Sergio Corbucci (1926-1990)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par Profondo Rosso »

Far West Story de Sergio Corbucci (1971)

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Poursuivi par le Shérif Franciscus, Jed Trigado est sauvé par Sonny, une jeune fille aux allures masculines. Le couple va alors se livrer aux pillages des banques, se transformant en "Bonnie & Clyde" du Far West, avec à leurs trousses le redoutable Franciscus...

Une nouvelle très belle réussite pour Corbucci avec ce western au ton atypique. Le western italien (et celui de Corbucci encore plus) ne nous a pas vraiment habitué à des personnages féminins forts et au premier plan de l'intrigue (hormis évidemment Claudia Cardinale dans "Il était une fois dans l'ouest"), c'est donc avec surprise qu'on assiste à l'opposition entre Tomas Milian et Susan Georges. D'un côté Milian campe un vrai porc, macho et bien rustre comme il faut qui va malmener pendant une bonne moitié de film Sunny qui veux s'associer à lui. Susan Georges campe un personnage intéressant et complexe, tentant de dissimuler sa féminité pour prouver à Milian qu'elle peut l'égaler en tout, mais c'est quand elle fait montre sa fragilité et de ses sentiments qu'elle parvient à émouvoir la brute épaisse campé par Milian qui va lentement succomber. Le film se partage ainsi entre un "Bonnie and Clyde" spaghetti mais par son alternance entre sérieux et atmosphère détendue peut évoquer "Butch Cassidy et le Kid" avec des soupçon de grosse comédie italienne lors des dispute mémorable du couple où les insulte pleuvent. Très bien filmé par Corbucci avec des situations originales (comme celle où les héros son cachés sous du grain que Telly Savalas décide faire flamber pour les faire sortir) le film pêche juste par son scénar tenant tout entier sur son couple mais n'ayant pas grand chose à proposer hormis une course poursuite basique. Très bon Telly Savalas également en méchant obstiné et l'idée de sa déchéance physique au fil du film est assez intéressante. Sinon à noter une vf d'époque (quoique j'ai un petit doute après avoir entendu un "putain de ta race" vers la fin du film :mrgreen: ) sacrément gratiné et imagée niveau vulgarité, ça m'a causé quelques fous rire, sympa. 5/6

Et très beau score de Morricone qui mélange le ton désenchanté de "Il était une fois la Révolution" (on retrouve le gimmick répétant le nom d'un personnage dans un thème, ici "Sonny) et le côté humoristique de "Mon Nom est Personne".
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Boubakar
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Sergio Corbucci (1927-1990)

Message par Boubakar »

Le topic sur Django
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... f=2&t=7091
Le grand silence
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Le spécialiste
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Navajo Joe (1967)

Offrant à Burt Reynolds l'un de ses premiers rôles (après une importante carrière télévisuelle), Corbucci nous livre une histoire de vengeance on ne peut plus classique mas, Corbucci oblige, ça tue à tout va ! :lol:
Comme je le dis, le film est extrêmement linéaire, un homme veut se venger d'une troupe ayant tué toute sa tribu, point barre. Certes, quelques sujets sont évoqués, notamment les minorités, mais ça reste évoqué un peu par-dessus la jambe. On voit pas mal d'action, ça pète dans tous les coins, et Navajo Joe sait se venger, et est également assez cruel avec ses ennemis.
Ça reste loin de la réussite d'un Django, notamment à cause d'une musique de Morricone très répétitive (le thème principal du film sera d'ailleurs réutilisé dans Kill Bill volume 2), où l'on apprend que ce dernier s'appelle en fait Leo Nichols. :lol:
D'ailleurs, Burt Reynolds en impose pas mal niveau charisme, et se donne bien du mal, physiquement parlant, dans un film certes mineur, mais qui se regarde avec un certain plaisir.
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magobei
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Re: Notez les films naphtas : Août 2010

Message par magobei »

Far West Story (Bandera Bandits, 1972), de Sergio Corbucci

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Cas assez unique dans le ciné de Corbucci, une femme (l'Anglaise Susan George) incarne un des premiers rôles: elle incarne Sonny, garçon manqué, qui s'acoquine avec le bandit de grand chemin Jed (Tomas Milias, un habitué du registre). Aux trousses de nos deux "Bonnie & Clyde", Telly Savalas joue le shériff Franciscus.

Road-movie en roue libre, très "character driven", ce Far West Story manque d'intensité, de morceaux de bravoure... et le score de Morricone est assez mou, peu inspiré. Mais ça reste très fun. Bref, un Corbucci mineur (meilleur quand même à mon humble avis que Navajo Joe, où le score de Morricone était le seul truc à surnager).

6,5/10
"In a sense, making movies is itself a quest. A quest for an alternative world, a world that is more satisfactory than the one we live in. That's what first appealed to me about making films. It seemed to me a wonderful idea that you could remake the world, hopefully a bit better, braver, and more beautiful than it was presented to us." John Boorman
Cortez The Killer
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Re: Notez les films naphtas : Août 2010

Message par Cortez The Killer »

Far West Story by Sergio Corbucci
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C'est mon premier Corbucci donc je ne suis pas vraiment un expert concernant ses films et le Western Européen en général, mais je dois avouer que j'ai beaucoup apprécié l'esprit sarcastique et à la fois sérieuse de la narration malgré le fait qu'elle n'arrive pas toujours à trouver l'équilibre entre les deux.

Néanmoins, on ne s'ennuie jamais car la relation entre Sonny et Jed est très bien mise en avant et traitée de façon asssez juste. En effet, tout le long du film, on peut interpréter les péripéties du personnage incarné par Susan George comme un bizutage d'entrée dans le genre, en l'occurence le Western et son univers exclusivement dominé par les mâles.
Pour le peu de Western Spaghetti que j'ai eu l'occasion de voir, la femme était relégée au second plan et représentait majoritairement la prostituée hautaine et cloche, donc je trouve que c'est une approche audacieuse et novateur que d'attribuer une image proéminent à la figure féminine.
Qui dit film féministe?

Bref, un très bon film servi par une magnifique photographie et une musique de Morricone certes, mineur mais qui accompagne à merveille les protagonistes dans leur escapade, ce qui donne au film une saveur singulière.

7,5/10
bruce randylan
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Re: Sergio Corbucci (1927-1990)

Message par bruce randylan »

Quelques mots sur Le justicier du Minnesota ou l'homme du Minnesota (1964)

Un correct western pré-Django certainement pas dans ses meilleurs mais loin de ses moins recommandables. Le gros défaut vient d'un scénario pas très passionnant même si le script essaye de contourner les clichés : pas d'histoire d'amour mais une relation père-fille, un méchant forcément sadique, un héros avec un handicap etc...

Il faut dire que j'ai vu le film dans une VF moyenne pas vraiment engageante. Après de toute façon, la mise en scène de Corbucci n'est pas sa plus percutante et il n'a pas l'air toujours à l'aise dans les passages intimistes ou dans sa direction d'acteur assez molle. Seul Cameron Mitchell tire son épingle du jeu.

En revanche le final est vraiment excellent quand Minnesota Clay devient aveugle et qu'il doit affronter la horde de tueurs à ses basques. Une excellente gestion de l'espace et du son pour pas loin d'un quart d'heure de pure mise en scène dénué de pratiquement tout dialogue. Cette séquence est un morceau de bravoure du genre et fait revoir largément à la hausse ce western spaghetti qui doit demeurer l'un des premiers de son réalisateur (le 2ème on dirait).

Pour complétiste quoiqu'il en soit.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
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Re: Sergio Corbucci (1927-1990)

Message par bruce randylan »

Deux grandes gueules (il bestione -1974)

Un chauffeur routier plus tout jeune doit faire équipe avec une jeune recrue qui essaye de le convaincre d'acheter un camion pour monter leur propre affaire.

Excellente surprise que ce Corbucci qui mélange avec bonheur comédie, road-movie, quelques touches sociales non négligeables et un zeste de policier.
Le "buddy-movie" fonctionne à merveille même s'il repose sur des shémas traditionnelles avec des caractères opposées qui finissent par nouer une belle amitié. Mais on marche sans problème pour le duo formé par Michel Constantin et Giancarlo Giannini, pour les dialogues très crus vraiment drôle (la VF bien gratiné est un régal) et parce que le scénario n'oublie jamais de développer ses personnages en les rendant très attachant avec une multitudes de scènes réussies à la fois drôles et amères (Giannini perdu dans une ville polonaise, la nuit du réveillon, leurs problèmes de coeurs/culs, le passage chez la famille de Constantin). Il va de même avec un arrière fond plus sérieux qui apparaît en filigrane (les problèmes de grèves et de revendications syndicales, le suicide d'un homme trop vieux et renvoyé, les problèmes d'argent etc...)
Le film prend donc son de temps pour raconter son histoire avec ses pauses, ses parenthèses, ses rencontres. On pourrait même dire que le film ne commence vraiment qu'au bout de 80 minutes quand les 2 hommes arrivent à monter leur affaire (qui sera en fait le début des problèmes pour eux). Mais ce n'est en rien un défaut.
Corbucci avec un professionnalisme nonchalant emballe la chose avec une sensibilité qu'on sent personnelle teintant l'humour potache d'une mélancolie grave. Il fait preuve d'un savoir faire régulier (le montage brillant dans le restaurant pour routier, tout le cliffhanger final, l'intégration habile du mélange des genres).

Et puis la BO est vraiment très sympa à l'image de ce morceau composé pour le film et chanté par Giannini lui-même
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manuma
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Re: Sergio Corbucci (1927-1990)

Message par manuma »

bruce randylan a écrit :Deux grandes gueules (il bestione -1974)

Un chauffeur routier plus tout jeune doit faire équipe avec une jeune recrue qui essaye de le convaincre d'acheter un camion pour monter leur propre affaire.
Un de mes Corbucci préférés. La VF est effectivement très savoureuse, peut-être meilleure encore que celle de Far West story.
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El Mercenario (1968)

Message par pak »

El Mercenario (Il Mercenario / Salario para matar, 1968) :

Avec : Franco Nero, Tony Musante, Jack Palance, Giovanna Ralli, Eduardo Fajardo, Lorenzo Robledo, Álvaro de Luna, Raf Baldassarre... Scénario de Giorgio Arlorio, Adriano Bolzoni, Sergio Corbucci, Sergio Spina, Luciano Vincenzoni d'après une histoire de Franco Solinas - Musique d'Ennio Morricone et Bruno Nicolai - Production Italo-espagnole.
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Mexique dans les années 1910, un mercenaire polonais, Serguei Kowalski dit Le Polak, est contacté par les propriétaires d’une mine d’or pour convoyer le précieux métal loin de la région menacée par les troubles révolutionnaires. Arrivé à la mine, un ancien mineur Paco Ramon et sa bande ont pendu tous les cadres mais l’or est enseveli sous des tonnes de roches après une explosion. Pour le révolutionnaire Paco cet or était nécessaire pour mener à bien la révolution. Le Polak le dissuade de creuser, car il faudrait des années pour parvenir au minerai. Contraints de s’associer face au retour de l’armée, Paco paye Le Polak pour qu’il l’aide à se tirer du guêpier...


Un western qui a pour fond le Mexique et ses révolutions du début du XXème siècle, comme bon nombre de films du genre dans les années 1960 et au début des 1970, qu'ils soient italiens (El Chuncho, Companeros, Il était une fois la révolution... ) ou américains (Pancho Villa, Les 100 fusils, Les professionnels... ).

Au début on hallucine un peu à voir la tête que s'est payé Jack Palance, ou plutôt la coiffure dont il est affligé, avec ses bouclettes dignes d'une mauvaise perruque, et surtout assez ridicule, ce qui est de mauvaise augure pour la suite...
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Et pourtant non... Comme beaucoup de films de genres italiens de l'époque, celui-ci a un sous-texte politique noyé dans la farce et l'action, qui permet une lecture autre que le simple divertissement. Déjà, le fait que le mercenaire donnant le titre au film soit un polonais n'est sûrement pas le fruit du hasard. Moins ancré dans le vécu révolutionnaire que le Coburn irlandais d'Il était une fois la révolution (le personnage sera dans le film de Sergio Leone directement en phase avec les évènements relatés puisqu'ayant réellement été un combattant contre l'autorité dans son pays pour un idéal d'indépendance), le « Polak », comme est surnommé notre héros a surtout valeur de symbole. La Pologne, après avoir connu une éphémère période de liberté après le premier conflit mondial, tombe, comme de nombreux pays européens sous la domination soviétique au sortir du second, pour former ce fameux bloc de l'est de la guerre froide. Mais le pays sera l'une des « républiques » les plus réfractaires au régime communiste de ce bloc, contestation grandissante qui aboutira au mouvement Solidarność de Lech Wałęsa en 1980, mais ceci est une autre histoire...

Toujours est-il que le personnage du Polak est symptomatique d'une certaine conviction communiste européenne de l'ouest qui a les fesses entre deux chaises de plus en plus écartées. Car le communisme des années 1930, utopique et plein d'espoir, a une certaine gueule de bois près de 40 ans plus tard : les exactions et massacres perpétrés par Staline commencent alors à être bien connus, d'autant que les pays communistes sont devenus pour la plupart des dictatures. Ainsi notre Polak cristallise-t-il les contradictions d'une espérance idéologique, le polonais étant à la fois le représentant d'une révolution réussie, le communisme, mais aussi le contestataire à l'intérieur de celle-ci. Il est aussi l'image de l'ingérence des pays étrangers dans ces révolutions et guerres indépendances qui se multiplient depuis la fin des années 1940. Et, de par son comportement, il préfigure tous ces chefs révolutionnaires qui, après avoir accéder au pouvoir, deviennent ce qu'ils ont combattu, des despotes ou des corrompus : il suffit de voir les conditions contractuelles qu'impose le Polak à son acolyte révolutionnaire pour ses services, au point par exemple de monopoliser l'eau de ses compagnons assoiffés lors d'une pénible traversée de désert, juste pour prendre une douche, allusion ironique à la main-mise des grandes puissances sur les richesses des pays qu'ils contrôlent, notamment Moscou avec ses pays satellites, mais, européen parmi des mexicains, le mercenaire représente tout autant les États-Unis alors engagés au Vietnam. On le voit, ce Polak est chargé en symboles, et toutes ces allusions plus ou moins explicites au communisme, dans ce qu'il a de bon comme de mauvais, sont forcément liées à la présence de Franco Solinas parmi les scénaristes du film, qui n'aura de cesse d'injecter ses idées ainsi que ses désillusions politiques dans ses écrits pour le cinéma, de La bataille d'Alger (Gillo Pontecorvo, 1965) à État de siège (Costa-Gavras, 1972), en passant par Queimada (encore Gillo Pontecorvo, 1968), Salvatore Guiliano (Francesco Rosi, 1961) ou L'assassinat deTrosky (Joseph Losey, 1971). Communiste depuis son adolescence, le scénariste n'hésitera pas à politiser ses histoires même écrites pour le western transalpin, comme Trois pour un massacre (Giulio Petroni, 1969), El Chuncho (Damiano Damiani, 1966) ou Colorado (Sergio Sollima, 1965) qui se dérouleront tous dans le contexte remuant du Mexique du début du siècle dernier, terrain propice à l'allégorie politique.
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Autant le dire, ce film est une bonne surprise pour les réfractaires au spaghetti, d'autant plus si l'on prend en compte le contexte politique, du moins dans ses trois premiers quarts d'heure. Derrière le sourire et l'apparente décontraction, se cache de moins en moins bien un auteur désabusé. Le message est clair, une révolution idéaliste n'a aucune chance d'aboutir face aux puissants en place sans apports extérieurs, au risque de voir ceux-ci devenir intrusifs, constat amer que le duo révolutionnaire / mercenaire va démontrer avec un certain cynisme, ingérence à double tranchant, qui peut mener à la défaite si celle-ci se retire. Ainsi les relations entre le Polak, gourmand, et le pauvre Paco, dépassé, font office de démonstration de ce message avec une belle subtilité qu'on a peu l'habitude de voir dans ce cinéma. De fait, le mercenaire devient le réel tacticien d'un combat qui ne le touche guère, le chef mexicain commandant les hommes au combat mais étant finalement assez peu décideur. De fait aussi, les gains amassés lors de chaque action partent en grande partie dans les poches du polonais, qui a l'intelligence de réclamer des salaires raisonnables afin de ne pas tarir prématurément la source de ses revenus. Les tentatives d'émancipation de Paco vont s'avérer perdantes. La première trouve une issue ironique, claquant comme un avertissement, la seconde sera plus désastreuse.

La désillusion du scénariste est d'autant plus appuyée par les évènements internationaux contemporains au tournage et à la sortie de ce film, c'est-à-dire la guerre du Vietnam, et surtout, plus proche des communistes européens, le Printemps de Prague, qui voit Brejnev, dirigeant l'URSS, sept jours avant la sortie du film, envoyer les chars écraser une tentative de libéralisation de ce qui était alors la République Socialiste Tchécoslovaque. D'ailleurs des unités de l'armée polonaise participèrent à cette répression, ce qui renforcerait a posteriori la symbolique du Polak dans le film de Corbucci, mais c'est peut-être aller un peu loin...

L'interprétation ne gâche pas la bonne impression générale. Franco Nero, le mercenaire, dégage un charisme puissant, et son regard, filmé en gros plan, est saisissant. Il se situe entre le mutisme goguenard du héros muet à la Clint Eastwood et le flegme tout aussi amusé d'un James Coburn, tous deux brillamment dirigés par Sergio Leone. Mais Nero ne les singe pas, il a une certaine classe dans son costume de dandy quasi déplacé dans ce monde de sang et de poussière. Il ne les singe pas, non, il se hisse tout simplement à leur niveau. Face à lui, un acteur inhabituel dans le monde du spaghetti (d'ailleurs il n'en tournera pas d'autres), Tony Musante, dans la peau du va-nu-pieds que la faim et les mauvais traitements vont finir par le sortir de sa torpeur et de sa condition d'exploité. Il apporte à son personnage rendu violent par les injustices une belle candeur et une maladresse touchantes, et s'il fait le pitre, c'est sans forcer le trait ou sur-jeu. C'est le personnage le plus intéressant car celui-ci découvre le pouvoir en même qu'il continue à être sous le contrôle d'un supérieur qui l'exploite, plus subtilement que ses anciens patrons, mais qui, dans un certain sens, continue à utiliser sa sueur pour s'enrichir. Paco est de plus celui qui évolue le mieux, se découvrant une conscience au fil des batailles et mésaventures, ce qui distingue le western italien de l'américain, ce dernier peu enclin à faire d'un mexicain un héros de film, encore moins s'il est du bord des opprimés ou des justiciers. Puis il y a Jack Palance. Affublé de sa coiffure improbable, il aurait pu se ridiculiser. Pourtant il parvient, et ce n'était pas là une mince affaire, à la faire oublier, grâce à son jeu inquiétant, dont le calme n'est jamais bon signe. Son personnage n'a aucun scrupule d'aucune sorte, et son unique faiblesse est sa rancune, c'est d'ailleurs sa susceptibilité plus que le gain qui le motive à poursuivre les deux autres larrons, développée suite à une scène mémorable où fier comme un paon, il s'en va nu comme un ver, dépouillé de ses habits et de sa fierté par un pouilleux rigolard sous le regard moqueur d'un étranger. Et faut pas vexer Jack Palance ! Au milieu, je m'en voudrai d'oublier de citer la belle Colomba qui porte les traits et le décolleté de Giovanna Ralli, magnifique avec son sombrero et sa cartouchière. C'est d'ailleurs peut-être elle la plus représentative de l'âme révolutionnaire, pas vraiment dupe du calculateur Polak qui n'agit que pour l'argent, ni du naïf Paco, qui lui le découvre et dont la vision politique ne semble pas dépasser la perspective d'un bon repas.
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On en vient alors à la réalisation, somptueuse. Sergio Corbucci se montre particulièrement inspiré, et trouve régulièrement des angles intéressants pour filmer et dynamiser le récit et ses scènes d'action. Il a eu de plus certains moyens et cela se voit à l'écran. Son Mexique révolté ne fait aucunement carton pâte, et il instaure une réelle ambiance de chaos où le plus fourni en arme fait la loi, qu'il porte l'uniforme ou pas. Il retranscrit aussi assez bien ce que fut la période révolutionnaire mexicaine, une guerre civile où personne ne faisait ni cadeaux ni prisonniers. Comme pour les gladiateurs de l'antique Rome, c'était malheur au vaincu. D'ailleurs les scènes d'ouverture et finale se déroulent dans une arène, sorte de pied de nez typique du spaghetti au western traditionnel, où l'un des personnages est déguisé en clown dans un duel qui va forcément aboutir à la mort d'un des protagonistes. Le genre de détail que relèvent les allergiques au genre, et pourtant ici ça passe, parce que joliment mis en scène et en adéquation avec le désenchantement ambiant. Ajoutons à cela une très belle photo, de beaux paysages en filmés en 70 mm et une partition musicale entrainante, même si ce n'est pas la meilleure de Morriconne, co-signée ici avec un autre habitué du genre mais moins connu, Bruno Nicolai (à noter que Quentin Tarantino réutilisera un morceau de la BO pour son film Kill Bill 2, celui de l'arène).

Mais hélas, quelques imperfections perturbent la complète adhésion. Déjà cette fascination pour les armes, jusqu'à l'absurde, défaut récurrent du genre spaghetti. On a ainsi droit à une panoplie de pistolets en tous genres au début du film, que les personnages sortent de leurs poches. Mais le pompon est la mitrailleuse que trimballe notre mercenaire. Un modèle Hotchkiss français dont le chargeur latéral restreint à 24 cartouches et son utilisation sur trépied n'en faisait sûrement pas une arme aussi destructive comme on nous le montre à l'écran, ni une arme très maniable et portable à bout de bras, d'ailleurs ses 25 kilos interdisent toute course de son utilisateur, d'autant plus s'il tente de tirer en même temps... Mais elle n'est par contre pas anachronique (pas comme l'avion qu'on voit bombarder la troupe de Paco, alors que le concept même de bombardier n'existait pas encore, les machines volantes du début des années 1910 ayant déjà du mal à élever ses propres moteur et pilote, alors des bombes... ) puisque l'arme fut produite dès 1900 et utilisée par l'armée mexicaine. On notera à ce propos l'auto-citation du duo Corbucci / Nero à Django dont ils ont contribué au succès, le Polak trimballant son arme encombrante dans un étui de contrebasse, référence directe à l'arme planquée dans le cercueil que tire Django.
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Mais c'est surtout la dernière partie qui déçoit, car retombant dans les excès caractéristiques du genre, parfois guignolesques. L'évasion finale confine au ridicule, et gâche l'homogénéité d'un film jusque là réussi, où l'on mitraille à tout va et descend un paquet d'ennemis dans un déchainement inutile.

On pourrait aussi reprocher la sous-utilisation de Jack Palance, qui n'apparait que dans quelques scènes. La structure en triangle est nettement moins bien équilibrée que celle de Leone dans Le bon, la brute et le truand, et si les personnages principaux se font mutuellement des crasses, on n'a assez peu de doute sur l'issue finale.

Toutefois, El mercenario reste un bon film, une des quelques réussites du genre spaghetti qui n'en compte pas tant que cela. Précurseur d'Il était une fois la révolution dans lequel Leone réutilisera, en mieux de mon point de vue, une partie des éléments de ce film. Corbucci aussi d'ailleurs puisqu'en 1970 sortira son film Compañeros, toujours avec Nero, pour le coup suédois ( ! ), à l'affut du gain et croisant le chemin d'un révolutionnaire mexicain, cette fois-ci campé par un Tomas Millian en roue libre, et faisant face de nouveau à Jack Palance.

Avec El mercenario, Sergio Corbucci, tout en rendant hommage au maitre (le duel final dans l'arène renvoie directement à l'univers "léonien"), inaugurait ici avec un certain bonheur une trilogie révolutionnaire mexicaine, poursuivie avec Compañeros en 1970 et le rare Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? en 1972.

S'il est peu probable que ce western italo-espagnol réconcilie les inconditionnels de l'américain avec le genre spaghetti (ou ici avec sa variation western Zapata), il reste un spectacle suffisamment brillant pour intéresser les autres.
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Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par bruce randylan »

Le pot de vin (la mazzetta -1978)

Un avocat est chargé de retrouver la fille d'un gangster, kidnappée en même temps qu'une mallette avec des documents "importants"

J'avais quelque réticences en m'installant dans la salle, craignant son année de réalisation assez tardive par rapport à l'âge d'or de Corbucci mais au final c'est un film excellent et fort drôle.
C'est une relecture auto-parodique des films noirs américain des années 40 façon le grand sommeil : détective privé qui se retrouve malgré lui dans une enquête compliquée à souhait (y compris pour le public), menaces venant d'une galerie de personnages assez divers, révélations, rebondissements, trahisons, "McGuffin" mystérieux à retrouver...
Le film comme son héros ne se prennent pas trop au sérieux sans pour autant tomber dans le cynisme, l’exercice de style ou la parodie. Le mélange des genres fonctionne très bien y compris dans les quelques touches qui vont moins rire (la mort vient frapper un second rôle). Mais dans l'ensemble, on se marre vraiment bien avec quelques séquences mémorables pour ne pas dire cultes comme la poursuite en moto (et sa "chute" aussi surprenante que décalée), le passage dans un petit village et surtout une irrésistible dégustation d'un plat de spaghettis bien appétissant. :lol:

Nino Manfredi dans le rôle principal est excellent, les dialogues ne manquent pas d'esprit et d'inventivité et le rythme qu'insuffle Corbucci ne faiblit jamais même si la réalisation n'est pas aussi percutante que quelques années auparavant (mais elle ne manque pas d'idées pour autant - cf la conclusion géniale). Le reste du casting est tout aussi réjouissant avec notament Ugo Tognazzi en quasi caméo dont les quelques apparitions font mouches à chaque fois.

Bref, du tout bon. D'ailleurs le genre néo-film noir décontracté, je le préfère 100 fois ce pot au vin au Privé d'Altman (qui m’ennuie passablement il faut dire)
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par wontolla »

J'ai acheté ce DVD sur Priceminister:
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Je me rends compte que ce DVD est uniquement en VF.
Comme la question d'une "VO" est un peu particulière pour les films italiens (postsynchronisés si j'ai bien compris ?) que vaut le doublage de ce film en VF?

Je ne puis me plaindre du vendeur qui avait bien spécifié "VF" (mais comme d'autres DVD étaient également décrits de la même façon alors qu'ils possédaient aussi une VO, j'ai quand même commandé !).
Par ailleurs, il ne semble pas y avoir de DVD disponible en VO (à moins que j'aie mal recherché).
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cinephage
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par cinephage »

Pour ce type de films, il n'y a souvent de disponible qu'une version doublée... En général, les versions françaises sont potables, même si je n'ai pas vu ce film-ci...
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par locktal »

Pour Compañeros, la version française est correcte. Le gros problème, c'est que la version éditée en DVD en France (que cela soit chez Fravidis ou chez Seven 7) n'est pas intégrale. Le film dure en effet 118 minutes, alors que la version présentée dans ces 2 éditions ne dure qu'1h40. Il manque donc près de 20 minutes...
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par nobody smith »

Tiens pas trouvé d’avis sur le forum à propos de Les Cruels, western tourné par Corbucci juste après Django et Navajo Joe. C’est pourtant assez sympa sans être renversant. Juste à la fin de la guerre de sécession, une famille de confédérés volent un chargement d’argent afin d’acheter des armes et de relancer les combats. Pour cela, il leur faudra convoyer l’argent dans un cercueil jusque chez eux. L’intérêt du film tient à nous coller aux basques de personnages pas particulièrement attachants. Fanatisés et obsessionnels, ils refusent l’idée de la défaite et tous les moyens sont bons pour faire revivre le sud. Le disfonctionnement de la cellule familiale rajoute au grotesque de leur sainte croisade. Ce qui s’amplifie encore par le contrepoint proposé au travers de chacun des obstacles rencontrés. En effet, le groupe s’heurte surtout à des difficultés générées par des personnes compréhensives et bienveillantes. Lorsque les menaces sont plus ouvertes, ils ont eux-mêmes posé les germes de la situation (le rétablissement de la loi suite au massacre causé lors du vol initial, le revirement d’attitude du vagabond). Bref, Corbucci s’amuse plutôt bien avec ses figures et leurs identifications. Néanmoins, le film est assez perfectible. S’il comporte quelques beaux moments de suspense (le passage du fort notamment), le long-métrage accumule également pas mal de coup de mou. De même, la mise en scène poussiéreuse a beau déployé beaucoup d’énergie, ça n’excuse pas totalement un certain nombre d’approximation (l’utilisation des zooms à tous les niveaux, l’utilisation répétitive de la musique de Morricone). Le plaisir du divertissement n’en est pas ruiné mais reste amoindrie.
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Julien Léonard
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par Julien Léonard »

J'ai revu il y a peu le Django de Corbucci. C'est dantesque ! Peu à peu, au fil du temps, je deviens de plus en plus sensible au genre du western italien (ce qui n’était pas gagné, tant je réprouvais le genre depuis longtemps !). On peut être un "fordien" convaincu (Ford reste peut-être mon cinéaste préféré...) et adorer cet univers tout à la fois opposé et dans la continuité le cas échéant. Il suffit juste de bien tomber, car tout n'est pas bon à prendre, loin de là.

Quelle leçon que ce film, et il y a tant à en dire... C'est d'une concision et d'un foisonnement insolents.

Si les séquences d’anthologie ne manquent pas dans ce Django (que d'ailleurs je préfère ne pas comparer une seule seconde avec le truc de Tarantino...), j'en retiendrais une en particulier, la première du film. A l’inverse du western américain qui débute souvent par un héros à cheval au milieu d’une nature magnifique, Django oppose son étranger sorti de nulle part, voyageant à pieds, dans la boue et sous la pluie, et tirant inlassablement ce cercueil derrière lui. Avec cette image iconique insaisissable, Corbucci y projette l’essence même du cinéma populaire de qualité à la fois fun, provocateur, sensible et intelligent. Car si cette idée du cercueil compose effectivement une brillante idée de scénario, elle impose également son étrangeté philosophique aux yeux du spectateur. Django traîne avec lui ce cercueil, mécaniquement, tel un spectre. Est-ce le symbole de la mort qu’il amène dans son sillage partout où il va ? Est-ce encore le symbole de sa propre finitude ? Voilà donc un drôle de Sisyphe traversant des terres inhospitalières, et dont la puissance d’évocation funeste troublera durablement le spectateur. Un chef-d’œuvre, dénué de la moindre trace de concession humaniste.

Et je ne parle pas du Grand Silence, revu récemment également, et qui m'a traumatisé comme peu de films ont su le faire. Cette fin apocalyptique et d'une cruauté furieuse, c'est terrifiant.
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Père Jules
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Re: Sergio Corbucci (1926-1990)

Message par Père Jules »

Julien Léonard a écrit :Et je ne parle pas du Grand Silence, revu récemment également, et qui m'a traumatisé comme peu de films ont su le faire. Cette fin apocalyptique et d'une cruauté furieuse, c'est terrifiant.
Cadeau: la fin alternative voulue par la production...



Le résultat est tellement grotesque que même les huiles ont finalement abandonné l'idée :lol:
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