Le Western américain : Parcours chronologique I 1930-1949

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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California

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Californie Terre Promise (California, 1947) de John Farrow
PARAMOUNT


Sortie USA : 14 janvier 1947


Premier western du réalisateur d’origine australienne John Farrow, California est une grosse production de la Paramount, compagnie assez peu prolifique dans le domaine du western, n’en ayant effectivement produit qu’environ un seul par an depuis le début des années 40. Au vu de son budget et de ses ambitions, il est néanmoins étonnant qu’il ne soit pas plus connu dans nos contrées.

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A la fin des années 1840. John Trumbo (Ray Milland), déserteur de l’armée américaine, a été embauché par Michael Fabian (Barry Fitzgerald) pour guider son convoi de pionniers, des fermiers venus de l’Est et souhaitant s’installer en Californie pour y faire pousser des pieds de vigne. En route, ils rencontrent Lily Bishop (Barbara Stanwick), une joueuse et femme ‘de mauvaise vie’ chassée de la ville par les bigotes du coin. Malgré lui, John Trumbo est obligé de l’accepter dans le convoi ; leurs relations seront très tendues durant le voyage. Peu après, au milieu de leur parcours, on leur annonce que de l’or a été découvert en Californie ; ce sera désormais chacun pour soi et la caravane se disloque pour ne plus laisser que John et Michael. Arrivés à destination, John retrouve Lily qui est devenu propriétaire d’un Saloon dans une ville sous la coupe d’un ex-trafiquant d’esclave, le Capitaine Pharaoh Coffin (George Coulouris) : « Une pelle me rapporte désormais plus qu’un noir ». Ce dernier a pour ambition, non moins que de gouverner la Californie et pour se faire en prendre la tête par la force, s’opposant pour cette raison à son intégration en tant que nouvel état américain. Ruiné par John lors d’une partie de cartes, Lily décide de se faire épouser par le richissime Pharaoh. Dans le même temps, Michael Fabian accepte de se présenter aux élections en tant que candidat à l’union de la Californie aux USA ; John qui va le soutenir, se trouve donc du coup dans le camp adverse de celui de Lily qu’il a toujours secrètement aimé…

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Au vu de ce pitch, on devine aisément les ambitions de cette production de prestige de la Paramount, brasser dans un même film l’aventure épique et la romance sur arrière fond politique et historique. Le confortable budget alloué ne lui a pourtant pas permis de rester dans les annales. Et pour cause, si le film se suit assez agréablement, il ne s’agit pas d’une franche réussite. A force de courir plusieurs lièvres à la fois, le scénariste et le réalisateur ont eu du mal à maintenir l’intérêt tout du long, les ambitions de départ se trouvant un peu anéanties par un trop grand dispersement de l’intrigue mais aussi par un choix moyennement judicieux quant au casting et à des options de mises en scène un chouia prétentieuses. California débute par un hymne aux bienfaits et merveilles de l’état de Californie sous forme de prologue musical d’une grandiloquence frisant parfois le ridicule ; n’est pas King Vidor qui veut et malgré le lyrisme des images et l’originalité du traitement, ce prélude opératique manque un peu son but ; dès le départ, il donnera probablement à certains l’envie de stopper net. John Farrow réitèrera ce ton volontairement emphatique lors de l’annonce de la découverte de filons d’or en Californie ; de nouveau des chœurs célestes, des gros plans ampoulés et une voix off pompeuse pour nous signifier que l’argent transformait alors les gens les plus simples en monstres d’avidité et d’égoïsme. Les gros plans expressifs sur les visages de ces pionniers ont beau être magnifiquement photographiés, la lourdeur didactique du message vient en quelque sorte annihiler cette recherche plastique.

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Car oui les éclairages nocturnes de Ray Rennahan sont somptueux, certains panoramiques dont celui voyant la file interminable des chariots au début sont splendides, rappelant des images de La Piste des Géants de Raoul Walsh notamment lorsque l’on voit les chariots descendre les falaises attachés à des cordes. Mais John Farrow, conscient de son talent, en fait parfois trop ; avant même Hitchcock et Welles, il nous concocte quelques longs plans séquences virtuoses dont un s’étirant sur plus d’une dizaine de minutes lors de la scène du bal dans l’hacienda. Mais au lieu de nous émerveiller, celui-ci semble faire s’éterniser la scène plus qu’elle ne le méritait et casse un peu le rythme qui, malgré les innombrables péripéties, ne nous semblait déjà plus trop nerveux. Bref, à trop vouloir en faire sans que ça ne serve à autre chose qu’à se regarder filmer, le cinéaste rate l’occasion qui lui était donné en restant modeste de réaliser une ample fresque mémorable surtout au vu des multiples possibilités du scénario. Scénario qui nous fait le cadeau de nous offrir un des ‘méchants’ les plus intéressants que nous ait donné le western jusqu’à présent, le personnage de Pharaoh, homme politique que ses rêves de grandeur empirique détruiront ; ancien esclavagiste hanté par ses démons et les fantômes de noirs brutalisés, il eut une enfance malheureuse sous la coupe d’un père alcoolique et violent. Tous ces aspects de sa personnalité rendent Pharaoh parfois foncièrement attachant ; sa maladresse et sa réelle tendresse envers Lily renforcent encore sa sympathie. Malheureusement, une grosse erreur dans la distribution empêchera une plus grande empathie du spectateur à son égard. En effet, George Coulouris qui l’interprète est un acteur assez inconsistant. C’est d’autant plus dommage qu’Albert Dekker se trouve de la partie mais ne s’est vu attribuer qu’un second rôle sans conséquence alors qu’à l’époque il s’agissait probablement du comédien le plus à même de tenir ce rôle de Pharaoh. De même, Ray Milland a beau être un formidable comédien de films noir, il se révèle ici assez terne surtout quand il se retrouve en face d’une Barbara Stanwick en revanche éclatante de vigueur et de beauté dont la première apparition fait étrangement penser à celle de Claire Trevor dans Stagecoach de John Ford. Superbement mise en valeur dans la peau d’un protagoniste assez complexe, elle porte le film sur ses épaules aux côtés d’un Barry Fitzgerald (acteur fétiche de John Ford, inoubliable dans Qu’elle était verte ma Vallée) lui aussi plutôt inspiré en porte parole de l'unification de la Californie aux USA.

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Donc, même si le film un peu statique ne tient pas toutes ses promesses, nous trouvons néanmoins pas mal d’occasions de nous réjouir à commencer l’interprétation de Barbara Stanwick, une photographie très recherchée, rehaussée par la beauté du technicolor, des cadrages assez originaux, de très beaux plans (notamment celui suivant la débandade du convoi, la plaine étant jonchée de tous les objets délaissés par les pionniers), des paysages bien mis en valeur, des dialogues franchement bien écrits et une réflexion plutôt captivante sur les intérêts de la Californie à trouver son indépendance ou à entrer dans le giron de la grande Amérique. La première demi-heure rappelant les grands westerns des années 30 narrant l’avancée des chariots à travers les étendues sauvages du continent américain (La Piste des Géants déjà cité en est l’exemple le plus mémorable) était même franchement excellente avec notamment la première confrontation dans l’intimité entre John et Lily ; des punchlines qui fusaient et une verve assez nouvelle de la part de Barbara Stanwick qui affirmait d’emblée l’originalité, la modernité et la nouveauté de son personnage. Il faut l’avoir entendu dire à Ray Milland après qu’il ait cru qu’elle le faisait venir dans son chariot pour l’attirer dans ses bras, « je vous jetterais à bas de votre cheval et vous enfoncerais la tête dans la boue » pour se rendre compte du caractère de la dame en question qui ne se laissera jamais démonter pour notre plus grand plaisir. Dès l’arrivée en Californie, le film devenait tout de suite moins enthousiasmant mais comportait encore assez de bonnes séquences pour ne jamais nous ennuyer malgré tout. Le final très convenu montrait également les limites de l'ambition épique et la volonté de sérieux de départ. L’exemple type du film comportant une multitude de bonnes choses qui ont du mal à s’harmoniser pour former un tout cohérent et entièrement satisfaisant. En l’état, un western sympathique nous proposant une histoire encore assez neuve, ce qui n’est déjà pas si mal.
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cinephage
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par cinephage »

J'avais bien apprécié le visionnage de ce film, mais je m'aperçois quelques mois après qu'il ne m'en reste presque rien. :oops:
Seul le "coup de théâtre" qui casse la structure du film (la découverte de l'or) m'a vraiment marqué comme original, puisqu'on se demande alors où vont les choses. Mais le film quitte une structure classique (le wagon trail movie) pour une autre (la ville qui croit, et l'électron libre s'oppose au Baron autoritaire), perdant alors beaucoup de son intérêt.

Ca reste un film distrayant et agréable, mais qui ne décolle jamais vraiment (n'est pas King qui veut, comme tu dis, et on ne peut qu'imaginer ce qu'il aurait fait d'un tel sujet).
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

cinephage a écrit :J'avais bien apprécié le visionnage de ce film, mais je m'aperçois quelques mois après qu'il ne m'en reste presque rien. :oops:
Seul le "coup de théâtre" qui casse la structure du film (la découverte de l'or) m'a vraiment marqué comme original, puisqu'on se demande alors où vont les choses. Mais le film quitte une structure classique (le wagon trail movie) pour une autre (la ville qui croit, et l'électron libre s'oppose au Baron autoritaire), perdant alors beaucoup de son intérêt.

Ca reste un film distrayant et agréable, mais qui ne décolle jamais vraiment (n'est pas King qui veut, comme tu dis, et on ne peut qu'imaginer ce qu'il aurait fait d'un tel sujet).
Voilà, c'est exactement ça. Et lors de l'annonce de l'or, n'est-ce pas cette succession de plans fixes sur les visages qui t'a surtout marqué ?
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Alphonse Tram
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Alphonse Tram »

Je reste toujours bluffé par la qualité de conservation du Technicolor chez Paramount.
Souhaits : Alphabétiques - Par éditeurs
- « Il y aura toujours de la souffrance humaine… mais pour moi, il est impossible de continuer avec cette richesse et cette pauvreté ». - Louis ‘Studs’ Terkel (1912-2008) -
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

Alphonse Tram a écrit :Je reste toujours bluffé par la qualité de conservation du Technicolor chez Paramount.
Et quel piqué d'image (on s'en rend très bien compte sur les captures) !
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Cathy
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Cathy »

Jeremy Fox a écrit :Sec non pas dans sa mise en scène évidemment ; je l'ai loué tout du long d'ailleurs. Sécheresse (ou manque d'émotion dégagée) due à l'écriture, par le fait d'avoir peuplé son film de protagonistes moyennement approfondis et passant tous trop vite sans avoir le temps de nous devenir familiers ; une construction louable mais trop rapide et qui m'a empêché de ressentir de l'empathie pour tous les personnages tournant autour de Wyatt et Doc. C'est un film dont j'aurais souhaité qu'il dure 3 heures afin d'avoir le temps de me familiariser avec ce petit monde fordien que je sens moins vivre ici que dans les films qui suivront (notamment sa trilogie cavalerie qui représente pour moi le sommet du cinéaste). Aucun des personnages gravitant autour des 'héros' n'a vraiment le temps de se rendre aussi attachant que je l'aurais souhaité (à l'image des frères Earp qui n'ont pas vraiment de 'présence' malgré les bons acteurs les incarnant). Et d'ailleurs, contrairement à ce que tu dis plus haut, j'ai lu que le film avait subi de nombreuses coupes ; coupes dues à Zanuck. Au départ, le film devait durer deux heures et la version pré-preview que l'on trouve sur le zone 1 dure 10 minutes de plus. Quant à la solennité ressentie, c'est probablement le trop grand sérieux de l'ensemble par rapport à l'univers habituel du cinéaste ; c'aurait pu être une qualité car Ford en fait souvent trop, je trouve que ça le rend encore plus 'froid'. Mais tout ceci est du domaine du pur ressenti, totalement subjectif. La preuve, Rick Blaine et toi, voire même Jack Carter et bien d'autres ressentent l'inverse.

Et puis en me relisant, je constate me répéter et avoir du mal à exprimer vraiment ce ressenti de sécheresse :oops:

Tout ceci entre parenthèse et en minimisant au maximum car j'aime énormément le film ; le même sentiment de faible frustration, je l'ai ressenti en revoyant Liberty Valance dernièrement. Bref, en gros, j'accroche plus au Ford qui dégage de l'immédiate chaleur, le Ford plus picaresque, celui de la cavalerie, du Convoi des braves... Mais ça peut varier aussi au fil des ans (Un jour j'adore les Cheyennes, l'année d'après je m'y ennuie à mourir) ; et ça, c'est très pénible :( :wink:
Un petit retour en arrière :oops: !

Je n'avais jamais vu encore My Darling Clementine et ce sont vos critiques qui m'ont donné envie de le voir. Si j'ai été éblouie par l'esthétisme extraordinaire du film, ces cadrages, ces mises en avant des personnages, des éléments de décors importants, etc, je dois avouer que je n'ai pas été plus emballée que cela par la narration du film, mais je crois que dans l'ensemble l'histoire de Tombstone et de OK Corral me barbe. Bref si le film est plastiquement superbe, l'ennui pourrait très vite pointer son nez, si le film durait un tant soit plus ! Et ce qui est frappant ici, c'est le côté noir de ce film, peu d'humour, alors que c'est quand même la marque de John Ford.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

Un petit retour en arrière :oops: !
Non au contraire, ils sont toujours les bienvenus :wink:
mais je crois que dans l'ensemble l'histoire de Tombstone et de OK Corral me barbe.
Et pourtant, si tu ne l'as jamais vu, je suis prêt à parier que Règlements de comptes à OK Corral aurait des chances de te plaire.
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Cathy
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Cathy »

Jeremy Fox a écrit :
Un petit retour en arrière :oops: !
Non au contraire, ils sont toujours les bienvenus :wink:
mais je crois que dans l'ensemble l'histoire de Tombstone et de OK Corral me barbe.
Et pourtant, si tu ne l'as jamais vu, je suis prêt à parier que Règlements de comptes à OK Corral aurait des chances de te plaire.
J'ai vu le film, il y a longtemps, je crois que j'avais apprécié, il faudrait que je le revois.

En tous cas, pour My Darling Clementine à défaut d'être palpitant on a du mal à accrocher vraiment aux personnages, ils sont plus esquissés qu'autre chose, et ils ne sont pas attachants, ce n'est pas qu'ils ne suscitent pas d'empathie, mais comme tu le dis cela doit être un problème de durée du film. Le personnage du frère interprété par Ward Bond est totalement sacrifié, alors que l'acteur marque le rôle de sa stature ! Effectivement les deux rôles féminins sont quelque peu sacrifiés, et on a quand même du mal à comprendre le titre, car les scènes entre Wyatt Earp et Clementine si elles sont empreintes de tendresse, ne sont pas très nombreuses et le personnage de Clementine paraît bien secondaire pour un titre principal ! Mais bon esthétiquement parlant, quelle merveille !
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

Ton ressenti est en gros le même que le mien en tout cas concernant le Ford
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Sybille
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Sybille »

Cathy a écrit :En tous cas, pour My Darling Clementine à défaut d'être palpitant on a du mal à accrocher vraiment aux personnages, ils sont plus esquissés qu'autre chose, et ils ne sont pas attachants, ce n'est pas qu'ils ne suscitent pas d'empathie
C'est exactement ce que j'avais ressenti en regardant le film. Les personnages ne m'avaient pas semblé suffisamment développés pour la plupart. Ils font un peu parti du décor.
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Angel and the Badman

Message par Jeremy Fox »

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L'Ange et le Mauvais Garçon (Angel and the Badman, 1947) de James Edward Grant
REPUBLIC



Sortie USA : 15 février 1947

« Un pragmatisme dénué de compassion et d’humanité trahit une conception de la vie étroite et bien triste dominée par la peur » dira gentiment Mme Worth au docteur Mangram, médecin athée pourtant grand ami de la famille des Quakers, après qu’il leur ait conseillé de se ‘débarrasser’ du blessé qu’ils ont accueilli de peur que ce dernier ne détruise l’harmonie de leur vie familiale. Voyant qu’il aura beau dire, ses avertissements ne seront pas suivis, il s’en va bourgeonnant avec ironie « Chaque fois que je viens ici, j’ai l’impression de voyager au pays des merveilles ». Au vu de cet extrait de dialogue, on comprend aisément que nous ne sommes pas tombés sur un western traditionnel mais sur l’un des plus doux et tendres réalisés à ce jour (le jour étant la date de sortie du film bien évidemment).

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Quirt Evans (John Wayne), ancien adjoint du shérif Wyatt Earp et Gunfighter réputé, est poursuivi par une bande d’individus menée par Laredo Stevens (Bruce Cabot). Au cours de cette chevauchée mouvementée, Quirt est grièvement blessé et s’affale peu après au milieu d’une rue. Caché, recueilli et soigné par les Worth (Irene Rich et Stephen Grant), une famille de Quakers, il va découvrir avec étonnement la doctrine de ses hôtes pacifistes prêchant la non-violence même face aux pires agressions. Penny (Gail Russell), la charmante et naïve jeune fille de la maison, se sent immédiatement attirée par Quirt. Malgré les sentiments amoureux respectifs qui vont naître entre eux deux, Penny aura cependant beaucoup de mal à le convaincre d’abandonner ses idées de vengeance vis-à-vis de l’assassin de son père adoptif. Il le faudra cependant s’ils veulent avoir l’espoir de se marier, Penny ne souhaitant pas d’un "meurtrier" pour mari d’autant que le Marshall McClintock (Harry Carey) le surveille de près, attendant son premier faux pas pour pouvoir l’emprisonner…

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L’Ange et le Mauvais Garçon est un petit western méconnu, l’un des deux seuls films réalisés par le scénariste James Edward Grant, surtout connu par la suite pour avoir signé le magnifique scénario de Alamo sans oublier celui non moins beau du sublime La Dernière caravane de Delmer Daves. La collaboration du scénariste avec John Wayne durera jusqu’à la mort de Grant en 1966. Mais revenons à cette année 1947. Malgré son échec gigantesque au box office qui explique la sorte de purgatoire dans lequel il demeure encore, ce film tient néanmoins une place très importante dans l’histoire du cinéma car il crée un précédent qui va en quelque sorte ébranler le système hollywoodien en place. En effet, c’est la première fois qu’un acteur s’intéresse à la production. John Wayne, la quarantaine, sent déjà la nécessité d’évoluer en pensant au jour où il ne pourra plus interpréter les héros purs et durs. Le 18 janvier 1946, il signe alors un nouveau contrat avec la Republic, dont la clause principale est d’établir la possibilité d’être producteur de chacun de ses prochains films. Le patron Herbert J. Yates accepte sans hésiter et facilite même le travail de l’acteur en cette occasion, de peur de perdre sa "star maison". De plus, connaissant mieux que personne les difficultés de la profession, il pense que l’acteur se rendra très vite compte des ces dernières et reviendra sur ses exigences ; et en effet, le Duke va vivre un véritable calvaire sur le tournage de L’Ange et le mauvais garçon. En tout cas, c’est une chose peu commune à l’époque qu’un acteur soit cité au générique en temps que producteur ; et, alors qu’avant les acteurs n’avaient pas vraiment le droit à la parole, le fait qu’ils s’intéressent désormais à ce poste clé de l’industrie cinématographique va leur donner davantage la main mise sur les films dont ils seront la vedette, au grand dam des moguls des studios. D’autres grands acteurs suivront l’exemple un peu plus tard comme Kirk Douglas ou Burt Lancaster.

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Sur ce western, les difficultés commencent dès la pré-production car James Edward Grant, choisi par Wayne lui-même pour écrire et mettre en scène, veut que tout le film soit authentique et pour cela que tout soit tourné en décors naturels. Le ranch et la ville seront alors entièrement construits en Arizona. Pleinement conscient des difficultés qui l’attendent, John Wayne cherche un acteur susceptible de le remplacer pour le rôle de Quirt mais Herbert J. Yates insiste pour qu’il en soit la vedette. Le tournage débute sous les plus mauvais auspices : météo capricieuse, emballement du bétail, caractère acariâtre de John Wayne... Finalement, le film sort en 1947 : l’échec est cuisant, les recettes sont déplorables et il en ressort déficitaire à la grande joie de Darryl F. Zanuck et de ses confrères qui étaient entrés dans une rage folle devant l’incursion de cet acteur qui marchait sur leurs plates-bandes : « Les acteurs se mêlent de tout faire. Ils écrivent les scénarios, les produisent, les mettent en scène. Ils contrôlent le moindre bouton de guêtre du dernier figurant. Ils évincent le producteur traditionnel. De quel droit je vous le demande ? On ne traite plus d’individu à individu. Coproduction, cogestion, pourcentage, finalement tout le monde y laisse sa chemise ! »

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Comme nous le disions au début, ce film modeste et attachant mérite vraiment de sortir de l’oubli dans lequel il était tombé. Déjà l’histoire est originale et préfigure Witness de Peter Weir (il ne serait pas étonnant que ce dernier se soit inspiré du film de Grant et d’ailleurs, d’après Joe Dante, c’est même évident tellement le film de Weir démarque ce western). L’intrigue, pleine de nuances et de délicatesse, prône le renoncement aux armes à feu et l’abandon de la violence. Mais la générosité du propos ne passe pas par une quelconque mièvrerie ou un moralisme lourdaud. Le film, au ton très personnel, se déroule sur un rythme nonchalant et paisible, se plaisant à décrire avec attention et beaucoup de tact la vie quotidienne de cette famille de Quakers. Les amateurs d’action, de chevauchées, de bruit et fureur ne sont pas oubliés pour autant même si tous ces éléments sont dispensés avec beaucoup de parcimonie : on y trouve une bagarre homérique, une cascade spectaculaire de chariot tombant dans une rivière et un vol de bétail mouvementé. La mise en scène de James Edward Grant se révèle aussi très efficace à ces occasions, mais il faut préciser qu’il est grandement aidé par l’indispensable Yakima Canutt qui en règle toutes les cascades avec son savoir-faire habituel. Le duel final est même assez inhabituel et original pour John Wayne puisqu’il n’y joue aucun rôle, le personnage du shérif interprété par Harry Carey s’en chargeant in extremis sans que Quirt ne dégaine même son arme : grâce à cette pirouette, il pourra convoler en justes noces et devenir un paisible fermier.

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Harry Carey (l'une des figures les plus emblématiques du genre qui débuta au temps du muet avec John Ford) tient un petit rôle dans L’Ange et le mauvais garçon mais son personnage reste dans le souvenir du spectateur longtemps après la vision du film. Il apporte une touche "fantastique" à ce western puisque ses apparitions sont toujours soudaines, inattendues : nous sommes aussi étonnés que John Wayne de nous rendre compte que le shérif est là devant nous, comme s’il y était arrivé par enchantement. Grant a eu la bonne idée de ne jamais rendre compte de ses arrivées par le son ou l'image, et il se trouve instantanément dans le cadre comme s’il était en fait l’ange gardien du héros, un personnage assez fantasmatique qui se montre aux moments où l'on s’attend le moins à le voir. Le final nous conforte dans cette opinion, puisque c’est grâce à lui que notre héros ne se fait pas tuer et que peut avoir lieu le happy end attendu. Mais la distribution est composée aussi, outre un excellent John Wayne débordant d’humanité et d’humour (son expression quand son compagnon de "débauche" le surprend un bébé dans les bras, se sentant blessé dans sa virilité, est savoureuse), d’une des actrices dont nous regrettons le plus qu’elle soit morte si jeune, la belle Gail Russell, si fragile et si touchante, dans son plus beau rôle, celui de cette jeune fille naïve mais allant droit au but, d’une grande pureté et d’une immense tendresse dont on ne peut faire autrement que de tomber sous le charme. Toutes les scènes qu’elle partage avec John Wayne sont d’une vibrante sensibilité, et ce dès leur première rencontre qui voit Quirt s’évanouir dans les bras de Penny qui le recueille avec extase et enchantement. Nous sommes aussi extrêmement émus par ses larmes dans la séquence du retour de Quirt après sa virée en ville.

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Pour le reste, le film bénéficie d’une belle photographie de Archie Stout (magnifiques éclairages nocturnes entre autres), d’une musique fougueuse de Richard Hageman qui en passant nous concocte un très beau thème d’amour, d'une superbe interprétation d'ensemble (notamment dans les seconds rôles la douce Irene Rich), d’une mise en scène discrète qui, sans être remarquable, se révèle très efficace aussi bien dans toutes les séquences paisibles que dans les rares scènes d’action. Et puis il ne faudrait pas oublier un élément important : l’humour. Un humour fin, léger, et donnant même quelques séquences "capraesques", celle notamment dans laquelle John Wayne part régler un différend qui existe entre la famille des Quakers et celle du voisin qui leur refuse l’accès à sa source d’eau potable. Nous pourrions penser que Quirt va aller secouer ce voisin gênant mais au contraire, par la discussion et profitant de sa réputation, il arrive à ce que ce dernier vienne à la ferme des Quakers et y découvre l’amitié, l’entraide et le bon voisinage : « On ne rend jamais trop visite à ses voisins » dira-t-il. Un autre moment fort savoureux est celui au cours duquel Quirt, surveillé dans son sommeil par Penny déjà amoureuse, délire en racontant sa vie parsemée de femmes. Bref, voilà un western qui, même s’il n’atteint pas des sommets, mérite une très belle place dans l'histoire du genre par son originalité, sa tendresse, son humanité et sa modestie qui font vraiment plaisir à voir. Un western qui devrait pouvoir plaire même aux non amateurs du genre.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Patapin »

Très alléchant, cet "Angel and the badman"

Je suis fasciné par tes connaissances sur le western, et touché par ton désir de nous les faire partager.
Encore mille mercis à toi ! :D
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

Patapin a écrit : Encore mille mercis à toi ! :D
Merci à toi
64 westerns traités, plus que 280 :|
:mrgreen:
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Cathy
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Cathy »

Tu n'as vu que 18.6% de ta collection et tu m'as fait acheté deux DVD depuis hier :evil:
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique

Message par Jeremy Fox »

Cathy a écrit :Tu n'as vu que 18.6% de ta collection
Je n'avais pas fait le calcul en pourcentage ; me voici encore plus déprimé :lol:
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