Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Music Man
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

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PAGES IMMORTELLES (es war eine rauschende ballnacht) de Carl FROELICH – 1939
Avec Zarah LEANDER, Marika ROKK et Hans STUWE

La comtesse Katherina Mourakine, mal mariée, retrouve le compositeur Tchaïkovski, son amour d'antan. Elle lui accorde son aide financière, sans qu’il soit au courant...

Très librement inspiré de la relation amicale entre Tchaïkovski et sa mécène, Nadejda von Meck, Pages immortelles est une biopic divertissant et réussi, qui remporta d’ailleurs un gros succès commercial lors de sa sortie en France au début de l’occupation (et bénéficia même d’une sortie aux USA en 1940 sous le titre « la vie et les amours de Tchaïkovski »).
L’intrigue est mélodramatique à souhait, voire lugubre, mais contrebalancée par de luxueuses scènes de bal avec multitude de couples tournoyant au rythme des valses du célèbre compositeur. Avec son air habité, Hans Stüwe a vraiment l’étoffe d’un personnage romantique et Zarah Leander, la célèbre star du cinéma nazi, sacrifie son bonheur avec noblesse, comme souvent les héroïnes du cinéma du troisième Reich ou encore son inspiratrice Garbo dans ses films les plus connus (le roman de Marguerite Gauthier avait remporté un succès fou dans toute l’Europe deux ans avant). Carl Froelich soigne les gros plans afin de mettre en valeur la diva suédoise. Elle brille surtout de tout son éclat et son autorité quand elle interprète « nur nicht aus liebe weinen » de Théo Mackeben avec morgue et agressivité, et dans les scènes face à son mari hideux. La hongroise Marika Rökk, autre célèbre artiste de l’époque, offre un savoureux contraste dans le rôle de la danseuse un peu sotte (elle se tire bien de la confrontation et danse brillamment). Les amours malheureuses, romancées et totalement fictives de Tchaïkovski (qui était homosexuel) sont bien mises en scène par un cinéaste certes académique, mais qui bâtit un travail solide et cohérent, porté par les magnifiques œuvres de l’artiste(qui illustrent fort bien les passages les plus tragiques), qui ont si souvent été empruntées au cinéma et qu’on ne se lasse pas d’écouter.
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Commissaire Juve
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Commissaire Juve »

Si vous avez un peu de temps à perdre, allez voir l'animation faite sur la jaquette de Sonnenstrahl (film de 1933 avec Annabella)...

http://www.hoanzl.at/sonnenstrahl.html

Cliquez une fois pour ouvrir... Si vous cliquez une seconde fois, eh bien... ouaaaah ! :o :D

Incidemment, je me l'offrirais bien, mais le format du boîtier me laisse perplexe (la taille n'a pas l'air d'être standard et je n'aime pas les têtes qui dépassent).

EDIT : finalement, je me le suis offert... et... grande nouvelle... les frais de port d'Amazon.de ont considérablement baissé ! :D C'est passé de près de 8 euros à 3,29 euros ! Whou-hou-houuu !

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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par feb »

Commissaire Juve a écrit :EDIT : finalement, je me le suis offert... et... grande nouvelle... les frais de port d'Amazon.de ont considérablement baissé ! :D C'est passé de près de 8 euros à 3,29 euros ! Whou-hou-houuu !
Pardon pour le HS mais ça c'est une bonne nouvelle :D
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Tommy Udo
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Tommy Udo »

Commissaire Juve a écrit :Si vous avez un peu de temps à perdre, allez voir l'animation faite sur la jaquette de Sonnenstrahl (film de 1933 avec Annabella)...

http://www.hoanzl.at/sonnenstrahl.html

Cliquez une fois pour ouvrir... Si vous cliquez une seconde fois, eh bien... ouaaaah ! :o :D

Incidemment, je me l'offrirais bien, mais le format du boîtier me laisse perplexe (la taille n'a pas l'air d'être standard et je n'aime pas les têtes qui dépassent).

EDIT : finalement, je me le suis offert... et... grande nouvelle... les frais de port d'Amazon.de ont considérablement baissé ! :D C'est passé de près de 8 euros à 3,29 euros ! Whou-hou-houuu !

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Je n'en avais gardé aucun enregistrement du CDM donc... commandé également^^
Suis assez nul en allemand mais, de mémoire, le film a très peu de dialogues (il est quasi muet).

Merci d'avoir signalé cette sortie DVD, Commissaire :D
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Commissaire Juve
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Commissaire Juve »

Commissaire Juve a écrit :... Sonnenstrahl (film de 1933 avec Annabella)...

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Reçu (Amazon.de a même fait des progrès en rapidité)... Je confirme : le digipack n'a pas du tout, mais alors "pas du tout" la taille standard. ça va être pratique pour le ranger avec les autres DVD. :x

Sinon, je n'ai pas encore regardé ce que donnait l'image.
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Commissaire Juve
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Commissaire Juve »

Bon, je suis devant... hmm... pas de restauration label rouge, la copie est plus ou moins abîmée (ça commence même par des stock shots qui font froid dans le dos), mais l'image est nette.

Sinon, il y a des sous-titres allemands pour sourds et malentendants... sous-titres assez "bavards" (ils expliquent dans le détail les nuances de l'orchestration par exemple... c'est fou ! ils signalent les instruments, genre "les clarinettes font ceci", "les violoncelles font cela")... et choix des couleurs un peu bizarre (allez savoir pourquoi, quand le héros parle, ses répliques sont en violet :shock: )

Enfin... pour un film de 1933, ça peut aller (mais on est loin de la restauration de 14 juillet, de 1933, avec Annabella également).
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Music Man »

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ICH WILL NICHT WISSEN WIE DU BIST de Geza VON BOLVARY – 1932
Avec Gustav FROHLICH, Liane HAID, SZ SAKALL

Un jeune comte désargenté travaille comme chauffeur pour gagner sa vie. Par hasard, Il fait la connaissance d’une charmante femme du monde : une romance s’ébauche, mais la belle est très déçue quand elle se rend compte que le séducteur vient d’être embauché par son oncle comme chauffeur.

Comédie légère au rythme assez lent, bercée par quelques chansons de Robert Stoltz, « Je ne veux pas savoir qui tu es » n’est pas le meilleur film du genre si on le compare avec d’autres délicieuses comédies qui fleurissaient en Allemagne sous la république de Weimar. Pourtant, après un démarrage bien lent, on finit par goûter ce type de cinéma très désuet mais pas dénué de charme. L’interprétation des comédiens, très naturelle, y est sans doute pour beaucoup. Il est amusant de retrouver Gustav Fröhlich (Métropolis) en véritable homme objet, qui fait presque l’objet de harcèlement sexuel par ses nombreuses collègues et patronnes qui lui font les doux yeux, ce qui donne quelques scènes cocasses. Et évidemment, on ne peut que se réjouir de retrouver le facétieux SZ Sakall qui a tourné tant de comédies musicales à Hollywood dans les années 40, après avoir fui la Hongrie et l’Allemagne nazie (beaucoup de membres de sa famille périront dans les camps de concentration). Ici, il est déjà ventripotent, mais n’a pas encore les cheveux blancs. Il est irrésistible dans son personnage de valet qui se fait passer pour un conte, se fait réveiller tous les matins au chant du coq et délivre quelques répliques fort drôles. Le réalisateur hongrois Geza Von Bolvary va se spécialiser dans l’opérette filmée, et enchaîner les films pendant et après le troisième Reich.
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Music Man »

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L’APPEL DE LA MONTAGNE / LE DEFI (der berg ruft) de Luis TRENKER -1937
Avec Luis TRENKER, Heidemarie HATHEYER,

En 1865, l'expédition italienne menée par Antonio Carrel, et soutenue par les amis de ce dernier, Luc et Felicitas, entre en concurrence avec les alpinistes anglais de l'équipe de Whymper, pour réaliser la première ascension du mont Cervin. Les deux leaders, d'abord ennemis, tentent de mettre leur projet en commun, mais certains membres des équipes parviennent à opposer les deux hommes à nouveau.

L’ancien alpiniste Luis Trenker est connu pour avoir donné ses lettres de noblesse au film de montagne, genre très prisé en Allemagne. Dès l’époque muette, il s’est consacré à ce style…jusqu’à la fin des années 70, soit une carrière très longue. Dans ses productions, il prônait les saines valeurs du sport, le retour à la nature, l’héroïsme…et on comprend pourquoi les nazis appréciaient beaucoup ce genre. Aussi, avais- je quelques appréhensions vite dissipées après avoir visionné l’appel de la montagne. Le film ne reflète en rien les idées du national-socialisme mais comporte un beau message sur l’amitié, le courage et la loyauté. En effet, l’alpiniste incarné par Trenker décide de faire équipe avec un anglais, malgré la réprobation des villageois, car il a sympathisé avec lui lors d’une escalade et que les épreuves les ont rapproché. Pour prouver l’innocence de son ami, il n’hésitera pas à refaire seul l’ascension du mont Cervin pour prouver à tous que ce dernier n’est pas responsable de la mort accidentelle de ses co-équipiers. A cette époque, où l’on sentait déjà un fort sentiment anti anglais dans certains films allemands et surtout un nationalisme exacerbé, voilà qui est surprenant (on remarquera d’ailleurs que pendant la guerre Luis Trenker a préféré quitter l’Allemagne pour l’Italie pour échapper à l’influence des nazis). Encore plus étonnant, une version anglaise sera produite par Alexander Korda (the challenge), avec toujours Trenker devant et derrière la caméra.
Les scènes d’escalade sont fort bien filmées en général avec de superbes vues de la montagne et des passages impressionnants lors des éboulements et de l’accident qui coûtera la vie de 3 alpinistes.
Le récit est prenant et les splendides images sont soutenues par une musique très présente et puissante. En dépit de son manque d’expression en tant qu’acteur (mais peut être finalement que ce côté monolithique convient bien à ce personnage de montagnard solitaire et loyal.), Luis Trenker réalise un travail de qualité indéniable. A voir.
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Commissaire Juve »

Truc qui n'a rien à voir...

Après avoir visionné Allo Berlin ? Ici Paris ! (1932), co-production franco-allemande réalisée par Julien Duvivier, j'ai voulu en savoir plus sur Wolfgang Klein, le comédien qui interprète le personnage de Erich (qui est amoureux de Josette Day dans le film).

Je passe sur IMDb et je vois que le gars est né en 1922... Donc, en 1932, pour le Duvivier, il avait 10 ans. Mm... :? J'ai passé une partie de la nuit à chercher d'autres sources ; en vain. Rien sur le site de l'institut du film allemand. Quant au Filmportal.de, il donne également une date de naissance en 1922 http://www.filmportal.de/person/wolfgan ... e9384d6756 (je leur ai d'ailleurs écrit pour signaler le problème).

J'imagine qu'il est né en 1912, mais je n'ai trouvé aucune info valable. Par ailleurs, comme il a l'air d'être mort au combat -- en Roumanie -- j'ai tenté de trouver un mémorial des soldats de la Wehrmacht, mais j'ai fait chou blanc.

Enfin, on nage en plein délire avec ce comédien. Lorsqu'on trouve des photos de ce film, on le montre avec "Josette Day"... or, à chaque fois, il s'agit de Germaine Aussey. Comme ici par exemple :

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http://www.virtual-history.com/movie/mo ... /card18755

ou ici...

http://www.cinegraph.de/cgbuch/cgbuch8.html

Passionnant, isn't it ?
Dernière modification par Commissaire Juve le 21 oct. 12, 22:23, modifié 1 fois.
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Music Man »

Je pense que Wolfgang Klein a vite glissé vers des rôles de plus en plus obscurs et minuscules.
il n'est même pas cité dans un dictionnaire en 2 volumes sur les comédiens du cinéma allemand avant 1945.
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Commissaire Juve »

Tiens... longtemps après la guerre : mon test du DVD autrichien de Sonnenstrahl (Paul Fejos, 1933) : http://ahbon.free.fr/DVD_2123.html
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Music Man »

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LES ROSES NOIRES (Schwarze rosen) de Paul MARTIN – 1935
Avec Lilian HARVEY, Willy FRITSCH et Willy BIRGEL

En 1903, en Finlande, à l'époque de l'insurrection contre la domination russe, Tatiana, la danseuse étoile de l'Opéra, Russe d'origine, courtisée par le gouverneur, sert la cause des nationalistes finlandais par amour pour l'un deux.

1935 marque le retour, assez piteux, en Allemagne de la superstar du début du parlant Lilian Harvey et de son compagnon le réalisateur Paul Martin. En 1933, comme beaucoup d’artistes, ils avaient quitté l’Allemagne et le nazisme pour Hollywood, en signant un contrat avec la Fox. Mais le succès très mitigé rencontré là-bas par Lilian Harvey et plus encore par Paul Martin (qui n’y tourna qu’un film Orient express) les a décidés à revenir en Allemagne où ils avaient eu tant de triomphes par le passé: une erreur monumentale car le dernier film d’Harvey à la Fox (Suzanne, c’est moi) allait finalement remporter le succès après le départ de la star, et que la situation en Allemagne ne s’était pas arrangée depuis 1933.
Loin de leurs comédies chantantes habituelles, Harvey et Martin abordent le mélodrame. Une tragédie aux relents nationalistes sur la lutte des finlandais pour résister à l’occupant russe. Un thème patriotique certainement pas choisi au hasard ! En dépit d’un manque de rythme, d’une réalisation un peu pesante et de dialogues perfectibles, le film tient assez bien la route, en raison surtout d’une interprétation de qualité. Certaines touches d’humour (amusante scène de l’escalope mal cuite) viennent un peu égayer le récit qui se clôt de façon bien tragique. Pour sauver son amant résistant et espion finlandais, la danseuse russe demande la clémence du gouverneur en acceptant ses avances. Sans espoir de revoir jamais l’homme qu’elle aime qui pense qu’elle l’a trahi, elle est acculée au suicide. Une précipitation d’évènements tragiques qui ravira les fans de (bons) mélos.
Dans un de ses rares rôles vraiment dramatiques, Lilian Harvey livre une prestation digne et pleine de retenue. Excessivement maigre, et prématurément fanée, l’actrice semble toutefois très atteinte par son échec hollywoodien. Le film sera simultanément tourné en anglais (avec Esmond Knight) et en français (avec Jean Galland) comme au bon vieux temps de la UFA. Il remporta un beau succès commercial surtout en Allemagne. Très curieusement, la version anglaise fut doublée en français et ressortit en Belgique après-guerre sous le titre « Cœurs ardents ».
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Demi-Lune
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Demi-Lune »

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L'enfer des pauvres (Phil Jutzi, 1929)

Quelques développements (et beaucoup d'images) sur ce muet qui s'est révélé être une sacrée découverte malgré l'accompagnement musical désastreux d'Arte. Curieusement, il n'a pas fait ici l'objet de beaucoup de commentaires, à moins que j'aie loupé quelque chose. :?:

L'histoire : à la fin des années 1920, la misère fait rage dans l'Allemagne de la République de Weimar. Dans le brouhaha grouillant de Berlin, les classes les plus défavorisées vivent entassées dans des simili ghettos de briques et de béton. Dans un de ces immeubles, une famille (ou du moins ce qu'il en reste) modeste parmi les autres. La vieille mère Krause subvient aux besoins de ses deux enfants sans emploi d'une vingtaine d'années, la jolie Erna et l'irresponsable Paul, en vendant quelques journaux et en sous-louant une chambre à un proxénète manifestement plus intéressé par Erna que par sa compagne prostituée. Une petite fille partage également l'appartement mais j'ai oublié quel était le lien de parenté. Toujours est-il que ce beau monde vit les uns sur les autres plus que chichement en attendant des jours meilleurs, et que chaque sou s'avère une denrée sacrée. Alors qu'Erna fait connaissance à la fête foraine d'un jeune militant communiste, tout bascule justement le jour où Paul, préférant écumer les bars et traînasser, dilapide en alcool tout l'argent que lui avait prêté sa mère et met ainsi toute sa famille dans une situation financière impossible. Ainsi commence l'enfer des pauvres.
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Disons-le tout net : ce film a été pour moi un choc. Choc formel, tout d'abord : comme je le disais succinctement dans un autre topic, la modernité technique de L'enfer des pauvres est remarquable. Jutzi s'autorise des audaces visuelles jubilatoires pour l'époque, comme ce gigantesque travelling inaugural, où la caméra, suspendue à des câbles bien avant Paradjanov, Kalatozov ou Bondartchouk, traverse fluidement toute une cour d'immeuble pour cadrer une fenêtre précise, celle derrière laquelle vit la famille qui va nous intéresser. Ou encore cette transition syncopée, où la caméra épouse les circonvolutions du jouet-toupie de la petite fille pour faire la jonction visuelle avec les envolées du manège de la fête de foraine, scène suivante.

Mais au-delà de ces astuces, c'est surtout la pureté du langage cinématographique de Jutzi qui retient l'attention. En termes d'expression, L'enfer des pauvres est d'une fluidité telle qu'il en remonterait à bien des films contemporains. Le montage, les cadrages, le choix des échelles, l'utilisation des gros plans, tout est d'une inaltérable solidité. Rien n'a vieilli, grâce à un naturalisme esthétique lorgnant clairement vers la chronique documentaire. Dès l'ouverture du film, Jutzi compile un corpus d'images directement en prise à le réel, sur la vie des gens à la fin des années 1920 - autant d'instants volés, de plans éphémères mais ô combien signifiants (des vieux aux visages profondément marqués affaissés sur un banc, des enfants plein de gaieté s'amusant avec des voies de tram en construction, des ouvriers goudronnant une rue, des mères et leurs bébés dans les bras assistant à un spectacle de saltimbanque dans une cour d'immeuble, un cheval effondré en pleine avenue, un ivrogne moqué par des enfants...) qui impose de suite le film comme un témoignage historique d'une authenticité rare, sinon bouleversante. Les œuvres d'Otto Dix semblent par moments surgir en live, comme avec ces scènes de bar ou ces miséreux dans un coin de mur, l'un ayant perdu ses doigts, l'autre ses jambes. Le travail de studio se résume à la portion la plus congrue, car tout est pratiquement en décors naturels, sans chichis, dans la rue... dans la quotidienneté.
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Plusieurs fois, le scénario semble volontairement s'effacer pour laisser parler de pures scènes documentaires, assez incroyables je dois dire : la fête foraine (séquence d'une énergie visuelle impressionnante, notamment avec tous ces plans de caméra embarquée à l'intérieur des attractions) et l'après-midi balnéaire en sont les meilleurs exemples. Dans ce dernier, Jutzi associe au badinage entre Erna et son militant communiste un instantané naturaliste d'une force rare, celui d'une classe populaire s'offrant, loin de Berlin et de leurs soucis, un maigre instant de détente au bord d'un lac dans une forêt. Alors que le montage juxtapose des images d'un apaisement éphémère, d'un déjeuner sur l'herbe, un dialogue sur l'éducation sexuelle surgit ("mon mari est pour l'éducation sexuelle... le problème, c'est qu'il sait pas comment qu'faire" :o ). Là encore, on est frappé par le naturalisme du film en matière érotique. La même année, Pabst scandalisait les censeurs par le biais du charme mutin de Louise Brooks et d'une photogénie du désir créée par de la pure mise en scène visuelle ; mais Jutzi aborde la chose beaucoup plus simplement, égrenant ça et là quelques touches d'érotisme là encore parfois marqué par un côté documentaire : une danse introductive équivoque, Erna qui fait sa toilette devant le miroir, Erna qui se lave les jambes au vu de tous, le proxénète un soir qui veut se la taper alors qu'elle dort dans son lit, un gros tas qui propose de racheter les dettes de la vieille Krause veut également lui sauter dessus violemment...

Mes connaissances en cinéma muet allemand sont faibles mais je n'avais encore jamais vu de muet allemand avec une telle forme pré néo-réaliste à l'heure de l'expressionnisme à tout crin : pour moi, la comparaison se pose nettement plus avec les voisins soviétiques. L'enfer des pauvres, œuvre prolétarienne, en partage en effet la force brute, l'esthétique naturaliste, sans toutefois, dans une certaine mesure, l'expressivité formaliste qu'on peut trouver à la même époque chez un Eisenstein. C'est plutôt du côté de Vsevolod Poudovkine qu'il faut chercher, et tout particulièrement de son film La Mère (1926) dont les parallèles formels et scénaristiques sont manifestes. Dans les deux cas, même contexte social difficile, même désagrégation familiale, même vieille dame désemparée face aux erreurs de son fils, même esthétique de la dignité, même sacrifice. Le parallèle avec le cinéma muet soviétique est d'autant plus aisé à dresser que la tragique conclusion de L'enfer des pauvres appelle sans ambiguïté à la solidarité prolétarienne et à la lutte sociale marxiste. Il ne faut pas oublier que le film sort 10 ans pile après la répression de la révolte spartakiste... l'irruption du krach boursier la même année (avec toutes les conséquences terribles que cela va avoir pour l'Allemagne) renforce l'acuité du film en matière documentaire et donne à L'enfer des pauvres un côté politiquement et socialement bouillant dont les accents finaux révolutionnaires apparaissent d'autant plus ironiques au vu de ce qui va se passer dans les 3/4 ans à venir dans le pays.
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Le naturalisme du film, qui se lit jusqu'au jeu des acteurs, préserve la démonstration du misérabilisme, à mon sens. Je soulève ce point à cause de la nature de la conclusion
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la vieille mère Krause, désespérée que son fils Paul soit coffré pour avoir voulu commettre un vol pour rembourser l'argent perdu - et ironiquement récupéré grâce à l'intercession du militant communiste amoureux d'Erna -, met fin à ses jours en ouvrant le gaz, emportant avec elle la petite fille dans son sommeil (Quel sorte de monde t'attend ? Viens, je t'emporte avec moi... vers le bonheur")
Ces tranches de vie prolétariennes, saisies par la caméra documentaire et intimiste de Jutzi, sont certes marquées par les difficultés. Mais ces difficultés sont malheureusement réalistes. Le film me semble terriblement juste de ce point de vue, en offrant des personnages équilibrés et accomplis, d'un réalisme étonnant. On n'est pas face à l'écriture psychologique d'Eisenstein, par exemple, où les personnages prolétariens sont des instruments au service d'un discours militant essentiellement formaliste. Chez Jutzi, l'émotion ne naît pas d'un montage intellectuel, seulement de la véracité des situations. Par exemple, lorsque la mère Krause se rend, accablée, chez le fournisseur de journaux qu'elle ne peut honorer, son affliction nous explose à la gueule : il y a un tel humanisme chez cette vieille dame soudainement pestiférée. Ces pauvres, inscrits dans un réalisme documentaire, existent pleinement, grâce à ce souci de crédibilité qui fait que, toute difficile soit effectivement leur existence, le film ménage cependant régulièrement des scènes de partage et de joie, autant d'évasions contre un désespoir fataliste. Je le répète mais j'ai souvent pensé au néo-réalisme d'un Rocco et ses frères. Si le contexte social s'avère douloureux dans les deux cas, ce sont surtout les mauvais choix de Paul, comme de Simone chez Visconti, qui entraînent la famille dans un engrenage destructeur.

Une œuvre précieuse, et inoubliable.
feb
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par feb »

Merci Demi-Lune :wink:
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Re: Le cinéma allemand : de la crise au nazisme (1929-1945)

Message par Tommy Udo »

Je me joins aux remerciements de feb.
Comme souvent, très beau texte, Demi-Lune :D
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