Le Western américain : Parcours chronologique I 1930-1949

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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The Doolins of Oklahoma

Message par Jeremy Fox »

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Face au châtiment (The Doolins of Oklahoma, 1949) de Gordon Douglas
COLUMBIA


Avec Randolph Scott, George Macready, Louise Allbritton, John Ireland, Virginia Huston, Charles Kemper, Noah Beery Jr., Dona Drake, Robert Barrat
Scénario : Kenneth Gamet
Musique : George Duning & Paul Sawtel
Photographie : Charles Lawton Jr (Noir et blanc)
Un film produit par Harry Joe Brown & Randolph Scott pour la Columbia


Sortie USA : 27 mai 1949


Girl Rush en 1944, s’apparentant plus à une comédie musicale, The Doolins of Oklahoma est le premier véritable western d’un cinéaste qui n‘occupe malheureusement pas la place qu’il mériterait au sein des différentes anthologies du genre, voire même du cinéma. Il commença par diriger quelques épisodes de la série Our Gang avant de réaliser son premier long métrage à l’âge de 35 ans, Laurel et Hardy faisant quasiment partie de ses premiers interprètes. Sa filmographie sera au final conséquente et très éclectique, le cinéaste travaillant dans presque tous les genres mais se révélant surtout très doué pour le film policier, la science-fiction et le western. Face au châtiment demeurera assez longtemps son meilleur western avant que dans le genre, il réalise à partir de la deuxième moitié des années 50 , une succession d’autres très belles réussites avec comme têtes d’affiches Alan Ladd ou Clint Walker. En 1951, Gordon Douglas reprendra un peu le même schéma que celui de The Doolins of Oklahoma pour Les Rebelles du Missouri (The Great Missouri Raid) mais le résultat sera bien moins réussi et surtout bien moins captivant.

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A Coffeyville, le 05 octobre 1892. Le Gang des frères Dalton, trahi par Wichita Smith, tombe sous les balles des hommes de loi dirigés par le Marshal Sam Hughes (George MacReady). Seul rescapé de la bande, Bill Doolin (Randolph Scott), réussit à s’enfuir après avoir tué Wichita en état de légitime défense. Même s’il comptait changer de vie, il est désormais recherché par toutes les polices pour ce ‘meurtre’. Il décide alors de fonder un nouveau gang avec pour membres, Red Buck (Frank Fenton), Arkansas (Charles Kemper), Tulsa Jack Blake (Jock O' Mahoney), Bitter Creek (John Ireland) et Little Bill (Noah Beery Jr.). Sans verser le sang, ils n’en pilleront pas moins moult banques et trains. Satisfait du butin récolté, Bill décide de faire le partage puis conseille à ses acolytes de se séparer le temps d’un break de trois mois qui leur permettrait de se faire oublier. Toujours poursuivi par Hughes, Bill arrive à se cacher dans la petite ville de Claymore où il tombe amoureux de la fille du pasteur, Elaine Burton (Virginia Huston) ; se faisant passer pour un dénommé Bill Daley, il achète une ferme et épouse Elaine bien décidé à mettre fin à sa vie de hors-la-loi. Mais bientôt, ses ex-associés viennent le rechercher. Refusant de les suivre, il se voit néanmoins contraint d’accepter après que ses complices aient révélé à son épouse sa véritable identité. Les larcins reprennent donc mais l’ambiance au sein de la bande n’est plus la même que par le passé, une certaine aigreur venant remplacer la convivialité…

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Bill Doolin (1858-1896) fut un véritable bandit du Far-West qui écuma l’Oklahoma durant la dernière décennie du 19ème siècle. Après que Randolph Scott ait endossé sa défroque dans cette excellente surprise que constitue Face au châtiment, on le verra de nouveau en 1951 dans A feu et à sang (The Cimarron Kid) de Budd Boetticher mais cette fois sous les traits d’Audie Murphy. Que ce soit dans les westerns de Budd Boetticher ou de Gordon Douglas, on peut dire que ce personnage aura été à deux reprises l’un des hors-la-loi les plus attachants de l’écran. Il faut dire que le véritable Doolin était réputé pour avoir été un criminel malgré lui, refusant la violence quant elle n’était pas utile. Il fut capturé par le shérif Bill Tilghman après quatre années d’inlassable traque. Une vie aventureuse qui, à l’instar de celle de Jesse James, traîne derrière elle une sacré aura romantique au point de n’avoir laissé dans l’imaginaire collectif que le fait que Doolin ait été une "Victime du destin" (pour reprendre le titre français d’un film de Walsh qui abordait également le même sujet et avec encore plus de réussite) rattrapée par son passé. Quant en plus, Hollywood fait de cet outlaw un homme d’une grande noblesse de cœur, tentant de retrouver la rédemption et la dignité par l’amour, il ne pouvait être que préféré par les spectateurs à ses poursuivants qui pourtant, dans le film de Gordon Douglas, ne font que consciencieusement leur travail, sans animosité.

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Car si dans le film de Boetticher, les hommes de loi et de justice étaient parfois haïssables, aucun manichéisme au sein du scénario bien enlevé d’un Kenneth Gamet qui aura rarement fait preuve d’autant d’humanité. C’est George Macready qui incarne la loi dans The Doolins of Oklahoma ; il prouve ici qu’il était aussi doué en ‘Bad Guy’ que l’on aime haïr (Coroner Creek, déjà aux côtés de Randolph Scott) que de l’autre côté de la barrière. Son Marshall est tenace quant à son envie de mettre fin aux agissements de la bande de Doolin mais, s'il mène la chasse sans relâche, c'est aussi sans aucune haine, juste par conscience professionnelle. Doolin a beau lui en vouloir d’avoir tendu un piège aux Dalton ("No man's bad enough to be shot in the back"), il lui laissera la vie sauve alors, qu’en pleine cavale, il l’avait à sa merci. Doolin, c’est donc Randolph Scott ; coïncidence assez cocasse, l’année précédente, dans Far West 89 (Return of the Bad Men), le comédien avait l’étoile épinglée sur sa chemise et parmi les bandits qu’il poursuivait, se trouvait… Bill Doolin ! Après avoir été Wyatt Earp dans Frontier Marshal d’Alan Dwan, Bat Masterson dans Trail Street de Ray Enright et Sam Starr dans Belle Starr d’Irving Cummings, Randolph Scott revêt une fois encore la défroque d’un personnage célèbre de l’histoire de l’Ouest Américain. Poli, civilisé, d’un remarquable self-control sans pour autant se départir d’envoyer des 'punchlines' bien senties (voire la séquence de son apparition au saloon après que les Dalton se soit fait tous descendre), il se révèle en outre romantique, noble et profondément humain. Après qu’il se soit battu avec vigueur contre un des membres de son équipe, il écoute la leçon de morale d’un troisième, acceptant le fait de s’être trompé et faisant tout pour recoller les morceaux et effacer les rancunes.

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Les amateurs de Randolph Scott devraient pleinement l'apprécier dans le rôle qu’il tient ici. Vêtu déjà de sa fameuse veste en cuir qu'il continuera à porter durant toute la décennie suivante, il s'avère aussi à l'aise sur un cheval que le revolver à la main et les séquences plus intimistes qui le confrontent avec Virginia Huston nous font redécouvrir un comédien aussi à l'aise dans ce registre ; leur couple est vraiment touchant notamment lors de la séquence de leurs retrouvailles. Charismatique, humain, souriant, romantique, Randolph Scott est absolument parfait. Tout comme la kyrielle de femmes qui peuple le film, les compagnes des membres de son gang, en perpétuelle attente du retour de leurs hommes avec bien évidemment l'actrice incarnant son épouse (la charmante Virginia Huston) mais également Louise Allbritton interprétant le personnage de Rose of Cimarron qui sera d'ailleurs tout aussi attachant dans le film de Budd Boetticher. La seule faute de goût au sein de ce casting féminin est Dona Drake dans le rôle de Cattle Annie ; on se demande qui du personnage ou de l'actrice est le plus tête à claque. Reste que l'importance des femmes dans ce western n'est pas négligeable, constituant l'une de ses originalités : d'une grande noblesse de sentiments, plus matures que leurs homologues masculins, prêtes à tout pour protéger leurs compagnons ("Je me dois de soutenir mon époux"), elles n'auraient pas dépareillés dans un film de John Ford ! Pour le reste, le choix est également tout à fait judicieux y compris pour les seconds rôles masculins hauts en couleur avec notamment John Ireland, Noah Beery jr dans le rôle du bandit cultivé et lucide ("Les hommes comme nous ferons bientôt partie du passé") et, en discret faire valoir comique, le toujours sympathique Charles Kemper, peu avare de répliques assez piquantes ("It's a funny thing. She won't marry me when I'm drunk and I won't marry her when I'm sober"). Enfin, un autre protagoniste très touchant, celui du père d'Elaine (Griff Barnett), très compréhensif quand il apprend la véritable identité de son gendre ("You're dead, Bill - and I don't want my daughter married to a dead man.")

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Des personnages fortement caractérisés, crédibles et attachants au sein d'une histoire à priori conventionnelle mais rehaussée par un scénario dynamique, soigné et très bien écrit qui fait d'ailleurs débuter le film par une mise en place de la situation nette et précise. Sans presque aucune bavure (à l'exception de quelques fautes de goûts déjà évoquées plus haut), le script fourmille de maints détails réalistes ou cocasses, tous dans l'ensemble très intéressants et (ou) nouveaux (le morceau que doit jouer l'orchestre pour prévenir les membres du gang qu'il est temps pour eux de s'enfuir ; la séquence de l'église au cours de laquelle Randolph Scott doit cacher qu'il est porteur d'une arme qu'un petit garçon va pourtant remarquer...), dévoile un sens de l'ellipse tout à fait réjouissant (le plan qui nous apprend la mort de John Ireland par la vue de ses éperons plantés sur une tombe) et refuse de tomber dans le sentimentalisme (voire cette même séquence toute en sobriété). Avec des combats à poings nus secs et violents (celui qui oppose Randolph Scott et Frank Fenton est assez rude), une touche d'humour, une vitalité rarement démentie, nous avons ici réunis tous les éléments typiques des productions Harry Joe Brown et Randolph Scott qui font décidément partie de ce qui s'est fait de mieux dans le domaine de la série B westernienne, et ce, depuis la deuxième moitié des années 40 et qui aboutiront à la fameuse série Scott-Boetticher.

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Non seulement l’histoire est bien racontée mais Gordon Douglas prouvait à l’occasion qu’il était déjà devenu un technicien hors-pair, très à l'aise dans la gestion de l'espace. Son film est parfaitement cadré, monté et rythmé, alternant harmonieusement séquences mouvementées et séquences plus intimistes. Les premières, d'une vigueur et d'une efficacité à toute épreuve, comportent des images de toutes beautés -notamment lors des poursuites filmées au milieu des paysages rocheux de Lone Pine (encore une récurrence des productions Scott/Brown)-, des plans splendides en plongée abrupte sur les bandits caracolant, une autre image étonnante pour l'époque, un immense plan d'ensemble vu de très haut sur une horde de chevaux apeurés soulevant un énorme nuage de poussière (plan qu'on croirait tout droit sorti d'un film des années 60), de superbes travellings sur de nerveuses chevauchées, le tout sur une musique de George Duning ne manquant pas de puissance. Les fusillades, attaques, cavalcades et autres bagarres sont tout aussi bien exécutées par Gordon Douglas avec l'aide de Yakima Canutt en tant que cascadeur. Profondément humain sans jamais verser dans le sentimentalisme, trépidant sans s’empêcher de prendre des pauses jamais ennuyeuses, vigoureux, violent, tendre et romantique tout à la fois, un western au rythme soutenu, dynamique et généreux, qui mériterait sans plus tarder d’être sorti de l’oubli.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par someone1600 »

Lache pas Jeremy, ton topic est certainement un des plus interessant du forum, un travail colossal que tu réussi a faire d'une maniere extraordinaire. :D
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hellrick
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par hellrick »

Bonne continuation dans ce titanesque travail...

Je confirme, pour le bouquin là tu as de quoi déjà remplir un premier tome avec une centaine de pages word bien tassées et sans images :D
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Jeremy Fox
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Lust for Gold

Message par Jeremy Fox »

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Le Démon de l'or (Lust for Gold, 1949) de S. Sylvan Simon
COLUMBIA


Sortie USA : 10 juin 1949


Décidément, cette fin de décennie voit se succéder des westerns de plus en plus noir. Après avoir incarné un juge assoiffé de sans dans La Peine du Talion (The Man from Colorado), Glenn Ford endosse à nouveau la tenue d’un antihéros dur et sans scrupules. Mais alors que précédemment, le comportement sanguinaire de son personnage pouvait s’expliquer et ‘s’excuser’ par les séquelles de la guerre ayant fortement endommagées un cerveau malade, son Jacob Walz est un pur salaud sans presqu'aucune trace d'humanité, rien qui puisse nous faire ressentir de l’empathie à son égard. Culotté quand même pour l’époque de la part du réalisateur, des scénaristes et du comédien ; ça n’allait pas empêcher ce dernier de devenir l’une des plus grosses vedettes de la Columbia la décennie suivante après avoir déjà bien roulé sa bosse durant ces années 40. Malgré l’éclectisme des personnages incarnés jusqu’ici, et même s’il s’avère déjà un acteur tout à fait honnête, il ne nous a pourtant pas encore pleinement fait pressentir tout le potentiel qu’il possédait et qui allait véritablement éclater dans les années 50. Ou tout simplement son jeu allait grandement s’améliorer au fur et à mesure de l'avancée de sa carrière.

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1949. Barry Storm (William Prince) assiste au meurtre d’un prospecteur d’or qu’il suivait au milieu de la région désertique et montagneuse de Superstition Mountain en Arizona ; il pensait que ce dernier allait le mener à la mine perdue de son grand-père. Plutôt que de continuer à la chercher seul, il rentre faire part au shérif local (Paul Ford) de sa découverte du cadavre. On lui rappelle alors la légende qui court sur ce gisement d’or découvert par des espagnols au siècle dernier. Ils n’eurent pas l’occasion d’en profiter puisque tous décimés par les Apaches qui cachèrent le filon en bouchant l’entrée de la mine. Ce trésor fut néanmoins quelques années plus tard retrouvé par un aventurier d’origine allemande sans foi ni loi, Jacob Walz (Glenn Ford). C’était aux alentours de 1870. Flashback. Ou l’on voit Jacob Walz, ancêtre de Barry, tomber sur le filon en suivant deux prospecteurs partis à sa recherche. Ou on le surprend à tuer ces deux derniers ainsi que son partenaire (Edgar Buchanan) pour ne pas avoir à partager. Ou on le voit revenir en ville où il attise les convoitises et jalousies, la ‘femme du boulanger’ (Ida Lupino) tentant alors de s’en faire aimer afin d’avoir sa part du magot. Ou l’on s’étonne de constater que cette dernière opère son petit manège sous les yeux de son époux qu’elle pousse à s’éclipser jusqu’à ce qu’elle ait réussi à mener à bien son entreprise de séduction. Ou l’on voit que le mari jaloux accepte tout sans broncher espérant au moins pouvoir récupérer quelques miettes du butin… Après que le flashback se soit terminé (sans pour autant vous en avoir narré la fin), retour au temps présent au cours duquel Barry et les autorités sont toujours à la recherche du mystérieux assassin du prospecteur d’autant qu’il n’en était pas à son premier méfait puisque pas moins de trois autres cadavres avaient déjà jonchés le sol au même endroit, aux alentours du trésor perdu…

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Un trésor perdu voici plus de cinquante ans. La mort mystérieuse de tous ceux partis entre temps à sa recherche. Un homme (Barry Storm, l’auteur du livre dont est tiré le film puisqu’il s’agirait de faits réels) dont le grand-père en fut un temps le propriétaire, parti à son tour en quête de ce butin. Et le spectateur de suivre ses pérégrinations, ainsi que celles de son aïeux dont il narre à un moment l’histoire. Avec Lust for Gold, nous voici de fait en présence de deux films pour le prix d’un. En effet, un très long flashback rattaché au genre western est encadré par deux sections de 15 minutes chacune (se déroulant à l’époque de la réalisation du film) typiquement ancrées dans le film noir.

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Une véritable curiosité que ce dernier film de S. Sylvan Simon (qui décéda d’un infarctus peu de temps après la sortie du film), d’une noirceur d’autant plus étonnante que le cinéaste est plus connu en France pour avoir réalisé des films familiaux gentillets pour la MGM tels Le Fils de Lassie ainsi que des véhicules plutôt idiots pour Abbott et Costello. Plutôt culotté comme je le disais plus haut car si au milieu de cette 'série' de sombres westerns, le personnage interprété par Gregory Peck dans Yellow Sky, se ‘refaisait une moralité’, si celui joué par William Holden dans La Peine du talion venait contrebalancer l’homme de loi psychopathe, personne dans Le Démon de l’or pour rattraper l’autre et pas non plus les habitants de la ville, tous plus ou moins langues de vipère, idiots ou haineux ni même les autorités locales du segment moderne presque tous corrompus.

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En effet, l’autre originalité de cette œuvre intrigante et âcre est qu’aucun des principaux protagonistes n’est réellement sympathique, surtout dans l’épisode westernien au cours duquel les personnages interprétés par Glenn Ford et Ida Lupino rivalisent d’ignominies et de rapacité, le spectateur se demandant constamment quel sera le plus salaud des deux, le tueur de sang-froid ou l’intrigante corrompue. Glenn Ford, plus sobre que dans La Peine du talion, ne fait pas encore dans la nuance et l’ambigüité (comme il saura si bien le faire dans 3h10 pour Yuma) mais le scénariste lui a-t-il laissé le choix en lui offrant un personnage aussi monolithique ? En tout cas, il possède un fort charisme et le voir barbu et mal rasé est assez inhabituel et renforce la virilité bestiale de son personnage. Quant à Ida Lupino, elle se révèle très bonne comédienne même si pas forcément très à l’aise lors des séquences paroxystiques du final de l’histoire centrale. Le troisième larron n’est autre que Gig Young dans le rôle de l’époux d’Ida Lupino, homme lâche et faible se laissant manipuler par sa femme tout en espérant récupérer une partie du butin. Lui aussi s'en sort d'ailleurs très bien dans ce personnage pas très gratifiant.

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Notons dans les autres points très positifs un fameux casting de seconds rôles (Edgar Buchanan, présents quasiment dans un western sur deux en cette deuxième partie de décennie), une remarquable photographie contrastée d’Archie Stout (Fort Apache), une très belle exploitation des décors qu’ils soient naturels ou de studio (la scène de l’attaque indienne étant même d’une redoutable efficacité, d'une violence assez fulgurante), et les dénouements des deux segments aussi inattendus l’un que l’autre. Mais, le retour de bâton de cette noirceur constante est qu’il est quasiment impossible de s’attacher aux personnages et du coup, le climax du film (le final de la partie westernienne centrale) très mélodramatique et spectaculaire manque singulièrement de tension ; on se fiche un peu de savoir qui va ou pas mal finir puisque personne ne possède un échantillon d’humanité sur lui. Le combat à poings nus au dessus des falaises escarpées du second final, même si bien plus conventionnel, contient bien plus de suspense puisque l’un des bagarreurs n’est autre que le narrateur, seul personnage fréquentable du film.

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Avec un peu plus de subtilité dans l’écriture du scénario, des personnages plus fouillés et une mise en scène à la personnalité un peu plus affirmée (George Marshall, pressenti au départ pour réaliser le film, aurait-il pu mieux faire ?), nous n’étions pas loin d'un grand film. Dans l’état, Le Démon de l’or est un mélange plutôt réussi de film noir, western et film d'aventure et se révèle une œuvre très honorable méritant d’être redécouverte. Cependant, John Huston avait lancé Walter Huston, Tim Holt et Humphrey Bogart, l'année précédente, dans une "chasse au trésor" autrement plus mémorable et tout aussi rugueuse, ironique et désespérée (Le Trésor de la Sierra Madre). Néanmoins, un divertissement assez original pour mériter d’être conseillé et dont l’intrigue et le décor sont ainsi savoureusement décrits par le narrateur dès l’ouverture : "A Biographie of a Death trap in Satan's Private Art Gallery" !
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Re: Lust for Gold

Message par Sybille »

Jeremy Fox a écrit :Le Démon de l'or (Lust for Gold, 1949) de S. Sylvan Simon
COLUMBIA
Ah, merci pour ton avis, surtout que le film a l'air pas trop mal dans l'ensemble. :)

J'ai déjà failli l'acheter à cause de Glenn Ford et Ida Lupino ; en plus tes propos sur la tonalité sombre du film m'intéressent assez (+ j'ignorais la présence des passages contemporains).
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Jeremy Fox
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Re: Lust for Gold

Message par Jeremy Fox »

Sybille a écrit : j'ignorais la présence des passages contemporains).
Il y a bien quasiment une demi-heure du film qui se déroule l'année de son tournage. Et le film débute par une lettre du gouverneur de l'Arizona signifiant qu'il s'agit d'une histoire véridique. D'ailleurs, en 1949, ce filon d'or ne semblait toujours pas avoir été retrouvé.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par feb »

Wahou ! Glenn Ford et Ida Lupino dans un, dixit, "divertissement assez original pour mériter d’être conseillé" ça me dit bien et, une fois de plus, ta chronique m'a vraiment donnée envie M. Fox :wink: Un DVD mis de coté pour un futur achat...
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Julien Léonard »

Celui-là, je ne le connaissais pas du tout, même pas de nom... Intéressant. Je pense certainement le prendre, ne serait-ce que pour Ida Lupino, actrice franchement formidable. :)
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someone1600
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par someone1600 »

Tiens, personnellement j'aurais plutôt mis ce film du coté du film noir... j'avais bien apprécié quand je l'ai vu a TCM en tout cas. :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Grimmy »

J'en avais parlé dans le topic consacré à Glenn Ford. Un très bon film pour ma part. Glenn Ford y était déja formidable, même si, c'est vrai, son jeu n'était pas encore très nuancé. Je me souviens ne pas avoir été emballé par les parties contemporaines, mais qu'importe, comme Jeremy, je conseill ce film à tous !!
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par L'étranger... »

Effectivement, un film qui lorgne énormément du coté du "film noir", d'ailleurs, je pense qui si je l'avais vu plus jeune (bien plus jeune, en dessous des 15 ans quoi ! :mrgreen: ) et bien, je pense que je ne l'aurai pas aimé. Mais l'ayant découvert dernièrement, je dois avouer que j'ai beaucoup aimé, le talent (certes naissant mais déjà puissant) de Glenn Ford n'y est pas étranger.
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Colorado Territory

Message par Jeremy Fox »

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La Fille du Désert (Colorado Territory, 1949) de Raoul Walsh
WARNER


Sortie USA : 11 juin 2010


Au milieu de l’année 1949 sortait ce western de Raoul Walsh considéré aujourd’hui comme un des grands classiques du genre, étant entré dans le cercle très fermé des films que Martin Scorsese a évoqué au cours de son voyage à travers le cinéma américain, louangé par Jacques Lourcelles et bien d’autres encore. Les éditeurs français semblent pourtant fâché avec les westerns de Raoul Walsh réalisés dans la deuxième moitié des années 40 car pas plus que La Vallée de la Peur(Pursued) ou Cheyenne, Colorado Territory n’a eu droit aux honneurs de sortir sur support numérique. Il serait grand temps de réparer cet oubli pour satisfaire ceux qui voudraient se constituer une collection reprenant les westerns les plus célèbres de l’histoire du cinéma, deux au moins sur les trois pouvant raisonnablement s’estimer en faire partie.

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Dans le Missouri, grâce à l’aide d’une organisation criminelle dirigée par le vieux Dave Rickard, le hors-la-loi Wes McQueen (Joel McCrea) réussit à s’évader de prison. On lui ordonne de se rendre dans le Colorado où Dave souhaite le rencontrer. Avant ça, il fait un détour par son village natal où il apprend que sa fiancée est morte à l’âge de 27 ans. Dans la diligence qui l’emmène vers l’Ouest, il rencontre des pionniers venus s’installer au Colorado, Fred Winslow (Henry Hull) et sa fille Julie Ann (Dorothy Malone) ; il leur sauve la vie alors que leur voiture est attaquée par des bandits. Il se rend ensuite à Todos Santos, petit village en ruine non loin du canyon de la mort où il fait la connaissance des complices qu’on lui accole pour le prochain coup préparé par Dave, Duke Harris (James Mitchell) et Reno Blake (John Archer) eux même accompagnés par une volcanique métisse, Colorado Carson (Virginia Mayo) que l’un d’eux a sauvé d’une fusillade. Ces futurs acolytes ne lui inspirent guère confiance et il s’en va en faire part à Dave qu’il retrouve très affaibli, presque moribond. Il en profite pour lui dire qu’il souhaiterait se retirer du banditisme et refaire sa vie mais, le considérant un peu comme son père et ne voulant pas lui faire de peine, devant son insistance lui promet de mener à bien cette dernière affaire qui n’est autre que le hold-up d’un train avec gros magot à la clé. Revoyant les Winslow, il tombe amoureux de Julie Ann qui lui rappelle étrangement son amour de jeunesse ; dans le même temps, Colorado n’est pas insensible à ses charmes. Alors qu’il est à portée du bonheur et de la paix, la fatalité qui pèse sur lui va en décider autrement ; la lutte devient vite inégale une fois que trahisons, haines et jalousies viennent l’encercler, cercle qui prendra forme d’un cirque à ciel ouvert dans le village fantôme nommé City of the Moon…

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Colorado Territory est le remake westernien de La Grande Evasion (High Sierra) du même Raoul Walsh, film noir qu’il réalisa en 1941 avec Humphrey Bogart et Ida Lupino. Rares sont les films ‘remakés’ par le même réalisateur et le fait s’avère encore plus inhabituel lorsque la transposition se fait au travers d’un genre totalement différent. Mais au final, les deux films ont sauvegardé une réputation identique, tous deux encore aujourd’hui considérés comme deux pierres angulaires à l’intérieur de leurs genres respectifs. Curieusement, Raoul Walsh n’a pas daigné faire apparaître au générique de Colorado Territory les noms des scénaristes et auteurs de l’original, à savoir W.R. Burnett et John Huston. Si quelqu'un en connaît la raison, je suis preneur. Pour d'autres anecdotes, c’est John Wayne qui était prévu dans un premier temps pour le rôle finalement tenu par Joel McCrea et enfin une nouvelle version de la même histoire verra encore le jour en 1955 ; ce sera La Peur au Ventre (I Died a Thousand Times) de Stuart Heisler, Jack Palance et Shelley Winters reprenant les rôles que tiennent Joel McCrea et Virginia Mayo dans le mal nommé La Fille du Désert.

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Alors que Cheyenne, réputé comme étant un des ses westerns les plus faibles, m’a dernièrement très agréablement surpris, je n’ai pu en revanche que constater avec tristesse ma déception envers un film que je louangeais encore il y a à peine une dizaine d’années. Pour être certain que la fatigue ou tout autre état de torpeur ou de mauvaise humeur n’en soit pas responsable, je m’y suis repris à trois fois, faisant tout à la dernière tentative pour retrouver l’émotion qui m’avait étreint lors de sa découverte. Tout comme pour Pursued, ce n’est pas que je m’y sois ennuyé ou que je n’y ai pas pris du plaisir (on ne saurait trop faire le difficile devant l’évident talent de Walsh au travers de ces deux exemples), mais ces deux films étant tellement illustres à l’intérieur du genre que ne pas en être plus touché que par la moyenne des westerns ne peut que faire naître une certaine contrariété. Les mêmes choses m’ayant gêné à chaque essai, je n’ai pu finalement que me convaincre que j’aurais du mal à mieux les apprécier une fois suivante tout en espérant le contraire. Mais, trêve de pleurnicheries ! Qu’est-ce qui coince ?

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Tout d’abord, un truc tout bête par rapport à ce que l’on a entendu dire du film à travers nos lectures ou autre, par rapport au ton censément noir, à ce fatum annoncé, à cette histoire d’amour fou d’un lyrisme échevelé… Alors que la plupart des cinéphiles savent que le fatalisme (issu du film noir) pèse sur cette œuvre romantique, le générique se déroule sur un thème guilleret qui ne convient pas du tout à ce que l’on en attendait. C’est évidemment tout à fait ridicule mais nos attentes peuvent malheureusement jouer sur la réception d’un film. Il faut dire que si David Buttolph ne se prenait pas pour Max Steiner auprès duquel il n’arrive pas à la cheville, avec un peu plus de personnalité, il aurait pu faire atteindre au film quelques moments de grande émotion ; il y était parvenu pour Le Retour de Frank James mais n’a pas souvent renouvelé cette petite réussite. Si ici quelques-uns de ses thèmes sont fort jolis et si la stridence des cordes lors des séquences d’action font efficace impression, le soufflé retombe souvent la seconde d’après, voulant trop en faire sans jamais que sa partition n’arrive à vraiment décoller. C’est un détail qui ne touchera probablement pas grand monde mais au souvenir du thème d’amour de They Died with Their Boots On, du véritable fatalisme qui imprégnait la principale mélodie de Pursued ou de la poésie ébouriffée de la musique de Duel au Soleil, on ne peut que regretter que Max Steiner, le collaborateur habituel de Walsh, n’ait pas composé la bande originale de Colorado Territory.

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Si je viens d’évoquer Duel au Soleil, ce n’est pas pour rien ! Le personnage de Colorado ressemble étrangement à celui de Pearl Chavez dans le film de King Vidor. Métisse volcanique, sensuelle et pulpeuse, elle est source de tensions et de jalousies au sein des différents groupes, celui des bandits entre autres ; avec son caractère enflammé et l’érotisme qui se dégage de sa personne, il ne pouvait en être autrement. Virginia Mayo de ce point de vue est un choix parfait ; sa première apparition avec sa chevelure léonine détachée au milieu de la ville fantôme ou encore sa scène de dialogue au bord du puits avec Joel McCrea, lui faisant voir sa jambe dénudée, sont d’inoubliables moments. Mais, alors que Jennifer Jones en faisait parfois trop, Virginia Mayo au contraire, soit en fait le strict minimum soit lorsqu'il s'agit d'y aller dans le style passionné se révèle finalement une actrice dramatique assez moyenne. Hormis lorsqu’elle met ses atouts féminins en valeur, elle s’avère assez fade, manquant du tempérament de son personnage. Sa rivale n’est guère mieux ; Dorothy Malone, elle non plus, est loin d’être inoubliable. Et force est de constater qu’il en va de même pour le reste du casting : les Bad Guys manquent de charisme et au sein des seconds rôles, on a bien du mal à en dégager un plus qu’un autre. En revanche, Joel McCrea confirme l’assurance qu’il avait prise dans le western l’année précédente avec Four Faces West. Même si je continue à avoir des difficultés à l’accepter dans la peau d’un hors-la-loi, il possède ici une très grande classe ; sa manière de s’habiller, de rouler sa cigarette ou de monter à cheval, commence à faire de lui l’un des héros de western les plus crédibles et attachants. Dans la peau de ce bandit fatigué et réservé qui se trouve dans l’impossibilité de changer son destin tragique par le fait d’être trahi par tous (ou presque), il se révèle parfait au sein d’une distribution tout à fait honnête mais souvent trop ‘juste’.

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Pour en finir niveau déception et ne pas écraser plus qu’il ne le mérite ce bon western, touchons deux mots du scénario inégal du tout aussi inégal John Twist dont la filmographie n’est franchement pas mirobolante. Il est tour à tour inutilement précipité puis intempestivement bavard d’autant que les dialogues ne s’avèrent pas transcendants ; toutes les séquences qui auraient du être les plus tendues, celles qui se déroulent au sein de la ville fantôme, m’ont toutes semblées mal rythmées, un poil trop longues et, par la faute des acteurs, pas si fortes que dans notre attente. Quant à l’intégration de l’élément religieux au milieu de tout ça, il m’a semblé carrément déplacé d’autant qu’il en vient même à conclure le film qui s’en serait très bien passé. Le gros plan sur les mains des amants maudits était à mon avis une fin beaucoup plus marquante. Un coup des producteurs ? Car en revanche le final de Colorado Territory est effectivement aussi génial que sa notoriété le laissait entendre, préfigurant Bonnie and Clyde quasiment 20 ans avant. Il y a là un vrai souffle, un vrai lyrisme, une vraie folie, tout ce qu’on aurait voulu ressentir tout du long. Mais nous aurons quand même eu droit, outre une interprétation remarquable de Joe McCrea et la beauté fougueuse et sensuelle de Virginia Mayo, à de splendides séquences d’action dont une attaque de diligence (certains plans d’une scène similaire étaient tellement efficaces dans Cheyenne, que Raoul Walsh n’a pas trouvé utile de les refaire) et le cambriolage d’un train. C’est dans ces moments là que le génie de Walsh éclate avec le plus d’évidence : quelle efficacité à partir d’une telle économie de moyens, quelle pureté, quel dynamisme ! J’ai revu chacune de ces séquences deux fois de suite pour les décortiquer : une rigueur, une science du rythme et du montage devant lesquelles on reste pantois d’admiration.

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Avec l’aide du chef opérateur Sid Hickox, il compose aussi des plans de toute beauté aussi bien en intérieur (superbe travail sur les ombres au cours des nombreuses séquences nocturnes à Todos Santos) qu’en extérieurs et notamment dans le dernier quart d’heure où tout le monde se retrouve au milieu des amples paysages désertiques et sauvages du canyon de la mort pour une ultime et tragique traque, une poignante et inéluctable course vers la mort qui verra enfin, quittant ce monde cupide et mesquin, les deux amants réunis après qu’ils aient succombés dans des spasmes d’une violence assez rare pour l’époque, seulement dépassée par l’autre film que Walsh réalisera la même année, un immense chef-d’œuvre celui-ci, L’Enfer est à Lui (White Heat) avec un James Cagney tout simplement époustouflant. En attendant, ce Colorado Territory mérite qu’on s’y attarde malgré les défauts qu’il m’a semblé y voir ; notamment aussi pour le premier zoom génial de l’histoire du cinéma, pour la manière que Colorado a eu de cautériser une blessure, pour les impressionnants plans d'ensemble vus de très haut sur la cité de la lune et enfin parce qu'une histoire d'amour fou ne peut qu'être soutenue… Si j'ai été un peu mitigé, il s'agit d'un très bon western que je vous conseille sans hésitation d'autant plus qu'il me semble être minoritaire à faire la fine bouche devant !
someone1600
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par someone1600 »

Il faudrait bien que je le regarde celui-la aussi, d'autant que j'ai toujours mon enregistrement TCM sur le disque dur de mon enregistreur... :? :roll:
Julien Léonard
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Julien Léonard »

Très intéressant Jeremy, comme d'habitude ! Même si j'aurais imaginé que tu étais plus enthousiaste pour ce western, que je considère personnellement comme excellent. Mais tes arguments se tiennent. :)

Pour moi, Virginia Mayo, c'est... une bien belle actrice ( :oops: ), au jeu souvent meilleur que ce que l'on peut habituellement penser (elle a sauvé en partie -y'avait-il quelque-chose à sauver ?- Les cadets de West Point, aux côtés d'un James Cagney peu enjoué).
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Jeremy Fox
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Sam Bass and Calamity Jane

Message par Jeremy Fox »

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La Fille des Prairies (Calamity Jane and Sam Bass, 1949) de George Sherman
UNIVERSAL


Avec Yvonne De Carlo, Howard Duff, Dorothy Hart, Norman Lloyd, Lloyd Bridges
Scénario : Maurice Geraghty et Melvin Levy d'après une histoire George Sherman
Musique : Milton Schwarzwald
Photographie : Irving Glassberg (Technicolor)
Production : Leonard Goldstein et Aaron Rosenberg pour Universal


Sortie USA : 04 juillet 1949

Alors que le western hollywoodien avait déjà tracé des portraits, certes romancés, de nombreux hors-la-loi tels Jesse James, Billy The Kid, les Daltons ou même Belle Star, Sam Bass était resté jusque là plus ou moins sur le carreau si l’on excepte une apparition dans Badman’s Territory de Tim Whelan en 1946. Moins connu en France que ses prédécesseurs sus-cités, il fut pourtant pour les américains une sorte de héros, un Robin des Bois du Far-West qui aurait encore plus mérité que Jesse James le surnom de ‘brigand bien aimé’. Orphelin à l’âge de 10 ans, élevé par un oncle peu sympathique, il quitte son foyer à 18 ans et deux ans plus tard arrive à Denton, Texas. Poursuivi par la malchance, il devient hors-la-loi malgré lui. A 26 ans, il est le chef du plus important gang de détrousseurs de trains. Mais au lieu de provoquer la colère des texans, c’est l’admiration qu’il fait naître. En effet la rumeur enfle, qui fait dire qu’il dévalise les riches pour donner aux pauvres. Si ce n’est pas toujours tout à fait exact, il est vrai en revanche qu’il était d’une grande générosité, ne volant parfois que la somme qu’il souhaitait se faire rembourser estimant qu’il s’était fait léser, payant aux fermiers les cheveux qu’il leur dérobait… Quoiqu’il en soit, il est désormais recherché par les Texas Rangers qui ont du mal à le trouver, aucun civil ne tenant à ce qu’il soit arrêté. Malheureusement le gang a son Judas en la personne de Jim Murphy qui donne à la police les indications nécessaires pour l’appréhender. On lui tend une embuscade dans la bourgade de Round Rock où il venait cambrioler une banque. Mortellement blessé, il succombe le 21 juillet 1878 le jour même de son anniversaire ; il n’avait que 27 ans. C’est soi disant Calamity Jane qui aurait recueillit son dernier soupir. Un an après le traître se suicide par peur de se faire retrouver par ses anciens complices.

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Une belle histoire quasi-romanesque qui a fait entrer Sam Bass dans la légende de l'Ouest et dont le film de George Sherman prend pour point de départ. Car le titre français (La Fille des Prairies) est un peu mensonger ou tout du moins trompeur ; si Calamity Jane est bien de la partie, c’est avant tout le parcours de Sam Bass qui nous est conté, sa partenaire, ‘amie sincère et désintéressée’, n’apparaissant à l’écran pas plus qu’à peu près la moitié de la durée du film. Le premier titre de tournage était d’ailleurs The Story of Sam Bass. Il est étonnant qu’un tel personnage n’ait pas fait l’objet de plus de films à sa gloire car il avait tout pour plaire aux spectateurs. Et si Howard Duff avec son visage poupin semblait de prime abord mal pouvoir l’incarner, ce comédien méconnu (ayant bien plus tourné pour la télévision que pour le cinéma) s’en est au contraire remarquablement bien sorti et il m’a franchement étonné sans jamais trop en faire ; car c’est un peu la caractéristique principale de cette belle réussite de George Sherman que de ne pas trop en faire justement. Les comédiens sont tous dirigés avec rigueur et c’est la sobriété qui est mise en avant y compris chez Calamity Jane (loin des exubérantes prestations de Jean Arthur ou plus tard de Doris Day) ou le vieux râleur ‘Brennan style’ qui ne joue pas nécessairement le pittoresque ou le picaresque. Le Sam Bass d’Howard Duff, c’est son air de monsieur tout le monde, son manque de charisme, sa naïveté qui nous le rendent si proche et si humain. Car quel beau personnage comme d’ailleurs tous les autres qui gravitent autour ! Tenez d’ailleurs, si nous vous les présentions à travers le pitch du film.

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Arrivant d’Indiana sans un sou en poche, le jeune et naïf Sam Bass (Howard Duff) espère récupérer à Denton un mandat de son oncle. Il se rend au bureau de poste du coin tenu par la jolie Kathy Egan (Dorothy Hart) qui, tombée sous son charme, immédiatement en confiance, lui fait crédit d’une somme dont elle a deviné qu’il ne recevrait jamais. Elle le fait ensuite embaucher par sa belle-sœur, la femme du shérif (Willard Parker), à la ferme familiale. Alors qu’une course de chevaux est organisée avant le départ des convois de bétail, Sam fait la rencontre de Calamity Jane (Yvonne de Carlo) qui, éblouie par sa manière de s’occuper des bêtes et épatée par sa gentillesse, tombe elle aussi amoureuse de lui. Sa connaissance des chevaux fait bientôt de Sam l’acquéreur de l’étalon le plus rapide de la région ; s’il se fait licencier par le shérif qui n’a, pour de mauvaises raisons, plus confiance en lui, il n’en arrive pas moins à bien gagner sa vie en remportant toutes les courses qui se présentent. Travaillant désormais avec Joel Collins (Lloyd Bridges) en tant que convoyeur de bétail, il arrive à Abilène où il va devoir s’affronter sportivement avec Harry Dean, le grand ponte local dont les hommes n’ont jamais perdu une course ; mais pour cause, il triche et, ayant appris par Calamity (sans aucune mauvaise intention de sa part) que Sam montait une bête redoutable, il la fait empoisonner. Les circonstances font que, après la course perdue et en état de légitime défense, Sam tue le collaborateur de Dean. Dès cet instant, il sera recherché, deviendra par la force des choses, hors-la-loi, et, la malchance aidant, finira sous les balles des Texas Rangers mourant dans les bras de celle avec qui il avait finalement décidé de vivre.

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Même si j’ai averti au départ de la présence de spoilers, je ne pense pas que ce soit gênant de les connaître sachant pertinemment qu’un film sur la vie d’un bandit se terminera quasiment toujours tragiquement, l’aura romantique de son héros étant ainsi considérablement renforcée. La séquence finale avec ce très beau thème de Miklos Rozsa (non crédité au générique mais bien l’auteur aisément reconnaissable de la musique) est d’ailleurs vraiment très émouvante et confirme tout le bien que je disais plus haut de l’acteur qui a endossé la défroque du généreux bandit. Le dernier et discret travelling arrière montant entérine le fait de nous faire penser que nous avons probablement vu l’un des films les plus réussis du très inégal George Sherman dont nous constaterons plus loin dans notre parcours qu’il était aussi capable du pire. Peut-être, qu’étant l’auteur de l’histoire pour une des rares fois de sa carrière, le cinéaste s’est-il senti plus concerné que de coutume d’où l’impression de plénitude qui se dégage de son film. Dans tous les cas, une sacrément belle surprise que ce western malheureusement méconnu dont le premier quart d’heure se révèle un modèle d’écriture ; les personnages et les situations nous sont présentés avec rigueur, modestie et nous nous étonnons du ton inhabituel qui couve durant ces premières minutes et qui continuera jusqu’au bout même si les conventions se feront plus nombreuses durant la seconde partie.

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Quid de ce ton inaccoutumé ? Une démonstration par des exemples sera beaucoup plus parlante. Le héros de cette histoire ne ressemble justement pas du tout à un héros ; visage poupin, sans charisme particulier, on ne le présente à aucun moment comme ‘Bigger than Life’. Le shérif mène une vie de famille rangée auprès d’une épouse aimante, s’excuse de ses jugements à l’emporte pièce et de son caractère soupe au lait. Les deux rivales en amour ne se jalousent jamais directement, s’apprécient même probablement sans se l’avouer et essaient juste de faire pencher la balance de leurs côtés quant elles se trouvent avec l’homme sur qui elles ont toutes deux jetées leur dévolu. Les cow-boys ne fanfaronnent pas, ne sont ni vantards, ni violents, ni susceptibles, ni querelleurs, ni vulgaires ; au contraire, ils n’hésitent pas à se pardonner, à s’excuser et possèdent tous un grand fond d’humanité. Vous avouerez sans difficulté j'imagine que des personnages ainsi caractérisés étaient assez peu courants à l’époque. Rarement nous n’avions vu des protagonistes aussi naturels et humains dans un western jusqu’à présent ; le ton et les notations psychologiques se révèlent étonnamment justes. Et puis, iconographiquement parlant, nous y trouvons des choses assez nouvelles à la date à laquelle nous en sommes arrivés de ce parcours chronologique comme par exemple cette épicerie-bureau de poste ou ces courses de chevaux dont la parcours est jalonné par des arbitres. On y trouve aussi une attention toute particulière portée à l’amour des chevaux (les bêtes sont somptueusement harnachées) et à ce petit monde gravitant autour de ces courses se déroulant tout au long du parcours des convoyeurs.

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Alors évidemment, la mise en scène de George Sherman peine à faire de ce western le grand moment qu’il aurait pu être (les séquences de courses par exemple s’avèrent peu enthousiasmantes) mais une fois ce manque de souffle et d’ampleur accepté, il faut se laisser porter par cette belle histoire et ses respectueux protagonistes qui volent honnêtement ! Alors que Sam Bass et son gang viennent d’attaquer une diligence pour y voler une faible quantité d’argent laissant le reste à son propriétaire, voici le dialogue qui s’ensuit :
- Joel Collins : “Well, we could've had our ranch out of that box.”
- Sam Bass : “No, we couldn't, Joel. The way we did it, even if this thing comes out, people will know that we took back only what he stole from us. They'll be on our side.”
- Dakota : “Sure, we wouldn't want 'em to think we robbed this stage dishonestly.”

Même si la révélation de ce film n’est autre que le comédien endossant le rôle titre, aux côtés d’un Howard Duff donc sacrément bon, grâce à une superbe direction d’acteur, tous les autres arrivent à se hisser à son niveau à commencer par Lloyd Bridges, Willard Parker (superbe dans la peau du shérif) ou Dorothy Hart dont nous avions déjà croisé la jolie frimousse dans Gunfighters de George Waggner avec pour partenaire Randolph Scott. Quant à Yvonne De Carlo, ce n'était pas nécessairement une grande actrice, loin de là, mais elle a néanmoins le mérite de nous rendre très attachante sa Calamity Jane. Une actrice un peu plus chevronnée et un réalisateur plus doué auraient probablement tiré ce western vers de belles hauteurs ; en l'état, il demeure plus qu'acceptable, vraiment très bon !
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