Roberto Rossellini (1906-1977)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Strum
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Re: Roberto Rossellini (1906-1977)

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Demi-Lune a écrit :On prend un personnage, on le construit, on en fait quelqu'un de vraiment intéressant, nuancé, empathique, et au moment le plus fort du film, celui qui va déterminer son destin, on devient subitement fuyant, hâtif. C'est l'anti-climax. Il y a dans cette conclusion un caractère très expédié, très précipité, qui jure profondément, à mon sens, avec le soin, la subtilité, la dextérité avec lesquels Rossellini a traité son histoire, sa progression dramatique. Je ne vois plus que la fracture de ton et l'effet de cette fin est désamorcé. C'est pourquoi ça me paraît bâclé. L'impression que cette fin est une pirouette qui refile la patate chaude au spectateur alors que toute la construction du film appelle une résolution dramatique claire. Comprenons-nous bien : j'aime les fins ouvertes, j'aime que mon imagination soit titillée, qu'on fasse appel à elle. Mais dans Stromboli, l'affect l'emporte sur l'intellect : je suis trop frustré que Rossellini "laisse tomber" ce personnage formidable qu'est Karen au moment le plus important de son existence. Son court monologue ne signifie rien pour moi... peut-être n'ai-je pas la sensibilité (comprendre : la foi) pour apprécier à sa juste valeur la supplique divine de Karen, en tout cas je vois surtout une petite fin qui fait pschitt. Parce qu'elle ne me semble pas à la hauteur, dramatiquement et émotionnellement, de tout ce que Rossellini a bâti jusque là.
Ou peut-être aussi que tu as vu trop de films contemporains américains où la tendance actuelle est aux fins sur-explicitées, rationalisantes, dépliées même en plusieurs fins bouclant les fils de la narration, la fin étant perçue comme le faîte d'une superstructure, et pas encore assez de classiques européens de la période 50-60 où le couperet tombe plus vite - avec parfois une fin ouverte à interprétation, où c'est souvent l'émotion pure et abrupte ou le motif sous-jacent qui prime face à la logique structurelle, de sorte que le spectateur peut faire son propre travail de réflexion et d'introspection après la fin. :wink: Je pense que Rosselini a beaucoup réfléchi à la fin, et qu'il s'est posé maintes fois la question de savoir quand arrêter le film. Quand tu dis que le film refile la patate chaude au spectateur, c'est justement cela qui est bien. Celui-ci, muni de cette patate (heureuse métaphore en fait) peut continuer à se nourrir de l'aliment émotionnel et intellectuel que lui a prodigué le film. Au cinéma, comme en littérature (les romans de Dostoïevski ont toujours une structure très bancale, par exemple), l'émotion est plus importante que la perfection de la structure. Un film parfaitement structuré peut ne procurer aucune émotion ou ne délivrer qu'un charme fugace. Un film à la structure plus fragile ou plus instable, peut procurer toutes les émotions du monde. Tu es frustré maintenant, mais peut-être que dans 6 mois tu continueras à penser au film, et que tu le considéreras autrement. La patate sera toujours là et tu pourras continuer à la manger. :mrgreen:
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Re: Roberto Rossellini (1906-1977)

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Le cinéma américain endosse le mauvaise rôle alors qu'il est tout autant porté qu'un autre sur le non dit. Cela dit, la fin de Stromboli n'a rien de bancal au sens où elle s'opposerait au rationnel. On peut au pire la trouver très naïve par son romantisme outrancier (cet endroit est maudit mais j'y resterai), mais elle est très rigoureuse sur un plan dramatique.
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Wagner a écrit :Le cinéma américain endosse le mauvaise rôle alors qu'il est tout autant porté qu'un autre sur le non dit. Cela dit, la fin de Stromboli n'a rien de bancal au sens où elle s'opposerait au rationnel. On peut au pire la trouver très naïve par son romantisme outrancier (cet endroit est maudit mais j'y resterai), mais elle est très rigoureuse sur un plan dramatique.
J'aime beaucoup le cinéma américain. Mais il me parait difficile de nier qu'on y trouve actuellement dans les films de grands studios une tendance aux fins multiples, fermées et explicites. Ce que je voulais dire avec ma comparaison un peu schématique, c'est que l'on peut s'habituer à un type de fin.

Sur le plan dramatique, cette fin reste à mon avis inattendue par rapport à ce que l'on sait du personnage de Bergman à ce moment du film (elle accepte soudainement la vie à Stromboli avec ce qu'elle contient de misères alors qu'elle l'a refusé en bloc jusque là), et c'est je crois ce qui a gêné ou surpris Demi-Lune.
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Message par Wagner »

Strum a écrit :Sur le plan dramatique, cette fin reste à mon avis inattendue par rapport à ce que l'on sait du personnage de Bergman à ce moment du film (elle accepte soudainement la vie à Stromboli avec ce qu'elle contient de misères alors qu'elle l'a refusé en bloc jusque là), et c'est je crois ce qui a gêné ou surpris Demi-Lune.
Elle ressent un choc que le réalisateur parvient à retranscrire en deux, trois plans. Moi ça m'a suffi mais je suis ultra sensible à tout ce qui relève du mysticisme autour de la nature. Je suis d'ailleurs allé en pèlerinage au Stromboli. Non, là, je déconne.

ok pour les grosses productions US, donc
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Wagner a écrit :Elle ressent un choc que le réalisateur parvient à retranscrire en deux, trois plans. Moi ça m'a suffi mais je suis ultra sensible à tout ce qui relève du mysticisme autour de la nature. Je suis d'ailleurs allé en pèlerinage au Stromboli. Non, là, je déconne.
Moi, cela fait un moment que j'aimerais découvrir la Sicile et les iles éoliennes, dont Stromboli, et le film n'y est peut-être pas étranger. :mrgreen: J'avais été interloqué par la fin du film, à laquelle je ne m'attendais pas, et j'étais partagé sur ce que cela signifiait pour le personnage de Bergman (l'acceptation de sa vie sur l'Ile), mais je suis d'accord pour dire que les plans de Rosselini sont d'une grand force et suggèrent très bien le choc ressenti par Bergman.
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Strum a écrit :
Wagner a écrit :Elle ressent un choc que le réalisateur parvient à retranscrire en deux, trois plans. Moi ça m'a suffi mais je suis ultra sensible à tout ce qui relève du mysticisme autour de la nature. Je suis d'ailleurs allé en pèlerinage au Stromboli. Non, là, je déconne.
Moi, cela fait un moment que j'aimerais découvrir la Sicile et les iles éoliennes, dont Stromboli, et le film n'y est peut-être pas étranger. :mrgreen: J'avais été interloqué par la fin du film, à laquelle je ne m'attendais pas, et j'étais partagé sur ce que cela signifiait pour le personnage de Bergman (l'acceptation de sa vie sur l'Ile), mais je suis d'accord pour dire que les plans de Rosselini sont d'une grand force et suggèrent très bien le choc ressenti par Bergman.
http://www.athenaeum.fr/rubrique.php?IDrub=31
De la côte amalfitaine piquée de somptueuses villas aux paysages purs de Sicile, l’Italie du Sud commence fatalement par le souvenir d’images de cinéma. Contraste saisissant entre l’exubérance joyeuse du peuple et la solennité de la propriété du prince de Salina dans le Guépard de Visconti. Étrangeté impressionnante des volcans de l’Etna et de Stromboli. Tout ici semble se jouer dans un excès de beauté, jusqu’à la tragédie au coeur du temple grec d’Agrigente ou du théâtre antique de Taormine. La croisière est idéale, comme une mémoire qui associerait des visages et des époques qui n’auraient rien à voir ensemble et qui pourtant dessineraient l’aventure d’un voyage en Italie.
:wink: :mrgreen:
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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cinephage a écrit :
De la côte amalfitaine piquée de somptueuses villas aux paysages purs de Sicile, l’Italie du Sud commence fatalement par le souvenir d’images de cinéma. Contraste saisissant entre l’exubérance joyeuse du peuple et la solennité de la propriété du prince de Salina dans le Guépard de Visconti. Étrangeté impressionnante des volcans de l’Etna et de Stromboli. Tout ici semble se jouer dans un excès de beauté, jusqu’à la tragédie au coeur du temple grec d’Agrigente ou du théâtre antique de Taormine. La croisière est idéale, comme une mémoire qui associerait des visages et des époques qui n’auraient rien à voir ensemble et qui pourtant dessineraient l’aventure d’un voyage en Italie.
:wink: :mrgreen:
Argh, arrête, quand on est coincé au bureau, c'est trop dur ! :mrgreen: :wink:
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J'avoue que la croisière thématique cinéma italien, aux cotés d'André Asseo, j'y ai regardé de plus près (avant de me dire que c'était dur d'imposer ça au reste de la famille :oops: ), le trip m'a l'air tout ce qu'il y a de plus intéressant.
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cinephage a écrit :J'avoue que la croisière thématique cinéma italien, aux cotés d'André Asseo, j'y ai regardé de plus près (avant de me dire que c'était dur d'imposer ça au reste de la famille :oops: ), le trip m'a l'air tout ce qu'il y a de plus intéressant.
C'est clair ! Cela donne envie de faire un jour une Croisière Classik dans ce style avec reportage à la clef. :mrgreen:
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Vous êtes bourrés de pognon, 3000 euro les 8 jours de croisière pour le tarif de base.
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Message par Demi-Lune »

P'tain, j'avais écrit un post fourni que j'ai perdu en faisant une fausse manip'. :x
Bon alors, (un peu) plus rapidement du coup. Chacun a exposé ses arguments de toute façon, et le débat risque de devenir stérile. :)

Peut-être que la fin de Stromboli est "inoubliable" en raison de sa nature abrupte, mais elle aura toujours un peu chez moi le goût de l'insatisfaction. Et ça, ce n'est pas parce que son contenu n'est pas sur-explicité, rationalisé, que le cinéma américain Stabilo m'a mangé le cerveau ou que sais-je. :mrgreen: Au contraire, j'attends d'être embarqué par quelque chose qui me paraisse habile, intelligent, et c'est ce à quoi Rossellini s'était magistralement employé depuis 1h40, avec toute la subtilité psychologique dont il fait preuve pour croquer ce portrait de femme. Je vais me répéter mais je suis perplexe parce que la précipitation avec laquelle le réalisateur traite cette conclusion jure, justement, avec la finesse et le temps qu'il a pris pour raconter l'histoire de Karen.

J'ai bien compris que cette rudesse vous séduit parce qu'elle pousse à votre réflexion, voire parce qu'elle constitue une entorse étonnante (et donc stimulante) aux lois dramaturgiques. En ce qui me concerne, cela provoque avant tout chez moi une drôle d'impression, une impression de "faux", de quelque chose qui ne fonctionne pas, quoi. Je me répète, mais mon problème se situe dans le fait que j'ai du mal à accepter qu'on nous fasse côtoyer un si beau personnage, qu'on nous raconte son parcours, pour tout urger dans les dernières secondes et proposer cette conclusion dont le caractère hasardeux me conduit à la trouver très boiteuse, très bâclée. Peut-être qu'inconsciemment espérais-je trop une résolution dramatique en bonne et due forme, mais n'empêche, même si je me place ailleurs que dans des considérations de structure, il y a quand même quelque chose qui ne me convainc pas là-dedans. C'est de l'ordre de l'instinctif. En fait, c'est plus un problème de tempo que de fond. Rossellini traite le point culminant de son film en trente secondes chrono... une prière à Dieu sortie de nulle part et puis basta. Y a de quoi rester interdit ! Sans doute que cette réserve aurait été balayée si la scène avait été pour moi le théâtre d'une émotion forte, si j'avais de meilleures armes pour comprendre toute la portée spirituelle de la supplique de Karen (je crois que c'est en fait le point sous-jacent du débat :wink: ), si j'avais mieux ressenti la force de cet instant. Cette fin aurait sans doute pu rester "ouverte" quant au devenir de Karen sans pour autant aller dans cet extrême du couperet, pour reprendre ton image, Strum. Un couperet qui me laisse avec un goût d'inachevé.
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Wagner a écrit :Vous êtes bourrés de pognon, 3000 euro les 8 jours de croisière pour le tarif de base.
Evidemment, à ce prix là. :|
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Demi-Lune a écrit :je crois que c'est en fait le point sous-jacent du débat :wink: ).
En effet, c'est un peu le point aveugle du débat, ou celui que l'on garde en tête mais que l'on est bien obligé d'oblitérer ou d'ignorer si l'on veut parler de manière rationnelle et argumentée du film, et en discuter. :wink:
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Re: Roberto Rossellini (1906-1977)

Message par Wagner »

Demi-Lune a écrit : En fait, c'est plus un problème de tempo que de fond. Rossellini traite le point culminant de son film en trente secondes chrono...
toutes les symphonies classiques (haydn, Mozart, même Beethoven) s'achèvent par un accord "logique" prolongé quelques instants pour marquer clairement la fin. Puis Bruckner a commencé à couper net des édifices sonores qui duraient depuis plus d'une heure. Puis Sibelius choisit de tout arrêter en pleine suspension, alors qu'un pont était en train d'être jeté de l'autre côté de la vallée. C'est cette suspension dans le vide qu'a capturée Rossellini, c'est assez moderne. Je ne sais pas si tu connais la 7ème symphonie de Sibelius, essaie si ce n'est pas le cas, c'est pas très long et la fin est déchirante. On est en train d'aller ailleurs, et on n'y va finalement pas parce qu'on y était déjà. Enfin, bref, voilà quoi...
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Re: Roberto Rossellini (1906-1977)

Message par Demi-Lune »

A part la Valse triste, je connais très peu l’œuvre de Sibelius.
C'est fou comme Stromboli nous emmène loin. :mrgreen:
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