Jack Conway (1887-1952)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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But The Flesh is Weak (Mais la chair est faible, 1932) de Jack Conway avec Robert Montgomery, C. Aubrey Smith, Nora Gregor, Heather Thatcher et Edward Everett Horton

Les Clement père et fils (C. Aubrey Smith et R. Montgomery) sont deux gentlemen anglais désargentés qui tentent de se faire payer à dîner par des ladies richissimes. Max (R. Montgomery) est bien tenté de faire la cour à la très riche et très excentrique Lady Joan Culver (H. Thatcher), mais il tombe raide amoureux de la belle Rosine Brown (N. Gregor)...

Cette délicieuse comédie pre-code est due à la plume de l'auteur (et acteur) Ivor Novello. Ce dernier était un des principaux concurrents de Noël Coward. Il adapte ici une de ses pièces à succès The Truth Game. Le cinéma hollywoodien du début du parlant était très friand d'auteurs britanniques de comédies. La MGM adapte Private Lives (Vies privées, 1931) et Samuel Goldwyn importe Frederick Lonsdale pour lui fournir un scénario original qui deviendra le génial The Devil to Pay! (1930, G. Fitzmaurice). But The Flesh is Weak appartient à cette veine de films qui nous montre une Angleterre 'upper-class' qui a parfois des problèmes d'argent, mais qui fait tout pour sauver les apparences. Ce qui rend ce film particulièrement délectable c'est la virtuosité des dialogues qui sentent bon l'humour typiquement britannique de son auteur. Pour une fois, Hollywood n'a pas trouvé bon de faire réécrire le texte et c'est tant mieux. Les répliques étincellent grâce à un groupe de comédiens de première classe. Je mettrais au premier rang Robert Montgomery qui parvient à nous faire oublier sa nationalité américaine et qui forme un couple formidable avec son vieux papa joué par un C. Aubrey Smith absolument génial. Nous les découvrons dans leur modeste logis dont ils ont du mal à payer le loyer en train de partager la salle de bain tout en devisant sur leurs possibilités matrimoniales pour arranger leurs finances. Le film est peuplé d'excellents seconds rôles britanniques comme Heather Thatcher, à la tenue masculine (avec un monocle!) ou Frederick Kerr en vieux duc ronchon, ainsi que le formidable (américain) Edward Everett Horton en Lord plein aux as. Au milieu de ce casting de luxe, l'héroine est jouée par l'autrichienne Nora Gregor qui est restée dans l'histoire du cinéma pour sa participation à La Règle du Jeu (1939, J. Renoir). L'intrigue en elle-même n'est pas follement originale. Mais, c'est la légèreté et le charme des interprètes qui donnent au film son vernis et son brillant. Novello savait écrire ces dialogues ponctués de bons mots qui restent délectables comme ceux d'un Guitry. Le rythme endiablé se maintient jusqu'à l'image finale grace à la réalisation d'un Conway habile faiseur. Il faut aussi préciser la présence d'un tout jeune Ray Milland en figurant ainsi que du suèdois Nils Asther en prince russe. Une excellente comédie britannique 'made in Hollywood' qui est à découvrir en Warner Archive.
feb
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Une nouvelle critique qui donne envie, merci Ann :wink:
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Profondo Rosso
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Marchands d'illusions (1947)

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Publiciste, Victor Norman est chargé de trouver une veuve de guerre pour être le nouveau visage d'un savon de beauté. Il ne tarde pas à tomber amoureux d'elle.

The Hucksters est une audacieuse et surprenante production hollywoodienne par sa thématique remettant en cause les valeurs de réussite et d'argent ancrées dans la culture américaine. Le film adapte le best-seller éponyme de Frederic Wakeman paru l'année précédente et qui malgré son succès reçu un accueil critique mitigé de par la dureté de son propos. Clark Gable lui-même, guère convaincu, demandera une série d'ajustement divers aux trois scénaristes Luther Davis, Edward Choderov et George Wells lorsqu'il décidera de tourner dans l'adaptation signée Jack Conway. Ces changements également voulus par la MGM concerne notamment le personnage de Deborah Kerr (ici dans son premier film américain) qui de femme adultère dans le livre deviennent une veuve vertueuse mère de deux enfants. Le livre incluait également des protagonistes inspirés de personnalité existantes tel l'agent David Lash (Edward Arnold) relecture du bien réel patron de l'agence MCA Jules Stein et pour s'en éviter les foudres le personnage est largement adouci, son honnêteté étant souligné plusieurs fois dans les dialogues lors du conflit qui l'oppose à Gable (ainsi que des particularités ethniques comme sa religion juive qui auraient fait polémique à l'écran).

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L'intrigue nous plonge dans le milieu de la publicité, pas si souvent vus au cinéma semble-t-il. Vétéran de guerre de retour aux affaires, Vic Norman (Clark Gable) est bien décidé à réussir et va mettre tous les atouts de son côté pour cela lorsqu'il est engagé dans la prestigieuse agence de Kimberly (Adolphe Manjou). Ses atouts ? Un culot, un charme et un bagout irrésistible qui lui permettent de convaincre les plus récalcitrants des interlocuteurs. Il faudra bien cela lorsqu'il aura affaire au client le plus important de l'agence, le tyrannique magnat de l'industrie du savon Evans (Sydney Greenstreet haut en couleur). Clark Gable était bien évidemment l'acteur idéal pour un tel rôle de bonimenteur et le début du film le voit donner un grand numéro de séduction. Il faut le voir arriver tout en décontraction et détachement à son entretien d'embauche alors qu'il est aux abois financièrement, dérouler son numéro tout en regard plissé et sourire en coin à la fillette même de Kay Dorrance (Deborah Kerr) pour la convaincre d'apporter sa participation à son produit. C'est la relation avec cette dernière qui révèlera les failles de cette attitude et de ce milieu.

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Norman agira ainsi de manière cavalière avec Kay dont il est réellement amoureux en l'invitant à l'hôtel comme la première conquête venue. Cette désinvolture et volonté de réussite à tout prix le voit se conduire de manière tout aussi odieuse dans son job lorsqu'il soumettra un vieil ami au chantage pour obtenir un de ses clients. Au-delà même du héros, le film multiplie les piques grinçant sur le monde de l'entreprise et le capitalisme. Les réunions professionnelles ne sont que courbage d'échine au tout puissant patron qu'il ne faut surtout pas contredire. Les différents spots publicitaires sont plus d'une fois tournés en dérision (ainsi que les dramas ridicule y étant parfois associés) et leur aspect envahissant se voit mis en boite de manière cinglante durant la scène ou Ava Gardner éteint la radio de dépit car chaque chansons se voit interrompus par de la réclame. Les êtres les plus avenants peuvent s'avérer douteux tel ce moment anodin mais terrible où Adolphe Manjou révèle les origines de sa fortunes...L'ensemble est fort bien documenté et crédible dans la description du fonctionnement du métier, que ce soit les coups bas divers (la négociation roublarde de Gable pour obtenir une vedette) ou dans l'élaboration d'une réclame et de son script.

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Cet univers et cette mentalité figurent vraiment un monde à part du commun des mortels illustrés par le triangle amoureux où Gable hésite entre la normalité, la sincérité de Deborah Kerr et la frivolité plus proche de lui d'Ava Gardner, chanteuse évoluant dans les mêmes sphères. Ava Gardner encore starlette montante est fort convaincante malgré son faible temps de présence et aurait accepté le rôle pour Gable qu'elle admirait. Prenant même peur au dernier moment elle failli abandonner le film avant que Gable ne l'appelle personnellement et la rassure, scellant ainsi leur amitié et leur future complicité dans leur autres films en communs notamment le fameux Mogambo. Deborah Kerr réalise elle un vrai miracle avec un personnage dont les attitudes la rendent constamment faible (cédant à toutes les demandes de Gable, accourant même vers lui malgré son attitude odieuse) et c'est finalement la sincérité constante de Kay qui s'illustre dans les sentiments purs lus dans son regard. Une bien belle prestation.

La conclusion morale et quelque peu utopique est vraiment marquante avec une volte-face étonnante de Gable affirmée par une tirade puissante où il avouera enfin tout son mépris cette vie. Sans l'égaler, on n’est pas loin de l'insoumission ressentie dans Le Rebelle de King Vidor avec une même ode au libre arbitre plutôt qu'à la réussite à tout prix. 5/6
feb
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Our Modern Maidens - Jack Conway (1929)
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Suite, sans en être réellement une, du film Our Dancing Daughters qui révéla Joan Crawford l'année précédente, Our Modern Maidens reprend les mêmes ingrédients que son prédécesseur mais oublie en route beaucoup de tout ce qui faisait le sel du film de Harry Beaumont. Le film de Jack Conway fait un peu office de douche froide lorsqu'on le compare à sa suite tant l'épisode N°2 manque de dynamisme, semble étiré en longueur et se voit desservit par des acteurs/actrices pas forcément au top, nous faisant regretter Dorothy Sebastian et Johnny Mack Brown. Le film de Conway donne l'impression de vouloir uniquement profiter du formidable mouvement engendré par le 1er épisode où Joan Crawford était le point de focalisation d'un film parfaitement mis en scène, riche en scènes dansantes et qui semblait baigner dans la musique, la fête, la liberté d'expression et le Pre-Code. Ici on se retrouve avec un film qui semble manquer de souffle (où sont les scènes de fêtes où Crawford bouffait l'image par son coté espiègle et son pep's), qui repose sur un pitch plus que basique auquel il est vraiment difficile d'accrocher (Crawford et Fairbanks s'aiment et vont se marier mais Crawford va séduire de son coté un homme plus riche et haut placé pour aider son futur mari à obtenir son poste. De sn côté, il tombe sous le charme de sa meilleure amie...) et surtout sur des interprètes qui n'apportent rien à l'histoire. Douglas Fairbanks est d'une telle platitude que l'on se demande si l'acteur est bien celui qui est censé épouser Joan Crawford dans la vrai vie (d'où la demande de pret de la MGM à la Warner pour capitaliser sur ce futur mariage) et mis à part SA scène où il imite John Barrymore, John Gilbert ainsi que son père, il ne semble pas impliqué, pas amoureux du personnage interprété par Crawford qui ne se prive pas pour le manger tout cru à chacune de leur scène commune. On regrette ainsi le rôle tenu par Johnny Mack Brown, acteur bien plus dynamique, naturel et qui semblait moins guindé (et presque plus élégant) que Fairbanks Jr. Si Anita Page est toujours présente (et c'est tant mieux car elle est une fois de plus rayonnante dans un rôle à l'opposé de celui qu'elle tient dans le 1er épisode), on regrettera le remplacement de Dorothy Sebastian par Josephine Dunn dans un rôle assez mineur, qui n'apporte rien à l'histoire et dans lequel l'actrice n'est pas mise à son avantage. Si on rajoute à cela un Rod La Rocque qui se la joue "Matinee Idol" moyennement convaincant et un Edward J. Nugent qui ne sert à rien, on obtient un tableau pas spécialement vendeur et qui casse réellement le plaisir pris devant le premier épisode.
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En plus de ça, Jack Conway n'apporte pas assez de rythme à son film qui se voit plomber par des scènes longues (mon dieu ces 15 premières et 15 dernières minutes :? ), une mise en scène plate (où sont les plans de Harry Beaumont qui semblaient accompagner la musique ? où sont les jambes de Crawford ? ) et s'essaye à des effets de style avec des zooms en plongée/contre-plongée lors de la soirée dansante qui m'ont paru innovants pour un film muet mais qui, malheureusement, n'apportent rien au film et à son déroulement car elles se retrouvent engluées dans cette mise en scène plate. La présence d'effets sonores synchronisés (c'est un film de 1929 rappelons-le) n'apportent rien de plus au film - et ils ont parfois l'effet contraire avec cette sensation d'être devant un film à cheval entre 2 chaises où on fait parler la radio entre 2 intertitres de muet - et l'accompagnement musical est assez anodin.
En résumé, Our Modern Maidens est une déception surtout après le plaisir pris devant Our Dancing Daughters qui, s'il est loin d'être un chef d'oeuvre, était plus dynamique, enjoué et jouait la carte du Pre-Code "jazzy" à fond. Ici on fait face à un film bien plus plat, manquant de rythme et de risque, juste sauvés par les superbes décors Art Deco et par la présence d'une Joan Crawford toujours aussi radieuse et mignonne dans son style flapper (même si elle est bien mieux mise en valeur sur le 1er épisode) et par le naturel de Anita Page...ce n'est vraiment pas suffisant et c'est vraiment rageant.
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feb
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Untamed - Jack Conway (1929)
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Alice 'Bingo' Dowling, jeune fille élevée dans un boui-boui d'Amérique du Sud, hérite du business pétrolier de son père après la mort de ce dernier. Mais dotée d'un tempérament sauvage, ces 2 "oncles" préfèrent l'envoyer à New York pour la civiliser et elle va tomber amoureux de Andy McAllister (Robert Montgomery), un jeune homme rencontré sur le bateau. Peu fortuné et effrayé à l'idée que l'on puisse le traiter de profiteur vis-à-vis de la richesse de la jeune femme, il va refuser de se marier et essayer de l'oublier.

Après Our Modern Maidens, Jack Conway retrouve Joan Crawford pour son premier vrai film parlant (oublions The Hollywood Revue of 1929 qui est plus un outil publicitaire pour la MGM) et le moins que l'on puisse dire c'est que le passage au parlant n'a pas arrangé les choses bien au contraire. Disons le clairement, Untamed est une jolie purge dans la carrière de l'actrice et il n'y a pas grand chose à en tirer tant le film de Conway accumule tous les points négatifs des early-talkies.
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Basé sur une histoire assez ridicule et extrêmement pauvre en rebondissements, Conway semble complètement perdu avec sa caméra au point de nous offrir des plans d'un statisme à pleurer, une mise en scène désastreuse (des plans balancés les uns à la suite des autres sans aucune imagination) et sans le moindre sens du rythme. Tout ce que le début du ciné parlant a de plus désagréable se retrouve dans ce film où l'absence totale de musique et les fortes variations de voix nous font regretter les films muets tournés quelques mois auparavant.
Pas grand chose non plus à sauver du côté des acteurs avec un Robert Montgomery - dans son premier "top billing" et dans le 1er des 6 films tournés avec Crawford - qui semble lui aussi bien perdu et peu à l'aise devant la caméra et un Ernest Torrence, pourtant royal dans ses rôles muets, qui apparait ici bien pâlichon. Joan Crawford est belle comme le jour et arrive à s'en sortir sans trop de dégâts (excepté quand elle pousse la chansonnette) mais ça ne suffit pas à sauver le film qui sombre dans l'ennui très rapidement et dont les 86 minutes semblent être une éternité. Le premier parlant de Crawford est un film à oublier, mou, statique et il faut vraiment être fan de l'actrice :mrgreen: pour y trouver un quelconque intérêt. Heureusement que par la suite ses rôles vont s'améliorer (à partir de 31) parce qu'avec un tel film je n'aurai pas donné cher de la carrière de Crawford, de Montgomery ou même de Conway.

Pour quelqu'un qui découvre la filmo MGM de Joan Crawford, je lui conseille de mettre ce film de coté et de privilégier les films tournés à patir de 31/32, spécialement ceux avec Gable :wink:
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Profondo Rosso
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Le Marquis de Saint-Évremond (1935)

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En 1789, Lucie Manette, dont Sydney Carton vient de s'éprendre, aime Charles Darney, neveu du tyrannique Marquis de Saint-Évremont. Celui-ci, responsable de la mort d'un enfant, sera tué par le père de ce dernier. En outre, la Révolution française gronde et bientôt, ce sera la Prise de la Bastille...

Cette adaptation du roman éponyme de Charles Dickens nous offre un captivant et tumultueux mélodrame historique, sommet des productions d'un David O'Selznick officiant encore à la MGM. L'intrigue offre une tonalité tout à la fois romanesque et respectueuse de la réalité historique, entremêlant constamment l'intime et la grande Histoire. Cela fonctionne notamment par un usage volontaire des grands archétypes associés à cette période. L'ouverture nous plonge donc dans une France faisant office de poudrière prête à exploser durant cette période pré révolutionnaire. Les tableaux de misères sont saisissants avec ce peuple s'abreuvant de flaques d'eau insalubre, les nobles et aristocrates sont plus abjects les uns que les autres tel un Basil Rathbone en Marquis de Saint-Évremond écrasant sans un regard les enfants ayant le malheur de se trouver sur le chemin de sa calèche lancée à toute vitesse. Même en nuançant le propos on retombe dans ces mêmes archétypes avec un Charles Darney (Donald Woods) en neveu de Saint-Évremond reniant l'attitude de son oncle et défenseur du peuple. La vraie émotion naîtra surtout avec les retrouvailles poignantes entre le Dr Manette (Henry B. Walthall) embastillé depuis 18 ans et sa fille Lucie (Elizabeth Allan) tandis que l'originalité se ressentira dans la nature très feuilletonesque donnée à ces prémisses de la Révolution amorcée bien en amont par la société secrète des "Jacques".

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Cruels au point d'en être grotesque (le Marquis de Saint-Évremond), vertueux jusqu'à en paraître lisses (Charles Darney et Lucie), tous ces personnages et ce contexte historique ne nous paraîtra plus palpable qu'avec l'arrivé de Carton (Ronald Colman) dans l'intrigue. Dénué de l'égoïsme des aristocrates, de la soif de vengeance du peuple et de la bienveillance des républicains, Carton ne sert finalement que le mépris qu'il a de lui-même et l'auto destruction à laquelle il se livre dans ses beuveries. C'est un être plus faillible et humain auquel nous pouvant épouser le regard. On découvre ainsi autant ses aptitudes (remarquable scène d'enquête et de procès) que les démons qui le rongent par ses interactions avec les autres personnages qu'il fait réellement exister. Lucie par sa sollicitude pour lui devient un touchant enjeu d'amour platonique qui le forcera à se montrer sous un meilleur jour jusqu'au magnifique sacrifice final.

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Ronald Colman qui caressait depuis longtemps le rêve d'interpréter le personnage de Dickens offre une prestation subtile et poignante. Les nuances et contradictions de Carton exprime ainsi une certaine idée du libre arbitre où la bonté naîtra plus de notre éveil et fort intérieur plutôt que d'une idéologie. A l'inverse les mouvements collectifs même bien intentionnés sont voués à l'échec moral. Les scènes de procès où l'esprit de revanche a plus court que la vraie justice (tout aristocrate ou plus ou moins lié à eux étant condamné à mort dans ce règne de la terreur) renvoient finalement les révolutionnaires et nobles dos à dos, les premiers faisant preuve de la même indifférence que les seconds en méprisant une caste entière sans se préoccuper de l'individu.

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Les équipes de la MGM offrent une direction artistique époustouflante portée par la mise en scène inspirée de Jack Conway encore sous haute influence du muet lorsqu'il use grandement de phrases exaltées s'affichant à l'écran pour appuyer les moments les plus évocateurs de l'oppression puis de la révolte du peuple. La caméra s'attarde sur les regards mornes puis enragés, les élans collectifs se font dans des mouvements de caméra amples où la conscience et la colère semblent monter comme un seul homme au sein d'une population qui a trop subie. Mme Defarge (Blanche Yurka) la plus enragée de tous exprime à elle seule cette furie qui renverra finalement à des motifs plus personnels. Le plus impressionnant morceau de bravoure ne sera cependant pas dû à Jack Conway mais plutôt à Val Newton et Jacques Tourneur à la seconde équipe qui signent l'incroyable séquence de prise de la Bastille, d'une ampleur et intensité stupéfiante. Conservant sa liberté d'action et de pensée jusqu'au bout, Carton se détache de toute cette fourmilière indistincte pour finalement signer l'acte le plus noble du film dans une belle conclusion où la fin imminente se confond avec un sentiment d'éternité lors du plan aérien final. 5/6

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Profondo Rosso
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Red-Headed Woman (1932)

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Lilian « Lil » Andrews (Jean Harlow) est une jeune femme ambitieuse et prête à tout pour gravir l’échelle sociale. Elle séduit son riche patron William « Bill » Legendre Jr. (Chester Morris) et le pousse à mettre un terme à son mariage avec Irene (Leila Hyams). Lil espère ainsi intégrer la haute société mais aura beaucoup de difficultés à y être acceptée.

Un Pré-Code sulfureux qui contribue après le succès l'année précédente de La Blonde Platine à l'aura de star scandaleuse de Jean Harlow. Au scénario on trouvait déjà Anita Loos qui entamait alors une association à succès avec Harlow et contribuant à son mythe avec des œuvres comme Hold Your Man (1933), La Loi du plus fort (1936) ou encoreSaratoga (1936), ultime rôle d'Harlow. Anita Loos est également l'auteur en 1925 du roman Les hommes préfèrent les blondes popularisé plus tard par la célèbre adaptation d'Howard Hawks et par la même occasion contribue au mythe de la "gold digger" , la séductrice de basse extraction en quête d'un mari richissime apte à lui faire mener la grande vie. Ce mythe est associé à la blonde évidemment et comme le montrera l'interprétation de Marylin Monroe prend un tour candide mais encore assez naïf et tendre, ce que vient complètement contredire ce Red-Headed Woman avec son héroïne à l'érotisme incendiaire.

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Dès l'ouverture le ton est donné avec une Jean Harlowe lascive lançant un "Qui a dit que les hommes préféraient les blondes". Ce changement capillaire pour la star tend à renforcer la dimension amorale et la sexualité agressive de Lil, jeune femme bien décidé à gravir l'échelle sociale. Conway en fait un prédateur dont les griffes sont ses jambes longuement exposées, les crocs ce regard mutin brûlant de désir et en vrai chasseur de sa catégorie sa proie est accrochée à son porte- jarretelle avec la photo de son patron et fils de bonne famille Bill Legendre (Chester Morris) sur lequel elle a jeté son dévolu. Conway ne donne à aucun moment un semblant d'illusion de vrais sentiments, le sexe est une arme que maîtrise parfaitement Lil et pour ses victimes sa sensualité provocante est comme une maladie incurable dont ils ne pourront plus se défaire après y avoir gouté. Du plus vertueux et aimant des époux au vieux puritain le plus austère, pas un ne résistera et Conway se fait un malin plaisir à tirer en longueur des séquences à la tension érotique intenable où la libido masculine est un jouet dont notre héroïne s'amuse. La scène où Lil s'enferme avec Bill et cache la clé dans son corsage est aussi torride que tordante face au désarroi du malheureux homme pris au piège dans tous les sens du terme et qu'un fondu au noir parfait de sous-entendus vient conclure. Le film ne se montre d'ailleurs pas forcément toujours aussi subtil, osant par instants un érotisme bien plus direct comme ce moment où Jean Harlow échange son pyjama avec son amie et que l'on peut clairement voir ses seins. Le dialogue est aussi un moyen efficace de souligner l'amoralité de Lil, celle-ci lançant un Cette robe est transparente ? Je la prends ! durant un achat en début de film.

Et pourtant, miracle Jean Harlow n'est jamais méprisée ni détestée malgré cette attitude tout au long du film. L'actrice dégage un tel capital sympathie que l'on est plus amusé que choqué de ses exploits, notamment grâce à la dimension sociale du récit. Son physique semble être son seul atout pour réussir, sa gouaille et ses attitudes désinvoltes signifiant bien sans appuyer qu'elle n'a pu recevoir une meilleure éducation. Elle n'en fait pas un complexe et quand les membres de la haute société la mépriseront, loin de désespérer elle ira tout simplement pêcher un plus gros poisson. Ce personnage plein de ressources fascine donc, sans complexe moraux que ce soit dans son ambition ou ses désirs (l'aventure avec le chauffeur français joué par Charles Boyer). Une liberté de ton confirmée par un final délicieusement amoral. 5/6
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Profondo Rosso
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Re: Jack Conway (1887-1952)

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Franc Jeu (1941)

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En fuite, le voyou Candy Johnson (Clark Gable) décide de se rendre avec son ami Sniper dans la petite ville de Yellow Creek pour y faire des affaires. En chemin, il rencontre Elizabeth (Lana Turner), une belle jeune fille de Boston qui commence par le repousser mais qui finit par tomber sous son charme. Une fois à Yellow Creek, Candy retrouve d'anciennes connaissances. Il utilise alors ses talents d'arnaqueur pour se faire de l'argent.

Honky Tonk offre un savoureux mélange de western et de comédie romantique porté par le duo de charme Clark Gable/Lana Turner dont c'est le premier film en commun. La facette romantique piquante se teintera progressivement d'une tonalité plus dramatique, lorsque le récit sera rattrapé par les éléments de westerns finalement assez dur contenu dans le scénario (violence et corruption dans les cités des pionniers chercheurs d'or). Le film s'ouvre sur un hilarant cliché du genre (et pas si souvent concrètement vu) lorsque l'arnaqueur virtuose Candy Johnson (Clark Gable) s'apprête à passer au goudron et aux plumes par la population menaçante qu'il a roulé. Son bagout va miraculeusement lui permettre de s'en sortir mais désormais il souhaite quitter cette vie aventureuse pour trouver une petite ville où s'installer et s'enrichir. Le récit se partage donc entre l'ascension roublarde de Johnson dans la petite ville de Yellow Creek et la séduction de la charmante et innocente Elizabeth (Lana Turner).

Rien ne semble pouvoir résister à un Clark Gable tout en malice et en culot, Jack Conway ne différenciant pas au départ ses entourloupes (la manière dont il trouvera les fonds pour ouvrir son saloon...) et la romance avec Lana Turner. Dans les deux cas, l'éloquence et le charme suffisent sans s'impliquer outre mesure, tout interlocuteur étant un "sucker" soit une victime potentielle à rouler. De même l'implication de Johnson dans la ville (pour laquelle il fait construire toute les institutions officielles, église, mairie, école) participe à celle de sa relation avec Elizabeth, mais là il se trouvera dépassé par l'amour ardent de la jeune femme qui devient son épouse presque à son insu. Voir l'éternel aventurier ainsi désarçonné offre d'irrésistible moments de comédie où la respectabilité du héros ne restera qu'une façade. Lana Turner excelle en amoureuse éperdue (magnifiée par quelques gros plans sublimes), apportant subtilement sa veine séductrice à la pureté initiale du personnage. Guère résistante au baiser forcé de Gable, elle affiche une surprenante moue de déception quand ce dernier rebrousse chemin après avoir enfoncé la porte de sa chambre. Jack Conway contourne d'ailleurs non sans audace le Code Hays pour faire douter ou signifier que la nuit a été consommée avec la réminiscence des plans sur les vêtements de Gable et/ou Turner accrochés les porte-manteau. Une fois marié l'attitude prude a totalement disparue et on retrouve la Lana Turner vamp dans les scènes intimes.

Le thème sur l'honnêteté et/ou la corruption morale contaminant tour à tour le couple est intéressant mais reste assez superficiel et prétexte à la comédie romantique et au drame. On peut le regretter (surtout avec la belle interprétation de Frank Morgan en arnaqueur repenti) mais le charme du couple rend l'ensemble très attachant à l'image d'un final irrésistible. 4/6
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Alexandre Angel
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Re: Jack Conway (1887-1952)

Message par Alexandre Angel »

Profondo Rosso a écrit :Red-Headed Woman (1932)

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Je veux cette affiche!!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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