Pre-Code Hollywood

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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joe-ernst
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Pre-Code Hollywood

Message par joe-ernst »

J'ouvre ce topic, en espérant ne pas créer un doublon (j'ai fait une recherche). Il est donc destiné aux films du début du parlant jusqu'au ré-enforcement du Code Hays, courant 1934.

Voici mes commentaires sur le coffret Universal sorti ce printemps :

Image

The Cheat (George Abbott, 1931).

Troisième adaptation du scénario d'Hector Turnbull après celle de Cecil B. DeMille en 1915 avec Fannie Ward et celle de George Fitzmaurice avec Pola Negri, celle-ci offre le rôle d'une femme trop dépensière et fort imprudente à Tallulah Bankhead. L'histoire paraît déjà vieilliotte et la fin peu vraisemblable. La réalisation n'est pas trop mal, avec une très jolie scène nocturne au bord de la mer. Sans conteste le plus faible des six films du coffret.

Merrily We Go to Hell (Dorothy Arzner, 1932).

Mélodrame sur les ravages de l'alcoolisme, assez criant de vérité notamment grâce à une scène avec Richard Skeets Gallagher "en manque", il met en scène un journaliste et écrivain incarné par Fredric March, devenu alcoolique suite à une rupture sentimentale. Il épouse une riche héritière, Sylvia Sidney, et renonce à ses démons jusqu'à la ré-apparition de son ex, une actrice en vue (Adrianne Allen)...
Le scénario reste assez convenu et c'est dommage, car les acteurs sont tous excellents, et citons d'ailleurs encore la touchante Esther Howard dans le rôle de l'amie du couple.
Pour la petite histoire, on mentionnera également la présence dans un de ses premiers rôles à l'écran de Cary Grant. Adrianne Allen, bien oubliée aujourd'hui, fut l'épouse de Raymond Massey et la mère de Daniel et Anna Massey.

Murder at the Vanities (Mitchell Leisen, 1934).

Le film le plus sympathique du coffret ! Il se déroule sur la scène et dans les coulisses des Vanities. Le soir de la première, des incidents visant a priori la vedette (Kitty Carlisle) à cause de son mariage annoncé avec son partenaire (Carl Brisson) et de la jalousie d'une autre vedette (Gertrude Michael) agitent les coulisses jusqu'à la découverte dans les cintres du cadavre d'une détective privée (Gail Patrick, une des meilleures garces d'Hollywood)... Le sang se mettant à couler sur la peau d'une chorus girl dénudée pendant le spectacle est épatant. Cela ira de mal en pis, malgré la présence du truculent lieutenant de police incarné par Victor McLaglen, plus intéressé par les jolis jupons que par son enquête.
Ce crime movie musical contient de jolies scènes qui, sans atteindre le génie d'un Busby Berkeley à la même époque, valent largement le détour. Le numéro "Sweet Marijuana", même si assez platement interprété par Miss Michael, est presque surréaliste, tout comme le "Doing the Ebony Rhapsody" avec de vraies Blacks comme chorus girls, ce que l'on voyait presque pour la première fois à l'écran. En revanche, Carlisle et Brisson ont des voix assez désagréables, et c'est dommage. Pour terminer, les observateurs reconnaîtront Mitchell Leisen au début du film. Enfin, comment ne pas parler de Toby Wing, dans le rôle d'une adorable idiote ? Si l'on se souvient du film longtemps après, gageons qu'elle y est pour beaucoup.

Hot Saturday (William A. Seiter, 1932).

Visant à dénoncer l'hypocrisie régnant dans la société d'une petite ville, ce film offre à Nancy Carroll un beau rôle, celui d'une jeune fille libérée et romantique qui va se retrouver mise au ban de la société à cause d'une supposée nuit d'amour avec le play-boy local (Cary Grant). Si le scénario et la mise en scène avaient été un peu meilleurs, on aurait pu avoir un bon film. Celui-ci est juste intéressant.

Torch Singer (Alexander Hall et George Somnes, 1933).

Comment faire croire à un scénario complètement irréaliste et obtenir au final un film auquel on croit et on adhère totalement ? Il faut engager Claudette Colbert... Elle seule rend crédible l'histoire de cette fille-mère, obligée d'abandonner son enfant, et qui devient une vedette de cabaret et de radio, et qui va mettre sa célébrité pour retrouver sa fille. Je vous assure, ça marche ! Qui osera encore après ça émettre une critique envers cette pétillante actrice ?

Search for Beauty (Erle C. Kenton, 1934).

Le film le plus déculotté du coffret. Ou comment apporter la preuve que Hollywood à cette époque n'avait pas froid aux yeux. Qui plus est en dénudant, non pas des femmes comme c'est souvent le cas, mais des hommes, que l'on peut apercevoir dans le plus simple appareil dans un vestiaire. Bref c'est un film qui nous conte les mésaventures d'un trio de minables qui veulent vendre de l'érotisme sous couvert d'un respectable journal sportif. Malheureusement de vertueux athlètes vont leur mettre des bâtons dans les roues. Si l'on s'efforce de nous faire adopter le point de vue de ces derniers, on sent très bien où vont les sympathies du réalisateur, culminant dans un dernier plan d'une réjouissante vulgarité. Si l'on ne craignait de faire un contre-sens historique, ou au contraire si l'on admirait la formidable prescience des auteurs, on pourrait dire que ce film est un génial pied-de-nez aux Dieux du Stade chers à Mademoiselle Riefenstahl...
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Alisou Two »

en mars et avril 2008 TCM avait consacré une "intégrale " (dans le sens où TCM concoit une intégrale)
de plusieurs films de la période pré-code Hollywood

ainsi, j'ai pu découvrir (avec plus ou moins de paisir) quelques films "originaux" pour l'époque dont je retiens surtout "female" et "liliane mais ce serait trop long de consacrer un article pour chaque film vu ....

il s'agit en effet de :

Passion Flower 1930 de William C. de Mille, avec Kay Francis et Kay Johnson

The Guardsman 1931 de Sidney Franklin, avec Lynn Fontanne et Zasu Pitts

Week-End Marriage 1932 de Thornton Freeland, avec Loretta Young

Easy to Love 1934 de William Keighley, avec Adolphe Menjou et Mary Astor

Madam Satan 1930 de Cecil B. DeMille, avec Kay Johnson et Lillian Roth

Jewel Robbery 1932 de William Dieterle, avec Kay Francis et William Powell

The Divorcee 1930 de Robert Z. Leonard, avec Norma Shearer

Private Lives 1931 de Sidney Franklin, avec Norma Shearer

Riptide1934 de Edmund Goulding, avec Robert Montgomery et Norma Shearer

Downstairs 1932, de Monta Bell, avec John Gilbert et Paul Lukas

Employees’ Entrance 1933, de Roy Del Ruth, avec Warren William et Loretta Young

Union Depot 1932 d’Alfred E. Green, avec Douglas Fairbanks Jr. et Joan Blondell

Daybreak, 1931, de Jacques Feyder, avec Ramon Novarro et Helen Chandler

Blonde Crazy 1931,de Roy Del Ruth, avec James Cagney et Joan Blondell

A Free Soul 1931 de Clarence Brown, avec Clark Gable et Norma Shearer

Hold Your Man de Sam Wood, avec Clark Gable et Jean Harlow

The Barbarian 1933 de Sam Wood, avec Ramon Novarro et Myrna Loy

Tarzan the Ape Man 1932 de W. S. Van Dyke II

Red Dust 1932 de Victor Fleming, avec Clark Gable et Jean Harlow

Kongo 1932 de William J. Cowen, avec Walter Huston, Lupe Velez

Red Headed Woman 1932 de Jack Conway)

Big Business Girl 1931 de William A. Seiter, avec Loretta Young, Frank Albertson

Faithless 1932 d’Harry Beaumont, avec Tallulah Bankhead, Robert Montgomery

Female 1933 de Michael Curtiz, avec George Brent, Ruth Chatterton

The Easiest Way, 1931, de Jack Conway

Possessed 1931 de Clarence Brown, avec Joan Crawford

Liliane version non-censurée (1933)

Blondie of the Follies 1932 d’Edmund Goulding, avec Marion Davies

Little Caesar 1931de Mervyn Le Roy, avec Douglas Fairbanks Jr.

Night Court 1932 de W.S. Van Dyke, avec Phillips Holmes, Walter Huston

The Public Enemy 1931, de William A. Wellman

Bedside 1934 de Robert Florey, avec Warren William, Jean Muir
Kimm
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Kimm »

je n'ai pas trouvé Mitchell Leisen au début du film MURDER AT THE VANITIES; peut-être n'a-t-il pas sa moustache...

En ce qui concerne SEARCH FOR BEAUTY, on est en pleine période Art Déco; le corps masculin se doit d'avoir les épaules carrées, la taille en V, ...ce qui n'est pas sans évoquer les statues d'Arno Brecker (orthographe à vérifier!). Buster crabbe en est un parfait représentant, le film nous dévoilant une large partie de sa plastique avantageuse...Ida Lupino est méconnaissable, tant son visage est encore tout emprunt des rondeurs de l'adolescence..

Un hymne donc à la beauté du corps, notamment masculin (scène de nus au vestiaire): il faudra attendre les années soixante-dix pour voir réapparaitre une paire de fesses du sexe fort et beau (quel est l'imbécile qui à prétendu que la beauté était l'apanage des femmes...!)
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Tom Peeping
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Tom Peeping »

Un copier-coller de mon billet sur Search for Beauty provenant de mon blog Sniff and Puff (c'est un peu long mais le film le mérite) :

Search for Beauty (Erle C. Kenton, 1934)

Sorti aux Etats-Unis le 2 février 1934, Search for Beauty (L'Ecole de la Beauté) fit partie de la toute dernière vague de films présentés au public avant la mise en place effective du Production Code au 1er juillet de la même année. Le Code (de moralité cinématographique) avait été rédigé sous la direction de William H. Hays à la fin des années 1920, entériné par les studios et distributeurs le 31 mars 1930 mais seulement activé quatre ans plus tard, le 13 juin 1934 (pour les films sortants à partir du 1er juillet 1934). Entre le 31 mars 1930 et le 1er juillet 1934, toute une série de films, aujourd’hui connue sous le nom générique de « Pre-Code Films », put donc déferler dans les salles obscures américaines en se jouant allégrement de thématiques pointées du doigt par le Code. Le crime, la drogue, la profanation, le sexe, l’obscénité, la nudité, les attaques contre la religion… toutes ces bêtes noires des articles du Code connurent alors leurs derniers feux, avant l’autocensure – parfois très créative - qui allait frapper le cinéma américain jusqu’au milieu des années 1960 (le Code fut officiellement aboli quand il fut remplacé par le système de notation du MPAA en 1968). Voilà pour le rappel historique.

Baby Face avec Barbara Stanwyck ou I’m no Angel avec May West, deux célèbres films Pre-Code sortis en 1933, poussèrent un peu loin le bouchon de ce qui pouvait être montré ou suggéré à l’écran : dans leur cas, le sexe comme moyen d’élévation sociale ou comme instrument féministe. Search for Beauty, le film qui nous intéresse ici, est beaucoup moins connu que les deux titres précédents mais a pu récemment être redécouvert (pour la première fois depuis 1934) grâce à sa sortie dans le sympathique coffret Z1 Universal : "Pre-Code Hollywood Collection". Et pour une redécouverte, c’en est une ! De tous les films Pre-Code, c'est peut-être le plus (ou le moins selon qu'on l'entende au sens figuré ou propre) culotté. Il n’est pas difficile d’imaginer que c’est précisément à cause de tels films, et peut-être même de celui-là en particulier, que le Code de 1930 fut activé sans délai à l’été 1934, quatre mois après la sortie de Search for Beauty en salles.

Et, chose admirable, la portée sulfureuse de Search for Beauty, soixante-quinze ans après, reste toujours intacte. Jugez-en donc :

En 1932, deux escrocs tout juste sortis de prison (Robert Armstrong et Gertrude Michael) s’acoquinent avec un financier véreux (James Gleason) afin de racheter pour une bouchée de pain un magazine de culture physique en perte de vitesse et son centre de remise en forme associé. Ils veulent relancer le titre en orientant son contenu vers l'érotisme et le centre en le transformant en club de rencontre. Pour en assurer la publicité, ils engagent deux nageurs aux physiques irréprochables (interprétés par Buster Crabbe et Ida Lupino) qui viennent de participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Evidemment, ils cachent à leurs recrues le genre de business qu’ils souhaitent développer : les deux athlètes s’investissent dans leur job, pensant travailler à la relance d’un magazine et d’un club de bien-être alors qu’ils font à leur insu la promotion d’un magazine porno et d’un bordel de luxe. Sur l'idée de Crabbe, un concours de beauté est organisé afin de trouver les plus belles filles et les plus beaux garçons du monde anglo-saxon : Crabbe et Lupino, propulsés membres du jury avec les trois compères, pensent recruter les jeunes beautés à des fins publicitaires, mais sont en fait en train d’aider à choisir sur le physique les futurs modèles dénudés du magazine et les pouliches et étalons de la maison de passe. Quand Ida Lupino commence à se douter que quelque chose de louche se trame, elle en fait part à Buster Crabbe, que Gertrude Michael se met à séduire afin de le faire passer dans son camp. Les tensions et les rivalités s’exacerbent alors que les jeunes beautés féminines et masculines arrivent pour participer au concours de perfection physique…


Et il s’agit, je vous le rappelle, d’un film de 1934 ! L’audace de ce scénario, même quand sait ce dont il parle avant de voir le film pour la première fois, ne cesse de surprendre tout au long des 80 minutes de projection : des athlètes recrutés sur concours par un trio d’escrocs pour poser nus et se prostituer, ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre une telle histoire pendant l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Evidemment, rien n’est vraiment montré (et encore !) mais c’est plutôt dans la suggestion salace que Search for Beauty excelle. Comme dans cette scène où le trio infernal regarde des photos érotiques avec la caméra placée de telle manière qu’on ne peut qu’imaginer ce qu’ils regardent… et comme on l’imagine ! Cependant, au début du film, une scène dans les vestiaires olympiques présente brièvement mais franchement les athlètes aller aux douches dans leur plus simple appareil (je ne me souviens pas d’une autre scène avec autant de paires de fesses d'hommes dans un film d’avant les années… 1960 ? 1970 ?). Les femmes, elles, sont régulièrement filmées en maillots de bain et soutiens-gorge et dans des moments de déshabillage et de rhabillage. La préparation au concours est le prétexte à de multiples passages dans les salles de gym et piscines où les compétiteurs s’entraînent en shorts ou bikinis deux-pièces. Et tout cela, sous l’œil égrillard de Robert Armstrong, de Gertrude Michael et de James Gleason qui n’en perdent pas une miette… comme le spectateur d’ailleurs.

Il faut dire que le casting-director du film a su choisir ses figurants car les filles et les garçons correspondent bien à l’idéal de beauté physique du milieu des années 30 (un vrai concours de beauté avait même été organisé pour le casting des trente figurants principaux). C’est d’ailleurs amusant de voir comme celui-ci est éloigné de celui en vigueur de nos jours, soixante-quinze ans plus tard : les hommes y sont moins musclés et les femmes ont les hanches plus lourdes et les épaules plus étroites. Les coiffures, elles, sont évidemment d’un autre monde. Le seul comédien du film dont l’attrait physique semble avoir traversé les décennies sans aucune perte de sex-appeal est Buster Crabbe (1907-1983). L’acteur américain, âgé de 26 ans à l’époque du tournage et qui avait été champion olympique de natation en 1932, reste un splendide exemple de masculinité, en maillot de bain comme en costume-cravate. Deux ans après Search for Beauty, il allait s’engager dans le sérial Flash Gordon, qui devait lui assurer la célébrité universelle. La britannique Ida Lupino (1914-1995), 19 ans lors du tournage, est également très sexy mais sa jeunesse, sa coiffure blonde et ses nombreuses scènes déshabillées la rendent pratiquement méconnaissable (je dois avouer que je ne l’ai pas reconnue tout de suite même si je savais qu’elle jouait dans le film) : c’est très sympathique et émouvant de voir cette formidable actrice-réalisatrice débuter dans ce film olé-olé qui fut aussi son premier film américain. Une autre révélation est l’épatante Toby Wing (1915-2001), dans le rôle de la sœur d’Ida Lupino : si son nom est tombé aux oubliettes car elle a vite abandonné sa carrière au cinéma pour celle plus paisible de femme au foyer, le minois et le sourire espiègle de cette cover-girl des années 30 ne sont pas inconnus aux amateurs des films de Busby Berkeley, dont c’était la chorus-girl préférée. En contrepoint à toute cette insolente jeunesse qui s’exhibe plus qu’elle ne joue, Robert Armstrong (tout juste sorti du rôle qui fit sa gloire : celui de Carl Denham, le producteur de King-Kong), Gertrude Michael et James Gleason sont excellents en vieux rusés qui s’en mettent plein les yeux en attendant de s’en mettre plein les poches. Gertrude Michael, elle, espère sans doute aussi s’en mettre plein autre chose puisque dans une scène stupéfiante d’audace au début du film, elle examine aux jumelles le maillot de bain bien moulé de Buster Crabbe en lançant une réplique d’une grivoiserie inédite dans un film en noir et blanc.

Search for Beauty propose aussi une longue séquence musicale dans l’avant-dernière partie du film : la centaine de vainqueurs du concours de beauté, filles et garçons, se lancent dans un numéro tout à la gloire de leurs corps, un numéro qui copie sans complexe les chorégraphies de Busby Berkeley (42nd Street venait de triompher l’année précédente) sans leur arriver, bien évidemment, à la cheville. En revanche, là-aussi, pour se rincer l’œil, et quelque soit son orientation sexuelle, on est servi ! Tous les figurants se retrouvent en maillot de bain sur scène à faire une sorte de panaché de danse et de gym qui permet aux caméras de les saisir sous toutes leurs coutures naturelles. Ce morceau, qui commence comme une scène de musical et semble donc plutôt inoffensif, se révèle plutôt subversif à la fin quand on se rend compte que le numéro est en fait un prétexte imaginé par nos trois entrepreneurs véreux pour présenter leur écurie à leurs clients rassemblés dans l’auditoire : chacun y choisit sa chacune (les vieux messieurs y repèrent leurs girls) et chacune y choisit son chacun (les veuves font leur choix de boys) avant de leur donner rendez-vous pour la soirée dans l’établissement de rencontre. Là encore, le culot de la scène est inouïe : il s’agit ni plus ni moins que d’un marché aux escorts (pour rester dans un vocabulaire décent). D’ailleurs, dans la scène qui suit et qui franchit un cran de plus dans l’audace, l’innocente Toby Wing se retrouve à danser en nuisette sur la table d’un salon privé au milieu d’une dizaine de types d’un certain âge qui n’en peuvent plus. L’esprit du spectateur s’échauffe en imaginant la suite… avant qu’Ida Lupino et Buster Crabbe, aidés de quelques athlètes, ne viennent voler au secours de l’ingénue.

Toutes ces scènes font l'originalité absolue de Search for Beauty. Mais le film tout entier n’est bien sûr pas uniquement composé de ces grands moments : une partie est consacrée aux dialogues des trois escrocs entre eux quand ils sont en train de monter leur plan, de Lupino et de Crabbe qui s’interrogent sur la galère dans laquelle ils se sont embarqués, des confrontations entre les personnages... Ces scènes-là, qui se passent principalement dans le bureau de Robert Armstrong, souffrent d’une mise en scène assez statique qui distille un léger ennui (encore que la scène où des vieilles filles engagées au comité de rédaction en tant que garantie morale se mettent à se pâmer devant la verdeur des articles soit hilarante et qu’on peut passer un bon moment à simplement regarder Buster Crabbe !). On sent bien que le réalisateur Erle C. Kenton, dont c’était presque le 100ème film et qui venait de réaliser le formidable Island of Lost Souls / L’Ile du Dr Moreau (1932) – à quand ce chef-d’oeuvre en DVD d’ailleurs ? – ne s’est pas trop cassé la tête pour elles et a préféré mettre le paquet sur les scènes épicées. Allez, on ne lui reprochera pas…

Tout rentrera dans l’ordre à la fin du film : Lupino et Crabbe jureront, mais un peu tard, qu’on ne les y prendra plus et le trio sans scrupule se retrouvera derrière les barreaux jusqu’à la prochaine fois. Il fallait bien que la morale fut sauve, après ce que les scénaristes lui avaient fait subir tout au long du film. Et on pouvait respirer ! Enfin, les ligues de vertus américaines ne durent pas facilement retrouver leur souffle après avoir vu Search for Beauty : la fameuse "Legion of Decency" (Dieu, comme j’aime le nom de cette organisation !), fondée en 1933, grimpa aux rideaux et exigea des multiples coupes sur les croupes et les dialogues à double-sens. Mais comme si on coupait quelque chose, il fallait pratiquement tout couper, le film fut rapidement retiré de l’affiche et les bobines rangées dans leurs boîtes jusqu’à leur résurrection récente par l’intermédiaire du DVD. Quelques semaines plus tard, le Code entrait en vigueur, implacable cette fois, et ce pour une durée de près de 35 ans...

De la nudité, du sexe, de la prostitution, du proxénétisme, de la pornographie et des sous-entendus en cascade : Search for Beauty offre un florilège de thématiques scabreuses qui réussissent encore à nous surprendre après plus de sept décennies. A la fois amusant, excitant et historiquement passionnant, le film est une sorte de catalogue de ce qu’un film Pre-Code pouvait oser. Ne manquent à l’appel que l’adultère (et encore, les clients du club de rencontre ne sont pas que des célibataires), le meurtre, la drogue et le blasphème : aucun film, comme personne, n’est parfait !
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

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Re: Pre-Code Hollywood

Message par joe-ernst »

Superbe chronique, Tom, et qui rend un magnifique hommage à ce film qu'il faut redécouvrir. Si personne ne le fait, c'est à désespérer ! :wink:

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi sur un détail cependant :
Tom Peeping a écrit :le trio sans scrupule se retrouvera derrière les barreaux jusqu’à la prochaine fois.
Je ne suis pas sûr de cela, car à la limite le trio va subir un sort bien pire : ils vont devoir se mettre au pas et rentrer dans le moule de la forme physique autant que possible, bref un idéal qui va fleurir notamment en Allemagne et en Italie dans les années 30... Kenton avait vu juste !

Je te conseille de voir Murder at the Vanities, si tu ne l'as pas encore fait. Tu y retrouveras Gertrude Michael, moins convaincante que dans Search for Beauty malheureusement, et Toby Wing, en adorable idiote.
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Miss Nobody »

Ce topic donne sacrement envie...
Et pas que pour les paires de fesses masculines évidemment...
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par joe-ernst »

Kimm a écrit :je n'ai pas trouvé Mitchell Leisen au début du film MURDER AT THE VANITIES; peut-être n'a-t-il pas sa moustache...
Si, il l'a...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Il joue le rôle du chef d'orchestre ! :wink:
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par someone1600 »

Ca a l'air intéressant ce coffret.

Perso j'ai vu récemment The divorcee... bon, a part le fait que les deux conjoints finissent par coucher avec quelqu'un d'autre, c'est pas trop sensible... :?
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par joe-ernst »

someone1600 a écrit :Ca a l'air intéressant ce coffret.

Perso j'ai vu récemment The divorcee... bon, a part le fait que les deux conjoints finissent par coucher avec quelqu'un d'autre, c'est pas trop sensible... :?
The Divorcee est un excellent film pré-Code, un des meilleurs de Shearer, avec des dialogues ciselés, et une belle ode à la liberté féminine. :D
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par someone1600 »

J'ai pas dit le contraire, le film est tres bon. Ce que je veux dire, c'est que le sujet n'est pas si sensible que ca. En tout cas il me semble... :?
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par joe-ernst »

Baby Face, d'Alfred E. Green (1933).

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Un des films pré-Code les plus célèbres, il met en scène une jeune femme (Barbara Stanwyck) issue des taudis et prête à tout pour réussir dans la vie, notamment en exploitant les faiblesses du sexe fort, grâce aux enseignements de Nietzsche !

C'est un véritable catalogue de futurs interdits (on raconte que ce film a précipité le renforcement du Code), entre prostitution, adultère, suicide, et j'en passe, le tout mené tambour battant. L'ascension sociale de l'héroïne est évoquée via la façade d'un building Art Déco et les scènes à caractère sexuel sont élégamment mais aussi clairement suggérées. Le gant de Gilda, en comparaison de la scène du train, paraît du coup aussi inoffensif qu’un voile de première communiante.

Miss Stanwyck est parfaite dans ce rôle d’arriviste, qui va semer le désordre et la mort sur sa route, afin de ne plus connaître la misère. Parmi ses victimes, on notera un tout jeune John Wayne, de loin pas encore en selle !

Ce film fut assez lourdement censuré et l’on peut être reconnaissant que l’on ait retrouvé par hasard une copie intacte, proposée dans le coffret 1 du Forbidden Hollywood paru chez Warner.
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Major Dundee »

joe-ernst a écrit :Baby Face, d'Alfred E. Green (1933).
Ce film fut assez lourdement censuré et l’on peut être reconnaissant que l’on ait retrouvé par hasard une copie intacte, proposée dans le coffret 1 du Forbidden Hollywood paru chez Warner.
La copie que j'ai enregistré sur TCM dure 73 mn. Est-ce la version censurée ou est-ce que le métrage correspond à la version que tu as vue ?
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Cathy »

D'après les informations publiées au dos du coffret, baby Face dure soit 72' (version projetée) ou 76' (version originale qui vient d'être retrouvée) !
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par allen john »

Major Dundee a écrit :
joe-ernst a écrit :Baby Face, d'Alfred E. Green (1933).
Ce film fut assez lourdement censuré et l’on peut être reconnaissant que l’on ait retrouvé par hasard une copie intacte, proposée dans le coffret 1 du Forbidden Hollywood paru chez Warner.
La copie que j'ai enregistré sur TCM dure 73 mn. Est-ce la version censurée ou est-ce que le métrage correspond à la version que tu as vue ?
76 minutes de la copie sur le DVD en NTSC, à 24 images/secondes, correspondent à peu de choses près à 73 minutes en Pal, diffusé sur TCM. Donc c'est la version intégrale.
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Major Dundee
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Re: Pre-Code Hollywood

Message par Major Dundee »

OK, merci à vous deux "Cathy" & "Allen John" 8)
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