Le cinéma français des années 50

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Federico
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par Federico »

Murnaldien a écrit : Personnellement, je préfère le René Clair des dix premières années ("Entr'acte", "Sous les toits de Paris", "A nous la liberté"),même si certains trouvent ce cinéma suranné.
Ce qui est certain, c'est que Chaplin n'avait pas trouvé A nous la liberté suranné puisqu'il lui emprunta quelques mémorables séquences pour ses Temps modernes. :wink:
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par Federico »

Murnaldien a écrit :
Federico a écrit :
Ce qui est certain, c'est que Chaplin n'avait pas trouvé A nous la liberté suranné puisqu'il lui emprunta quelques mémorables séquences pour ses Temps modernes. :wink:
Je veux dire de nos jours (lire Jacques Lourcelles).
Oui, je l'avais bien compris dans ce sens mais ce que je voulais dire, c'est que si l'on prend toujours (beaucoup) de plaisir à revoir le film de Chaplin en 2010, alors celui de Clair peut lui aussi encore s'apprécier malgré l'usure du temps. Je pense que les ouvrières de l'usine Lejaby seraient assez d'accord :wink: .
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Le salaire de la peur (1951)

Message par pak »

2. Le salaire de la peur d'Henri-Georges Clouzot (1951) :

Avec Yves Montand, Charles Vanel, Folco Lulli, Peter Van Eyck, Véra Clouzot, William Tubbs, Dario Moreno, Antonio Centa, Darling Légitimus... Scénario d'Henri-Georges Clouzot et René Wheeler d'après le roman de Georges Arnaud (paru en 1950) – Musique de Georges Auric – Genre : aventure – Production franco-italienne – Sortie : 22/04/1953
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Mon avis :

Un incendie ravage un puits de pétrole. Pour l'éteindre, il faut convoyer sur une distance de 500 kilomètres de la nitroglycérine par camion sur des routes défoncées. Quatre aventuriers décident de tenter l'aventure...

Le film démarre avec un début similaire au sombre western La horde sauvage (Sam Peckinpah, 1969) : un enfant joue cruellement avec des insectes, image du destin se jouant des hommes malgré leur agitation. Le ton est donné, il sera gris et même noir.

Loin d'un exotisme de pacotille, Clouzot construit un récit sensé se passer en Amérique du Sud et se sert de ses décors pour approfondir sa vision pessimiste de l'Humanité. Le village de Las Pierdras est une sorte de purgatoire où errent âmes perdues, avilies, oubliées... Durant environ une heure, l'auteur prend du temps (nécessaire) pour présenter une faune particulière et cosmopolite, faite de crèves la faim, d'aventuriers, de losers, de menteurs, de voleurs... Comme une cour des miracles de paumés sans illusions au milieu de nulle part...

C'est l'un des films les plus désespérés de Clouzot, et tout dans le film souligne cet état d'esprit : du climat poisseux et surchauffé mettant les hommes dans un état d'énervement permanent, promptes à réagir violemment à la moindre provocation, au village écrasé de poussière et de pauvreté, en passant bien-sûr par la mission suicide pour laquelle pourtant, les volontaires affluent et sont prêts à tout, même à tuer, pour y avoir une place. Les élus aussi sont à l'image de la noirceur du film : l'un est un lâche qui s'ignore, l'autre une petite frappe cynique, le troisième est condamné à terme par la maladie, et le dernier semble être un ancien aristocrate au passé dramatique. Car on ne saura rien de leur vécu. On ne voit rien du parcours qui les a fait se rencontrer dans un bled paumé pour côtoyer une ultime fois la faucheuse. Même la prière n'apporte aucune consolation, à l'image de Linda (Véra Clouzot, incandescente) priant pour le salut de son homme avant de s'apercevoir qu'elle le fait aux pieds d'un pendu : comme signe du destin, on a vu plus encourageant...

Au milieu d'un casting assez réduit malgré les moyens mis en œuvre, on distingue Charles Vanel, très justement récompensé du prix d'interprétation au festival de Cannes de 1953 et qui verra sa carrière relancée, ainsi qu'Yves Montand, qui jusqu'alors n'avait pas convaincu malgré quelques rôles, et assoit ici définitivement sa crédibilité d'acteur. Les deux homme forment un duo ambigu, l'ainé jouant le caïd hautain revenu de tout, épatant par ses paroles (mensongères ? ) et ses gestes le plus jeune, petite frappe qui roule des mécaniques et teste sa virilité sur une malheureuse qui encaisse tout pourvu qu'elle soit avec lui. Là encore, on a vu plus glamour. La relation entre les deux hommes va évoluer à mesure que les dangers vont se présenter, et un subtil transfert de personnalités se produira, voyant le dominant devenir le dominé et inversement.

Une fois les personnages et les enjeux mis en place, le réalisateur ne se relâche pas et filme au plus près les protagonistes dans leurs poids-lourds, installant un suspense au cordeau, implacable, ponctué de situations fortes et de quelques plans magnifiques, comme celui dans la cabine d'un camion montrant Vanel blessé et effondré sur l'épaule de Montand épuisé. Poursuivant sa logique désespérée jusqu'au bout qui confine presque au masochisme, avec un verdict sans appel (à défier la mort, l'homme finit par mourir, héroïquement ou bêtement, mais il meurt... ), l'auteur signe une peinture peu reluisante de l'Humain via un film d'aventure, et livre ni plus ni moins l'un des meilleurs films français des années 1950.

Étoiles : * * * * . Note : 18/20.
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Autour du film :

1. Le film a reçu l'Ours d'Or à Berlin, le Grand prix (ancêtre de la Palme d'Or, appellation apparue en 1955) à Cannes et le prix Méliès en 1953, ainsi que le BAFTA du meilleur film en Angleterre en 1955.

2. Le rôle de Jo qui a valu le prix d'interprétation à Charles Vanel fut d'abord proposé à Jean Gabin qui refusa car goûtant peu la personnalité trouble et lâche du personnage.

3. Pour sa sortie américaine en février 1955, la première heure du film fut charcutée, les américains appréciant fort peu l'image que Clouzot leur avait donné, montrant clairement l'exploitation des hommes et des ressources par les compagnies pétrolières de l'Oncle Sam en Amérique du Sud. Sensé se dérouler en Amérique du Sud, le récit a en fait été entièrement tourné en France, en Camargue et dans le Gard entre autres.

4. On peut voir dans le film Darling Légitimus (1907-1999), qui a débuté aux côté de Joséphine Baker, et qui est la grand-mère du comédien Pascal Légitimus.

5. Le tournage fut mouvementé. Le Salaire de la peur était à l'époque l'un des films les plus chers du cinéma français. Mais en raison de problèmes météorologiques et des suspensions fréquentes du tournage, le budget initial sera très largement dépassé. Le tournage, débuté en août 1951, dut être stoppé dès le mois d'octobre, la comédienne Vera Clouzot étant tombé malade, le tournage reprenant de juin à septembre 1952. Les conditions météorologiques particulièrement difficiles amenèrent de nombreux problèmes à l'équipe technique du film : les rafales de vent et les très fréquentes averses de pluie furent responsables de la destruction de nombreux décors, ralentissant considérablement les délais de tournage.

6. Le film fit 6 944 306 entrées, ce qui le place quatrième au box-office français de 1953.

7. Il y a eu d'autres adaptations/remakes du roman de Georges Arnaud : le peu connu Violent road d'Howard W. Koch (1958) avec Brian Keith (si ni le film de Clouzot ni le roman d'Arnaud n'est cité au générique, le film est pourtant un vrai plagiat de l'un et / ou de l'autre), puis un obscur Atash-e jonoob, film franco-iranien inédit réalisé par Alain Brunet (1976) en perse, enfin, le plus connu et très bon Le convoi de la peur (Sorcerer, 1977), de William Friedkin avec Roy Scheider et Bruno Cremer entre autres, sorti chez nous le 15/11/1978.
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par Major Dundee »

Merci pour cette nouvelle belle analyse dun film que j'adore. Et surtout pour ta partie "Autour du film" qui me donne souvent l'impression de ne rien savoir du cinéma que j'aime :shock:
Alors surtout, continue... 8)
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- J'aurais cinq ans... Ce serait du joli !


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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par riqueuniee »

pak a écrit :






4. On peut voir dans le film Darling Légitimus (1907-1999), qui a débuté aux côté de Joséphine Baker, et qui est la grand-mère du comédien Pascal Légitimus.

Les Legitimus sont une famille d'artistes (très connue en Guadeloupe-Martinique) .Si les apparitions de Darling au cinéma sont rares,on put la voir à la télévision,dans les années 60,dans quelques dramatiques.Son rôle le plus connu (elle fut récompensée à Venise pour son interprétation)reste celui de la grand-mère dans Rue Case-Nègres
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Le boulanger de Valorgue (1952)

Message par pak »

3. Le boulanger de Valorgue d'Henri Verneuil (1952) :

Avec Fernandel, Georges Chamarat, Fernand Sardou, Henri Vilbert, René Génin, Jean Gaven, Antonin Berval, Edmond Ardisson, Pierrette Bruno... Scénario de Jean Manse, Pierre Lozach et Yves Favier – Dialogues de Jean Manse et Yves Favier – Musique de Nino Rota – Genre : comédie – Production franco-italienne – Sortie : 23/02/1953
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Mon avis :

Le fils du boulanger du village de Valorgue met enceinte la fille de l'épicière avant de partir pour son service national en Algérie. Ne pouvant croire à une telle conduite de la part son fils, le boulanger entre en conflit avec une partie du village et refuse de vendre du pain à ceux qui lui tiennent tête.

On le sait peu, mais Henri Verneuil et Fernandel se sont rencontrés en 1947 alors que le premier débutait en tournant un court-métrage sur Marseille dans lequel l'acteur jouait et assurait le commentaire audio. Le scénario du Boulanger de Valorgue aurait été écrit par le facteur de Fernandel, ce dernier, séduit, trouva alors des producteurs et il imposa Verneuil à la réalisation.

Un village de Provence plus Fernandel, on pense forcément à Marcel Pagnol... Sauf que Verneuil n'a pas la région dans le sang, bien qu'il y ait grandi, et les dialogues sont loin d'avoir la verve de films tels que La fille du puisatier par exemple, ou La femme du boulanger pour rester dans le métier du pain. D'ailleurs le début de carrière du réalisateur rappelle assez les thèmes du cinéma de Pagnol, en moins convaincant toutefois.

Fort d'une vingtaine d'années d'expérience, et grâce au succès du Petit monde de Don Camillo, Fernandel aborde les années 1950 avec un regain de notoriété. Désormais il peut imposer ses choix, et c'est ce qu'il fait en proposant Verneuil à la production du film. D'ailleurs ce dernier le sait et est au service de son acteur, qui est de quasi tous les plans, laissant peu de place au reste du casting pour s'exprimer.

Toutefois, le réalisateur arrive à installer une ambiance villageoise, et ceux qui ont vécu ou ont passé leurs grandes vacances scolaires dans un bourg de province, quelque soit la région, reconnaitront certains tics chez les personnages, parfois hauts en couleur bien que peu creusés, les habitants se connaissant tous plus ou moins, le revers de la médaille étant qu'un secret ne le reste jamais bien longtemps, l'avantage étant qu'une certaine solidarité lie la population. Évidemment tout n'est pas à la hauteur des attentes du spectateur, et le film a du mal à trouver son ton, que ce soit dans la comédie (on rit finalement assez peu) ou le drame (léger), d'autant que le propos a vieilli, la grossesse hors mariage ne faisant plus vraiment scandale. De plus ce n'est pas toujours très fin, à l'image de l'épisode italien, très cliché.

Finalement, le vrai sujet du film est peut-être l'importance qu'avait le pain en France, aliment de base d'une population d'un pays qui est le quatrième producteur mondial de blé. Même aujourd'hui, bien que la consommation ait baissée, la France reste dans le top 10 européen des consommateurs de pain (pour s'en convaincre, il suffit de compter le nombre de boulangeries dans les grandes et moyennes villes, et se rendre compte que ce commerce est presque toujours présent dans les bourgs au même titre que l'épicerie, le café/bar et éventuellement la boucherie/charcuterie... ).

Un film qui repose entièrement sur Fernandel, comme beaucoup dans les années 1950 et 1960, particulièrement convaincant en boulanger (on a l'impression qu'il a fait ce métier toute sa vie dans les scènes le montrant au four), mais qui agace parfois avec son personnage à la mauvaise foi constante, pour un résultat déséquilibré et un peu vain, qui reste cependant assez sympathique.

Étoiles : * * . Note : 11/20.
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Autour du film :

1. Fernandel rencontre en 1947 l'alors jeune réalisateur Henri Verneuil sur le tournage de son court-métrage Escale au soleil sur la ville de Marseille. Fernandel est né en 1903 dans cette ville, et il restera toute sa vie attaché à cette région où il tournera plusieurs films tout au long de sa carrière. Henri Verneuil, fils de réfugiés arméniens fuyant les persécutions turques, débarque dans la ville à l'âge de 4 ans. Ces deux là étaient donc fait pour se rencontrer, et ce court-métrage sera le début d'une longue amitié. Leur collaboration va donner 8 films entre 1951 et 1959 : La table aux crevés (1951), Le fruit défendu et Le boulanger de Valorgue (1952), Carnaval et L'ennemi public numéro 1 (1953), Le mouton à cinq pattes (1954), Le grand chef (1959) et l'apogée de leur collaboration : La vache et le prisonnier.

2. Le village de Valorgue n'existe pas, du moins sous ce nom, mais les extérieurs furent tournés à Mimet, dans les Bouches-du-Rhône. Valorgue est sensé avoir 353 habitants dans le film, petit village donc, très impacté par la grève du pain puisque dans ce cas, une unique boulangerie fourni les villageois. Mimet n'est pas très éloigné de cette description puisque lors d'un recensement en 1954, on comptait 1253 Mimétains (et 4433 en 2007).

3. Le boulanger de Valorgue fait partie de ces films colorisés à partir des années 1990, fausse bonne idée imaginée pour satisfaire soi-disant les spectateurs qui n'aiment pas le noir et blanc sur leur écran TV couleur. Les mêmes sûrement pour lesquels on tronçonne le format de l'image des films anciens pour qu'elle remplisse entièrement les écrans plats 16/9ème... N'importe quoi... !

4. Le film fut un succès puisqu'il se place 13ème au box-office français en 1953 avec 3 727 977 entrées.
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Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Les trois mousquetaires (1953)

Message par pak »

4. Les trois mousquetaires d'André Hunebelle (1953) :

Avec Georges Marchal, Bourvil, Gino Cervi, Danielle Godet, Yvonne Sanson, Jean Parédès, Jacques François, Jean Martinelli... Scénario et dialogues de Michel Audiard (d'après le roman d'Alexandre Dumas père, 1844) - Musique de Jean Marion et Constantino Ferri (ainsi que des compositions de Louis XIII) - Genre : cape et épée - Production franco-italienne - Date de sortie : 07/10/1953
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Mon avis :

Les célèbres aventures de D'Artagnan, Aramis, Athos et Portos...

Les 3 mousquetaires est l'un des romans de Dumas père les plus adaptés au cinéma. Cette adaptation est une version condensée des péripéties (nombreuses à l'origine) de D'Artagnan et ses compères, et elle est signée par un Michel Audiard encore sage, même s'il glisse quelques bons mots absents du roman et une ironie dans les propos de la voix-off (très bien servie par le timbre de Claude Dauphin). Voix-off qui d'ailleurs participe à un côté vieillot inhérent à ce genre de production, avec aussi son début montrant les pages d'un livre défiler et poser le contexte de l'histoire. Ici le procédé est aussi utilisé pour zapper de manière assez grossière une partie du roman. L'ennui est que cette voix-off s'incruste alors qu'elle est inutile pour la suite, d'autant que l'histoire est bien connue (même en 1953).

Le ton de cette adaptation est ouvertement orienté vers la comédie, et on a même droit au vieux gag de la tarte à la crème, appuyé par la présence de Bourvil en Planchet, valet de D'Artagnan, avec sa poêle, assommant en rafales les mauvais bougres cherchant noises à son maitre. Il aura d'ailleurs des rôles similaires aux côtés de Jean Marais, en Passepoil dans Le bossu en 1959, et en Cogolin dans Le Capitan l'année d'après (les deux réalisés aussi par André Hunebelle), mais en moins bouffon et avec des personnages plus étoffés, sa notoriété grandissant.

Si le film est plaisant, ce côté comique désamorce toute tentative de gravité, et occulte la dimension tragique des aventures du célèbre quatuor. Les combats ne viennent pas rehausser l'ensemble, d'autant que 4 ans avant ce film était sortie en France la version américaine des 3 mousquetaires réalisée par George Sidney (The three musketeers, 1948) avec ses formidables chorégraphies et son bondissant Gene Kelly.

L'interprétation est inégale, car la direction d'acteur semble absente, laissant le casting dériver parfois dans le théâtral, et George Marchal est assez transparent en Gascon susceptible. On retiendra tout de même, outre le numéro de Bourvil, l'interprétation étonnante de Jacques François en Aramis qu'on n'imagine peu en bretteur fougueux, lui qui personnifiera plus tard la raideur des officiers, directeurs, patrons, préfets, gouverneurs et autres hauts fonctionnaires dans le cinéma comique français des années 1960-70.

On peut tout de même relever une reconstitution soignée du XVIIème siècle, comme souvent dans les productions du genre en France, grâce aux sites historiques encore existants.

Toujours est-il que le film fut un succès en France, confirmant celui de Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque l'année précédente, ce qui lança une vogue, et une vague, de films d'aventures en costume pour une quinzaine d'années, dont André Hunebelle sera le fer de lance (outre les films déjà cités, il a aussi réalisé dans le genre Cadet Rousselle, Le miracle des loups, Les mystères de Paris) avec Bernard Borderie (une nouvelle adaptation des 3 mousquetaires en deux film en 1961, Le chevalier de Pardaillan et sa suite Hardi ! Pardaillan, la saga des Angélique, Catherine).

Si l'on s'amuse parfois à la vision de ce film, on peut largement préférer le mélange aventures / comédie que donnera à voir l'américain Richard Lester 20 ans plus tard avec son diptyque Les 3 mousquetaires (The three musketeers, 1973) / On l'appelait Milady (The revenge of Milady, 1974), suivi, en 1989, d'un Retour des mousquetaires moins convainquant (The return of the musketeers d'après le roman de Dumas 20 ans après).

On préfèrera tout de même ce film à la parodie que donnera en 1973 le réalisateur en deux tomes avec la troupe des Charlots : Les 4 Charlots mousquetaires et A nous 4 cardinal ! gentiment décalés...

Étoiles : * * . Note : 12/20.


Autour du film :

1. Profitons de ce film pour parler des adaptations existantes du roman Les 3 mousquetaires, même s'il serait fastidieux de les citer toutes puisqu'il en existe plus d'une soixantaine, cinéma et télévision confondus, tant ce roman a vite été exploité par le 7ème art, et ce très tôt, puisqu'on trouve en 1898 la première adaptation (et du roman et d'une œuvre de Dumas) sous le titre Fencing contest from « The three musketeers », film anglais dont l'auteur est tombé dans les oubliettes de la mémoire (et qui doit être vraisemblablement une courte séquence de duel avec des protagonistes en costume type mousquetaire du XVIIème siècle). La seconde est italienne, et est de Mario Caserini (I tre moschettieri, sorti chez nous en mars 1909), un pionnier du cinéma transalpin qui ne connaitra pas le parlant puisque décédé en 1920. En 1909 encore, Georges Mélies signe Le mousquetaire de la reine, mais il faudra attendre 1912 pour voir enfin une véritable adaptation française de ce classique de notre littérature, avec Les 3 mousquetaires réalisé par le duo André Calmettes / Henri Pouctal.

Plusieurs autres verront le jour avant l'arrivée du parlant, mais la première adaptation marquante est celle de l'américain Fred Niblo en 1921 avec Douglas Fairbanks en D'Artagnan. La même année, le français Henri-Diamant Berger donne sa propre version. Mais déjà, des versions plus marginales voient le jour, comme celle de Max Linder, comique français injustement oublié, avec son The three must-get-theres (1922), plus connu chez nous comme L'étroit mousquetaire, Max Linder campant un Dart-in-again burlesque. Henri-Diamant Berger fera une nouvelle version, en 1932, avec un Harry Baur en truculent Tréville, capitaine des mousquetaires protecteur, et ce sera la première vraie adaptation parlante.

Ensuite, il ne se passera pas 5 années sans qu'une version du roman de Dumas arrive sur un écran dans le monde (en France et aux USA bien-sûr, mais aussi en Grande-Bretagne, au Mexique, au Brésil, en Allemagne, en Russie, en Italie, en Espagne, en Lettonie, aux Pays-Bas... ). L'arrivée de la télévision va aggraver la tendance, et les mousquetaires vont être filmés à toutes les sauces, en dessins animés (dont un avec Barbie en 2009 ! ), séries, téléfilms, en passant par la parodie, le film musical (Allan Dwan, 1933), de marionnettes, l'adaptation moderne dans le désert saharien (serial américain en 12 épisodes de Colbert Clark et Armand Shaefer en 1933 avec notamment John Wayne), la fausse suite où on invente une fille à D'Artagnan (Bertrand Tavernier, 1994), le western spaghetti (Les rangers défient les karatékas de Bruno Corbucci, 1973 : tout un programme ! ) ou même le film cochon (avec le finement nommé Les mousquetaires de sexe et d'épée)... Si la cadence s'est un peu calmée depuis la fin des années 1990, les mousquetaires n'ont pas fini de faire parler d'eux. Pour preuve l'arrivée prochaine de The three musketeers de Paul W.S. Anderson avec Milla Jovovitch (si si, le duo de Resident Evil : ça fait peur non ? ).

2. Une partie du tournage a eu lieu dans le très beau château de Fontainebleau, ce qui n'est pas anachronique puisque celui-ci existait bien au XVIIème siècle, même s'il a subi quelques modifications les siècles suivants. Demeure plus ou moins régulière de souverains français (de François 1er à Napoléon III en passant par Henri IV et Louis XIV, ce haut-lieu historique a vu les tournages de plusieurs films populaires à connotation historique tels que Le Capitan de Robert Vernay (1946) et d'André Hunebelle (1960), Napoléon de Sacha Guitry (1955), Les 3 mousquetaires : les ferrets de la reine de Bernard Borderie (1961), Les 4 Charlots mousquetaires d'André Hunebelle (1974), L'homme au masque de fer de Randall Wallace (1998)...
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3. Le film d'André Hunebelle sera un gros succès puisqu'avec ses 5 354 839 entrées, le film se classera sixième du box-office français de 1953.

4. Constance est interprétée par Danielle Godet, actrice à la carrière déçue. Née le 30 janvier 1927, elle est un peu le symbole de ces actrices qui n'ont pu percer et devenir des vedettes de premier plan, malgré leur beauté et leur talent. Très tôt, elle se passionne pour la danse et le piano, mais en suivant une amie à un cours d'art dramatique, le déclic se fait en elle, et décide, à 16 ans, de devenir comédienne. Elle court les auditions, et décroche quelques petits rôles avant que René Clair ne s'intéresse à elle pour le rôle féminin principal de son film Le silence est d'or (1946) mais l'auteur en choisi une autre finalement (Marcelle Derrien, à la carrière météorique). La jeune femme y aura toutefois un rôle secondaire. Henri-Georges Clouzot s'intéresse alors à elle pour le rôle principal de Manon, mais il choisi finalement Cécile Aubry. Elle décroche alors un rôle important aux côtés d'un autre débutant, Yves Montand, dans L'idole d'Alexandre Esway (1947, mais qui se rappelle de ce film ? ). Elle enchaine ensuite les films populaires, souvent des comédies et des films musicaux qui semblent destinés aux touristes (Boum sur Paris, C'est une fille de Paname, Paris clandestin, Nuits de Pigalle... ) et sans envergure, et si à l'instar des 3 mousquetaires ou du Capitaine Fracasse, elle joue dans des films à succès, elle n'aura jamais de rôle marquant la critique ou de réalisateurs qui la hisseront vers la gloire. Elle tournera bien en Angleterre The elusive Pimpernel du duo magique Michael Powell / Emeric Presburger en 1950, mais non distribué chez nous suite à un accueil local assez tiède. La fin des années 1950 la voit insatisfaite de ses films pas terribles, et démoralisée par sa vie privée (notamment ses relations avec Yves Montand, Philippe Lemaire et Maurice Ronet). Heureusement, il y a le théâtre, et elle triomphe en 1958 dans la pièce La brune que voilà de Robert Lamoureux. Le succès incite l'auteur a réaliser une version cinéma de sa pièce, mais il remplace dans celle-ci Danielle par Perrette Pradier. Avec les années 1960, les films vont se raréfier, leur qualité déclinant, et la carrière de l'actrice va se terminer lamentablement avec Joy en 1983, avatar médiocre tentant de renouveler le succès d'Emmanuelle... Après cela, on ne la verra plus sur un écran. Elle s'éteint discrètement suite à un long cancer le 12 novembre 2009. Laissons lui le mot de la fin, lucide sur sa carrière : « J'aime en art ce qui est beau, moi qui au cinéma ne défend que la médiocrité »...
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par riqueuniee »

le roman de Dumas (que j'ai relu récemment) a en effet une dimension tragique qui passe souvent au second plan dans les adaptations cinématographiques.C'est même parfois assez violent.
Si on n'imagine guère Jacques François en bretteur,ça ne me surprend pas qu'il ait été choisi pour Aramis.Il y a en effet dans ce personnage un peu de ce côté "aristocratique" que Jacques François qui a interprété nombre de ministres,généraux et autres grands bourgeois, mettait dans ses rôles.
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par pak »

Major Dundee a écrit :Merci pour cette nouvelle belle analyse dun film que j'adore. Et surtout pour ta partie "Autour du film" qui me donne souvent l'impression de ne rien savoir du cinéma que j'aime :shock:
Alors surtout, continue... 8)
J'avais zappé ton message. Merci beaucoup, ça fait plaisir. Je n'en sais pas vraiment des masses sur les films que j'aime moi non plus, mais depuis que je me suis lancé dans la rédaction de ces petites bafouilles, j'essaye de trouver quelques infos et matériel visuel pour épaissir mes avis qui n'ont qu'une valeur très limitée (après tout, on a tous un avis sur les films qu'on voit, et forcément pas en phase avec tout le monde). Et puis j'avoue que j'aime bien sortir ma science :uhuh: .
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La jument verte (1959)

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5. La jument verte de Claude Autant-Lara (1959) :

Avec Bourvil, Yves Robert, Sandra Milo, Francis Blanche, Julien Carette, Valérie Lagrange... Scénario et dialogues de Jean Aurenche et Pierre Bost (d'après le roman La jument verte de Marcel Aymé, 1933) - Musique de René Cloérec - Genre : comédie - Production fraco-italienne - Date de sortie : 29/10/1959
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Mon avis :

Une jument verte fait la fortune de la Famille Haudouin et suscite la jalousie des Maloret. En 1870, un des Maloret dénonce le fils Haudoin comme franc-tireur aux prussiens. La guerre entre les deux familles est déclarée...

Dans les années 1950, Claude Autant-Lara adapte à tours de bras de grands auteurs : Stendhal (Le rouge et le noir, 1954), Pierre Mac Orlan (Marguerite de la nuit, 1955) Simenon (En cas de malheur, 1957), Dostoïevski (Le joueur, 1958). En 1959, il choisit le roman La jument verte de Marcel Aymé (dont il avait déjà adapté une nouvelle pour le célèbre La traversée de Paris en 1956).

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Autant-Lara a la dent dure et ne rate pas une occasion de fustiger un certain esprit français de l'après-guerre, et même pendant... Car la peinture qu'il fait de ces paysans au début du film, dont le pays est occupé par les prussiens suite à la défaite de l'armée impériale de Napoléon III, avec ses francs-tireurs et ses otages, ramènent directement à l'occupation de la France au début des années 1940.

Et on se demande jusqu'à quel point l'auteur ne déverse pas sa bile sur les comportements de ses compatriotes de cette période noire. Les résistants sont des débutants maladroits, la population collabore plus ou moins forcée, la délation règne, la lâcheté aussi, même chez les "bons", à l'image du personnage de Bourvil, franc-tireur, qui laisse sa mère être violée sur le lit sous lequel il se planque, mère qui d'ailleurs ne semble pas vraiment regretter l'incident... On peut difficilement ne pas penser qu'Autant-Lara a une méchante dent envers ses contemporains (ce qu'il avait déjà démontré dans La traversée de Paris).

En cela, l'esprit s'éloigne des écrits de Marcel Aymé, car il ajoute une rancœur absente chez l'écrivain.

Après cette introduction peu valeureuse, le réalisateur enfonce le clou en ajoutant une grivoiserie assez crue, que ce soit dans les dialogues ou dans les scènes, à laquelle se greffe un humour noir ravageur (on n'hésite pas par exemple à négocier avec un mourant sa date de trépas afin d'avoir le temps de régler une affaire), le tout agrémenté de répliques très fleuries.

Au milieu de ce cynisme ambiant, il y a quelques moments de tendresse, voire de poésie, pauses bienvenues (le facteur, interprété par le célèbre homme de cirque et clown Achille Zavatta, qui ne refuse jamais un petit verre durant sa tournée, épisode dont se souviendra un certain Dany Boon pour son Bienvenue chez les Ch'tis). Ces moments sont essentiellement dus à Bourvil, étonnant dans ce film, loin de ces rôles de benêts, excellent en paysan bourru.

Le film laisse une impression mitigée. Parfois très drôle, souvent provoquant, mais parfois inutilement méchant, on passe toutefois un bon moment même si la farce est un peu lourde à digérer.

Étoiles : * * *. Note : 14/20.


Autour du film :

1. Comme souvent avec les films de Claude Autant-Lara, la sortie de celui-ci fut saluée par une volée de bois vert. Les réactions les plus vives ont eu lieue en province, et certains maires tentèrent d'interdire le film dans leur ville. Du côté du clergé aussi, les passions se déchainèrent, au point que le film fut carrément interdit par l'Église et classé dans la catégorie la plus haute suivant la cote morale des films de la centrale catholique du cinéma, qui publiait chaque année un recueil des œuvres assorties d'une cote allant de 3 à 5 : les différents niveaux étaient 3, 3B, 4, 4A, 4B, 5, 3 étant « visible par tous », 5 « à rejeter, s'abstenir par discipline chrétienne et pour donner l'exemple ». La jument verte fut coté 5 ! Le film fut même interdit aux moins de 18 ans au début de sa sortie, et même aux moins de 21 ans à Tours ! Certaines projections ont même eu lieue lumières allumées, des fois que le démon de la chair vienne tripoter une spectatrice de la salle... Pourtant le film fut exploité dans une version mutilée, la censure ayant œuvré : les scènes coupées existent-elles encore quelque part ?

2. Achille Zavatta interprète le facteur. Ce grand nom du cirque, né en 1915, qui fut clown, dompteur, acrobate et musicien a mis fin à ses jours en 1993. Tous ceux qui ont grandi entre les années 1960 et 1980 connaissent son rôle de clown Auguste, qu'ils ont vu sous un chapiteau ou à la télévision.
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3. L'actrice qui joue la fille du personnage de Bourvil est Valérie Lagrange et c'est son premier rôle. Elle fit l'essentiel de sa carrière dans les années 1960, et on la croisera dans La ronde, Les tribulations d'un chinois en Chine, Un homme et une femme, Satyricon... Elle eut son heure de gloire dans la chanson dans les années 1960 et 70 et fut à l'origine du mouvement d'artistes contre la fin en Éthiopie en 1985 et qui déboucha sur le fameux disque SOS Éthiopie. On l'a revu récemment dans Joueuse de Caroline Bottaro, film sorti sur nos écrans le 5 août 2009.
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4. Avec 5 294 328 entrées, le film fut un gros succès malgré les polémiques (ou grâce à elles ? ), le plaçant à la troisième place du box-office français de 1959. C'est aussi le plus gros succès de Claude Autant-Lara, devant La traversée de Paris et Le diable au corps qui complètent son tiercé gagnant.
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Dernière modification par pak le 2 juin 11, 15:40, modifié 3 fois.
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Maigret tend un piège (1957)

Message par pak »

6. Maigret tend un piège de Jean Delannoy (1957) :

Avec Jean Gabin, Annie Girardot, Jean Desailly, Lino Ventura, Paulette Dubost, Jean Tissier, Olivier Hussenot, Gérard Séty, André Valmy... Scénario de Jean Delannoy, Michel Audiard et Rodolphe-Maurice Arlaud d'après le roman de Georges Simenon Maigret tend un piège (1955) – Dialogues de Michel Audiard – Musique de Paul Misraki – Genre : policier – Prodction franco-italienne – Date de sortie : 29/01/1958
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Des femmes sont assassinées dans le quartier du Marais à Paris et le tueur provoque le commissaire Maigret...

Une adaptation d'une enquête du personnage phare de Simenon, par Jean Delannoy, réalisateur très conspué par la Nouvelle Vague et peu apprécié encore de nos jours par certains critiques.

Pourtant, ce film policier mérite un nouveau regard à la vue de la tripotée de thrillers sortis depuis. Car on est là en présence d'un tueur en série (ou serial killer à Hollywood, termes alors pas encore usités), de la recherche du sensationnel des journalistes plus que de l'info (on n'est pas loin d'avoir un Jack l'éventreur à la française), du jeu dangereux du chat et la souris entre un meurtrier provocateur et un flic réfléchi, des répercutions politiques d'une affaire qui fait trop de bruit, d'une enquête qu'un simple détail peut faire basculer, d'un policier proche de la retraite... On a là tous les éléments de base de la moyenne des polars et thrillers, de classe A jusqu'aux séries Z... Sauf qu'à l'époque, c'était relativement nouveau, au point que le film fut un gros succès populaire.

Bien-sûr, la réussite du film doit beaucoup au roman de Simenon, mais pas que. Delannoy, avec Audiard (qui signe aussi les dialogues, assez sobres malgré quelques saillies) et Arlaud, a remanié le livre pour qu'il soit plus conforme au support cinéma, et signe une mise en scène soignée et efficace, notamment au début assez expressionniste, qui joue avec les ombres et les silhouettes furtives (on pense, toutes proportions gardées au Fritz Lang des années muettes) pour ménager l'anonymat du tueur, le tout filmé dans un Paris qui n'existe plus, encore populaire (si l'environnement du Marais a peu changé, ses habitants si). Une enquête donc rondement menée, sans temps morts ni exposition, le personnage de Maigret étant tellement connu en France que les scénaristes se passent de préambule présentant l'enquêteur.

De plus, l'auteur trouve en Jean Gabin l'interprète idéal pour camper Maigret. Il a à peu près le même âge supposé du héros de papier (la première enquête papier de l'inspecteur date de 1931, ce qui est compatible avec l'acteur né en 1904) et il s'empare du personnage pour en faire le prototype de ses prestations futures dans le domaine du film policier (pas tellement nombreuses) au point que l'année d'après, lorsqu'il joue l'inspecteur Vallois dans Le désordre et la nuit de Gilles Grangier, c'est encore un peu Maigret qu'on voit à l'écran, car Gabin c'est Maigret, ou l'inverse, on finit pas ne plus savoir en regardant le film de Delannoy...

Un Jean Gabin impérial en tous les cas, sans oublier Jean Dessailly, impressionnant, bien secondés par deux petits jeunes : Annie Girardot, perverse, et Lino Ventura, faussement borné.

Gabin reprendra le rôle deux fois : Maigret et l'affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959) et Maigret voit rouge (Gilles Grangier, 1963).

Étoiles : * * * . Note : 14/20.
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Autour du film :

1. Le film connut un beau succès en salles puisqu'il se classa 14ème du box-offcie français avec 3 076 005 entrées en 1958. Une très bonne année pour Jean Gabin toujours très populaire, puisque figurent trois autres de ses films dans la tête de ce box-office : Les misérables de Jean-Paul Le Chanois (second avec 9 940 533 entrées), Les grandes familles de Denys de La Patellière (9ème avec 4 042 041 entrées) et En cas de malheur de Claude Autant-Lara (13ème avec 3 152 082 entrés). Peu d'acteurs peuvent prétendre avoir attiré plus de 20 millions de spectateurs dans les salles en 4 films la même année...

2. A noter qu'aux BAFTA britanniques de 1960, le film fut nommé 3 fois : meilleur film et deux fois pour le meilleur acteur étranger (Jean Gabin et Jean Desailly). Mais le film rentra bredouille.

3. Malgré les quelques 75 romans et 28 nouvelles dans lesquels le commissaire Maigret apparaît entre 1931 et 1972, les adaptations au cinéma sont relativement peu nombreuses. La première ne tarde pourtant pas puisque dès 1932, Jean Renoir signe La nuit du carrefour avec son frère Pierre dans le rôle du commissaire. On compte en tout une quinzaine d'adaptations. L'acteur qui a le plus joué le personnage au cinéma avec Jean Gabin est Albert Préjean (3 films chacun). D'autres grands noms se sont mis dans la peau de Maigret : Harry Baur (La tête d'un homme de Julien Duvivier, 1933), Michel Simon (le film à sketchs Brelan d'as d'Henri Verneuil, 1952) et un étonnant Charles Laughton dans L'homme de la Tour Eiffel (The man on the Eiffel Tower, coproduction franco-américaine réalisée par Burgess Meredith, 1949). Pour l'instant, la dernière apparition dans les salles de Maigret est celle de Jean Richard en clin d'œil dans la comédie déjantée Signé Furax de Marc Simenon (le fils de Georges) en 1981. Jean Richard, parlons-en, puisque l'acteur a personnifié durant 88 épisodes le commissaire dans la série Les enquêtes du commissaire Maigret entre 1967 et 1990, une série très populaire et un classique de la télévision française : la plupart des français de plus de 35, voire de 30 ans, en ont au moins vu un. Aujourd'hui, bien qu'il n'y ait plus d'épisodes tournés du fait du décès de son interprète, c'est Bruno Cremer qui prête son physique au personnage à la télévision, pour la série Maigret, de 1991 à 2005 pour 54 épisodes.
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Dernière modification par pak le 2 juin 11, 15:41, modifié 2 fois.
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Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par Federico »

Un grand classique souvent diffusé à la télé. Gabin fut - avec Cremer - le meilleur des Maigret récurrents (Harry Baur était lui aussi remarquable dans le Duvivier). Du cinéma un peu à la papa qui sent parfois trop le décor convenu pour mettre dans "l'ambiance" (pavés mouillés, grilles de devanture en fer forgé, parquets qui craquent et sur lesquels pleuvent les mégots, seconds couteaux typés comme l'inspecteur à la goutte au nez...) mais grâce à ses interprètes, ça peut encore passer même si je préfère la noirceur plus âpre des films de Gabin avec Grangier ou Decoin.
Et puis je sais que Desailly était un grand acteur de théâtre et de cinéma mais j'ai toujours un peu de mal avec son jeu ou alors la faute en revient à ceux qui sur-utilisèrent son côté vieil ado glabre mal dégrossi (je suppose que c'était dans le roman de Simenon mais là, bonjour le cliché du gentil garçon au tempérament d'"artiste" sur-couvé par sa môman). Je l'avais croisé il y a une trentaine d'années dans Paris, il portait la barbe et ça le changeait du tout au tout.
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par pak »

Le pauvre Desailly n'a pas toujours été gâté au cinéma, qui lui offrait des rôles de "faibles" psychologiquement, par exemple, encore au côté de Gabin, dans Les grandes familles. Faut dire qu'il n'avait pas vraiment le physique du jeune premier ou de la brute épaisse...
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Re: Le cinéma français des années 50 (1950-59)

Message par Federico »

pak a écrit :Le pauvre Desailly n'a pas toujours été gâté au cinéma, qui lui offrait des rôles de "faibles" psychologiquement, par exemple, encore au côté de Gabin, dans Les grandes familles. Faut dire qu'il n'avait pas vraiment le physique du jeune premier ou de la brute épaisse...
Melville l'a un peu sorti de ce cliché en lui donnant un rôle de flic dans Le doulos et puis dix ans plus tard, dans Un flic, bing ! le revoilà en esthète délicat dans une robe de chambre en soie. :wink: Desailly n'avait peut-être pas son talent ni son côté inquiétant mais quand on compare avec un autre comédien longtemps abonné aux rôles de grands bourgeois ou de vieux garçons comme Michel Bouquet...
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