Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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pak
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Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par pak »

Bon, allez, je me lance dans la création de topic...
En voici un sur le cinéma français de grand-papa.

Première décennie du cinéma parlant français (les premiers parlants sortent fin 1929), c'est peut-être sa meilleure car si tout ou presque avait déjà été inventé par les auteurs du muet du point de vue de l'image, la nouvelle dimension apportée au cinéma va permettre un regain de créativité, des intrigues plus élaborées, d'entendre les voix des interprètes au timbre inimitable (Jules Berry, Sacha Guitry... ), de révéler des dialoguistes qui donneront à leurs acteurs des répliques de légende («Atmosphère, atmosphère... Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ? »)...

Si ce passage sera mal négocié par certains grands réalisateurs du cinéma muet (Abel Gance par exemple), d'autres sauront relever le défi de la plus belle manière (Julien Duvivier, Marcel Carné, Jean Renoir malgré son scepticisme des débuts en évoquant le parlant comme étant un « monstre redoutable », Marcel Pagnol... ).

Ce parlant attire alors une nouvelle vague d'acteurs habitués à la parole venant du théâtre (Louis Jouvet, Raimu, Harry Baur, Arletty... ) ou du music-hall (Jean Gabin, Fernandel, Maurice Chevalier... ). La richesse du cinéma français et sa variété en font alors l'un des meilleurs du monde, abordant tous les genres, parfois peu passionnants il est vrai (le comique troupier ou le théâtre filmé n'ont pas donné que des chefs-d'œuvres, loin de là), et marqué par un vrai cinéma social et son réalisme poétique.

Comme on pourra le lire dans un article du Crapouillot : « enfin le cinéma parle, tantôt bien, tantôt faux, mais il parle, et aucune puissance au monde ne le fera taire ».

Je vais oser, pourquoi pas, une modeste encyclopédie de cette période, sachant que le terme est très exagéré... Je partagerai mes avis ici, avec une subjectivité que j'espère vous me pardonnerez, ainsi d'ailleurs que mes choix de films, pour la plupart dépendants des diffusions TV...


J'aime énormément : * * * * (17 à 20/20)
J'aime beaucoup : * * * (14 à 16/20)
J'aime bien : * * (10 à 13/20)
J'aime moyen : * (6 à 9/20)
J'aime pas, mais alors pas du tout : 0 (0 à 5/20)

Films abordés :

1930 :
Capitaine Cradok (Le) de Max de Vaucorbeil et Hans Schwarz (page 3, par Music Man)

1931 :
Allo Berlin, ici Paris ! de Julien Duvivier
Cinq gentlemen maudits (Les) de Julien Duvivier
Faubourg Montmartre de Raymond Bernard (page 3, par Ann Harding)

1932 :
Gaîtés de l'escadron (Les) de Maurice Tourneur (page 3, par Ann Harding)
Stupéfiants de Kurt Gerron (page 3, par Music Man)

1933 :
Il est charmant de Louis Mercanton (page 2, par Music Man)
Un soir de réveillon de Karl Anton (page 4, par Music Man, et mézigue)

1934 :
Arlette et ses papas d'Henry-Roussell (page 3, par Ann Harding)
Comte Obligado (Le) de Léon Mathot (page 2, par Music Man)
Toni de Jean Renoir

1935 :
Baccara d'Yves Mirande (page 3, par Ann Harding)
École des cocottes (L') de Pierre Colombier
Homme des Folies-Bergère (L') de Marcel Achard et Roy Del Ruth

1937 :
Au soleil de Marseille de Pierre-Jean Ducis (page 2, par Music Man)
Courrier Sud de Pierre Billon (page 3, par Ann Harding)
Habit Vert (L') de Roger Richebé (page 3, par Ann Harding)
Prison sans barreaux de Léonide Moguy (page 2, par Music Man / page 3, par Ann Harding)

1938 :
Ernest le rebelle de Christian-Jaque
Louise d'Abel Gance

1939 :
Cavalcade d'Amour de Raymond Bernard (page 3, par Ann Harding)
Enfer des anges (L') de Christian-Jaque
Menaces... d'Edmond T. Gréville
Remorques de Jean Grémillon
Dernière modification par pak le 22 août 11, 19:47, modifié 17 fois.
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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pak
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L'enfer des anges (1939)

Message par pak »

1. L'enfer des anges de Christian-Jaque (1939)

Avec Louise Carletti, Jean Claudio, Serge Grave, Marcel Mouloudji, Robert Rollis, Sylvia Bataille, Fréhel, Bernard Blier, Dorville, Jean Tissier... Scénario de Pierre Véry, Pierre Laroche et Pierre Ramelot – Dialogues de Jacques Prévert et Pierre Laroche – Musique de Henri Verdun – Genre : drame – Production française – Sortie : 13/02/1941
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Mon avis :

Un homme recueille deux enfants perdus, Lucien rendu amnésique à cause d'une raclée qui l'a laissé pour mort, et Lucette moralement traumatisée.

Quand on parle de Christian-Jaque, on pense souvent à du cinéma populaire optimiste comme le très connu Fanfan la Tulipe (1952) voire léger comme Babette s'en va-t-en guerre (1959). Il a pourtant donné des films bien plus graves dans les années 30 comme celui-ci. Un an après Les disparus de Saint-Agil, le réalisateur aborde une nouvelle fois l'enfance, sauf qu'ici le ton est nettement plus noir, car ces jeunes (sur)vivent dans la rue, étant la proie de la misère, de la faim, mais aussi d'adultes peu scrupuleux et sans états d'âmes, que ce soit parce qu'ils sont sans espoirs dans leur pauvreté et n'éprouvent plus rien d'autre que de la colère (en ce sens, la scène où on abandonne dans un terrain vague Lucien qu'on croit mort, enfermé dans un sac poubelle est d'une cruauté sans bornes car sans aucun remords ni compassion), ou parce qu'ils profitent de leur force pour exploiter une main-d'œuvre facile et affamée.

L'auteur n'a pas peur d'aborder des sujets assez sordides sans pour autant se complaire dans le malheur de ses personnages, et trouve encore des échos dans notre société car on parle là de trafic de drogue avec l'utilisation de mineurs, de délinquance juvénile, de pédophilie, de proxénétisme... Et déjà, on appelait ces gamins les gosses de la cité. Lucide, le réalisateur parle le temps d'une scène de philatélie de la situation de l'Europe à la veille de la guerre.

Entre réalité sociale et poésie urbaine, le film est rehaussé par une très belle photo qui place ce film pas très loin d'un Marcel Carné (impression renforcée par la présence au générique de Jacques Prévert pour les dialogues).

Témoin de son époque (parfois de manière surprenante où l'on voit que le Coca-Cola existait déjà en France à la fin des années 30), triste et désespéré, ce film se veut un signal d'alarme quant à l'abandon d'un pays d'une partie de sa jeunesse, message qui lui vaudra quelques démêlés avec le gouvernement de Vichy (le film sortira finalement en 1941) qui voyait là de la propagande communiste.

L'un des plus beaux films de Christian-Jaque si ce n'est un de ses meilleurs, à redécouvrir.

Étoiles : * * * . Note : 15/20.


Autour du film :

1.Fréhel, complètement détruite physiquement par la drogue et l'alcool fait ici une de ses dernières apparitions au cinéma.

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2. Le gamin le plus connu du casting est Marcel Mouloudji, déjà présent dans Les disparus de Saint-Agil (il a alors 16 ans), qui fut aussi le chanteur que l'on sait et qui a aussi œuvré dans le théâtre, la littérature et la peinture. Un artiste touche-à-tout talentueux.

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3. C'est le dernier rôle de Dorville, surnommé «l'homme otarie» à la gouaille impayable qu'on oublie difficilement (ici c'est le père La Loupe), et il ne verra pas la sortie du film puisqu'il décèdera en 1940.

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4. Ce film fut sélectionné pour le premier festival de Cannes en 1939, qui n'aura pas lieu à cause de la déclaration de guerre (le festival débutera finalement en 1946 avec une nouvelle sélection de films).


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Dernière modification par pak le 5 avr. 11, 13:26, modifié 2 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par Jeremy Fox »

Période du cinéma français que j'apprécie modérément mais que dans le même temps je connais trop peu. Ton topic va peut-être (surement même) me permettre de faire des découvertes. Bonne initiative :wink:
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cinephage
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par cinephage »

Ce topic est une excellente initiative ! :D
La période regorge de très bons films à redécouvrir d'urgence, j'en compte personnellement quelques uns, alors que je connais encore mal le cinéma français d'alors. Je vais suivre ce topic avec le plus vif intéret.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par Sybille »

Eh bien pareil ! :D

Je connais très mal, mais lirais tes critiques avec plaisir.
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Cathy
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par Cathy »

Très bonne initiative que ce topic ! Merci pour tes critiques :) !
joe-ernst
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par joe-ernst »

Très bonne idée ! Jolie critique, bien illustrée, et ces compléments d'information autour du film sont un plus ! :D
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
pak
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par pak »

Merci beaucoup à tous de votre accueil ( :D ), qui me donne envie de continuer sur ma lancée... A venir prochainement, la période années 1940, assez chaotique comme on peut s'en douter.
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Allo Berlin, ici Paris ! (1931)

Message par pak »

2. Allo Berlin, ici Paris ! (ou Hallo ! Hallo ! Hier spricht Berlin ! pour la version allemande du film) de Julien Duvivier (1931)

Avec Germaine Aussay, Josette Day, Wolfgang Klein, George Boulanger, Hans Henninger, Karl Stepanek, Albert Broquin, Charles Redgie... Scénario de Julien Duvivier et Rolf E. Vanloo – Musique d'Andy Morahan, Carol Rathaus et Armand Bernard (chansons de Max Kolpé) – Genre : comédie romantique – Production franco-allemande – Date de sortie : 18/11/1932
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Mon avis :

De jeunes téléphonistes françaises et allemands communiquent malgré la barrière de la langue et certains se donnent rendez-vous à Paris.

Ce film nous rappelle combien le téléphone est une invention relativement jeune, d'autant plus en 1931 (le début du film est un hymne à l'appareil). A l'heure où tout le monde ou presque se promène avec un portable et ce jusque dans les cours de récréation, peut être joint n'importe quand et joindre n'importe qui, on oublie quelle révolution technique fut l'apparition du téléphone dans nos sociétés, notamment dans les foyers et les difficultés de communication d'une époque pas si lointaine. Il est amusant aussi de constater combien les comportements se répètent. Ici l'histoire débute sur deux standardistes éloignés par des centaines de kilomètres (elle française, lui allemand) qui ne se sont jamais rencontrés, ne se connaissant que par téléphone et par courrier, ce qui leur suffit pourtant pour se trouver assez d'affinités et se donner rendez-vous à Paris le temps d'un week-end avec un signe de reconnaissance visuel pour se repérer : les rencontres via internet de nos jours ne se passent pas tellement différemment.

Le film se veut léger et d'ailleurs le cinéaste s'amuse parfois, comme le montrent les scènes de la visite en car de Paris en accéléré (qui trouve d'ailleurs un écho aujourd'hui avec ces cars de japonais qui font en quelques heures le tour de la capitale) ou celle du repas d'une réception noyé dans la fumée de flashs de nombreux appareils photos. Mais Duvivier fait aussi preuve du pessimisme qui marquera ses films majeurs, ainsi mensonge, tromperie et délation se mettront en travers du chemin des tourteraux. Le style employé par le réalisateur est assez hybride car encore sous l'influence du cinéma muet aussi les dialogues sont relativement rares (mais il faut dire aussi que le casting allemand n'est pas doublé, ce qui est inhabituel) et l'esthétique visuelle renvoie à ses films précédents.

On peut voir dans ce film une célébration du rapprochement de deux pays qui s'étaient mutuellement saignés en 1914-18 : hélas, une vermine brune allait bientôt mettre de l'ordre (nouveau) dans tout ça...

Étoiles : * * . Note : 11/20.


Autour du film :

1. C'est le premier film que tourne l'actrice Josette Day sous ce nom, les rares rôles qu'elle avait tenu avant, notamment enfant, elle l'avait fait sous son vrai nom, Josette Dagory. Ce film relancera sa carrière au cinéma, car elle se destinait d'abord à une carrière de danseuse à l'opéra de Paris, jusqu'à ce qu'une mauvaise chute l'oblige à se réorienter.

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2. Signes que le réalisateur filmait une fantaisie, il se cite lui-même deux fois dans le film : on voit en gros plan une enveloppe avec l'adresse rue Duvivier, et dans la scène de cabaret, on annonce la chanson qui va être interprétée écrite par Julien Duvivier (ce qui est faux).

3. A propos de Karol Rathaus, on peut être étonné de retrouver ce compositeur polonais, l'un des plus en vue de la scène berlinoise dans les années 20, au générique du film. Il fait partie de ces exilés qui ont fuit le nazisme en faisant une courte escale en France (comme le réalisateur Fritz Lang par exemple) pour finalement émigrer aux États-Unis. Le film de Duvivier est un de ses premiers travaux pour le cinéma, et il tenta à Hollywood de continuer cette carrière, mais sans vraiment convaincre, pour finalement se convertir en professeur de composition à New-York en 1940.

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"L'hymne" au téléphone du début du film :
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Dernière modification par pak le 5 avr. 11, 13:27, modifié 4 fois.
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par joe-ernst »

pak a écrit :Merci beaucoup à tous de votre accueil ( :D ), qui me donne envie de continuer sur ma lancée... A venir prochainement, la période années 1940, assez chaotique comme on peut s'en douter.
Mais jalonnée de chefs-d'oeuvre ! :wink:
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par pak »

C'est pas faux... (le gars qui se mouille grave... )
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Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Menaces... (1939)

Message par pak »

3. Menaces... d'Edmond T. Gréville (1939)

Avec Mireille Balin, Erich Von Stroheim, John Loder, Ginette Leclerc, Jean Galland, Paul Demange, Jane Pierson, Paul Barge, Michel François, René Alié... Scénario d'Edmond T. Gréville, Pierre Lestringuez et Curt Alexander - Musique de Guy Lafarge et Paul Bellecour - Genre : drame - Production française - Date de sortie : 11/01/1940
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Mon avis :

Dans un petit hôtel du Quartier Latin, quelques réfugiés vivent au rythme des évènements internationaux. La guerre est proche, et l'angoisse grandissante...

Edmond T. Gréville est parti quelques années tourner à l'étranger au milieu des années 1930, après quelques déboires avec la critique de l'époque. Il revient en France à la veille de la guerre pour réaliser ce Menaces. Le film, au tournage difficile (quasiment au lendemain des accords de Munich), a un scénario contemporain aux évènements qu'il décrit. Un quasi témoignage de l'angoisse de l'attente de l'embrasement à venir, presque documentaire dans sa description de l'ambiance de la France de 1939, avec ses réfugiés venant des pays européens menacés par le nazisme.

Menaces n'est même plus un titre prémonitoire...

La guerre qui se précise est personnifiée par le personnage campé par Erich Von Stroheim, ancien soldat mutilé et exilé. Il est l'image des séquelles d'une Europe qui a souffert dans sa chair une première fois, vu ses paysages bouleversés, ses sociétés ravagées, ses espoirs détruits, bref un monde agonisant, qui mourra définitivement avec l'invasion de la Pologne par l'armée allemande le 1er septembre 1939. Cet hôtel accueillant réfugiés de tous horizons représente bien-sûr la France, terre d'accueil. Ainsi s'y côtoient français, autrichien, hongrois, tchèque (qui vit impuissant via la radio l'annexion de son pays par l'Allemagne), russe... Autant d'éléments d'une Europe paradoxalement morcelée par un dictateur avide d'unification au nom de principes barbares.

Un ton pessimiste, où par exemple la mobilisation est décrite comme un déchirement, bien loin des fanfaronnades de 1914 car la guerre a déjà durement frappé. On est d'autant plus marqué par ce ton quand on sait qu'une partie de l'équipe du film a réellement reçu sa feuille de mobilisation en plein tournage.

L'auteur dilue un peu de frivolité dans son récit afin d'alléger son propos à travers le personnage de Mireille Balin en plein béguin ou la description du quotidien des habitants de l'hôtel, les montrant pour la plupart sous un jour positif. Pourtant, Gréville se trompe lourdement sur leur futur comportement. En effet, il insiste sur la générosité et l'esprit d'accueil d'un pays qui va pourtant bientôt disparaître sous le joug nazi et la politique larvée de Vichy. L'étranger sera alors un paria, livré à la vindicte de l'occupant s'il n'a pas réussi à fuir à l'étranger ou dans le maquis. Il reste sur la notion d'une France pays des droits de l'Homme, de la liberté, de la solidarité, et c'est la gérante de cette pension où vit ce microcosme perdu qui personnifie cet état d'esprit : généreuse, compréhensive, faussement dure mais le cœur sur la main... Le désenchantement sera violent.

Toutefois, le temps d'une scène de vol commis dans l'hôtel, il se trompe moins à travers sa description de la coalition de ces quelques réfugiés aux origines diverses pour démasquer un voleur (vraisemblablement italien, donc image du fascisme), l'auteur anticipant ainsi la réaction qui sera celle des pays alliés quelques années plus tard, coalisés contre les forces de l'axe.

On le voit, le symbolisme est parfois un peu lourd et très présent, mais ce film est avant tout le reflet d'une société qui va disparaître, même si elle n'en a pas totalement conscience, alors que l'ombre funeste de la mort à grande échelle se profile à l'horizon (et a même commencée en Chine et en Espagne), les promesses de Munich n'ayant dupé personne... Un témoignage presque à chaud d'un tournant dramatique de notre Histoire.

Étoiles : * * *. Note : 15/20.


Autour du film :

1. Le titre du film devait être Cinq jours d'angoisse, faisant directement échos aux accords de Munich, le tournage ayant débuté quelques jours après leur signature. Mais le tournage dû être interrompu à cause d'un incendie détruisant une partie des pellicules du film en mars 1939, et il reprit après la mobilisation de 1939. Le film sortit en salle en janvier 1940, en pleine Drôle de Guerre. Comme l'indique un carton au début du film, le film fut interdit par les allemands après la défaite française de mai, et la plupart des copies furent brûlées. Les auteurs ont aussi eu des ennuis, et Gréville fut interdit de travail dans le cinéma. A la libération, des scènes furent retournées et intégrées au montage, atténuant le propos pessimiste de l'ensemble, notamment la fin où n'apparait plus Mireille Balin (vivant alors son destin tragique) et quelques acteurs mobilisés. C'est malheureusement cette version, incomplète, qui subsiste, ressortie en salles en 1946.
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2. Une actrice face à son destin tragique, Mireille Balin : née en 1911 à Monte-Carlo, Mireille Balin passe son enfance sur la côte d'Azur puis poursuivit ses études secondaires à Marseille avant de s'installer à Paris où elle devient mannequin. En 1932 Maurice Cammage la remarque et lui propose un petit rôle dans Vive la classe. Après quelques autres films quelconques, elle devient célèbre grâce à Pépé le Moko, en 1936. Suivent Gueule d'amour et Naples au baiser de feu où elle rencontre Toni Rossi avec qui elle a une liaison en 1937, union qui fera couler beaucoup d'encre. Elle rencontre l'amour de sa vie, Birl Desbok, un officier de la Wehrmacht, pendant l'été 1944. Paris étant sur le point d'être libéré, les amants se sauvent et tentent d'atteindre la frontière italienne mais, le 28 septembre 1944, ils sont arrêtés par les FFI près de Nice. Elle est battue et violée avant d'être transférée dans la prison de Nice, Birl Desbok est vraisemblablement exécuté sommairement. Elle est interdite de travail pendant une année mais une fois cette restriction soulevée, elle retourne aux studios et apparaît dans un dernier film : La dernière chevauchée en 1948 mais c'est un échec et elle retourne à l’oubli sur la Côte d'Azur dans un dénuement complet, marquée physiquement par la maladie (méningite, typhus, alcoolisme...), elle remonte à Paris en 1957. Prise en charge par l'association La roue tourne (œuvre d'aide aux artistes dans le besoin fondée par Paul Azaïs et sa compagne Janalla Jarnach), elle meurt à 59 ans le 9 novembre 1968, à 5h30 du matin, à l'hôpital Beaujon de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), dans l'anonymat et la pauvreté. La roue tourne lui évite la fosse commune : elle est inhumée au cimetière de Saint-Ouen dans la division 31, partageant plus tard son caveau avec Jean Tissier, autre comédien décédé dans la misère.
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3. En 1918, l'empire austro-hongrois est démantelé. L'état de la Tchécoslovaquie est alors créé, intégrant une partie de la population germanophone des Sudètes, montagnes servant de frontière avec l'Autriche. Celle-ci refuse ce rattachement et demande à être rattachée à leur pays d'origine. N'ayant pas gain de cause, cette population créé ses propres gouvernements régionaux et cohabitent plus ou moins difficilement le nouvel état : cela représente 3 millions d'habitants sur un pays qui en compte 15 millions. Avec la volonté d'Hitler de réunifier toutes les régions germanophones et le rattachement en 1938 de l'Autriche au nouveau reich, il devient évident que les Sudètes sont la prochaine cible des nazis. Hitler annonce alors qu'il va procéder à l'annexion de cette région, ce qui équivaut à une invasion d'une partie du territoire de la Tchécoslovaquie. Mais la France et la Grande-Bretagne sont des alliés de cette dernière. La France mobilise et la guerre semble inéluctable. Mais conseillé par Mussolini, Hitler accepte l'idée d'une conférence pour régler l'affaire à l'amiable : elle se tiendra à Munich. Personne n'est vraiment prêt à faire la guerre après 20 ans de paix relative, aussi les anglais et les français cèdent à Hitler et signent les fameux accords de Munich, laissant la main libre à ce dernier pour annexer les Sudètes. Abandonnée de tous, la Tchécoslovaquie accepte les termes de cet accord le 30 septembre 1938 et se voit amputée d'une partie de son territoire. La veille, Winston Churchill déclarera : « vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre... ». De fait, en mars 1939, le reste du pays est envahi par l'armée allemande, et la mobilisation est relancée en France et en Grande-Bretagne. Puis ce sera l'invasion de la Pologne, on connait la suite...
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Dernière modification par pak le 2 juin 11, 17:11, modifié 5 fois.
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Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par vivian »

Hello,
ca fait un moment que je n'avais pas posté sur ce forum mais un topic pareil, je ne pouvais pas passer à coté (il est déjà dans mes bookmarks, dommage d'ailleurs qu'il n'y ait pas de flux rss).
Bref, chapeau Pak car ton topic est plutôt risqué, ce cinéma là n'ayant plutôt pas très bonne côte chez les cinéphiles en dehors des classiques que l'on connait, les Duvivier/Renoir/Carné/Vigo (enfin c'est une impression :fiou:).
Et en plus tu commences par L'Enfer des Anges qui est sans doute l'un des plus grands films méconnus de ces années là, puis Menaces...
Comme toi, je me spécialise sur ce cinéma des années 30-40 surtout grâce au ciné-club de Fr3 et ciné-classic (et puis bien sur aux dvd et à internet...).
Et ce qui est plutôt fascinant c'est de voir comment certains de ces films vieillissent bien. On y trouve souvent un scénario efficace, des acteurs à la hauteur des rôles, une bonne lumière, un bon cadrage, du beau travail si je peux dire, une ambiance aussi qu'on ne retrouvera plus par la suite, etc...
Bien sur tout est affaire de goût. Vous le savez autant que moi.
Mais ça vaut vraiment la peine de creuser dans cette période pour découvrir une pépite comme L'Enfer des Anges, mais j'aimerais citer aussi des films que j'ai découvert cette année comme Le Puritain de Jeff Musso avec un Jean-Louis Barrault dans son premier grand rôle, Le Chemin de Rio de Siodmak avec un surprenant duo Jean-Pierre Aumont/Kate de Nagy qui anticipe la "screwball comedy", voire même Métropolitain très classique dans sa tenue, mais Albert Préjean avec Ginette Leclerc ça ne se refuse pas. et je ne parle pas de La Maison du maltais de Pierre Chenal ni de La Foire aux chimères (oui je sais c'est la decennie suivante).
Pour la décénnie 40 justement, que tu aborderas plus tard, je citerais des Christian-Jaque qu'il faudrait vraiment redecouvrir, surtout Sortileges et voyages sans espoir. Citons aussi "impasse des Deux-Anges" de Maurice Tourneur. Et les Gremillon introuvables que sont Pattes Blanches et Lumiere d'été.
Le problème sur tous ces films c'est que certains sont très rares donc les cinéphiles ne les connaissent pas et à l'étranger n'en parlons même pas.
Du coup on a une idée biaisée du cinéma français d'avant La Nouvelle Vague, c'est dommage.
Voilà pour cette fois, bonne continuation pour la suite Pak, je la lirai avec attention. :D
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par pak »

Merci,
Je ne peux pas dire que je me spécialise dans le cinéma français des années 1930/40 (en fait j'espère avoir le courage d'aborder toutes les décennies jusqu'aux années 1980), mais plutôt que je le redécouvre, l'ayant sciemment écarté durant des années, comme beaucoup.
Effectivement, grâce au Cinéma de minuit, le Ciné-club, et même parfois ARTE, je me suis mis à m'intéresser à ces films du passé, et me suis repris en pleine poire mes a priori. Bien-sûr, il y a quelques classiques bien connus, mais aussi tout un pan de productions méconnues, rares et très peu diffusées (voire perdues, physiquement ou à cause de basses histoires de droits), certes parfois très désuètes ou trop ancrées dans leur époque et qui ont mal vieilli, mais tous, en dehors de leurs qualités ou défauts, sont des témoignages de l'Histoire, aussi bien cinématographique que française.
Et en cherchant des infos sur ces films sur la toile, me suis rendu compte que pas grand-monde abordait ces films, alors que tous les forums y vont de leur Harry Potter show ou de la dernière croute d'Onteniente...
Bon, je fais mon vieux schnock, mais c'est normal aussi qu'on parle plus des films d'aujourd'hui dans les divers forums. Me suis pourtant dis que puisqu'ici on est dans un site où tous les cinémas sont abordés, il n'y avait pas de raisons d'écarter ces films en noir et blanc au son qui craque et aux images abimées (je le vends bien, non ? ) très peu en phase avec la 3D, les écrans HD et le son multicanal. Je ne pense pas que je déciderai les lecteurs, à travers mes bafouilles, à se plonger dans ce cinéma que voyaient nos grands-parents (voir arrières), mais qui sait... ?
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Cathy
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Re: Le cinéma français des années 30 (1930-39)

Message par Cathy »

J'aimerais découvrir l'enfer des anges, j'apprécie énormément Christian-Jaque que j'ai d'ailleurs classé au panthéon de mes réalisateurs favoris. Un film que je ne connais pas et dont ton avis m'a donné encore plus envie de le découvrir !
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