Trente cinq ans nous séparent de la date de réalisation de Les Galettes de Pont-Aven. Je ne l'avais pas vu jusqu'à présent. De l'eau a coulé sous les ponts (classique et logique), mais le cinéma français n'a peut-être pas été aussi truculent depuis, et surtout osé. Le film est simple, son histoire de VRP blasé qui tombe sous le charme des femmes qu'il croise aussi, mais il y a une liberté de ton représentative de la fin des années 60 et du début des années 70. D'un côté avec Godard qui experimente le Scope, la couleur et donne ses lettres de noblesse au portrait de femme avec Vivre sa vie, ou Pierrot le Fou, et de l'autre un cinéma moins intellectuel dans le fond et la forme, porté par les idées post-soixante-huitardes et qui se délecte de répliques basées sur la truculence du propos et une envie de bousculer certains interdits. Rétrospectivement le film paraît plus beaucoup plus cru que ce qui se produit aujourd'hui sans pour autant tomber dans la vulgarité crasse. Certes le verbe est fleuri, comme peut l'être celui de Blier, et d'ailleurs ce film de Séria me semble dans la lignée voire ancré dans l'héritage laissé par les Valseuses, mais il y a aussi une forme de poésie, des élucubrations aigres-douces avec une scène de danse sur une musique funky très flower power. Ici les petits loubards qui viennent téter le sein de Brigitte Fossey sont remplacés par un prêtre et un représentant de commerce en parapluie en pleine crise de la cinquantaine. Dans le rôle principal Marielle s'amuse avec son personnage frustré comme il le fera plus tard en homme là aussi blasé mais partouzard dans le classique 80's Tenue de soirée, autre sommet de la carrière de Blier dont la forme et le fond, parfaits l'ont fait entrer dans le panthéon du ciné français. Ici, point de Paris (ce qui sera plus d'une fois reproché à une partie de la production française des années 2000), mais une Province, et surtout une Bretagne qui respire une certaine tradition de fêtes, avec une description du milieu rural et paysan qui lorgne là aussi vers ce qu'à pu faire trente ans après Depardon avec La Vie Moderne, bien que ce soit deux régions très différentes culturellement et plastiquement parlant. A Pont-Aven, Henri Serin balade donc son imperméable et sa valise de parapluies en usant de sa gouaille enthousiaste. Mais voilà, à côté de son métier rôdé, l'homme s'ennuie. Sa femme le délaisse et lui frustré, dessine à trois heures du matin les fesses d'une dulcinée qui n'en est plus vraiment une à ses yeux. Un soir, de passage dans la boutique d'une de ses clientes il lâche prise et lui fait l'amour. C'est le déclic pour un homme qui commence selon ses dires à revivre.
L'espièglerie est là, mais le sourire et le rire ne sont pas forcément très joyeux dans cette farce rabelaisienne (cul, vin et bouffe dans quasiment tous les plans). On sent le personnage d'Henri tiraillé entre son envie de tout plaquer (femme, enfants et boulot) et ses croyances profondes (et non religieuses) qui l'empêchent de tourner définitivement la page. Par ses situations osées, Les galettes de Pont-Aven est un témoignage précieux sur une forme de production qui ne laisserait certainement plus passer les scènes parfois énormes qui sont décrites devant nos yeux : une femme délaissée par son mari qui couche avec une cliente laquelle est déjà mariée mais souffre tout autant que lui de solitude, la jeune femme venue tout droit du Québec et qui couche sous les "ordres", d'un local avec les premiers hommes venus, la prostituée bretonne incarnée par une Dominique Lavanant méconnaissable, la scène finale du film, audacieuse pour l'époque et probablement très difficile à tourner aujourd'hui. C'était décidé en 1974-75, la politique était plutôt à la libéralisation des moeurs (celle de Michel Guy avec la distribution des films pornographiques en salles avant la loi X de l'automne 75, ou comment ouvrir d'un seul coup toutes les vannes avant de se raviser devant le phénomène). Marielle est stellaire, habité et prodigieux, dans la retenue, la complainte, comme dans la libération. Il faut le voir et l'entendre jurer par tous les Dieux qu'il prend enfin son pied quand il renifle, touche, agrippe le sein d'une femme ou renifle son pubis, se disant vivant de nouveau, étreignant le corps de telle ou telle femme, ici sacralisée. Les velléités du peintre sont aussi fugitives qu'un orgasme consommé à la fin d'une relation sexuelle. C'est bref et puissant. Mais pour lui, elles comptent car elles lui permettent d'émerger un peu dans un monde trop balisé. C'est la principale force du film, qui malgré des moments plus boiteux, un rythme inégal (première partie démente puis seconde plus calme en péripéties mais plus torturée) ne juge pas ses personnages et leur laisse même toujours une chance de s'en sortir avec une galerie de seconds personnages assez croustillants de Claude Piéplu à Bernard Fresson. On y parle de peinture bien sûr (Gauguin, Courbet) mais aussi de libido, de désir, d'amour et de folie. Au moment où il plonge (la scène terrible du bar, où soliloquant et se rattrapant de justesse en manquant de tomber), Henri se rattrape grâce à une femme. Grâce à Marie il trouve une seconde jeunesse, mais n'est-il pas au fond, ce personnage accroché à l'idée d'une jeunesse éternelle et surtout à l'idée d'une jouissance qu'il faudrait sans cesse renouveler, comme quelque chose d'impossible à totalement rassasier mais qui sur l'instant lui donne une forme de joie voire de satisfaction ? Les galettes de Pont-Aven est un film de jouisseur, mais un film de jouisseur contrarié. On peut le voir aujourd'hui comme la preuve éclatante d'une production française qui osait prendre ses sujets à bras le corps, d'une façon plutôt franche, sans doute moins facile à financer de nos jours. Une voix originale.
L'espièglerie est là, mais le sourire et le rire ne sont pas forcément très joyeux dans cette farce rabelaisienne (cul, vin et bouffe dans quasiment tous les plans). On sent le personnage d'Henri tiraillé entre son envie de tout plaquer (femme, enfants et boulot) et ses croyances profondes (et non religieuses) qui l'empêchent de tourner définitivement la page. Par ses situations osées, Les galettes de Pont-Aven est un témoignage précieux sur une forme de production qui ne laisserait certainement plus passer les scènes parfois énormes qui sont décrites devant nos yeux : une femme délaissée par son mari qui couche avec une cliente laquelle est déjà mariée mais souffre tout autant que lui de solitude, la jeune femme venue tout droit du Québec et qui couche sous les "ordres", d'un local avec les premiers hommes venus, la prostituée bretonne incarnée par une Dominique Lavanant méconnaissable, la scène finale du film, audacieuse pour l'époque et probablement très difficile à tourner aujourd'hui. C'était décidé en 1974-75, la politique était plutôt à la libéralisation des moeurs (celle de Michel Guy avec la distribution des films pornographiques en salles avant la loi X de l'automne 75, ou comment ouvrir d'un seul coup toutes les vannes avant de se raviser devant le phénomène). Marielle est stellaire, habité et prodigieux, dans la retenue, la complainte, comme dans la libération. Il faut le voir et l'entendre jurer par tous les Dieux qu'il prend enfin son pied quand il renifle, touche, agrippe le sein d'une femme ou renifle son pubis, se disant vivant de nouveau, étreignant le corps de telle ou telle femme, ici sacralisée. Les velléités du peintre sont aussi fugitives qu'un orgasme consommé à la fin d'une relation sexuelle. C'est bref et puissant. Mais pour lui, elles comptent car elles lui permettent d'émerger un peu dans un monde trop balisé. C'est la principale force du film, qui malgré des moments plus boiteux, un rythme inégal (première partie démente puis seconde plus calme en péripéties mais plus torturée) ne juge pas ses personnages et leur laisse même toujours une chance de s'en sortir avec une galerie de seconds personnages assez croustillants de Claude Piéplu à Bernard Fresson. On y parle de peinture bien sûr (Gauguin, Courbet) mais aussi de libido, de désir, d'amour et de folie. Au moment où il plonge (la scène terrible du bar, où soliloquant et se rattrapant de justesse en manquant de tomber), Henri se rattrape grâce à une femme. Grâce à Marie il trouve une seconde jeunesse, mais n'est-il pas au fond, ce personnage accroché à l'idée d'une jeunesse éternelle et surtout à l'idée d'une jouissance qu'il faudrait sans cesse renouveler, comme quelque chose d'impossible à totalement rassasier mais qui sur l'instant lui donne une forme de joie voire de satisfaction ? Les galettes de Pont-Aven est un film de jouisseur, mais un film de jouisseur contrarié. On peut le voir aujourd'hui comme la preuve éclatante d'une production française qui osait prendre ses sujets à bras le corps, d'une façon plutôt franche, sans doute moins facile à financer de nos jours. Une voix originale.
