tout se passe comme prévu mais Rearden est dénoncé, mis aux arrêts, puis jugé à vingt ans de prison.

Le scénario de Walter Hill est une adaptation d’un roman de Desmond Bagley, The Freedom Trap, inspiré de l’histoire vraie d’un agent double, George Blake, qui a travaillé au Royaume Uni pour le compte de l’Union soviétique pendant de nombreuses années. Blake s’est fait démasqué au début des années 60, puis a été jugé et condamné à une lourde peine de prison, avant de réussir à s’évader et à passer à l’Est. Walter Hill est alors un scénariste débutant et jeune protégé de Peter Bogdanovich (pour qui il a massacré le roman de Jim Thompson Guet-apens, adapté non sans mal par Peckinpah et dont vous trouverez la chronique sur ce blog :fiou: ). Les deux hommes, bien qu’ayant des rapports très cordiaux, ne s’entendent absolument pas sur l’histoire. Hill cherche plutôt à faire un divertissement dans le style de La Mort aux trousses (North By Northwest, 1959). D’ailleurs, la véritable histoire de George Blake est le sujet même du dernier projet cinématographique d’Alfred Hitchcock, mort avant d’avoir pu le réaliser. Huston veut faire quant à lui une histoire plus sérieuse.
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Comme Walter Hill le confiera plus tard, son scénario d’origine ne se retrouve qu’en partie dans la première moitié du film, alternant avec des idées de John Huston et de sa coscénariste Gladys Hill (qui n’a aucun lien de parenté avec Walter). Ces derniers ont réécrit intégralement toute la seconde partie du film, la fin ayant même été rédigée durant la dernière semaine de tournage. Hill est cependant crédité seul au générique. Bien d’autres n’auraient pas hésité à rajouter leur nom (parfois même cité avant l’auteur original) pour moins que ça. C’est intéressant de remarquer que John Huston ne semble pas être ce genre de réalisateur.
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Le spectateur attentionné a peut-être remarqué certains clins d’œil subtils et ironiques aux romans et surtout films d’espionnage populaires dont il se démarque. Par exemple, lors du premier entretien entre Rearden et son chef:

“Tell me, what is the most outstanding property of the diamond?
- Come again?
- The diamond.
- It’s forever.”

(“Dîtes-moi, quelle est la propriété la plus étonnante du diamant?
- Je vous demande pardon?
- Le diamant.
- Il est éternel.”)
Au moment du tournage, Les Diamants sont éternels (Diamond Are Forever) est le dernier film de la saga 007. Plus tard, Rearden se permet une remarque, toujours sur un ton détaché, en entendant le nom/pseudonyme de l’un des personnages (à ce moment-là, il se fait passer pour un voyou extérieur à cet univers de fausseté).

“Mr. Brown would like to see you.
- Mr. "Brown"? Not really.
- Of course not.”

(“Monsieur Brown voudrait vous voir.
- Monsieur "Brown"?... Pas vraiment.
- Bien sûr que non.”)
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Enfin, notons le passage qui est peut-être le plus allusif aux films d’espionnage populaires, toujours avec beaucoup de subtilité. Il s’agit de l’échange entre Rearden et Mme Smith, après une poursuite en voiture au cours de laquelle leurs poursuivants disparaissent dans la mer:
“Do you think they can swim, Mr. Rearden?
- I hardly think that matters, Mrs. Smith.”

(“Pensez-vous qu’ils savent nager, M. Rearden?
- Je ne pense pas que cela ait de l’importance, Mme Smith.”)
La façon dont ils sont cadrés, l’un et l’autre tournés vers la caméra, sans se regarder, ainsi que cette remarque pince-sans-rire de Mme Smith (leurs poursuivants sont forcément morts après la chute dans l’eau) et bien sûr la répétition de leur nom en fin de phrase, tout cela évoque les mauvais films ou les séries télévisées, où le duo de héros concluent leur mission par un très court échange de répliques humoristiques plates, voire navrantes. La réponse de Rearden semble indiquer une certaine volonté (du cinéaste) de couper court à cette forme d’humour. Malgré une certaine légèreté à quelques endroits et le cynisme que le réalisateur manifeste dans sa description des personnages, le film ne sombre pas dans la parodie simpliste et ce passage par exemple n’installe pas une distance avec le spectateur, au contraire. Comme le héros brillamment interprété par Paul Newman, qui peut paraître décontracté à certaines occasions mais qui s’avère extrêmement sérieux le reste du temps, le film s’inscrit entièrement dans le genre film d’espionnage, et il est même très efficace.
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Efficace, la réalisation de John Huston l’est indéniablement. Qu’il s’agisse de la scène de l’attaque du facteur, tournée en un seul plan, démarrant et se terminant par un zoom, ou la scène de l’émeute dans la cour de prison servant à couvrir l’évasion de Rearden, avec ses mouvements de caméra allant et venant entre les protagonistes, ou encore la scène de poursuite en voitures dans la lande irlandaise, ce film est une vraie leçon de mise en scène. Chaque plan est très soigné et minutieusement mis au point.
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Les archives du tournage montrent un John Huston en forme, directif, et sûrement plus à l’aise ici que sur certains tournages plus considérables.

Le thème de Maurice Jarre est certes très bon mais néanmoins un peu trop envahissant par moments. C’est le seul défaut que je relève au final, car j’aime énormément ce film. Malgré ses nombreuses qualités, il n’a pas marché à sa sortie et demeure aujourd’hui assez méconnu. J’espère que cette courte chronique donnera envie soit de le découvrir soit de s’y replonger, car il peut certainement figurer en bonne place parmi les réussites artistiques de John Huston.
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Le Piège (The MacKintosh Man). Un film de John Huston. Avec Paul Newman, Dominique Sanda, James Mason, Harry Andrews, Ian Bannen et Peter Vaughan. Scénario de Walter Hill, et John Huston & Gladys Hill (adapté du roman de Desmond Bagley, The Freedom Trap). Photographie d’Oswald Morris. Musique de Maurice Jarre. Produit par John Foreman et William Hill. Réalisé par John Huston.
Dernière modification par Major Tom le 13 avr. 11, 08:24, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Jeremy Fox »

Ton texte (et le quizz de Père Jules l'autre jour) me fait encore plus regretter de l'avoir revendu dans une période où j'avais besoin de rotation pour pouvoir m'acheter d'autres DVD. Surtout que je l'avais trouvé vraiment excellent ; et une réussite de plus pour Huston, malheureusement comme tu le dis passée inaperçue et souvent mal aimée.
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Lord Henry »

C'est quand même un peu filmé par-dessus la jambe. D'ailleurs, si le film est divertissant, il n'en demeure pas moins qu'une certaine désinvolture prévaut à bien des moments. En revanche, la vraie réussite, ce sont certains personnages secondaires, notamment Gerda, le garde-chiourme de Rearden:

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Jeremy Fox
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Jeremy Fox »

Lord Henry a écrit :C'est quand même un peu filmé par-dessus la jambe. D'ailleurs, si le film est divertissant, il n'en demeure pas moins qu'une certaine désinvolture prévaut à bien des moments.
Oui mais désinvolture n'est pas forcément synonyme de "filmé par dessus la jambe" et je ne considère pas nécessairement cette façon de faire d'une manière péjorative. J'apprécie souvent une certaine désinvolture comme dans les Tony Rome de Gordon Douglas par exemple ou les Harper.
Lord Henry
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Lord Henry »

Je ne sais pas trop. J'avoue que pour ces deux films, j'aurais peut-être plutôt parlé de décontraction, comme l'on évoque la "cool attitude". Mais comme je l'ai dit, je ne sais pas trop.
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Père Jules
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Père Jules »

Lord Henry a écrit :C'est quand même un peu filmé par-dessus la jambe. D'ailleurs, si le film est divertissant, il n'en demeure pas moins qu'une certaine désinvolture prévaut à bien des moments. En revanche, la vraie réussite, ce sont certains personnages secondaires, notamment Gerda, le garde-chiourme de Rearden:
Avec son accent à couper au couteau, elle est choute :mrgreen:
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Rick Blaine
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Rick Blaine »

Content de voir ce film souvent mésestimé dans l'œuvre de Huston si bien mis en valeur, je l'aime beaucoup également.
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Federico »

J'aime énormément Huston mais Le piège m'a toujours semblé un peu de bric et de broc. Je ne connaissais pas l'histoire de la collaboration avec Hill mais elle me fait mieux comprendre cette impression de manque de liant et j'irai jusqu'à dire de conviction. Pas un film désagréable mais sans plus. Je n'ai pas d'affinités particulières avec le S-M mais j'aime aussi beaucoup la séquence avec l'incroyable Gerda, incarnée avec un plaisir non-dissimulé par la fascinante Jenny Runacre. Cette belle plante vénéneuse au look d'égérie warholienne a surtout joué dans des séries TV et des films-bis mais est aussi apparue dans Profession : Reporter, Les duellistes et eut un rôle de premier plan dans le nanar psychédélico-SF-portnawakesque Les décimales du futur.

[edit] : J'avais oublié qu'elle était aussi dans la partie londonienne de Husbands. Son intervention est d'ailleurs l'un des meilleurs moments de ce film pas toujours aimable de Cassavetes.
Dernière modification par Federico le 3 oct. 13, 12:17, modifié 3 fois.
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par EddieBartlett »

Et puis n'oublions pas Dominique Sanda, actrice froide et énigmatique à la photogénie exceptionnelle.
Son duo fonctionne parfaitement avec Newman, ce qui n'était pas gagné d'avance.
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someone1600
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par someone1600 »

Je ne connaissais pas ce film mais ton texte me donne envie de le voir. :D
bruce randylan
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par bruce randylan »

J'avais bien aimé aussi lors de ma découverte du DVD il y a 2-3 ans (acheté chez noz 2-3 euros :mrgreen: )

Le piège (1973)

Étonnant thriller/policier d'une froideur et d'une épure inhabituelle ( bien que s'inscrivant dans les thèmes paranoïaque et désenchanté des 70's ), ce piège jouit d'un excellent scénario de Walter Hill qui distille savamment ses informations aux compte gouttes pour mieux nous manipuler.
Les fausses pistes et impasses sont légion et il faut bien arriver à la fin de la première heure pour enfin saisir où l'histoire veut nous emmener.
Huston profite de l'attitude désincarné et sans émotion du personnage de Paul Newman pour livrer une réalisation distante et dénué de tout artifice qui fait des merveilles dans les séquences de poursuites ( à pied ou en voiture ). Se déroulant dans des lieux fantomatiques et austère, ses moments confirment l'originalité du traitement qui a bien fonctionné pour moi mais ne risque pas de plaie à tout le monde.
C'est en tout cas à l'image de Dominique Sanda : une beauté glacial, mystérieuse et fascinante.
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Federico »

bruce randylan a écrit :C'est en tout cas à l'image de Dominique Sanda : une beauté glaciale, mystérieuse et fascinante.
Elle serait née une génération avant, Hitchcock l'aurait adorée. Elle n'a pas eu la carrière qu'elle méritait malgré quelques grands (voire très grands) films. Sans doute parce que ce n'était pas sa priorité ou son truc. Une actrice et/ou une présence à part, en tout cas, et qui fut (avec Anne Wiazemsky) la seule des "modèles" choisis par Bresson qui aura continué par la suite.
Et ce serait bien sympa qu'un éditeur songe à proposer un DVD de Une femme douce... :roll:
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Major Tom
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Major Tom »

Federico a écrit :Et ce serait bien sympa qu'un éditeur songe à proposer un DVD de Une femme douce... :roll:
Typiquement le genre de film à son image, froide effectivement (d'emblée -c'est son premier film je crois- elle marquait le coup). Elle est très bien aussi dans 1900.
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Lord Henry »

Pour ceux qui s'en souviennent, le scénario de ce film rappellera furieusement un épisode du Saint avec Roger Moore et Donald Sutherland (le titre m'échappe).
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Major Tom
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Re: Le Piège (John Huston - 1973)

Message par Major Tom »

Lord Henry a écrit :Pour ceux qui s'en souviennent, le scénario de ce film rappellera furieusement un épisode du Saint avec Roger Moore et Donald Sutherland (le titre m'échappe).
La Route de l'évasion (Escape Route, 1966).

With the connivance of Chief Inspector Teal, the Saint gets himself sent to a prison from which there have been several, successful escapes within the past few months. The Saint's job is to identify the organizers.
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