Le Western américain : Parcours chronologique II 1950-1954

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

ballantrae a écrit : Je te trouve injuste envers Badlanders qui sans égaler bien sûr Yuma, hanging tree ou Broken arrow demeure un western de belle facture d'un auteur complexe qui est peut-être celui qui continue à me surprendre le plus dans le genre avec Wellmann ( en attendant d'explorer Boetticher et Dwann).
Qu'ai-je dit d'injuste ; je l'aime bien Badlanders et je n'ai pas dit autre chose que toi à son propos :wink:

Quant à Alan ladd, vois Smith le taciturne ou La vallée des loups, ses deux plus beaux rôles et tu m'en diras des nouvelles ; si l'acteur ne fait pas partie des plus grands (au propre comme au figuré), sa filmographie est exemplaire.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Sybille a écrit :Sans être du tout fan d'Alan Ladd (je préfère largement Glenn Ford, qui est un comédien d'une autre ampleur), je n'ai jamais été rebutée pour autant par ses interprétations, en particulier dans les westerns.
Malgré son visage poupin, il a une certaine dureté dans le regard, il est à la fois calme et déterminé dans ses rôles, ça lui permet de faire un bon héros de westerns, simple peut-être, mais convaincant. D'ailleurs, c'est dans ce genre de films que je l'imagine le mieux. Il y a les films noirs aussi, mais ailleurs. :| :?:
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Cattle Queen of Montana

Message par Jeremy Fox »

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La Reine de la prairie (Cattle Queen of Montana, 1954) de Allan Dwan
RKO


Avec Barbara Stanwyck, Ronald Reagan, Gene Evans, Lance Fuller, Anthony Caruso, Jack Elam, Yvette Duguay, Morris Ankrum, Chubby Johnson
Scénario : Robert Blees, Howard Estabrook, Thomas W. Blackburn
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor 1.33)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la RKO


Sortie USA : 18 novembre 1954

Il se pourrait très bien que La Reine de la prairie fasse partie de ses quelques westerns m'ayant inoculé le virus du genre alors que j'avais à peine 8 ou 9 ans ; il fit en effet partie des premiers westerns que je découvrais émerveillé alors qu'ils étaient diffusés quasiment tous les mardis soir sur Fr3. Ce ne serait en tout cas pas étonnant vu que le film de Dwan est probablement l'un des meilleurs choix pour faire aborder le western à des enfants en bas âge. Le cinéaste semble avec ce film avoir voulu retourner aux sources de l'innocence perdue du cinéma, nous proposant un spectacle d'une ingénuité confondante, patchwork improbable mais réussi entre western urbain, western pro-indien, film d'aventure, film d'action et 'serial'. Suivant votre état d'esprit et (ou) vos goûts en matière de western, La reine de la prairie pourra être un enchantement ou au contraire, pour ceux qui ne jurent que par les westerns dits 'crépusculaires' ou disons plus réalistes ou modernes, un véritable calvaire à force de naïveté. En revanche, si vous avez gardé votre âme d'enfant, c'est quasiment gagné d'avance : le spectacle pourrait vous ravir comme il l'a fait pour moi cette semaine malgré ses défauts évidents, notamment son scénario.

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1954, année faste pour Allan Dwan ! Après Tornade sorti quelques semaines plus tôt, Allan Dwan propose encore aux spectateurs de l'époque La Reine de la prairie. On quitte ici les paysages souvent arides de Californie, et ses terres rouge et ocre, pour les plaines calmes et verdoyantes du Montana avec ses magnifiques forêts de bouleaux constamment balayées par les vents (rarement la manière de filmer la nature ne nous aura laissé une telle impression de plénitude). La palette de John Alton change de ce fait radicalement de ton tout en demeurant plastiquement toujours aussi remarquable, et ce dès les premières images montrant Barbara Stanwyck arriver dans ces plaines idylliques et reposantes ; elle dont on apprend qu’elle vient du Texas aux sites beaucoup plus secs et rugueux. On devine aisément le contraste et l'on se met comme son personnage à admirer la sereine beauté de ces perspectives splendides. Excepté dans les westerns de Delmer Daves, d'Anthony Mann, George Sherman ou de John Ford, on aura rarement autant contemplé des panoramas de l’Ouest américain avec un tel ravissement tellement ces extérieurs tournés dans le Glacier National Park sont somptueusement filmés et photographiés (malgré quelques hideuses transparences de studio qui viennent de temps en temps gâcher cette belle harmonie) ! Déjà rien que pour son aspect plastique, ce western d’Allan Dwan mérite d’être vu car sur le plan du scénario, en revanche, ça "pêche" certes un peu.

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Sierra Nevada Jones (Barbara Stanwyck) arrive enfin avec son père et leur troupeau d’un millier de têtes dans le Montana où ils souhaitent désormais s’installer. Mais ils sont attaqués le soir même par un groupe d’Indiens qui massacrent les cow-boys et font fuir les bovins. Quasi seule survivante après que son père se soit fait lui aussi tué, Sierra Nevada est emmenée et soignée par la tribu des Indiens Blackfoot dont font pourtant partie ses agresseurs. En fait, Colorados (Lance Fuller), le fils du chef, les a recueillis ne sachant rien des exactions de Natchakoa (Anthony Caruso) qui s’est acoquiné avec McCord (Gene Evans), un Rancher local souhaitant rester seul propriétaire de la vallée. Contre des armes et du whisky qu’il leur fournit en cachette, les vils Indiens doivent chasser tous les nouveaux venus. Peu découragée par ces évènements dramatiques, Sierra Nevada décide néanmoins de repartir à zéro. Mais McCord décide de s’en débarrasser, d’autant plus qu’elle pourrait avoir été témoin de son arrangement peu catholique avec Natchakoa. Pour cela, il charge Farrell (Ronald Reagan), qu’il vient d’embaucher comme garde du corps, d’assassiner la jeune femme entêtée. Ce que McCord ignore, c’est que le Gunfighter est en réalité un officier de l’armée américaine chargé d’infiltrer son "gang’" pour faire cesser le trafic d’armes, les Tuniques Bleues ayant de fortes présomptions sur le fait qu’il en soit l’instigateur. Sierra Nevada va avoir fort à faire, prise en étau entre des tentatives de meurtre sur sa personne et le déclenchement d’une guerre indienne qui semble plus proche que jamais…

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Alors certes, ça remue beaucoup, les coups de théâtre et les séquences d’action sont légion mais, comme pour Tornade, le scénario manque de profondeur et de chair et les personnages d’âme. Avec son rythme trépidant (rares sont les scènes dépassant les 30 secondes), sa naïveté désarmante et son imagerie candide, La Reine de la prairie rappelle d’ailleurs beaucoup les serials de l’époque du muet, et pouvait sans doute se révéler sacrément anachronique au milieu des années 50 alors que le genre plongeait dans le 'sur-western' avec un regain de sérieux cherchant à le légitimer et une psychologie assez poussée. Mais justement, le film de Dwan a pu aussi apporter une sacrée bouffée d’air frais à ceux qui n’appréciaient guère ce tournant un peu solennel ou bifurquant parfois vers l'ironie dont le film de Dwan est d'ailleurs totalement dépourvu. Cependant personne ne doit être dupe, l’ingénuité de ce film est voulue et assumée ; comment un cinéaste ayant tourné peu de temps avant des chefs-d’œuvre aussi noirs que Iwo Jima ou Silver Lode aurait pu à ce point changer de ton sans en être conscient ? Malgré tout, Allan Dwan décide de filmer Cattle Queen of Montana au premier degré, retrouvant l’élan et l’innocence de ses premiers films. Ses personnages ont des noms de serials (Colorados, Pop, Sierra Nevada), les situations rocambolesques se révèlent souvent invraisemblables, les raccourcis narratifs ne font pas forcément preuve d’un sens aiguisé de l’ellipse mais ne servent qu’à faire avancer l’action plus vite, et la psychologie des personnages s’avère très sommaire. Bref, ceux qui désirent se retrouver devant un western adulte doivent être prévenus que cela ne sera pas le cas, l’honorable antiracisme du film étant lui aussi très schématique et loin d’être aussi subtil que dans les grands westerns pro-indiens de la décennie. Mais qu’importe puisque ce que recherche Dwan ici est le divertissement avant tout, sans vraiment tenter de faire passer un quelconque message !

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Par ailleurs, cette innocence dans le ton est tout de même ponctuée par quelques rudes éclairs de violence, dynamitée par une efficacité et une nervosité qui viennent constamment relancer l’intrigue et insuffler un réel souffle au film. On y trouve des personnages attachants dont celui, intrigant et ambigu de prime abord, interprété par un Ronald Reagan vraiment très à l’aise dans son rôle. Aux côtés de cet acteur un peu sous-estimé (il était parfait dans Kings Row, le chef-d’œuvre de Sam Wood, dans les films de série B qu'il tourna pour la Universal et il sera remarquable dans le western suivant de Dwan), une Barbara Stanwyck charismatique à qui l’on octroie le premier rôle et qui, après The Furies d’Anthony Mann, continue de construire son personnage de forte tête féminine déterminée et tenace, et qui prépare le terrain pour ses futurs protagonistes westerniens dont ceux de Quarante Tueurs (Forty Guns) de Samuel Fuller jusqu’à celui de Victoria Barkley dans la série télévisée The Big Valley. Lance Fuller est très peu crédible en Indien au contraire d’Anthony Caruso en peau-rouge renégat ; cependant les deux comédiens semblent s'être pris au jeu nous faisant oublier ce grimage qui pourra faire sourire. Le reste du casting est constitué de vétérans du genre comme Myron Healy, Jack Elam, Morris Ankrum et surtout un excellent Chubby Johnson.

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Comme je prévenais donc en préambule, selon l’état d’esprit dans lequel on se trouve et le degré d’affinité que l’on a pour le western, on pourra donc grandement ou non apprécier ce beau livre d’images qui se déroule à 100 à l’heure mais qui manque de subtilité et d’originalité. Ceux qui ne sont au départ guère attachés au genre risquent fort de s’ennuyer à la vision de ce western d’Allan Dwan, contrairement à celle de Silver Lode. Pourtant, au vu de l’avis de Jacques Lourcelles dans son remarquable dictionnaire du cinéma, on pourrait en douter ; malgré le fait de ne pas être entièrement d’accord avec sa dithyrambe qui ne va pas sans certaines exagérations (mais quelle passion n’en entraîne pas systématiquement ?), quitte est d’avouer que sa fougue et son amour pour le film donnent farouchement envie de le découvrir ou redécouvrir, de le réévaluer ou simplement de lui donner une seconde chance ; en ce qui me concerne, c'est ce qui vient de m'arriver : « Cattle Queen of Montana représente la quintessence du cinéma hollywoodien. Il engendre une sorte de ravissement, né en particulier de l’aisance avec laquelle le réalisateur réussit, avec un budget limité et en respectant les règles d’un genre assez strict, à s’exprimer de la manière la plus personnelle qui soit […] Les plans d’extérieurs précédant l’attaque indienne sont parmi les plus beaux qu’un cinéaste américain n’ait jamais filmés en couleurs[…] Un cinéma aussi abouti, qui puise sa substance dans les seules péripéties de l’action et dans la contemplation du monde, qui n’a nul besoin des facilités du 'discours' pour se faire entendre, semble aujourd’hui appartenir à un âge d’or totalement révolu. »

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Il m’a fallu quelques visions pour pleinement apprécier Cattle Queen of Montana qui me semble néanmoins rester en-deçà d'autres films de la série de westerns produits par Benedict Bogeaus. Mais rien que pour son fabuleux sens du cadre, sa réelle beauté plastique (malgré toutes les scènes nocturnes tournées en nuit américaine), ce plan en plongée du haut de la colline avec les personnages à contre-jour en premier plan ou celui qui clôture le film avec Barbara Stanwyck qui prend le bras des deux hommes qui l’aiment, il mérite de rester gravé dans nos mémoires. Rarement les paysages verdoyants du Montana, ses montagnes majestueuses, ses cours d'eau sereins ne nous auront paru aussi amoureusement filmés et photographiés ! Et rien que pour ce dépaysement rafraichissant, le voyage aura été un véritable plaisir !
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Track of the Cat

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Track of the Cat (1954) de William Wellman
BATJAC


Avec Robert Mitchum, Teresa Wright, Diana Lynn, Tab Hunter, Phillip Tonge, Beulah Bondi
Scénario : A.I. Bezzerides d’après un roman de Walter Von Tilburg Clark
Musique : Roy Webb
Photographie : William H. Clothier (Warnercolor 2.55)
Un film produit par Robert Fellows & John Wayne pour la Batjac


Sortie USA : 27 novembre 1954

En cette fin d’année 1954, avec Track of the Cat, William Wellman nous livre son ultime western. Il ne tournera après ça plus que quatre autres films, terminant sa carrière par Lafayette Escadrille, film de guerre semi-autobiographique avec comme acteur principal, Tab Hunter, déjà présent ici dans le rôle du frère cadet de Robert Mitchum. Avant de quitter ce très grand réalisateur hollywoodien, revenons rapidement sur son cursus dans le genre, l’un des plus passionnants qu’il nous ait été donné de voir jusqu’à présent. Un superbe palmarès d’où se distinguèrent trois immenses chefs-d’œuvre réalisés dans un laps de temps d’à peine trois années : La Ville abandonnée (Yellow Sky), Au-delà du Missouri (Across the Wide Missouri) et Convoi de femmes (Westward the Women). Trois films aussi différents qu’admirables, ayant pour autre point commun une perfection plastique de tous les instants, confirmant le talent d’esthète de Wellman, un esthète souvent austère (façon Dreyer) et non clinquant. Avant ça, il avait commencé en 1943 par le puissant L’Etrange incident (The Ox-Bow Incident), pamphlet impitoyable contre le lynchage, se distinguant déjà par une sobriété exemplaire et une belle et rigoureuse recherche esthétique. Si son Buffalo Bill était un peu décevant, il n’en était pas déshonorant pour autant, lui aussi un véritable régal pour les yeux. Il en est d’ailleurs de même pour Track of the Cat, probablement son film le plus stylisé. Œuvre unique et étrange, elle est dans l’ensemble l’une de plus mal-aimées de sa filmographie au point de n’être jamais sortie en salles en France. Sans évidemment atteindre les sommets des westerns précités, Track of the Cat mérite néanmoins qu’on s’y arrête.

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Fin du 19ème siècle en Californie dans un ranch détenu par la famille Bridges, perdu au milieu des montagnes enneigées. Le vieil indien Joe Sam, homme de main de la famille, alerte les frères Bridges qu’avec l’arrivée des premières neiges, 'la panthère noire' est très probablement revenue pour décimer le bétail. Art (William Hopper) et Curt (Robert Mitchum) se préparent à aller traquer la bête malfaisante. Avant de partir, toute la famille se réunit pour le petit déjeuner ; c’est à cette occasion que l’on fait la connaissance de ses membres et que l’on s’aperçoit des tensions qui règnent entre eux, tous plus ou moins tyrannisés par leur mère (Beulah Bondi) et le fils qui a sa préférence, monstre de cruauté et d’égoïsme, Curt. Le patriarche (Philip Tonge) a préféré s’adonner à la boisson pour oublier cette ambiance délétère ; Grace (Teresa Wright), toujours vieille fille, retrouve un peu de joie de vivre par le fait de côtoyer Gwendolyn (Diana Lynn), voisine et petite amie de Hal (Tab Hunter), son frère cadet. Pourtant, il n’est pas question pour la matrone que les deux jeunes gens pensent au mariage d’autant qu’elle avait dans l’idée de la faire épouser par Curt. Ce dernier prend un plaisir pervers à humilier Gwendolyn devant Hal tandis que son père n’hésite pas à lui jeter des regards concupiscents. C’en est trop pour Gwen qui demande à Hal de choisir entre elle et sa famille ; sa sœur Grace le pousse elle aussi à s’émanciper. Quoiqu’il en soit, tandis qu’au ranch l’ambiance est plus que tendue, les deux frères sortent rendre visite à leur troupeau ; effectivement, comme le pressentait l’indien, les bêtes ont été massacrées par un félin géant qui s’en prend bientôt à Hal qui, attaqué par surprise, succombe à son tour. Curt poursuit seul la piste du ‘monstre’…

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Contrairement à ce que l’on pourrait penser au vu de l’histoire, il ne faut pas s’attendre ici à un ample film d’aventure en plein air, la traque de la bête sauvage n’étant pas ce qui occupe la plus grande place dans le cours de l’intrigue, plutôt recentrée sur le psychodrame familial théâtralisé qui se déroule au sein d’un ranch isolé en pleine nature ‘de studio’. Mais attention, tout cela est voulu et nous y reviendrons après avoir évoqué brièvement la genèse du film. Dès 1949, après que Wellman eut fini de lire le nouveau roman de Walter Von Tilburg Clark (déjà auteur du livre à l’origine de son premier western, L’étrange incident) et en être tombé amoureux, il voulut immédiatement l’adapter au cinéma. Mais il se rendit bien vite compte qu’aucun producteur ne voudrait se lancer dans une telle aventure. Il persévéra, pris son mal en patience jusqu’à ce qu’une opportunité se présente cinq ans plus tard. L’énorme succès de Ecrit dans le ciel (The High and the Mighty), mélodrame pourtant bien médiocre ayant été nominé plusieurs fois aux Oscars y compris dans la catégorie ‘Meilleur réalisateur’, lui ouvrit les portes de son rêve. John Wayne, à la tête de la Batjac, lui donna carte blanche pour tourner ce qu’il voudrait et à sa manière, lui promettant que la Warner le distribuerait. Il ne s’attendait néanmoins pas à ce que Wellman tourne Track of the Cat de la sorte, véritable film expérimental pour l’époque. Wellman imposa en effet ses conditions : tourner en scope et dans un "glorious black and white-colour " ! Même si Wellman fut content de son travail et du résultat obtenu, le film reçut un accueil pour le moins mitigé, aussi bien de la part du public que des critiques et fut un échec commercial. Il devint ensuite un film culte pour sa rareté : comme pour la plupart des films du catalogue Batjac, les descendants de John Wayne le gardèrent sous clé pendant une longue période, sa première diffusion en France ayant eu lieu par le biais du cinéma de minuit de Patrick Brion.

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Le fameux ‘noir et blanc en couleurs’ s’avère être une idée audacieuse et un sacré tour de force ; le résultat est parfaitement convainquant dans sa recherche constante de l’anti-naturalisme. Avec son chef opérateur William Clothier, Wellman a décidé d’atténuer toutes les couleurs et d’en saturer quelques rares autres afin de faire ressortir ces dernières par contraste, avec entre autres buts recherchés le symbolisme (rouge flamboyant de la veste d’un Curt machiste en diable ; rouge du feu allumé pour sauver Curt mais qui paradoxalement provoquera au contraire sa chute et sa mort) ou pour le suspense (le bleu des bouts d’allumettes lors de la séquence digne d’un Hitchcock au cours de laquelle Robert Mitchum n’en dispose plus que trois pour allumer son feu et ne pas mourir de froid). Pour le reste, pour en arriver à un intriguant monochromatisme, l’équipe technique a construit de magnifiques et sobres décors, a érigé quelques splendides toiles peintes et s’est même mis à colorier les feuilles des arbres en noir sur certains extérieurs ! Le tournage en studio a été expressément voulu pour tout ce qui concerne les alentours du domaine familial et le résultat est assez étonnant, dépouillé à l’extrême pour accentuer la théâtralité et cette impression de solitude, d’étouffement et de mesquinerie qui pollue l’atmosphère. Pour les séquences de la traque, Wellman utilise à merveille l'écran large en privilégiant de superbes extérieurs réels mais sans trop chercher à les magnifier (peu de longs panoramiques ni de grands plans d’ensemble) pour garder cette impression de claustrophobie et de menace ; les plans en studio lors de ces séquences sont parfaitement bien intégrés et ne dépareillent pas l’ensemble, n’enlevant rien à l’intensité dramatique que le cinéaste a réussi à instaurer. Le retour incessant de ce plan d’un même et inquiétant sommet montagneux (à la silhouette de tête de chat) fait le même effet qu’un leitmotiv dans le domaine musical et vient constamment ponctuer l’action, servant de transition entre les séquences au ranch et celles dans la neige. D’ailleurs l’excellente partition écrite par Roy Webb fait beaucoup penser à une symphonie ; quasiment omniprésente mais jamais envahissante, se mariant parfaitement bien aux images et à l’intrigue. Bref, du point de vue formel et plastique, la réussite est difficilement contestable.

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On pourra en revanche trouver à redire sur le fond ; Pascal Pernod dans le Positif N°377 parlait d’une "expérience limite et non exempte d'insuffisances". Il faut dire que, dans son enthousiasme à tourner son film, William Wellman n’aurait parait-il pas laissé son scénariste revenir sur la première mouture de son travail d’écriture alors même qu’il n’en n’était pas pleinement satisfait. Ce qui fait de ce mélange assez iconoclaste et unique de western, film d'aventure, théâtre et psychodrame, le tout à la lisière du fantastique, une œuvre parfois boursouflée, verbeuse et statique manquant un peu de subtilité ; mais c’est aussi ce qui fait le charme de cet étrange OVNI. L’aspect fortement théâtral du film (tout se déroule en quelques jours dans deux lieux uniques avec à peine une dizaine de personnages) est tellement présent qu’il s’agit probablement du seul western a avoir été ensuite joué sur une scène ! Sorte de mixture improbable entre Eugène O’Neill et Tennessee Williams, Jacques Tourneur (pour le fait de jouer sur la peur de ce qu’on ne voit jamais) et Dreyer (pour son austère rigorisme), Track of the Cat raconte surtout les relations délétères qui se tissent entre les membres d’une même famille recluse dans un lieu clos : "Un ranch familial perdu au milieu des étendues neigeuses de Californie est menacé à la fois par des conflits internes et un dangereux prédateur…". Au sein de ce drame familial, on y parle d’amour contrarié, de tentative d’émancipation, d’alcoolisme, de jalousies, de mesquineries, de puritanisme… Le New-York Times parlait meme de "Western with Greek overtones". L'obsession de la bête (quasi surnaturelle comme le croit farouchement le vieil indien fantomatique qui disparait et réapparait sans que l’on s’y attende, un peu comme le shérif interprété par Harry Carey dans L’Ange et le mauvais garçon de James Edward Grant) joue un peu le rôle de catalyseur des haines et rancœurs qui existent dans le cœur de la plupart des membres de cette famille un peu stérile, privée d’amour, de liens et d’attention. Dès que la traque au chat sauvage est lancée, tout le monde étant sous pression, les problèmes ressurgissent avec violence et cruauté. Dans cette description sans concession, presque personne n’est épargné et surtout pas la mère qui est à l’origine de cette ambiance délétère.

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Formidable Beulah Bondi qui se délecte à priori d’avoir eu à jouer ce personnage hautement déplaisant, une manipulatrice qui ne demande qu’à ce qu’on l’écoute et lui obéisse ; pour échapper à son entreprise tyrannique, son mari se sentant dans cette propriété "comme un poisson hors de l’eau" a préféré sombrer dans l’alcoolisme d’où le fait de le voir chercher tout au long du film les bouteilles de whisky qu’il cache dans tous les recoins de la maison ; touches humoristiques assez bienvenues au sein de cette atmosphère d’une forte âpreté. Dans la peau de ce patriarche sans autorité, il faut avoir vu le très bon Philip Tonge en haut de l’escalier se mettre à chanter des chants religieux à tue-tête comme s’il s’agissait de chansons à boire. Les trois fils, ce sont Curt (Robert Mitchum, impérial en beau salaud machiste et égoïste), le véritable chef de famille désigné et protégé par sa mère, se plaisant à humilier ses autres frères et sœur dès qu’il en a la moindre occasion ; Arthur (William Hopper), c’est tout le contraire, un homme doux et bon, poète à ses heures, qui ne souhaite pas intervenir ni se mêler des conflits mais qui malheureusement en fera les frais ; quand au cadet, Tab Hunter lui prête sa silhouette de beau gosse et pourtant son personnage reste assez effacé, manquant singulièrement de charisme. Sa sœur restée vieille fille sans l’avoir voulu (superbe Teresa Wright, comme à son habitude) le pousse à s’émanciper, à fuir sa famille en prenant pour épouse la jolie Gwen avec qui elle s’entend à merveille. On parle parfois d’interprétation d’ensemble assez fade ou statique concernant surtout Tab Hunter mais son personnage requérait un tel jeu d’acteur. Il s’avère donc au contraire très bon, très sobre, tout comme la comédienne qui joue sa fiancée, superbe Diana Lynn chez qui tout passe par le regard. Tous deux forment un couple qui offre au film quelques respirations romantiques assez convaincantes ; leurs gestes tendres et la séquence au cours de laquelle ils vont faire l’amour pour la première fois sont assez touchants.

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Reste un dernier protagoniste, celui assez symbolique de l’indien, représentant en fait, non sans quelques lourdeurs, l’histoire de son peuple et son anéantissement. Un homme qui aurait vécu les guerres indiennes, ayant vu sa famille décimée d'une part par les américains, de l'autre par la panthère, croyant dur comme fer depuis ce temps que le félin géant n’est autre que l’esprit du mal venu pour se venger des atrocités commises par les blancs envers la nation indienne. Personnage fantomatique et mystérieux tout comme l’est la bête traquée du titre que l’on ne verra jamais, ce que regrettera d’ailleurs William Wellman, seule chose sur laquelle il n’aurait pas eu gain de cause. Un western psychologique lorgnant vers le mélodrame métaphysique poisseux et vénéneux mais non dénué d’onirisme (les toiles peintes). Il pourra probablement en ennuyer certains mais surement en fasciner d’autres, notamment ceux pour qui la forme importe beaucoup. En effet, en plus de sa plastique épurée inhabituelle, Track of the Cat leur offrira d’autres éléments susceptibles de les réjouir : plans insolites, montage ‘symphonique’ audacieux, utilisation efficace de la musique ou des plages de silence… S’il ne s’agit pas loin de là du meilleur film de Wellman, il n’en demeure pas moins un envoutant et oppressant exercice de style se jouant du naturalisme avec une certaine jubilation !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par ballantrae »

Entièrement d'accord avec toi sur toutes les qualités de Track of the cat: quel film singulier et plastiquement impressionnant! On pourrait se trouver dans un univers à la Jack London ( je n'ai jamais d'adaptation qui tienne la route...et pourtant quel écrivain!) et au final, nous ne sommes pas très éloignés du Dreyer d'Ordet pour ce qui est du fonctionnement en vase clos d'une communauté.Neige oblige, je pense beaucoup au génial Day of the outlaw d'André de Toth qui lui aussi réussit un tour de force chromatique et trace des plans d'une beauté graphique sidérante.
Par contre, je le tiens pour un grand film certes différent des westerns pré cités ( oxbow incident, Yellow sky, Au delà du Missouri,westward the women: quelle enfilade de chefs d'oeuvre!!!), moins évidemment génial mais brillant de la singularité totalement visionnaire que peuvent avoir certains cinéastes en fin de carrière: les ruptures de ton,le rapport au langage, la beauté ostentatoire des plans me font penser à Wind accross the everglades de Ray.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

ballantrae a écrit : les ruptures de ton,le rapport au langage, la beauté ostentatoire des plans me font penser à Wind accross the everglades de Ray.
Tiens, ça me donne une idée de visionnage pour la semaine prochaine ; pas revu depuis plus de 20 ans :wink:
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Re: Track of the Cat

Message par pak »

Jeremy Fox a écrit :Œuvre unique et étrange, elle est dans l’ensemble l’une de plus mal-aimées de sa filmographie au point de n’être jamais sortie en salles en France. Sans évidemment atteindre les sommets des westerns précités, Track of the Cat mérite néanmoins qu’on s’y arrête.
Un film que je ne connaissais pas du tout avant de le voir débouler en DVD en 2007 chez nous. Le film a été réédité dans la collection "Mes meilleures séances" d'Eddy Mitchell, est-ce à dire qu'il a été diffusé dans son émission "La dernière séance", auquel cas je l'aurai peut-être vu gamin, mais je n'en ai aucun souvenir... ?
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Re: Track of the Cat

Message par Jeremy Fox »

pak a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Œuvre unique et étrange, elle est dans l’ensemble l’une de plus mal-aimées de sa filmographie au point de n’être jamais sortie en salles en France. Sans évidemment atteindre les sommets des westerns précités, Track of the Cat mérite néanmoins qu’on s’y arrête.
Un film que je ne connaissais pas du tout avant de le voir débouler en DVD en 2007 chez nous. Le film a été réédité dans la collection "Mes meilleures séances" d'Eddy Mitchell, est-ce à dire qu'il a été diffusé dans son émission "La dernière séance", auquel cas je l'aurai peut-être vu gamin, mais je n'en ai aucun souvenir... ?
Non jamais diffusé à la dernière séance comme la plupart des films de cette collection d'ailleurs
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par ballantrae »

Je confirme.La première fois où j'ai entendu parler de ce film, ce fut dans un texte plutôt élogieux de Positif et , l'ayant guetté sur Canalsat, je n'ai l'admirer avant l'édition DVD susdite.
Préciptez-vous: c'est une perle pour tout amateur de western , pour tout admirateur de Wellman, pour tout cinéphile en fait!!!
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

ballantrae a écrit :Je confirme.La première fois où j'ai entendu parler de ce film, ce fut dans un texte plutôt élogieux de Positif et , l'ayant guetté sur Canalsat, je n'ai l'admirer avant l'édition DVD susdite.
Préciptez-vous: c'est une perle pour tout amateur de western , pour tout admirateur de Wellman, pour tout cinéphile en fait!!!

Attention, sur westernmovie par exemple, une majorité n'apprécie pas du tout le film ; donc à prendre avec des pincettes :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par ballantrae »

Désolé pour mes fautes précédentes: je suis un peu crevé!
A Jérémy: excellente idée que le revisionnage de wind accross the Everglades mais surtout vois le dans la belle édition wild side et jette un oeil sur le livret sacrément passionnant.
Dans mon imaginaire westernien, les films qui captent l'essence de la sauvage beauté de l'oeuvre de Jack London ne sont pas nombreux: Track of the cat, Jeremiah Johnson et Man in the wilderness de Sarafian.Je n'ai pas vu le Wellman L'appel de la forêt avec Clark Gable...
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Jeremy Fox
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Destry

Message par Jeremy Fox »

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Le Nettoyeur (Destry, 1954) de George Marshall
UNIVERSAL


Avec Audie Murphy, Mari Blanchard, Thomas Mitchell, Edgar Buchanan, Lyle Bettger, Lori Nelson, Wallace Ford, Alan Hale Jr
Scénario : Edmund H. North & D.D. Beauchamp
Musique : Joseph Gersenshon
Photographie : George Robinson (Techicolor 1.85)
Un film produit par Stanley Rubin pour la Universal


Sortie USA : 01 décembre 1954

Dans l’histoire du cinéma hollywoodien, peu de cinéastes ont fait un remake de leur propre film. Pour ne citer que les plus célèbres, il y eut quand même Raoul Walsh qui par deux fois a converti l’intrigue d’un de ses films pour la transposer dans un autre univers ; ainsi le film noir High Sierra (La grande évasion) fut transposé en western avec La fille du désert (Colorado Territory) de même que son film de guerre Aventures en Birmanie (Objective Burma), transposé à nouveau en western avec Les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums). D’autres comme Leo McCarey firent des remakes plus proches de l’original avec pour exemple ses deux versions de Elle et lui. George Marshall fait ici de même, reprenant parfois presque plan par plan son célèbre Destry Rides Again (Femme ou démon) datant de 1939 et qui avait pour acteurs principaux James Stewart et Marlene Dietrich. Tache ardue que de leur succéder et pourtant, sans néanmoins atteindre leur niveau, Audie Murphy et Mari Blanchard s’en tirent plus qu’honorablement. L’interprétation de ce duo de comédiens est d’ailleurs la qualité principale de ce western humoristique pas désagréable mais loin de valoir son prédécesseur.

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Dans une petite ville du Far-West sous la coupe du propriétaire du saloon, Phil Decker (Lyle Bettger), le shérif de la ville meurt dans d’étranges circonstances. Le maire (Edgar Buchanan) ne perd pas de temps et nomme un nouvel homme de loi en la personne de l’alcoolique de service, Reginald T. ‘Rags’ Barnaby (Thomas Mitchell), misant sur son inefficacité notoire pour pouvoir continuer tranquillement aux côtés de Decker à contrôler la ville. Mais Rags décide de prendre sa nouvelle fonction très au sérieux en commençant par arrêter de boire. Il demande à ce que Tom Destry (Audie Murphy), le fils d’un légendaire et impitoyable Marshall de qui il fut l’assistant, vienne l’épauler dans la première tache qu'il s'est fixé et qui va s’avérer difficile : enquêter sur le décès de son prédecesseur. Quoiqu’il en soit, quand Destry fait son entrée en ville, les ‘tyrans’ sont soulagés de le voir descendre de la diligence avec une ombrelle et une cage à oiseaux dans chaque main ; de plus, loin d’avoir la prestance de son père, Destry ne boit que du lait et ne porte jamais d’armes, croyant avant tout en la loi et la justice (« I don't believe in gun ») : un véritable ‘pied tendre’ à priori inoffensif ! Etant l’objet de sarcasmes et de quolibets en tous genres sans s’en offusquer le moins du monde, il est déterminé à mener sa mission à bien sans coups de feu ni violence, tout au moins au départ, aidé en cela par la maîtresse de son pire ennemi, l’entraîneuse Brandy (Mari Blanchard)...

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Après Tom Mix en 1932 et James Stewart en 1939, c’est donc au tour d’Audie Murphy d’endosser la défroque du célèbre ‘Tenderfoot’ créé par Max Brand au sein de son plus fameux roman écrit en 1930. Connaissant sa réputation d’amateur d’armes à feu, il est déjà cocasse de voir le comédien interpréter ici un homme de loi les dénigrant. Un shérif procédurier qui va dans un premier temps se mettre à dos les honnêtes gens qui le prennent pour un couard par le fait de prendre fait et cause pour les notables. Mais heureusement, c’est justement ce pinaillage estimant que "la loi ne souffre aucune exception" qui fera que les ‘Bad Guys’ n’auront évidemment pas le dernier mot. Audie Murphy qui, bien que régulièrement critiqué, était néanmoins l’un des plus célèbres cow-boys des années 50, autant apprécié à l’époque que John Wayne ou Randolph Scott, les films dans lesquels il tournait ayant presque tous été de gros succès au box-office. Son visage poupin et sa modestie de jeu font ici merveille et correspondent parfaitement au rôle. Poli, courtois, à cheval sur les principes, adepte de la non-violence et gentleman cultivé, l’acteur n’a pas de mal à convaincre d’autant qu’au vu de son physique éternellement doux et jeune, on l’avait justement toujours imaginé comme ça dans la vie même s’il n’en était rien. Bref, une bonne interprétation de la part de l’acteur même s’il ne nous fera pas oublier James Stewart. Petite variante de manie entre les deux personnages ; si James Stewart maniait le canif pour tailler des bouts de bois, Audie Murphy s’amuse continuellement à faire des nœuds avec un petit bout de corde ; refusant de jouer avec les armes à feu, il fallait bien que les différents Destry s’occupent les mains.

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Ce petit détail pour nous remémorer qu’il existe un remake non-officiel au film de George Marshall, bien moins connu et pourtant beaucoup plus réussi, Frenchie de Louis King, sorti en 1951 avec Shelley Winters et Joel McCrea, ce dernier ayant le même hobby que le protagoniste interprété par James Stewart. Deux westerns avec beaucoup d’humour et une ambiance bon enfant (sans cependant que ça en fasse des comédies) ; l’un, celui de Louis King (tout comme la version Destry de 1939), bien plus amusant, plus rythmé, plus énergique et contenant bien plus de fantaisie. Le scénario de Le Nettoyeur ne comporte rien évidemment de bien révolutionnaire et surtout rien de très nouveau par rapport à celui de la précédente version. En revanche, toujours pour la Universal, cette cuvée 54 bénéficie de l’écran un peu plus large (1.85) et surtout du Technicolor, de très beaux costumes et décors (la chambre de Mari Blanchard et son papier peint cossu) ainsi que de chansons très entrainantes que l’actrice interprète avec une verve qui fait plaisir à voir et à entendre, notamment dans la séquence qui ouvre le film (‘Bang! Bang!’) et plus tard le temps d’un French Cancan endiablé (‘If You Can Can-Can’).

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La délicieuse et pulpeuse Mari Blanchard a d’ailleurs très probablement regardé la précédente version du film avec attention car on se prend à penser plusieurs fois dans le courant du film que ses mimiques ou gestes ressemblent étrangement à ceux de Marlene Dietrich : le mimétisme est parfois frappant. Nous nous trouvons donc devant une honnête interprétation de sa part dans la peau de la prostituée au grand cœur (sa mort est presque aussi touchante que celle de Marlene Dietrich dans la version 39) tout comme celle de Lyle Bettger, spécialisé depuis quelque temps dans les rôles des méchants de service, efficacement diabolique avec sa tête de beau gosse aux yeux bleus. Le reste de la distribution ne fait guère d’étincelles à commencer par un Edgar Buchanan qui n’arrête pas de tenir les mêmes rôles, la morne Lori Nelson et surtout Thomas Mitchell assez insupportable dans les séquences où il est imbibé par l’alcool ; on a connu le comédien souvent plus inspiré et en tout cas il ne nous fait pas oublier le Charles Winninger dans Destry Rides Again.

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Hormis une bonne interprétation des acteurs principaux et un technicolor qui continue à nous en mettre plein la vue, peu d’autres choses à se mettre sous la dent à l’exception de quelques ‘punchlines’ assez drôles et une fusillade finale dans la saloon assez efficace. Nous ne nous ennuyons pas mais nous ne sommes guère captivés non plus par ce western urbain plaisant mais bien conventionnel, la mise en scène de George Marshall ne tirant jamais le film vers le haut. Dans le style, on peut quand même plus fortement conseiller, toujours chez Universal (qui s’en est fait une sorte de spécialité), à un degré moindre The Gal who took the West de Frederick de Cordova mais surtout Frenchie de Louis King, déjà évoqué plus haut ! En tout cas, en cette année 1954, George Marshall aura décidé de ne pas prendre le western trop au sérieux puisque le millésime avait débuté avec le très curieux Les Jarretières rouges (Red Garters). Tout comme ce dernier, Destry est une série B distrayante à défaut d'être mémorable.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par someone1600 »

cet incroyable parcourt ce continu et est toujours aussi passionnant ! merveilleux boulot Jeremy !
pak
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Re: Cattle Queen of Montana

Message par pak »

Jeremy Fox a écrit :
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La Reine de la prairie (Cattle Queen of Montana, 1954) de Allan Dwan
RKO

Souvent les images de tes textes (en plus de ceux-ci) me donnent envie de voir les films cités, mais là non. Les photos que tu montres me coupent l'envie. Sais pas, ça sonne faux. Les indiens ont du bide, la tenue de Barbara Stanwyck semble venir de la garde robe du parc de la Mer de Sable, puis bon, y a Ronald...

Je crois que celui-là, vais le zapper...
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Le bide des indiens n'est pas un bon indicateur de la qualité d'un film sinon Comanche Station de Boetticher serait un navet :mrgreen:

Quant à Ronald Reagan, sa carrière de président lui a décidément fait un mal fou car, s'il ne fait évidemment pas partie des plus grands, il était loin d'être mauvais acteur ; dans les films de Dwan, il est même excellent.
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