J'ai dû voir ce film une quinzaine de fois, et j'ai l'impression que je ne m'en lasserai jamais.
Joseph Rearden (
Paul Newman)
met au point un vol de diamant à la demande d’Angus MacKintosh (
Harry Andrews)
, un des chefs des services secrets britanniques, et sa secrétaire, Mme Smith (
Dominique Sanda)
. Le vol est accompli, tout se passe comme prévu mais Rearden est dénoncé, mis aux arrêts, puis jugé à vingt ans de prison.
Le scénario de Walter Hill est une adaptation d’un roman de Desmond Bagley,
The Freedom Trap, inspiré de l’histoire vraie d’un agent double, George Blake, qui a travaillé au Royaume Uni pour le compte de l’Union soviétique pendant de nombreuses années. Blake s’est fait démasqué au début des années 60, puis a été jugé et condamné à une lourde peine de prison, avant de réussir à s’évader et à passer à l’Est. Walter Hill est alors un scénariste débutant et jeune protégé de Peter Bogdanovich (pour qui il a massacré le roman de Jim Thompson
Guet-apens, adapté non sans mal par Peckinpah et dont vous trouverez la chronique sur ce
blog ). Les deux hommes, bien qu’ayant des rapports très cordiaux, ne s’entendent absolument pas sur l’histoire. Hill cherche plutôt à faire un divertissement dans le style de
La Mort aux trousses (
North By Northwest, 1959). D’ailleurs, la véritable histoire de George Blake est le sujet même du dernier projet cinématographique d’Alfred Hitchcock, mort avant d’avoir pu le réaliser. Huston veut faire quant à lui une histoire plus sérieuse.
Comme Walter Hill le confiera plus tard, son scénario d’origine ne se retrouve qu’en partie dans la première moitié du film, alternant avec des idées de John Huston et de sa coscénariste Gladys Hill (qui n’a aucun lien de parenté avec Walter). Ces derniers ont réécrit intégralement toute la seconde partie du film, la fin ayant même été rédigée durant la dernière semaine de tournage. Hill est cependant crédité seul au générique. Bien d’autres n’auraient pas hésité à rajouter leur nom (parfois même cité avant l’auteur original) pour moins que ça. C’est intéressant de remarquer que John Huston ne semble pas être ce genre de réalisateur.
Le spectateur attentionné a peut-être remarqué certains clins d’œil subtils et ironiques aux romans et surtout films d’espionnage populaires dont il se démarque. Par exemple, lors du premier entretien entre Rearden et son chef:
“Tell me, what is the most outstanding property of the diamond?
- Come again?
- The diamond.
- It’s forever.”
(“Dîtes-moi, quelle est la propriété la plus étonnante du diamant?
- Je vous demande pardon?
- Le diamant.
- Il est éternel.”)
Au moment du tournage, Les Diamants sont éternels (Diamond Are Forever) est le dernier film de la saga 007. Plus tard, Rearden se permet une remarque, toujours sur un ton détaché, en entendant le nom/pseudonyme de l’un des personnages (à ce moment-là, il se fait passer pour un voyou extérieur à cet univers de fausseté).
“Mr. Brown would like to see you.
- Mr. "Brown"? Not really.
- Of course not.”
(“Monsieur Brown voudrait vous voir.
- Monsieur "Brown"?... Pas vraiment.
- Bien sûr que non.”)
Enfin, notons le passage qui est peut-être le plus allusif aux films d’espionnage populaires, toujours avec beaucoup de subtilité. Il s’agit de l’échange entre Rearden et Mme Smith, après une poursuite en voiture au cours de laquelle leurs poursuivants disparaissent dans la mer:
“Do you think they can swim, Mr. Rearden?
- I hardly think that matters, Mrs. Smith.”
(“Pensez-vous qu’ils savent nager, M. Rearden?
- Je ne pense pas que cela ait de l’importance, Mme Smith.”)
La façon dont ils sont cadrés, l’un et l’autre tournés vers la caméra, sans se regarder, ainsi que cette remarque pince-sans-rire de Mme Smith (leurs poursuivants sont forcément morts après la chute dans l’eau) et bien sûr la répétition de leur nom en fin de phrase, tout cela évoque les mauvais films ou les séries télévisées, où le duo de héros concluent leur mission par un très court échange de répliques humoristiques plates, voire navrantes. La réponse de Rearden semble indiquer une certaine volonté (du cinéaste) de couper court à cette forme d’humour. Malgré une certaine légèreté à quelques endroits et le cynisme que le réalisateur manifeste dans sa description des personnages, le film ne sombre pas dans la parodie simpliste et ce passage par exemple n’installe pas une distance avec le spectateur, au contraire. Comme le héros brillamment interprété par Paul Newman, qui peut paraître décontracté à certaines occasions mais qui s’avère extrêmement sérieux le reste du temps, le film s’inscrit entièrement dans le genre film d’espionnage, et il est même très efficace.
Efficace, la réalisation de John Huston l’est indéniablement. Qu’il s’agisse de la scène de l’attaque du facteur, tournée en un seul plan, démarrant et se terminant par un zoom, ou la scène de l’émeute dans la cour de prison servant à couvrir l’évasion de Rearden, avec ses mouvements de caméra allant et venant entre les protagonistes, ou encore la scène de poursuite en voitures dans la lande irlandaise, ce film est une vraie leçon de mise en scène. Chaque plan est très soigné et minutieusement mis au point.
Les archives du tournage montrent un John Huston en forme, directif, et sûrement plus à l’aise ici que sur certains tournages plus considérables.
Le thème de Maurice Jarre est certes très bon mais néanmoins un peu trop envahissant par moments. C’est le seul défaut que je relève au final, car j’aime énormément ce film. Malgré ses nombreuses qualités, il n’a pas marché à sa sortie et demeure aujourd’hui assez méconnu. J’espère que cette courte chronique donnera envie soit de le découvrir soit de s’y replonger, car il peut certainement figurer en bonne place parmi les réussites artistiques de John Huston.
Le Piège (The MacKintosh Man). Un film de John Huston. Avec Paul Newman, Dominique Sanda, James Mason, Harry Andrews, Ian Bannen et Peter Vaughan. Scénario de Walter Hill, et John Huston & Gladys Hill (adapté du roman de Desmond Bagley, The Freedom Trap). Photographie d’Oswald Morris. Musique de Maurice Jarre. Produit par John Foreman et William Hill. Réalisé par John Huston.