Le Western américain : Parcours chronologique II 1950-1954

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Man in the Saddle

Message par Jeremy Fox »

Image

Le Cavalier de la Mort (Man in the Saddle, 1951) de André de Toth
COLUMBIA


Avec Randolph Scott, Joan Leslie, Ellen Drew, Alexander Knox, Richard Rober, John Russel
Scénario : Kenneth Gamet d’après une histoire d’Ernest Haycox
Musique : George Duning
Photographie : Charles Lawton Jr.
Une production Harry Joe Brown pour la Columbia


Sortie USA : 02 décembre 1951


N’ayant pas pu voir Ramrod avec Joel McCrea et Veronica Lake, le premier western du cinéaste datant de 1947 (mais celui-ci devrait être édité par Wild Side Video normalement en 2012), Le Cavalier de la mort est notre première rencontre avec le troisième réalisateur qui, avec Ray Enright et Budd Boetticher, fera le plus tourner Randolph Scott dans le genre qui nous intéresse ici. La série de six westerns qu’il réalisera avec l’acteur, si elle n’atteint pas (loin s’en faut) les cimes de la série des Boetticher, contient pas mal de très belles choses à commencer par cette première collaboration produite par Harry Joe Brown. De toute manière, ce n’est pas compliqué : les amateurs de série B ne risquent guère d’être déçu quand ils tomberont sur un western de Randolph Scott produit sous l’égide du studio Columbia. Il y avait eu Gunfighters de George Waggner, Coroner Creek de Ray Enright, The Nevadan de Gordon Douglas et Santa Fe d’Irving Pichel, tous quatre ne serait-ce que plaisant. Man in the Saddle est encore un cran au-dessus, sans cependant atteindre des sommets et jouant toujours dans la cour de la série B, encore faut-il le savoir pour ceux qui n’en sont pas fan.

Image
Le modeste Rancher Owen Merritt (Randolph Scott) n’est pas à la fête. Il vient d'être abandonné par la jolie mais pragmatique Laure Bidwell (Joan Leslie) qui le trouvait trop peu ambitieux. Ne voulant pas attendre que la fortune tombe du ciel, elle se jette dans les bras du "Cattle Baron" Will Isham (Alexander Knox) qui, lui, ne recule devant rien pour agrandir son domaine (« I've never owned half of anything. ») Elle l’épouse tout en lui avouant qu’il s’agit d’un mariage purement intéressé. Mécontent de ne pas être aimé et jaloux de son ex-rival, Will Isham va essayer de s’en débarrasser s'adjoignant à cet effet les services de l’inquiétant Fay Dutcher (Richard Rober). Owen était pourtant résigné à supporter le voisinage de ce 'despote' mais le jour où deux de ses hommes sont assassinés par des tueurs à gages au service d’Isham, il décide de ne plus se laisser faire et au contraire de riposter. Dans sa lutte, il obtiendra l’aide de la jeune Nan (Ellen Drew), amoureuse de lui mais elle-même assidûment poursuivie par un dangereux psychopathe faisant partie des hommes de main de Will Isham, l’inquiétant Hugh Clagg (John Russell)...

Image
Né en Hongrie en 1912, fils d’un officier des Hussards, André De Toth entre dans l’industrie cinématographique en 1931. Touche-à-tout, il sera tour à tour scénariste, monteur, acteur puis assistant réalisateur. En 1939, expatrié en Angleterre, on le voit au générique d’œuvres de Zoltan Korda telles que Le Voleur de Bagdad. Il gagne ensuite les USA où il débute en conduisant des camions avant d’être de nouveau engagé par un autre réfugié, le même Korda qui le place réalisateur de seconde équipe sur Le Livre de la jungle. Il devient cinéaste attitré dès l’année suivante se spécialisant dans les films de genre, aussi à l’aise dans l’aventure, les thrillers ou les films d’espionnage. Entre-temps, parmi ses plus belles réussites, il faut noter sa participation au scénario du magnifique La Cible humaine (The Gunfighter) d’Henry King pour lequel il manquera de peu l’Oscar. Répétons-le, surnommé ‘4ème borgne d’Hollywood’ (les trois autres étant John Ford, Raoul Walsh et Fritz Lang), De Toth a donc, dans le domaine du western (quantitativement le genre le plus représenté dans sa filmographie), succédé à Ray Enright et précédé Budd Boetticher dans l’illustration du mythe de l’acteur rigide au "visage de pierre", Randolph Scott.

Image
En trichant un peu avec petite vue sur l’avenir, on peut dire Le Cavalier de la mort est l’un des meilleurs parmi les six films que Randolph Scott tournera sous la direction d’André de Toth. Il contient déjà toutes les figures de style et les ‘thématiques’ que le cinéaste développera dans ses autres westerns. En tout cas, après Quand les Tambours s’arrêteront (Apache Drums) d’Hugo Fregonese, ce western prouvait à nouveau à ceux qui en auraient douté que la série B dans ce domaine pouvait être esthétiquement et sylistiquement très 'chiadée' !! Il faut voir l’utilisation qui est faite des ombres, des sources de lumière et de la couleur, Charles Lawton Jr s’amusant à éclairer des séquences sombres (et elles sont légions dans le courant du film dont quasiment la moitié se déroule de nuit) par des tâches de couleur justement : les roues jaunes de la carriole d’Alexander Knox lors de la première séquence, toujours le jaune des lampes dans le clair-obscur des bureaux ou des chambres, encore le jaune en premier plan d’une bouteille en verre qui va se faire ‘éclater’ deux secondes après, le vert des tables de jeux dans la pénombre du saloon… Ce jeu sur les ombres et les couleurs, cette stylisation inhabituelle dans un western atteindra son sommet lors du gunfight dans l’obscurité puis, bien avant Yojimbo, lors du duel final se déroulant (sans aucune intervention de la musique) au milieu d'une tempête de vent et de poussière. Plastiquement, le style de la photo et de la mise en scène s’apparente dans l’ensemble assez à expressionnisme ; il en va de même lorsque De Toth filme de longues chevauchées nocturnes à contre-jour (à l’aide de nuits américaines ici parfaitement bien utilisées).

Image
Hormis ses belles idées de mise en scène, Man in the Saddle bénéficie d’une histoire assez prenante. En provenance directe du film noir, un certain fatalisme règne sur ce film ; Owen Merritt cherche à fuir un passé qui ne cesse de le poursuivre. Owen ayant été quittée par la femme qu’il aimait par dessus tout l’a pourtant toujours constamment sous les yeux, cette dernière se retrouvant être sa voisine ; et il faut que son époux soit son pire ennemi. Au début, Owen est résigné, ne sachant pas quoi faire, dans quel camp se situer, se laissant même aller à boire pour oublier ses peines de cœur. Que ses amis se fassent tuer devant lui ne le fait réagir, pas bouger le petit doigt pour se révolter et réagir comme un ‘héros’ qu’il serait censé être, série B et Randolph Scott obligent ! Il faudra des pertes humaines plus proches ou répétées un peu trop souvent pour qu’il commence à retrousser ses manches. Randolph Scott interprète au départ un personnage plutôt ambigu, nous faisant souvent nous demander (tout au moins durant la première demi-heure) quelle est sa motivation. De Toth et son scénariste Kenneth Gamet aiment donc à brouiller les pistes mais tout cela devient plus limpide et manichéen une fois que leur valeureux héros a ouvert les yeux. Dès la séquence du Stampede, l’histoire, toujours bien écrite, devient alors plus convenue.

Image
Donc au final, malgré une certaine complexité, une intrigue riche en rebondissements et constamment dynamique (ce n’est pas pour rien qu’Owen Merritt lâche laconiquement cette phrase à un moment du film : « No Time to Talk »), rien de bien neuf ni de très original contrairement à ce qu’aurait pu nous faire croire le prologue. Hormis quelques surprises plutôt bienvenues et des coups de théâtres incessants, le scénario devient plus sage et traditionnel à mi parcours. L’histoire de Ernest Haycox (l’auteur de ‘Stagecoach’ qu’a adapté John Ford pour La Chevauchée Fantastique) fait néanmoins que l’on s’attarde sur les différents personnages, la plupart motivés par un code de l’honneur qu’ils se sont d’emblée définis, guidés ainsi par une certaine loyauté ; malgré la faible durée du film, nous avons donc le temps de nous y attacher car tous soigneusement écrits et interprétés y compris les deux rôles féminins. De l’action, il y en a à la pelle dans Le Cavalier de la mort (à noter surtout la bagarre démesurée à poings nus entre Randolph Scott et John Russell au bord des cascades ; bravo aux cascadeurs même si ces derniers ressemblent assez peu aux acteurs qu’ils doublent), les protagonistes nous sont proches car intéressants et psychologiquement bien fouillés, les relations qui les unissent ou désunissent assez fortes et, plastiquement parlant, nous l’avons déjà abordés, c’est tout à fait réussi d’autant plus que les paysages sont très variés (de la sécheresse rocailleuse de Lone Pine à de vastes étendues verdoyantes) et très photogéniques, filmés souvent à l’aide d'une succession de panoramiques à 180°, très élaborés, la figure de style préférée du cinéaste.

Image
Parmi les autres points positifs, rajoutons y la présence de Cameron Mitchell, des ‘punchlines’ parfois assez drôles, un bon score de George Duning et une très belle ballade chantée par l’un des chanteurs de Country les plus populaires de l’époque, Tennessee Ernie Ford que l’on peut même voir dans ses œuvres puisqu’en plus du générique, il la réinterprète lors d’une séquence de veillée de cow-boys autour d’un feu de camp. Dommage que certaines facilités viennent enrayer l’harmonie du ton presque mélodramatique des vingt premières minutes ; les scénaristes n’auraient jamais du y intégrer cet humour malvenu surtout confié au personnage du mexicain interprété par Alfonso Bedoya. Dommage aussi cette fin on ne peut plus abrupte. Mais bon, tout ceci n’est pas bien grave ; nous sommes bel et bien devant une série B comme on les aime avec un Randolph Scott dont on ne dira jamais assez qu’il fut l’incarnation parfaite du cow-boy 'classique' hollywoodien, ici encore une fois parfait.
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Lord Henry »

Comme je l'avais écrit ailleurs, la mise en scène utilise de nombreux effets qui feront florès dans les films en relief de la décennie: disposition d'accessoires saillants au tout premier plan, à plusieurs reprises les personnages tirent directement sur l'objectif de la caméra, etc..

Par ailleurs, le scénario contient de belles idées à l'abri des conventions, comme la fin où le personnage de Joan Leslie choisit d'honorer son engagement auprès d'Alexander Knox, et on comprend que pour celui-ci, cela comptait plus que ses ambitions terriennes.
Image
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Lord Henry a écrit :Comme je l'avais écrit ailleurs, la mise en scène utilise de nombreux effets qui feront florès dans les films en relief de la décennie: disposition d'accessoires saillants au tout premier plan, à plusieurs reprises les personnages tirent directement sur l'objectif de la caméra, etc..
Je l'ai remarqué tout en me disant que ce n'était pas fait exprès puisque les films en relief ne sont apparus que deux ans plus tard. A moins que De Toth ait voulu innover juste un peu tôt puisque c'est lui qui ensuite inaugurera quasiment le procédé et certains de ses westerns seront tournés pour le relief.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Lord Henry a écrit :
Par ailleurs, le scénario contient de belles idées à l'abri des conventions.
mais surtout ces 20 premières minutes qui laissaient augurer un très grand western loin des sentiers battus.

PS : c'est quoi ta signature ? ça m'intrigue assez je dois dire
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Distant Drums

Message par Jeremy Fox »

Image

Les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums, 1951) de Raoul Walsh
WARNER


Avec Gary Cooper, Mari Aldon, Richard Webb, Ray Teal, Arthur Hunnicutt, Robert Barrat
Scénario : Niven Busch & Martin Rackin
Musique : Max Steiner
Photographie : Sidney Hickox
Une production Milton Sperling pour la Warner


Sortie USA : 25 décembre 1951

Le jour de Noël de cette année 1951 sortait sur les écrans américains Distant Drums, mélange de western et de film d’aventures, première et unique collaboration entre deux des noms symbolisant le plus fortement l’aventure hollywoodienne, Raoul Walsh et Gary Cooper. Le succès fut au rendez-vous. Il faut dire qu’outre l’association de ces deux ‘stars’ du film spectaculaire, l’époque et le lieu évoqués dans le film étaient assez inhabituels dans le domaine du western (un 'Eastern' en l’occurrence) ; c’est la première fois que le genre abordait la guerre contre les Séminoles et le fait que l’action se déroule en Floride (et plus précisément dans les Everglades) annonçait une touche d’exotisme qui a probablement contribué à faire accourir le grand public. Historiquement, l’Espagne avait cédé le territoire de la Floride aux États-Unis seulement une vingtaine d’années avant que l’intrigue du film ne débute, en 1821 exactement ; déjà avant cette date, les précédents occupants avaient déjà eu maille à partir avec les Séminoles. Il y eut une accalmie avant que les indiens ne donnent du fil à retordre aux nouveaux ‘propriétaires’, les américains, dès 1835, la tribu refusant d’être déportée au-delà du Mississippi comme Andrew Jackson et le Congrès Américain le souhaitaient. Ce fut ce que l’on a appelé ‘la deuxième guerre Séminole’, le conflit contre les indiens qui fut le plus coûteux et le plus long de l’histoire des USA, une guerre de guérilla préfigurant un peu celle du Vietnam. Distant Drums commence alors que cette guerre indienne s’éternisait déjà depuis cinq ans.

Image
1840. Les Etats-Unis sont en guerre contre les Indiens Séminoles en Floride. Le Lieutenant de marine Richard Tufts (Richard Webb) est envoyé en mission par le général Zachary Scott (Robert Barrat). Il doit convaincre le Capitaine Quincy Wyatt (Gary Cooper) de l’aider à faire cesser la contrebande d’armes entre trafiquants blancs et indiens. Wyatt est un officier qui a rompu tout contact avec l’armée régulière depuis que son épouse, princesse de la tribu des Creek, s’est fait violenter et tuer par des soldats ; il s’est retiré avec son fils de six ans dans une île au milieu d’un lac situé aux frontières des marais des Everglades, territoire des Séminoles. Le plan que propose Wyatt est d’attaquer le fort Infanta où les Indiens se ravitaillent en armes auprès de contrebandiers. L’attaque a lieu de nuit et elle réussit pleinement avec l’aide de sa seule troupe d’une quarantaine d‘hommes. Ils font sauter l’arsenal, délivrent quelques prisonniers blancs capturés par les trafiquants d’armes, dont Judy Beckett (Mari Aldon). Seulement, sur le point d’être évacué comme prévu, ils sont surpris par les Séminoles sur la plage où ils attendaient leur embarcation. Wyatt décide de faire passer sa troupe par les marais pour leur échapper ; avant de les atteindre, il incendie les fourrés dans lesquels ils allaient être rattrapés. Commence alors une longue poursuite de plus de 200 kilomètres au milieu des Everglades, zone fertile en dangers de toutes sortes dont serpents et crocodiles alors que les tambours lointains (Distant Drums) de l’ennemi ne cessent eux aussi de les talonner.

Image
Un autre western relatera un épisode de cette guerre indienne finalement assez peu connue quant on la compare à celles qui auront lieu dans le dernier quart du siècle, Seminole (L’Expédition de Fort King) de Budd Boetticher. Au vu de ces deux films, je n’ai pu que constater avec tristesse que la Floride n’avait pas du tout inspiré ces deux grands cinéastes. Ce n’est cependant pas, rassurez-vous, l’avis de tout le monde. Jugez plutôt !

« L’attaque du fort est un morceau d’anthologie du film d’action, non seulement par sa violence et sa rapidité, mais par la perfection de sa mise en place, le jeu survolté des figurants et la stylisation que favorise l’architecture […] L’aventure n’est plus picaresque, elle n’est que prétexte à une narration nette, mais sans sécheresse, constamment plastique jusque dans les fusillades, et qui se ménage des moments d’une surprenante poésie… » Gérard Legrand pour Positif N°455

« […] Distant Drums représente la quintessence du film d’aventures américain […] Le film combine les beautés de l’épure (du croquis d’architecture), de la peinture et de quelque chose qui est un mouvement constant de l’image et qu’il faut bien appeler le cinéma. » Jacques Lourcelles dans son dictionnaire du cinéma.

Au vu de ces deux extraits, j’ai vraiment l’impression de ne pas avoir vu le même film car il s’agit au contraire selon moi tout simplement d’un des moins bons films de Walsh (si je n'avais pas eu peur de froisser les afficionados du réalisateur, j'aurais même osé écrire 'un de ses plus mauvais'), au sein duquel je n’ai décelé aucune poésie pas plus que de morceaux d’anthologie du film d’action, aucune rapidité ni stylisation… Bref, pour acquiescer à ‘la quintessence du film d’aventures américain’, il ne faudra pas compter sur moi ! La même année, l’histoire d’un autre Capitaine narrée par le même Walsh aurait pu en revanche y prétendre , celle du Capitaine Horatio Hornblower dans Capitaine Sans Peur, film d’une toute autre envergure.

Image
Qu’on ne s’y trompe pas au vu de mes dernier avis sur les films de Walsh : j’aime beaucoup son cinéma ! Dans le domaine qui nous concerne ici, j’ai jusqu’à présent jubilé devant La Piste des Géants (The Big Trail), La Charge Fantastique (Theye Died with their Boots on) ou Cheyenne. Depuis, il est vrai, mon enthousiasme a un peu chuté et Les Aventures du Capitaine Wyatt (pourtant quel titre prometteur !) est mal tombé pour me faire remonter la pente. Car même si j’avais été relativement déçu par Pursued, Colorado Territory, Silver River ou Along the Great Divide, j’ai toujours pu me raccrocher soit à l’originalité de l’intrigue, à la beauté plastique de la mise en scène, à la force du personnage principal ou à l’intelligence du scénario. Ici, rien de tel ! Sur un schéma à peu près similaire (un groupe de soldats réussit à détruire un objectif mais se trouve devoir fuir l’ennemi dans un milieu hostile ; les japonais en lieu et place des Séminoles, la Birmanie en lieu et place de la Floride), Walsh avait réalisé un chef-d’œuvre constamment captivant, Objective Burma (Aventures en Birmanie). Ici, aucune rigueur dans un scénario mal agencé et un Raoul Walsh qui semble avoir été aux abonnés absents derrière sa caméra : aucun rythme, aucune vigueur, aucun sens plastique malgré les magnifiques décors naturels (peu vu qui plus est) mis à sa disposition. Et plutôt que pleinement profiter de ceux-ci, voilà qu’il balance à tout va des stock-shots ternis et des transparences hideuses. Le scénario de Niven Busch étant dépourvu d’originalité et totalement pitoyable quant à la description des seconds rôles qui se révèlent tous inconsistants et insipides au possible (même Arthur Hunnicut semble s’ennuyer comme ce n’est pas permis ; et je ne m’étendrais pas plus sur Mari Aldon, mauvais clone de Virginia Mayo), on ne partage ni leur peur, ni leur fatigue, ni leur tension ; aucune empathie ressentie pour les personnages, ce qui, dans le cas contraire aurait pu nous sortir d’une torpeur qui commençait à nous envahir dès la fin du prologue assez réussi par contre.

Image
Un peu à la manière de Heart of Darkness de Joseph Conrad, on commence par beaucoup entendre parler du fameux capitaine Wyatt puis on découvre ce ‘Kurtz pacifique’, paisiblement installé dans son île paradisiaque ; sa première apparition est assez marquante, le voyant jeter de la nourriture à des aigles qui descendent l’emporter entre leurs serres. Gary Cooper, charismatique comme jamais, est d’emblée le héros que l’on rêvait de voir avec nos yeux de grands enfants, droit, courageux, tendre, solitaire, laconique et formidable meneur d’hommes. Malheureusement, son personnage nous apparait lointain et inaccessible tout au long du film par la faute du scénariste qui ne l’a pas psychologiquement plus creusé que les autres, plus pantins qu’humains. Il faudra attendre le final pour que Wyatt acquiert cette humanité qui lui faisait défaut jusqu’ici au travers du dialogue avec Mari Aldon au cours duquel il fustige l’amertume, la rancune et la vengeance ; très beau moment que cette envie de paix et de sérénité tout comme le duel au couteau qui s’ensuit et qui se déroule sous l’eau au milieu du lac ; une séquence dotée d’une belle énergie, de celle que l’on aurait bien voulu ressentir auparavant ! Alors qu’on s’attendait à une bataille d’extermination, on se retrouve avec un homme, respectueux de ses adversaires et de leurs coutumes, préférant faire cesser les combats en se sacrifiant au travers de ce combat à mains nues. Beau final mais qui ne rattrape pas la longue heure et quart d’ennui qui a précédé. Walsh semble s’être endormi après le beau prologue non dénué de poésie (avec notamment des plans de pirogues voguant au gré de l’eau sur un beau thème musical qu’il me semble avoir été écrit, non pas par Max Steiner dont la partition est pourtant l’une des meilleures choses du film, mais par Alex North non crédité mais qui aurait travaillé dessus) pour ne se réveiller qu’en fin de parcours ; c’est vraiment dommageable d’autant qu’il y avait du potentiel à la clé.

Image
Et niveau action me direz-vous ? Et bien excepté la poursuite dans l’herbe haute et le duel final, pas grand-chose à se mettre sous la dent car l’attaque du fort m’a semblé passablement paresseuse, bâclée et sans vitalité ainsi que tout le reste bien trop inodore, fade et répétitif pour s'enthousiasmer dessus. La romance n’est absolument pas crédible (faute non seulement à l’actrice sans talent mais aux dialogues que certains ont osé comparer à du Lubitsch !). Quant au ridicule de certaines situations qui font passer les Séminoles pour des attardés, il n’arrange rien ; alors que les soldats sont sur le point d’arriver à destination et être tiré d’affaire, les Indiens arrivent sur leurs talons. Un des hommes décide de se sacrifier et pour cela lance aux Indiens un « Venez me chercher » retentissant ; sur quoi, tous les Séminoles, sans exception, partent sur les traces de l’homme seul, laissant le reste de l’escouade arriver tranquillement à bon port. Certes la vraisemblance n’est pas automatiquement recherchée mais en l’occurrence, cette idée incongrue vient finir de me rendre le film totalement raté. Un western qui se déroule dans des contrées encore inexplorée par le genre, une histoire qui aurait pu être captivante mais au final, hormis quelques images inédites comme le fort en pierre ou le cimetière Séminole, un film routinier, stéréotypé et ennuyeux. Si La Fille du Désert (Colorado Territory) pouvait encore prétendre rivaliser avec son original High Sierra (La Grande évasion), il n’en est malheureusement pas de même pour Objective Burma et son laborieux ‘remake’ westernien dont le tournage a probablement du être plus épique que le ressenti que l’on en a à sa vision !
someone1600
Euphémiste
Messages : 8853
Inscription : 14 avr. 05, 20:28
Localisation : Québec

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par someone1600 »

Et bien, je m'attendais a un bon petit film pour celui-la... pour l'instant tout ce que j'ai vu de Walsh, je l'ai adoré... mais la depuis quelques temps, tu ne sembles pas avoir apprécié ses derniers westerns... :?

J'avais manqué la derniere chronique avant celle-ci, qui me donne bien envie de découvrir le film. :wink:
Avatar de l’utilisateur
Sybille
Assistant opérateur
Messages : 2147
Inscription : 23 juin 05, 14:06

Re: Le Distant Drums

Message par Sybille »

Jeremy Fox a écrit :Les Aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums, 1951) de Raoul Walsh
WARNER


Quant au ridicule de certaines situations qui font passer les Séminoles pour des attardés, il n’arrange rien ; alors que les soldats sont sur le point d’arriver à destination et être tiré d’affaire, les Indiens arrivent sur leurs talons. Un des hommes décide de se sacrifier et pour cela lance aux Indiens un « Venez me chercher » retentissant ; sur quoi, tous les Séminoles, sans exception, partent sur les traces de l’homme seul, laissant le reste de l’escouade arriver tranquillement à bon port.
J'ai pensé la même chose en découvrant le film.
En général les Indiens ne sont pas si mal traités que ça dans les westerns (voire bien) mais ceux-là, j'avais vraiment l'impression d'avoir affaire à des dégénérés. :roll: C'en était presque choquant.

Effectivement dommage de ne pas avoir su profiter du cadre et de la période historique.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

Attention, ce n'est cependant pas un film raciste. C'est juste que le scénario m'a semblé complètement bâclé au point de laisser passer de telles scènes.
villag
Accessoiriste
Messages : 1944
Inscription : 24 févr. 08, 09:48
Localisation : la rochelle

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par villag »

Ce film est , en fait , un remake d' AVENTURES EN BIRMANIE, autre temps, autre lieu, et beaucoup moins bien reussi...;! un gag, quand même; les soldats, avançant peniblement, ne sont jamais rattrapés par les indiens qui, eux courent toujours....! A propos de Walsh, pour quand CAPTAIN HORBLOWER en bluray ?
F d F ( Fan de Ford )
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

villag a écrit :Ce film est , en fait , un remake d' AVENTURES EN BIRMANIE,

Ce n'est pas un remake avéré ; disons que son intrigue reprend le même genre de parcours et que sa construction est assez similaire. D'ailleurs les scénaristes de Objective Burma ne sont jamais cités.
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8963
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par feb »

Merci pour cette chronique Jeremy (même si le film ne semble pas casser la baraque) et vivement la prochaine chronique, hate de lire tes impressions :wink:
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99431
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Jeremy Fox »

feb a écrit :Merci pour cette chronique Jeremy (même si le film ne semble pas casser la baraque) et vivement la prochaine chronique, hate de lire tes impressions :wink:
Concernant Westward the Women, ce que je peux te dire d'avance c'est que si l'année 1950 aura été dans le domaine du western celle de Anthony Mann, c'est William Wellman qui, pour moi, aura été l'homme de 1951. :wink:
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8963
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par feb »

Vu comment tu as apprécié Across the wide Missouri, j'imagine qu'il en est de même pour Westward the Women :wink:
Avatar de l’utilisateur
Commissaire Juve
Charles Foster Kane
Messages : 24519
Inscription : 13 avr. 03, 13:27
Localisation : Aux trousses de Fantômas !
Contact :

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par Commissaire Juve »

Petit aparté... Hier soir, en parcourant Le cinéma français dans la guerre froide: 1946-1956, j'ai été surpris de voir que le cinéma américain et les westerns en particulier n'avait pas trop la cote en France pendant la période 1946-1956.

Après les années Vichy sans cinéma américain, il y a bien eu un moment de demande très forte, une sorte d'appel d'air ("ça, c'est du cinéma"), et puis, à partir de 1948, le études montrent un tassement et une certaine tendance à la préférence nationale, voire -- dans certains cas -- une certaine américanophobie (faut dire aussi que c'était la grande époque du Parti Communiste chez nous).

Si Hollywood parvenait à envoyer quelques "locomotives" ("Autant en emporte le vent" en 1950), il y avait beaucoup de déchet. 2/3 des films qui ne décollaient pas étaient américains : westerns de série, films comiques à la Abbott & Costello, les films de pirates et les films d'aventures exotiques. :o

En 1954, dans une enquête du CNC, les trois genres préférés des spectateurs français étaient :

- les films musicaux
- les films historiques
- les films comiques

et les trois genres les moins appréciés étaient :

- les westerns
- les films de guerre
- les films d'anticipation

A la question "Quels genres font de mauvais films ?", les trois premières réponses sont :

- les comédies militaires
- les comédies du genre Hellzapoppin
- les westerns

(suivis des "films d'horreur" !)

D'après l'auteur du bouquin, les films les plus répulsifs pour le public français du début des années 50 étaient : les westerns, les films dits "immoraux" (violence et érotisme filmés de façon complaisante), les films de guerre, les comédies à l'américaine, les films de gangsters. Et ce sont évidemment des genres où la production américaine dominait.

Je terminerai en disant que les deux "seuls" comédiens étrangers à figurer dans le top 20 des Français d'alors étaient : Gary Cooper (en 1947 et 1954) et Ingrid Bergman (en 1947 et 1954), les deux vers les 13e et 15e places. Et si je vous dis que le grand vainqueur de l'époque -- quels que soient les âges et les catégories socio-professionnelles -- était... Fernandel (sans rire), eh bien, mon cher Jeremy, il faut que tu commandes Ernest le rebelle et Dynamite Jack au plus vite ! :lol:

Image
Dernière modification par Commissaire Juve le 11 août 11, 13:29, modifié 1 fois.
La vie de l'Homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui...
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23863
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 2 (50

Message par cinephage »

Edifiant !
Un livre bien utile à brandir lorsqu'on s'entend dire que Dany Boon et Gad Elmaleh sont un fléau récent, alors qu'avant, on savait tellement mieux rire... :D

J'essaierai de mettre la main sur cet ouvrage.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Répondre