Carlo Lizzani (1922-2013)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Rick Blaine
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rick Blaine »

Le Damiani je ne le connais pas par contre, mais il m'a tout à fait l'air d'être dans la mouvance du genre. Faudra que j'essaie de mettre la main dessus. D'ailleurs puisqu'on parlait de la SNC, cela me rappelle qu'ils ont sorti le sublime Confession d'un commissaire de police au procureur de la république du même Damiani. J'en profite pour le caser tant ce film m'avait marqué et tant je le trouve recommandable.
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Jeremy Fox
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Jeremy Fox »

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Profondo Rosso
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Profondo Rosso »

Il y a aussi Chronique d'un homicide de Mauro Bolognini qui s'en rapproche chez SNC, à cheval entre le mélo familial et le thriller politique dénonciateur.
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Rick Blaine
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rick Blaine »

Profondo Rosso a écrit :Il y a aussi Chronique d'un homicide de Mauro Bolognini qui s'en rapproche chez SNC, à cheval entre le mélo familial et le thriller politique dénonciateur.
Effectivement.
Superbe film également, assez proche dans le ton du film de Damiani d'ailleurs avec lequel il partage la présence de Martin Balsam au casting, qui trouve deux de ses plus beaux rôles dans ces films.
Max Schreck
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Max Schreck »

Rick Blaine a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Le film "policier" italien est un genre qui m'est totalement inconnu (excepté l'excellent Meurtre à l'italienne de Germi) mais qui me semble être sacrément intéressant à vous lire, toi, Julien et quelques autres. Il ne semble pas en exister beaucoup dans la collection SNC.
Il n'en existe même pas du tout chez SNC je crois. Même le Germi est un peu à part dans son ton (mais toutefois excellent, je te rejoins), il ne ressemble pas vraiment à la majorité des polars italiens des années 60/70.
C'est un genre qui comporte aussi son lot de choses totalement négligeables et médiocres, mais également de films franchement passionnants qui son malheureusement totalement sous le radar de la cinéphilie française.
Esthétiquement il y a des choses qui pourraient te plaire là dedans, par contre le ton pessimiste que prend la majorité de ces films pourraient aussi te rebuter.
Dans ceux que j'ai vu, le Revolver de Sollima est certainement un des sommets du genre, à égalité justement avec l'époustouflant...

Banditi a Milano (Bandits à Milan), Carlo Lizzano, 1968
Produit par Dino De Laurentiis, ce film tiré d'un fait divers authentique s'est révélé à moi comme un authentique chef-d'oeuvre qu'il serait vraiment trop réducteur d'assimiler à du ciné bis. Historiquement, il pose les jalons d'un genre — le polar italien — qui va faire le bonheur des salles de quartier dans la décennie à suivre, pour le meilleur comme pour le pire. Sauf qu'ici on est bien loin des facilités du cinéma d'exploitation.

La construction de ce Banditi a Milano est particulièrement admirable et affirme, dès la scène d'ouverture, la présence d'un cinéaste maître de son art comme de son sujet. Avec une brutalité sèche, le spectateur est projeté en plein chaos urbain. Sur une place, la foule en colère est prête à lyncher un homme blessé, des hommes courent pistolets à la main, des morts gisent sur le trottoir ou au volant de leur voiture, des enfants crient. Les plans sont brefs. Carlo Lizzano multiplie les angles de prise de vue et les subjectivités. Une voix off tente plusieurs interprétations de ces confuses images. Progressivement émerge la figure d'un inspecteur de police (impérial Thomas Milian) qu'on se met à suivre. Il répond à quelques questions face caméra, et livre des anecdotes qui sont alors mises en scène, dressant un constant aussi sévère qu'implacable de la société italienne de cette époque, des agissements de la pègre à la bêtise criminelle de certains citoyens. Ces témoignages font parfois froid dans le dos (le destin d'une jeune prostituée). Et puis on finit par revenir à la scène d'émeute du début, dont la genèse va être racontée en un long flashback lui-même complètement éclaté par des raccords aussi surprenants que maîtrisés. Les éléments du puzzle se mettent en place. Tout cela est d'une fluidité impressionnante. Le film offre des pistes de réflexion d'une richesse insondable, tout en procurant au spectateur sa dose de sensations. On en ressort littéralement sonné.

En plus du montage virtuose de Franco Fraticelli (monteur attitré d'Argento), la mise en scène est d'une liberté folle. Chaque scène contient son moment de stupéfaction, culminant lors d'une poursuite en bagnole monumentale dans les rues de Milan, où l'on retient son souffle pendant une bonne vingtaine de minutes. Et là où Lizzano devient vraiment génial, c'est dans sa capacité à mélanger les tons. Il sait parfaitement doser drame et humour, intime et action, suspense et émotion, cinéma vérité et lyrisme, sans jamais succomber au romantisme factice. Son portrait d'un petit groupe de braqueurs de banques est un modèle du genre, se permettant de les montrer dans toute leur humanité, avec leur vie de famille, leur joies et leurs angoisses, parvenant un temps à nous les rendre sympathiques, à nous faire espérer la réussite de leur plan avant de nous ramener brutalement à la réalité de leur besogne. Gian Maria Volontè est tout simplement fabuleux en chef de bande, révélant progressivement une folie qui devient glaçante.
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Rick Blaine
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rick Blaine »

Tu donnes très envie de le voir. J'en ai bien "trouvé" une copie quelque part, mais j'espère qu'un éditeur se penche sur la question
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manuma
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par manuma »

ESTERINA - Carlo Lizzani (1959)
Orpheline de guerre, Esterina s’enfuit de la ferme où elle travaillait comme servante pour tenter sa chance à la ville. En compagnie des routiers Gino et Piero, elle va découvrir l’Italie du nord et bientôt se frotter pour le meilleur et pour le pire à sa révolution socio-industrielle.

Titre quelque peu oublié au sein de la filmographie de Carlo Lizzani, Esterina emprunte la voie du road movie tragi-comico-romantique pour creuser l’une des grandes thématiques de son cinéma : la mutation socio-économique de l’Italie d’après-guerre, perçue via ses excès, injustices et autres effets pervers. Ainsi, A travers les mésaventures de l’orpheline Esterina et des deux routiers sympas Gino et Piero, Lizzani nous parle consommation de masse (l’arrêt du trio dans l’élevage de poulets en batterie), accélération du rythme de vie (Gino et Piero constamment pressés de livrer leurs marchandises dans les plus brefs délais sous peine d'être remplacés par la concurrence), développement de la criminalité (Esterina qui manque de tomber aux mains d’un réseau de prostitution) et urbanisation sauvage accélérant la paupérisation des plus modestes (l’épisode de l’expulsion de la famille vivant aux abords d’une zone HLM en pleine expansion).

Beaucoup de choses à dire ici, et beaucoup d’intentions louables pour résultat malheureusement relativement terne, qui fonctionne mal dans sa globalité. Réalisation sans éclat, fil narratif maigrelet, reposant au final sur une romance des plus convenue, et personnages masculins ne suscitant guère l’empathie : Esterina aurait donc tendance à valider chez moi l’idée que Lizzani n’est à son meilleur niveau seulement lorsqu’il emprunte la voie du cinéma de genre pour développer ses thèmes de prédilection. Bref, petite déception.
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Profondo Rosso
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Profondo Rosso »

Chronique des pauvres amants (1954)

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Florence, 1925 - Dans une petite rue de la cité, la Via del Corno, l'observation réaliste de la vie quotidienne, des amours, des contrariétés et des disputes de leurs habitants. Mais, dans un contexte marqué par la montée du fascisme, la surveillance étroite des Chemises noires, le climat de suspicion et de délation, l'existence ne peut plus être la même qu'autrefois. D'autant que les combats meurtriers entre fascistes et antifascistes tournent à l'avantage des premiers...

Chroniques des pauvres amants est sans doute le film le plus célèbre de Carlo Lizzani et représente un jalon important de la représentation de l'ère fasciste dans le cinéma italien. C'est une adaptation du roman éponyme de Vasco Pratolini (souvent bien servi dans ses transpositions par des cinéastes de renom comme Mauro Bolognini sur Metello (1970) ou Valerio Zurlini pour Journal Intime (1962)) initialement écrit en 1936 mais qui ne paraîtra qu'après-guerre pour cause de censure fasciste. L'histoire s'attarde sur cette période de transition des années 20 où, arrivés démocratiquement au pouvoir, le régime fasciste restreignit progressivement les libertés individuelles pour arriver à la dictature. Ce changement est observé par le prisme d'un quartier populaire de Florence, la Via del Corno situé au centre de la ville.

Carlo Lizzani nous introduit dans le quotidien de ce quartier à travers des tranches de vie plaisante et plaisantes, la voix-off du nouveau venu Mario (Gabriele Tinti) dépeignant avec candeur les habitants et leurs habitudes. Le réalisateur gère idéalement son récit choral, tant dans le réalisme et la vie insufflée dans ce cadre (la vraie Via del Corno étant reconstituée à l'identique en studio) que par l'enchevêtrement de portrait truculent et chaleureux des personnages qui imprègnent immédiatement le spectateur. On pense notamment à Marcello Mastroianni en contre-emploi pour l'époque dans son premier rôle dramatique, mais aussi Adolfo Consolini ancien champion olympique de lancer de disque qui impose une présence et un charisme étonnant. Les commérages, les amours et aléas ordinaire du quartier se voient progressivement étouffés par la chape de plomb fasciste. A travers le personnage sournois de l'expert-comptable Carlino (Bruno Berellini) la volonté de domination et de s'immiscer au plus profond de la vie du citoyen de ce régime fasciste se ressent. Les méthodes ne sont pas bien éloignées de la mafia (la menace puis le tabassage d'un charcutier refusant de cotiser pour la cause) et oppressent désormais l'individu dans son intimité (ce couple convoqué pour sa dispute conjugale publique). On ressent peu à peu la bascule se faire dans l'étouffement des libertés, l'opposition encore possible se voyant soudain directement menacée par les chemises noires. Cela donnera la scène la plus intense du film, cette nuit de traque où la milice va traquer les "subversifs" tandis que Masciste (Adolfo Consolini) et Ugo (Marcello Mastroianni) arpente la ville à moto pour prévenir les malheureux. L'urgence, la violence sèche et la peur traversent la séquence et signe définitivement la fin de l'innocence.

Si l'atmosphère de crainte, Carlo Lizzani amène la lumière à travers des histoires d'amour nées des bouleversements de cette violence fasciste. Le couple adultère mais chaste que forme Mario et Milena (Antonella Lualdi) offre ainsi de beaux moments de tendresse contenue, la délation ambiante se confondant à l'opprobre morale hypocrite. L'éveil politique, moral et amoureux s'entremêle aussi dans la romance entre Ugo et Gesuina (Anna Maria Ferrero). Gesuina se rebelle peu à peu face aux basses œuvres de sa patronne impitoyable usurière, tandis que l'insouciant et coureur Alfredo se laisse toucher par sa bienveillance. Le scénario n'oublie jamais en toile de fond de subtilement évoquer le contexte changeant : les chemises noires initialement recherchées pour assassinat par la police encore indépendante sont ainsi innocentés. Le croisement entre les institutions nationales et l'idéologie fasciste parait ainsi accomplie, les seuls criminels étant désormais les opposants. Les évènements dramatiques se précipitent même si la voix-off tentent d'y donner des vertus positives. Le ton doux-amer suggère ainsi autant les heures sombres à venir que le fait que la lutte ne fait que commencer. Le film figurera dans la sélection du Festival de Cannes 1954 présidé par Jean Cocteau mais verra la Palme d'Or lui échapper (au profit du film japonais La Porte de l'enfer de Teinosuke Kinugasa) sous la pression du gouvernement italien - Vittorio De Sica avait connu la même mésaventure quelques années plus tôt pour Umberto D. Le financement du film s'était fait par la Cooperativa Spettatori Produttori Cinematografica, une coopérative communiste et le scénario fut coécrit par des personnalités de gauche notoires (Sergio Amidei). Cette consécration internationale aurait renforcé l'influence alors très forte du Parti Communiste dans le paysage politique italien et fut donc étouffée en coulisse - le film se contentant du Prix International. Reste donc en tout cas un bien beau film, l'un des plus réussis dans la description de ces temps troublés. 5/6
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rockatansky »

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Italie, les années plombs, contexte plutôt bien rendu dans ce film réalisé par un habitué du documentaire, excellente musique de Morricone, typique des années 70 en italie, le film est assez brut, avec une fin des plus sèches et innatendue. Plutôt sympa.
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par aelita »

Brut, et même brutal (avec en effet un style proche du documentaire), à tel point que je n'utiliserais pas le terme "sympa" pour définir ce film. C'est très bon, mais c'est plutôt glaçant sur le fond . Le film (du moins le "crime inutile" du titre -qui intervient à la fin) est inspiré -par des événements réels (et récents-à la date du tournage). Un polar teinté de politique et de chronique sociale -ici le portrait de jeunes gens de la mouvance d'extrême-droite-, comme un certains nombre de films policiers italiens de l'époque.
Dernière modification par aelita le 2 mai 18, 23:59, modifié 1 fois.
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rockatansky »

Quand j'aime bien un film il devient sympa :)
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Rick Blaine »

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Bandits à Milan (Banditi a Milano - 1968)

Le récit des méfaits de la « Banda Cavallero », un groupe de cambrioleurs violents et soi-disant révolutionnaires qui agît à Milan et Turin durant les années 60

Après quelques notes d’une musique moderne et enjouée, le film s’ouvre sur des images de violence filmes sur un mode documentaire : le lynchage d’un homme, dont nous saurons plus tard qu’il est l’un des membres de la bande qui vient d’être appréhendé. Puis rapidement, et toujours sur ce ton documentaire marqué par la présence d’une voix off, Lizzani s’intéresse à la criminalité moderne, avec la fausse interview d'un gangster « à l’ancienne » parlant de l'évolution de la violence des braqueurs, un reportage sur le racket comme une nouvelle forme de criminalité qui s'installe à Milan ou l'évolution de la prostitution avec l’histoire saisissante d’une jeune femme recrutée dans un concours de chant et qui subira un destin tragique. Après cette introduction destinée à ancrer l’histoire qui suit dans la réalité, et à démontrer l’évolution de la société italienne, qui voit une violence mafieuse « du sud » envahir toute l’Italie, Lizzani resserre son récit autour du commissaire Bassevi – sobre et impeccable Tomás Milián – qui interroge le bandit vu dans les premières images pour identifier ses complices. En utilisant le flash-back, le film va alors lentement basculer sur le point de vue des criminels, en conservant cette forme documentaire que Lizzani ne lâchera jamais, Une histoire de gangsters aussi spectaculaire que glaçante avec des éléments typiques de ce type de récit, couvrant l’ascension et la chute des protagonistes, tout en gardant un ancrage fort dans la réalité sociale de l’Italie.

Bandits à Milan saisit par sa modernité, et démontre le lien très fort qui existe entre le néo-réalisme – dans lequel est né Carlo LiIzzani – et le néo-polar italien qui naît sous nos yeux. Un néo-réalisme dopé aux hormones, notamment le montage de Franco Fraticelli, d’une modernité et d’un dynamisme incroyable, ainsi que l’excellente musique de Riz Ortolani qui relie à la jeunesse, à la modernité, à la réalité contemporaine. Dans son récit de l’aventure sanglante des bandits, Lizzani continue de capter des gestes quotidiens de personnages anonymes, ancrant son film dans la réalité sociale, comme cet homme qui vient acheter ses cigarettes dans un bar où attendent les bandits et sur lequel la caméra s'attarde, et qui sera plus tard une victime de leur course folle : tout le monde est concerné par la violence de ces criminels, chaque citoyen, chaque spectateur. Lizzani place également beaucoup des éléments qui feront le polizzioteschi. Bandits à Milan est un film totalement urbain, nous naviguons essentiellement dans les rues de Milan et de Turin, et le film est marqué par les décors et les bruits de la ville. Les personnages sont des éléments de la ville, des émanations de la vie urbaine. Le seul moyen de réduire le danger que représentent les gangsters sera d’ailleurs de les exclure de la ville : lors du final, obligés de se cacher dans les campagnes, ils redeviendront alors des personnages inoffensifs. Nous trouvons également, évidemment, la grande course poursuite qui sera la marque de fabrique du genre. Réglée par l’inévitable Rémy Julienne, qui sera un technicien central du polar italien, cette séquence est extrêmement impressionnante : longue, spectaculaire, violente, elle est à la fois une captation du Milan de son époque et l’illustration absolue de la violence dont parle le film, gratuite et aveugle : les truands sont désormais des fous comme le note un des policiers qui pourchassent la bande.

Hélicoptères, voitures, fusillades, tout le spectaculaire qui fera le cœur du poliziotteschi est déjà là. La figure du criminel fou aussi, portée par un Gian Maria Volonté incroyable, exubérant et effrayant et dont le rire glaçant offre une conclusion terrible au film. Rythmé, Bandits à Milan gagne en intensité au fur et à mesure des minutes avec une seconde partie qui ressemble à un morceau de bravoure, qui ressemble à un film de casse, avec la préparation minutieuse du dernier coup de la bande, son exécution et la fuite tragique. Filmé presque en temps réel, elle concrétise la déferlante de violence que représente ce nouveau banditisme, jusqu’à la grande chasse à l'homme finale, seule excursion campagnarde du film qui sort le mal de son milieu naturel. On retrouve alors la voix off, qui nous ramène à la scène d’introduction, et boucle le film, lui donnant une cohérence impressionnante. Seul élément qui distingue encore l’œuvre des polars italiens qui suivront : la place de la police, qui reste active et déploie d’énormes moyens, même si elle n’a pu éviter toutes les victimes de la bande. Nous sommes à deux pas de la police débordée, et de la nécessité de faire émerger le héros de la loi, qui devra combattre sans pitié les criminels.

Bandits à Milan est une œuvre d’une modernité affolante, qui fait penser avec deux ans d’avance à la réalité brutale et implacable de French Connection. Lizzani, vétéran du néo réalisme, prolonge et modernise le genre pour en créer un tout nouveau, mêlant réalisme social et divertissement musclé, témoignage de la transformation de l'Italie en une terre de violence aveugle et gratuite. Le film semble avoir la prescience des événements à venir : 1 an après sa sortie, l’attentat de la Piazza Fontana la fera définitivement basculer dans les années de plomb.
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Jeremy Fox
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Re: Carlo Lizzani (1922-2013)

Message par Jeremy Fox »

Les Films du Camélia ressortent en salle cette semaine trois films du réalisateur italien Carlo Lizzani : La Chronique des pauvres amants (1954), Storie di vita e malavita (1975) et San Babila : un crime inutile (1976). L'intarissable Justin nous parle du premier des trois films.
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