Jacques Rouffio (1928-2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Roy Neary
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Jacques Rouffio (1928-2016)

Message par Roy Neary »

Parmi les nouvelles sorties de sa Collection Classiques, Gaumont édite Le Sucre. Pour les cinéphiles un peu "naphtalinés", ce film avec Depardieu et Carmet agit comme une petite madeleine en faisant renaitre quelques effluves propres aux capiteuses années 70. Mais même sans ressentir de nostalgie, ce film drôle et très documenté peut faire la joie de tous. Aujourd'hui DVDClassik vous en dit un peu plus avec sa chronique des éditions DVD et Blu-ray du Sucre. :D

:arrow: Le Sucre
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Major Tom
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Major Tom »

Roy Neary a écrit :Parmi les nouvelles sorties de sa Collection Classiques, Gaumont édite Le Sucre. Pour les cinéphiles un peu "naphtalinés", ce film avec Depardieu et Carmet agit comme une petite madeleine en faisant renaitre quelques effluves propres aux capiteuses années 70. Mais même sans ressentir de nostalgie, ce film drôle et très documenté peut faire la joie de tous. Aujourd'hui DVDClassik vous en dit un peu plus avec sa chronique des éditions DVD et Blu-ray du Sucre. :D

:arrow: Le Sucre
Très bonne nouvelle, depuis le temps que je souhaitais le revoir. :D
Seule la bande originale de Philippe Sarde me servait de consolation.

Et bon article pour ce qui restera certainement le meilleur film de Jacques Rouffio.
Moi aussi je peux réciter (encore aujourd'hui) des répliques du film par cœur...
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Jeremy Fox
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Jeremy Fox »

Major Tom a écrit :Moi aussi je peux réciter (encore aujourd'hui) des répliques du film par cœur...
Avec notamment une scène d'anthologie, celle vers la fin qui se déroule dans le bureau de l'huissier ; hilarant numéro de Depardieu.

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1976. Violette (Isabelle Adjani) a rompu avec sa famille bourgeoise pour vivre avec François (Jacques Dutronc), un doux rêveur marginal avec qui elle a eu un bébé. Leur liaison est chaotique d’autant que François est incapable d’assumer une vie de famille ‘normale’. Ils habitent dans un petit appartement et vivotent avec difficulté, Violette venant de se faire licencier de la banque dans laquelle elle travaillait, François n’arrivant guère à garder une place plus longtemps que sa compagne, son seul rêve étant de fonder un journal avec des copains. Ils gagnent tout juste de quoi nourrir leur enfant et pour y parvenir sont même parfois amenés à voler quelques vivres dans les supermarchés. Violette réprouve néanmoins ces agissements et tente de ramener François à la raison ; pour mettre fin à une dispute à ce sujet, Jacques demande Violette en mariage, lui promettant dans le même temps de devenir respectable. Mais ses bonnes résolutions sont de courte durée et, après quelques échecs dans de ‘petits boulots’, il reprend ses larcins. Violette, fascinée par son habileté, finit par se prendre elle aussi au jeu. Ils se mettent alors tous deux à pratiquer de manière organisée le vol à l’étalage. Les risques encourus sont grands et Violette se fait pincer ; un peu plus tard c’est au tour de François d’être remis à la police. Tant d’humiliations finissent par faire se fissurer le couple…

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Entre Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, le jubilatoire dytique d’Yves Robert en cours, Jean-Loup Dabadie s’accorde une pose, "une parenthèse désenchantée" (comme décrit assez justement Violette et François, le texte en préambule de l’entretien avec Jacques Rouffio que l’on peut trouver sur le DVD Tamasa) en écrivant ce scénario-roman qui sortira d’ailleurs en librairie en même temps que le film en salles. Pas assez drôle pour Yves Robert, pas assez dramatique pour Claude Sautet, l’adaptation cinématographique est alors proposée à Jacques Rouffio malgré le fait que ses films précédents n’étaient absolument pas dans la même veine. En effet, L’Horizon, d’après un scénario de Georges Conchon, dessinait les portraits de déserteurs durant la Première Guerre Mondiale alors que, seulement 10 ans après à cause de l’immense bide de son premier essai, 7 morts sur ordonnance, toujours sous la plume de George Conchon, était d’après un fait divers meurtrier une virulente critique du fonctionnement de certains hôpitaux dirigés par des conseils d’administration entièrement dévoués et soumis à des clans familiaux tyranniques et inhumains. Jacques Rouffio vient cette fois de remporter un grand succès populaire avec ce film coup de poing et on vient néanmoins le chercher pour s’engouffrer dans un univers en demi-teinte à priori en tout point opposé aux précédents, la réussite étant cependant une fois encore au rendez-vous. Une réussite aussi bien artistique que commerciale puisque Violette et François obtiendra un joli résultat au box-office. Pour l'anecdote, il restera toujours un des films préférés de Jacques Dutronc.

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Tout d’abord assistant de Henri Verneuil (sur son plus beau film, Des gens sans importance) Jean Delannoy (Obsession), Gilles Grangier (Le Rouge est mis ; Le Gentleman d’Epsom), Bernard Borderie (quelques uns de la série des ‘Gorilles’) ou Georges Franju (La Tête contre les murs), Jacques Rouffio fait donc ses armes durant les années 50, côtoyant dès le début non seulement des cinéastes chevronnés mais également, parmi les comédiens, de très grosses pointures au fort charisme tel Jean Gabin. Il n’aura du coup pas beaucoup de peine à diriger pour 7 Morts sur ordonnance des acteurs aussi célèbres que, excusez du peu, Michel Piccoli, Charles Vanel, Jane Birkin et Gérard Depardieu. Un an plus tard, il réalise donc Violette et François avec Isabelle Adjani, Jacques Dutronc, Françoise Arnoul et Serge Reggiani. Il refera juste après de nouveau équipe avec George Conchon pour l’inénarrable et hilarant Le Sucre avec cette fois le duo Gérard Depardieu et Jean Carmet, satire corrosive du monde financier et boursier. Les deux artistes se retrouveront en 1986 pour une dernière collaboration, Mon beau-frère a tué ma sœur, une comédie avec Jean Carmet et Michel Piccoli. Mais revenons-en au film qui nous concerne, le troisième signé par Rouffio, chronique douce-amère qui narre les pérégrinations d’un jeune couple d’asociaux qui va tomber dans la spirale du vol à la tire, commençant dans le seul but de subvenir à leurs besoins mais finissant par y prendre goût au point de ne quasiment plus prendre de plaisir autrement qu’en côtoyant le danger grandissant au fur et à mesure qu’ils inventent de nouvelles techniques de chapardages de plus en plus culottées, qu’ils escamotent de la marchandise de plus en plus couteuse. On les verra d’ailleurs à plusieurs reprises tomber dans les bras l’un de l’autre et faire l’amour après qu’ils aient frôlés l’arrestation, leur désir naissant le plus souvent de la montée d'adrénaline suite aux prises de risque.

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Violette et François est une œuvre fragile et sans véritablement d’intrigue bien charpentée mais qui s’avère déjà, surtout pour nous spectateurs d’aujourd’hui, un fort intéressant témoignage sociologique sur le Paris du milieu des années 70, ses rues et ses boutiques, ses habitants et ses modes… Il s’agit sinon de ce qu’il est communément appelé une chronique douce-amère mais, contrairement à ce que l’on aurait pu croire de prime abord à la lecture du sujet, à la vision de l'affiche et connaissant le style Dabadie, plus bien plus amère que douce ; une amertume que l’on décèle dès le générique, témoin les premières images qui, après le titre du film en police de caractère romantico-kitsch et assez fleur bleue, s’avèrent immédiatement en porte-à-faux avec ce titre, assez ‘déplaisantes’ pour le spectateur, mettant ce dernier d’emblée dans une position inconfortable. Sur les premières images alors que défilent le nom des participants au film, au lieu d’une musique attendue, on assiste derrière une porte vitrée, à une altercation verbale entre deux personnes, le directeur d’une banque et une femme qu’il est en train de mettre à la porte : donc, en lieu et place d’une superbe mélodie comme savait si bien les composer Philippe Sarde, ce seront plus d’une minute ininterrompue de cris stridents et de grincements de dents, de claquement de portes et d’insultes. Et de nous sentir, comme les autres employés de la banque qui y assistent, assez gênés voire vite agacés. Le plan suivant voit cette même femme, désormais licenciée, dans son misérable appartement, pleurant en donnant à manger à son jeune bébé qui, devant inconsciemment ressentir la tension chez sa mère, braille à son tour avec des cris perçants. Si Jacques Rouffio n’est cette fois pas là pour nous offrir une nouvelle peinture corrosive de la société, il nous la décrit néanmoins loin d’être paradisiaque, nous plaçant sans attendre au sein de situations guère rassurantes, guère détendues. Et c’est une des premières qualités de son film que de nous prendre immédiatement à contre-courant des comédies romantiques ou chroniques de moeurs habituelles où très souvent la complicité entre les personnages principaux précède les problèmes, histoire de nous faire d'emblée éprouver de l'empathie à leur égard.

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Autre situation assez inconfortable pour le spectateur : se retrouver témoin des vols à la tire de notre couple, se surprenant alors à de nombreuses occasions à trembler pour eux, se faisant finalement les complices involontaires de protagonistes aux comportements immoraux. Les auteurs ne sont cependant évidemment pas là pour nous faire une apologie de la rapine ou de cautionner le comportement de leur duo (durant la première partie du film, Violette reproche d'ailleurs aussi à son compagnon ses chapardages), se contentant d’être eux aussi les témoins d’une situation qu’ils sont les premiers à déplorer, leurs touchants protagonistes n’allant d’ailleurs pas en sortir grandis à l’image de ce final ouvert et désenchanté qui ne nous donne guère d’espoir en l’avenir de Violette et François, le splendide thème musical principal de Philipe Sarde jusque là attribué à la clarinette étant réorchestré pour l'occasion pour la mandoline avec son côté 'Vivaldien' assez bouleversant. Qu’on se rassure néanmoins, les moments de complicité et de gaieté sont bien présents tout au long du film qui, bien qu’assez âpre, n’en demeure pas moins rempli de touches légères et humoristiques. Isabelle Adjani (rayonnante) et Jacques Dutronc sont tous deux très convaincants, les exagérations théâtrales de l’actrice, parfois pénibles dans d’autres films, correspondant ici au contraire parfaitement à son protagoniste à vif, Dutronc étant lui aussi égal à lui-même, un doux rêveur marginal et égoïste comme dans de nombreux de ses autres films. Pas vraiment de surprises de leur part mais un travail qui paye puisqu’ils arrivent à nous être attachants malgré leurs personnages pas toujours aimables que Rouffio et Dabadie se gardent d’ailleurs bien de juger, à l'instar de cette scène qui nous fait nous rendre compte que François a des maîtresses (très belle séquence avec Sophie Daumier). Alors que nous nous serions attendu à ce que Violette l’apprenne par la suite, on n’en fera plus cas comme pour nous faire comprendre que l’inconscience de François passe par tout un tas de comportements qui ne doivent cependant pas servir à rendre encore plus dramatique la situation initiale. Avec intelligence, Dabadie refuse la pathos, ne se sert donc pas de l’adultère comme d’un ressort dramatique mais pour affiner le portrait de son personnage inconséquent.

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Violette et François trace donc le portrait de sympathiques mais infantiles rebelles, "consternante image de la jeunesse contemporaine" (dira leur avocat) pour une société qui juge ainsi la plus jeune génération comme ce sera d’ailleurs dans la réalité toujours le cas, ce qui nous prouve bien deux choses : que les adultes ont très souvent et malheureusement la mémoire courte, ne se souvenant plus avoir été lors de leurs années de collège et lycée dans le collimateur de la génération précédente ; que les idées réactionnaires ont la vie dure et qu'elles finissent trop souvent par supplanter la saine tolérance. On en viendrait presque à encourager ces jeunes délinquants et leur volonté de transgression face aux adultes bornés qui ne cherchent pas à comprendre comment ils en sont arrivés là et à réfléchir à comment soigner le problème à sa source (ici peut-être la société de consommation qui commence à prendre de l'ampleur, ses dérives et ses délires). Et l’ambigüité est d’autant plus forte en l’occurrence que Violette et François sont plus des insouciants (ils oublient le bébé sur le pas de la porte alors qu’ils s’apprêtent à faire l’amour), et des irresponsables que de véritables victimes de la société, Violette ayant coupé les ponts avec sa famille bourgeoise, François étant juste incapable d’assumer une vie normale par fainéantise et par refus de se fondre dans les règles d’une société capitaliste avant tout basée sur le travail. Comme on peut le constater, le film de Jacques Rouffio est une chronique qui fait pourtant nous poser pas mal de questions sur notre société et l’effondrement de certaines valeurs morales tout en dressant le portrait d’une certaine jeunesse romanesque, mal dans sa peau et en mal de vivre. Le cinéaste, à l’aide de dissonants mais jolis effets de montage et de réalisation, participe à ce ton grave et désillusionné ainsi qu’à cet inconfort. L’environnement est bien reconstitué, l’air du temps bien rendu, le trait précis et nuancé et la description des vols à la tire presque documentaire. On ne s’ennuie donc jamais malgré quelques baisses de rythmes et de séquences plus ou moins réussies.

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Aux côtés d’Isabelle Adjani et Jacques Dutronc, on trouve toute une tripotée de seconds rôles assez savoureux, tels ceux interprétés par Léa Massari, Serge Reggiani, Françoise Arnoul, Catherine Lachens ou Sophie Daumier. Dommage par contre qu’un certain manichéisme vienne pointer le bout de son nez par le fait que tous les représentants de l’ordre et de la justice soient décrits sans nuances, véritables bouledogues violents et (ou) désagréables. Malgré sa gravité, le troisième long métrage de Jacques Rouffio est une sorte de chronique de la vie de bohème tendre et généreuse composée d’une succession de scénettes tour à tour tristes ou amusantes, les premières finissant par prendre le pas sur les secondes au fur et à mesure que le vol devient non plus une nécessité mais une véritable drogue ; sa réussite repose avant tout, même si la mise en scène est tout à fait correcte, sur la qualité de son interprétation et à la tonalité d’ensemble donnée par l’immense scénariste Jean-Loup Dabadie. Pas un grand film, loin s’en faut, mais néanmoins une des innombrables jolies réussites du cinéma français des années 70 qui n’en était pas avare.
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par daniel gregg »

Jeremy Fox a écrit :
Major Tom a écrit : Moi aussi je peux réciter (encore aujourd'hui) des répliques du film par cœur...
Avec notamment une scène d'anthologie, celle vers la fin qui se déroule dans le bureau de l'huissier ; hilarant numéro de Depardieu.
Oui, jubilatoire ! :mrgreen:
On a envie de participer...
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Père Jules »

Film qui m'est totalement inconnu. Verdict: le 15 avril au soir ! :wink:
George Kaplan
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par George Kaplan »

Et puis cette scène où Depardieu suit l'avocat vers le bois de Boulogne. Les dialogues sont terriiiiiibles et le gros Gégé y est génial !
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Rick Blaine »

Vous me mettez l'eau à la bouche!

Celui là, ce sera sitôt acheté sitôt visionné... Autant dire que j'ai hâte!! :D
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Major Tom
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Major Tom »

Jeremy Fox a écrit :
Major Tom a écrit :Moi aussi je peux réciter (encore aujourd'hui) des répliques du film par cœur...
Avec notamment une scène d'anthologie, celle vers la fin qui se déroule dans le bureau de l'huissier ; hilarant numéro de Depardieu.
http://www.dailymotion.com/video/xb8ytz ... shortfilms

:mrgreen:

Il est hilarant pendant tout le film, Depardieu. "Phénomène mondial!" - "Des ordres en blanc, est-ce que j'en ai moi, des ordres en blanc?" (et il les sort de sa veste)... Et sinon, "La bourse en caca" est devenu le titre du morceau de Sarde qui accompagne la scène.
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Nestor Almendros »

Pour la fine bouche, l'avis de Major Tom, justement, posté le 25 décembre 2005: :wink:

Un film dont je connais déjà les répliques et les situations par cœur en le revoyant (il y a des films comme ça...).
Un modeste inspecteur des contributions à la retraite, Adrien Courtois (Jean Carmet), gère la fortune que sa femme vient d'hériter. À Paris il rencontre d'Homecourt de la Vibraye, dit Renaud Raoul (Gérard Depardieu), conseiller financier (et imposteur), qui flaire vite en Courtois le pigeon idéal, et aidé par des affairistes sans scrupules il conseille Adrien Courtois de spéculer sur le sucre, soit disant devenu une denrée rare. Ébloui par les premiers bénéfices, Courtois place toute sa fortune, et devient millionnaire au bout de quelques jours, ainsi il s'offre des vacances avec sa femme dans des hôtels luxueux de Miami, tandis que la tendance du sucre s'inverse brusquement, et lui et Raoul sont ruinés...
Vous l'avez compris, Le Sucre est une comédie satirique sur le monde du marché, de la finance et de la spéculation. Le premier atout de cette comédie c'est d'avoir d'excellents comédiens, en tête Jean Carmet qui se retrouve face à un Depardieu cabotin génial, qui nous livre ici un numéro d'acteur épatant avec des répliques incisives (il passe son temps à gueuler et donner des surnoms, "Mimine", "mon Didi", "Pépé"... aux pigeons dont il gère les économies). Michel Piccoli incarne une sorte de Dieu du monde de la bourse, Grezillo, l'homme d'affaires sans scrupules qui crée de toutes pièces l'idée d'une pénurie de sucre. Le film s'inspire de la réelle crise du sucre survenue en France en 1974, et son second grand atout c'est de présenter le marché et la spéculation boursière de façon réaliste, en dénonçant au passage ce monde superficiel sur un ton moqueur et ironique. Troisième atout : Philippe Sarde à la musique, et dont les notes au piano trottent longtemps en tête. Au final donc, voilà un très bon film, une bonne comédie cinglante très amusante à voir et revoir...
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Alphonse Tram »

Major Tom a écrit :Il est hilarant pendant tout le film, Depardieu. "Phénomène mondial!" - "Des ordres en blanc, est-ce que j'en ai moi, des ordres en blanc?" (et il les sort de sa veste)... .
:mrgreen: J'avais oublié
Du coup j'ai pas pu résisté, j'ai regardé youtube. Roger Hanin/Karbaoui, c'est toujours énorme putain :mrgreen:
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Flol »

Un film que je connais uniquement grâce à la musique de Sarde.
Du coup, ce bluray me fait de l'œil...:|
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Nestor Almendros »

Une fois n’est pas coutume, je parlerai d’abord du bonus présenté sur l’édition dvd/blu-ray Gaumont Classiques. Des suppléments de l’éditeur ne me paraissent pas toujours réussis mais là, j’avoue que je me suis régalé. Voilà un complément passionnant, documenté, riche en informations, qui traite autant du caractère économique du scénario que de l’analyse du film (par un Xavier Giannoli passionné et pertinent) et des histoires de son tournage. Dans une intervention récente, Boubakar regrettait qu’on y parlait plus d’économie que de cinéma. Je comprends son opinion (d’autant que certains passages pourtant pédagogiques sont parfois ardus à comprendre) mais je ne la partage pas. Les interventions économiques du documentaire sont indispensables pour décrire l’audace du propos, son caractère prophétique et quelque part inéluctable, et surtout montrer la méticulosité « technique » d’un traitement scénaristique qui va chercher très loin, profondément, son inspiration. Par exemple des termes économiques inconnus du grand public (les histoires de marge, par exemple) sont malgré tout utilisés ouvertement dans les dialogues, sans forcément être très expliqués, mais sont toujours cités dans un souci de véracité. Le documentaire est plutôt bien conduit, passant avec une certaine logique du contenu au contenant, de la Bourse au cinéma, à l’élaboration du script ou aux anecdotes de tournage (relation Depardieu-Carmet). Vraiment réussi.

J’ai quasiment découvert un film qui ne m’avait jusque-là jamais vraiment intéressé. Je ne suis pas encore tombé en amour comme certains grands fans mais j’ai déjà très envie de le revoir, ayant l’impression après le documentaire d’être passé à côté de plein de choses, de ne pas l’avoir savouré à sa juste valeur (surtout ses dialogues).
On parle beaucoup de poker dans le bonus mais en observant les comportement des personnages du SUCRE j’ai beaucoup pensé aux jeux d’argent, au casino. On n’en est pas éloigné et le film montre bien le rapport pernicieux et fiévreux de l’homme avec l’argent. Même des personnalités solides, concrètes, comme ici un inspecteur des impôts irréprochable voire même trop assidu, se laissent emporter par ce tourbillon de fantasme et de virtualité. En décrivant minutieusement l’environnement boursicoteur, Conchon et Rouffio dévoilent une sphère microscopique de notre société qui a pourtant une influence majeure sur le monde. Et donc, pour reprendre l’analogie avec les jeux de hasard, comme au casino, ces gens parient impunément sur des marchandises qui n’existent pas encore, gagnent en quelques jours des sommes inimaginables « sans lever le petit doigt ». Pas étonnant que dans ces conditions (anti-matérielles au possible) ils finissent par perdre pied. Comme dans LA BAIE DES ANGES de Jacques Demy, ce « sport » de dilettantes devient une drogue dont on ne peut se passer. L’appât du gain, « l’argent facile » et les perspectives non quantifiables de cette tombola de luxe sont tels que tous les personnages, à tous les niveaux, du quidam spéculateur aux dirigeants des grandes banques qui laissent faire, tous s’enferment dans une obsession du « p’tit sou » qui ne trouvera de conclusion que par la force du crach. Ce milieu de fous furieux aveuglés par un pouvoir impalpable et disproportionné qui leur donne une impression d’invulnérabilité se retrouve véritablement la queue entre les jambes, comme des enfants qui ont cassé leur jouet, qui ne savent pas quoi faire et qui vont se faire gronder (cf. Karbaoui penaud, aux abois). A aucun moment ces joueurs dangereux ne se voient perdants. « C’est impossible » se répètent-ils au nom d’une confiance inébranlable (quand tout va bien) qui volera en éclats (quand tout ira mal) : quand il s’agira de se relever, personne ne prendra ses responsabilités, la faute sera systématiquement attribuée au voisin ou à une proie plus faible. Ce milieu se révèle alors celui de mauvais joueurs qui profitent d’une règle du jeu tout à leur avantage sans jamais assumer leurs erreurs de gestion ou d’anticipation. L’amoralité latente de ces enrichissements vulgaires atteint un cran supplémentaire quand ces notables (mais coupables) établissements feront payer à leur place les plus faibles : les particuliers, petits spéculateurs. Comme dans la société réelle, ce milieu où chacun peut théoriquement exercer sa chance bénéficie d’une caste d’intouchables qui se montrera impitoyable pour leur survie, et qui aura suffisamment de pouvoir et de connexions pour y parvenir. La démonstration va loin, jusqu’à l’intervention de l’Etat pour renflouer les caisses virtuellement remplies mais concrètement vides. L’Etat providence vient sauver les meubles, aider ce mircocosme dangereux pour la société mais toléré par les milieux d’argent et de pouvoir, au détriment là aussi des plus faibles : les contribuables paieront indirectement les fantasmes d’une petite poignée.

Le documentaire en bonus raconte que LE SUCRE est inspiré d’un fait réel survenu en 1974. Le résultat est déjà impressionnant, le film jouant avec le décalage d'un ton de fable (ou presque). Trente ans plus tard, si le film fait toujours sourire et frémir à la fois, le rire est peut-être plus crispé. Madoff et de nombreuses escroqueries planétaires sont passées par là, ne touchant plus de micro-zones économiques mais la planète entière. LE SUCRE a acquis avec le temps un cachet prophétique qui enrichit évidemment le propos, le rend visionnaire et encore plus unique, aidé par une vision presque documentaire du milieu et du phénomène (comme le souligne Xavier Giannoli) et des dialogues inspirés. Si le film évolue dans la comédie, le propos n’en reste pas moins grave. Le film est une sorte de théorie par l’absurde, le décalage provenant de ses personnages, de la façon dont ils sont croqués, entre démesure et caricature. L’ensemble est aidé par un casting (disons-le carrément) génial, de Piccoli à Piéplu en passant par Hanin ou Depardieu, qui apporte un élan dantesque réjouissant (et des envolées mémorables). Si Depardieu ne m’a pas tellement surpris ici (car comme dans d’autres films de cette période il joue avec force un texte très écrit et parfois surréaliste), j’ai été assez surpris par Jean Carmet. C’est un acteur que je connais très mal et que j’ai un peu découvert ici : LE SUCRE, qui le met bien en valeur, lui permet d’aller dans des registres plus graves, un peu plus loin que ses habituels personnages d’ahuris insignifiants dépassés par les évènements (j’ai peut-être trop LE GRAND BLOND en tête…) qu’il reprend ici.
Encore une fois, comme je l’ai dit, malgré un visionnage satisfaisant, j’ai été suffisamment inspiré par le film pour avoir envie d’y revenir très prochainement (chose que je fais très rarement).

Le master du blu-ray est de bonne (voire très bonne) facture. Geoffrey a redécouvert la photo du film grâce à la HD. Contrairement à lui je ne la trouve pas spécialement exceptionnelle mais c’est certainement parce que j’ai encore un peu de mal avec la photographie du cinéma français de cette époque. En revanche le master, précis, bien étalonné, procure beaucoup de plaisir au visionnage et rend justice à l’esthétique de l’époque. La définition est bonne, sans toutefois être transcendante. Il est possible (c’est une impression) que le dégrainage de l’image soit à la base de ce piqué correct sans être exceptionnel (j’ai trouvé le grain bien discret même s’il est perceptible). C’est histoire de chipoter, hein :wink:

Un bon cru Gaumont Classique, ce qui est le principal.
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par George Kaplan »

Je partage ton avis sur le film et prends plaisir à lire tant d'enthousiasme ! En ce qui concerne le supplément, je suis d'avantage de l'avis de Boubakar (j'en parle d'ailleurs dans ma critique). L'aspect économique est intéressant certes, mais il prend un peu le pas sur l'histoire du film. J'aurais aimé en savoir plus sur le tournage, la genèse du film, son succès (ça m'aurait aidé pour écrire mon article en plus :mrgreen: ).

Sinon, j'ai découvert Le Rouge est mis avec le blu-ray Gaumont. Le doc est excellent, il retrace l'histoire du film noir à la française et la fille de Gabin y livre beaucoup d'infos sur son père et les relations qu'il entretenait avec Grangier. Bref, passionnant.
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tenia
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par tenia »

Découvert ce soir avec le BR Gaumont.

Très impressionné, tant par la qualité technique du BR (malgré quelques plans un peu flous, de bien plus nombreuses scènes donnent l'impression d'un film tourné hier) que par le film en lui-même, moderne à la fois par son propos devenu aujourd'hui prophétique que par sa mise en scène efficace et travaillée (et soutenue par un montage là aussi résolument moderne).
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Major Tom
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Re: Le Sucre (Jacques Rouffio - 1978)

Message par Major Tom »

Ratatouille a écrit :Un film que je connais uniquement grâce à la musique de Sarde.
Je crois que c'est ma préférée de Sarde. Je ne saurais comment expliquer, mais il a su musiquer cette comédie avec une justesse parfaite. Dès que j'entends les notes, je revois le film et son incroyable distribution.
Nestor Almendros a écrit :Pour la fine bouche, l'avis de Major Tom, justement, posté le 25 décembre 2005: :wink:
Merci. :)
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