Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

J'ai commencé hier soir un nouveau marathon avec un film en 5 épisodes.

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Le Juif Errant (1926, Luitz-Morat) avec Maurice Schutz, Antonin Artaud, Gabriel Gabrio et Jeanne Helbling

Ep. 1 - Les Ardents
Une société secrète et criminelle, Les Ardents, dirigée par le sinistre M. d'Aigrigny (M. Schutz), souhaite capter l'héritage fabuleux de M. Rennepont. Pour ce faire, il faudra empêcher les héritiers d'arriver au rendez-vous fixé à Paris pour le 13 février 1832...

Cette production Ciné-Romans a été produite par Louis Nalpas, alors en charge de la production. Cette société se spécialisait dans les adaptations de romans célèbres sous forme de films en épisodes. Le Juif Errant commençait par un prélude biblique qui introduisait le personnage d'Ahasvérus, le juif errant. Malheureusement, la copie présentée hier ne comportait pas ce prologue, ni d'ailleurs les premières scènes qui montraient la mort de Marius Rennepont au XVIIè siècle. On peut supposer que ces séquences ont disparu corps et bien (à moins qu'on ait oublié de nous les projeter ?). Enfin, le récit commençait par la présentation de cette pseudo-société philantropique, Les Ardents, qui ne cherche en fait qu'à s'accaparer une fortune promise en héritage. Pour ce faire, tous les moyens sont bons. Il faut qu'un seul des héritiers puisse arriver au rendez-vous pour toucher les 100 millions. Ce seul héritier est un prêtre naïf qui ne se rend pas compte qu'il est manipulé par Les Ardents. Puis, nous faisons connaissance avec les autres héritiers qui sont en route vers Paris. Il y a les deux petites filles, Rose et Blanche Simon qui traversent l'Allemagne avec comme garde du corps, le vieux Dagobert (G. Gabrio) qui était l'ordonnance de feu leur père. Dans une auberge de Leipzig, un certain Morock va tuer leur cheval avec sa panthère, puis tenter de les faire arrêter par le bourgmestre. Làs, il n'arrivera pas à ses fins. Pendant ce temps, en France, une autre héritière, Adrienne de Cardoville (J. Helbling) recueille des jeunes orphelines dans son chateau au bord de la mer. Les jeunes filles s'ébattent dans le parc vêtues comme des danseuses de la troupe d'Isadora Duncan. Cette fois-ci, Les Ardents ont une autre tactique. Ils vont essayer de faire interner la jeune femme avec un médecin marron qui la déclarera folle. Ce premier épisode offre une entrée en matière assez riche, malgré l'absence plus que regrettable du Prologue et des premières scènes. Le metteur en scène Luitz-Morat était un ancien acteur. Et on peut lui reconnaître une certaine habilité dans la direction de ses acteurs. Aucun d'eux ne surjoue et chaque personnage est campé avec justesse. Les décors sont riches et offrent une belle atmosphère. J'attends la suite avec impatience. La copie présentée semblait être une reconstitution assez récente, teintée et de belle qualité. On pouvait apprécier au mieux les contrastes remarquables de la pellicule orthochromatique.
Dernière modification par Ann Harding le 19 déc. 11, 10:51, modifié 1 fois.
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Une information supplémentaire après quelques recherches sur le site Gaumont-Pathé: la Cinémathèque a bel et bien oublié de nous projeter la première partie d'une durée de 45 min du Juif Errant. :o :x :? Je vais essayer de faire quelque chose pour que le début du film soit enfin projeté...
Tancrède
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Message par Tancrède »

L'auberge rouge (Jean Epstein,1923)
C’est un exercice de style plein d’expérimentations et de recherches. On sent dans le montage et le découpage une volonté d’explorer toutes les possibilités d’un art presque aussi jeune que le cinéaste. Ce cinéaste ne s’est pas encore enfermé dans la froideur absconse qui caractérise certains de ses films ultérieurs (La glace à trois faces, épouvantable navet) et chacune de ses trouvailles a un but expressif. C’est parfois naïf, c’est parfois lourd, ce n’est jamais vain.
C’est même dans l’ensemble très convaincant. Toute l’exposition dans la grande salle de l’auberge est magistrale. L’atmosphère balzacienne, trouble, mystérieuse et propice au romanesque, est excellemment rendue grâce entre autre à des cadrages joliment composés et à des acteurs aux gueules pittoresques. On peut également citer le montage parallèle de l’exécution, séquence inspirée de Griffith dans laquelle Epstein a eu l’idée d’insérer des plans subjectifs porteurs d’une poésie bienvenue. Si tout n’est pas d’égale valeur ici (qu’y a t-il de plus inintéressant qu’une scène de tribunal? une scène de tribunal muette!), si on peut regretter quelques conventions mal digérées, L’auberge rouge n’en reste pas moins -et quoique le fort estimable Jacques Lourcelles ait dormi pendant sa projection- un très bon film, un des rares fleurons non périssables de l’Avant-garde française.
daniel gregg
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Message par daniel gregg »

Tancrède a écrit :L'auberge rouge (Jean Epstein,1923)
C’est un exercice de style plein d’expérimentations et de recherches. On sent dans le montage et le découpage une volonté d’explorer toutes les possibilités d’un art presque aussi jeune que le cinéaste. Ce cinéaste ne s’est pas encore enfermé dans la froideur absconse qui caractérise certains de ses films ultérieurs (La glace à trois faces, épouvantable navet) et chacune de ses trouvailles a un but expressif. C’est parfois naïf, c’est parfois lourd, ce n’est jamais vain.
C’est même dans l’ensemble très convaincant. Toute l’exposition dans la grande salle de l’auberge est magistrale. L’atmosphère balzacienne, trouble, mystérieuse et propice au romanesque, est excellemment rendue grâce entre autre à des cadrages joliment composés et à des acteurs aux gueules pittoresques. On peut également citer le montage parallèle de l’exécution, séquence inspirée de Griffith dans laquelle Epstein a eu l’idée d’insérer des plans subjectifs porteurs d’une poésie bienvenue. Si tout n’est pas d’égale valeur ici (qu’y a t-il de plus inintéressant qu’une scène de tribunal? une scène de tribunal muette!), si on peut regretter quelques conventions mal digérées, L’auberge rouge n’en reste pas moins -et quoique le fort estimable Jacques Lourcelles ait dormi pendant sa projection- un très bon film, un des rares fleurons non périssables de l’Avant-garde française.


:shock: T'as eu la chance de voir un fantôme, toi ?!!!!
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Tancrède »

daniel gregg a écrit :
Tancrède a écrit :L'auberge rouge (Jean Epstein,1923)
C’est un exercice de style plein d’expérimentations et de recherches. On sent dans le montage et le découpage une volonté d’explorer toutes les possibilités d’un art presque aussi jeune que le cinéaste. Ce cinéaste ne s’est pas encore enfermé dans la froideur absconse qui caractérise certains de ses films ultérieurs (La glace à trois faces, épouvantable navet) et chacune de ses trouvailles a un but expressif. C’est parfois naïf, c’est parfois lourd, ce n’est jamais vain.
C’est même dans l’ensemble très convaincant. Toute l’exposition dans la grande salle de l’auberge est magistrale. L’atmosphère balzacienne, trouble, mystérieuse et propice au romanesque, est excellemment rendue grâce entre autre à des cadrages joliment composés et à des acteurs aux gueules pittoresques. On peut également citer le montage parallèle de l’exécution, séquence inspirée de Griffith dans laquelle Epstein a eu l’idée d’insérer des plans subjectifs porteurs d’une poésie bienvenue. Si tout n’est pas d’égale valeur ici (qu’y a t-il de plus inintéressant qu’une scène de tribunal? une scène de tribunal muette!), si on peut regretter quelques conventions mal digérées, L’auberge rouge n’en reste pas moins -et quoique le fort estimable Jacques Lourcelles ait dormi pendant sa projection- un très bon film, un des rares fleurons non périssables de l’Avant-garde française.


:shock: T'as eu la chance de voir un fantôme, toi ?!!!!

?????
qu'est ce qui te faisait croire qu'il était mort?
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

J'ai pris pas mal de retard dans mes critiques du Juif Errant. Il va falloir que je m'y remette. Le prologue du film (de 45 min) a été omis malgré mes protestations. Personne n'était au courant à la Cinémathèque... :roll: Donc, je me suis rattrapée sur le site Pathé-Gaumont. En attendant la suite, je vais aussi critiquer le film d'Epstein.

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L'Auberge rouge (1923, Jean Epstein) avec Léon Mathot, Gina Manès et David Evremond

1825, M. Herrmann, un riche hollandais, organise un dîner entre amis. On lui demande de raconter une histoire qui fait peur et il leurs conte ce qui est arrivé dans une auberge d'Alsace en 1790. Deux étudiants en médecine, Prosper Magnan (L. Mathot) et Frédéric Taillefer (D. Evremond) se sont arrêtés dans une auberge par une nuit de tempête. Ils obtiennent avec beaucoup de mal une chambre pour passer la nuit. Un courtier en diamants arrive et ils décident de partager leur chambre avec lui. Le lendemain, ce dernier est découvert égorgé le lendemain matin, et Prosper est accusé du meurtre...

En 1923, la société Pathé-Consortium commande à Jean Epstein une adaptation d'une nouvelle de Balzac. Le jeune metteur en scène qui se veut à pointe de l'innovation technique au cinéma, va utiliser tous les procédés en cours à l'époque. Avec cette histoire de meurtre (dont le scénario est très différent de celui d'Aurenche et Bost pour le film d'Autant-Lara), il a affaire à un morceau de choix riche en atmosphère. Mais, malheureusement, comme souvent chez Epstein, la structure du récit et le développement des personnages n'est pas vraiment convaincant. Comme le fait remarquer avec justesse son contemporain, le metteur en scène Henri Fescourt: "On put reprocher à cette bande des déséquilibres. Les moyens dramatiques n'atteignent pas toujours l'effet souhaité." Les deux cinéastes qui inspirèrent le plus Epstein sont Marcel L'Herbier et Abel Gance. Il réutilise leurs innovations au niveau du montage, de la caméra subjective ou mobile. Mais contrairement, à ses deux confrères, Epstein n'insère pas très bien ces effets dans son récit, ce qui a pour effet de mettre en exergue des scènes plutôt que d'assurer la continuité du récit. Quant à la direction d'acteur, ce n'est certainement pas le fort de Epstein. Le vétéran Léon Mathot, qui est déjà au cinéma depuis une décennie, semble passablement figé. Et il n'exploite guère la sensualité de la belle Gina Manès, qui sera bien mieux exploitée par Abel Gance dans Napoléon (1927) ou par Jacques Feyder dans Thérèse Raquin (1928) (si on en croit les critiques de l'époque car le film est perdu). Ceci dit, malgré sa trame assez lâche, le film conserve un certain attrait. Epstein nous faire voyager dans les pensées meurtrières de Prosper avec force caméra subjective. La construction avec une série de flash-back n'est pas vraiment nouvelle. L'Herbier l'a déjà utilisée par exemple dans L'Homme du large (1920) avec plus de bonheur, d'ailleurs. Il est difficile d'apprécier pleinement la cinématographie avec une copie contretypée assez floue dans toutes les scènes en soft-focus. Epstein est un théoricien du cinéma qui avait du mal à mettre en pratique ses idées sur un récit.
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Message par Ann Harding »

Suite du Juif Errant (2ème partie)
Image(Gringalet: A. Artaud)

Le Juif Errant (1926, Luitz-Morat) avec Maurice Schutz, Antonin Artaud, Gabriel Gabrio et Jeanne Helbling

Prologue - Ep. 2 : Monsieur Rodin - Ep. 3 : La nuit du 13 février

Résumé du prologue: En Palestine, Jésus sur la croix est insulté par un savetier nommé Ahasvérus (André Marnay). Il est condamné à marcher éternellement. En 1682, dans le ghetto de Varsovie, Marius Rennepont (Jean Peyrière), un riche protestant français, est victime des persécutions de la secte des Ardents qui veut lui prendre sa fortune. Ayant trouvé refuge dans sa belle-famille juive, il est retrouvé et assassiné ainsi que sa femme. Son enfant est sauvé par Ahasvérus qui l'emporte ainsi que le testament de Marius, qui ne devra être ouvert que 150 ans plus tard.
Ep. 2 et 3: 1832, La secte des Ardents poursuit ses manoeuvres pour s'accaparer la fortune Rennepont. Chaque héritier est pourchassé avec méthode par l'éminence grise de la secte, M. Rodin. Il a prêté de l'argent à Jacques Rennepont (alias Couche-tout-nu) qui passe son temps à faire la fête. Le malheureux se retrouve emprisonné pour dettes. La date fatidique du 13 février, jour d'ouverture du testament approche. Seul l'abbé Gabriel est là chez le notaire. Mais contrairement aux espoirs des Ardents, le testament ne contient pas le texte espéré. Il met en garde l'héritier contre les Ardents. Ahasvérus apparaît alors et produit un codicille au testament...


J'ai découvert le prologue du film après la projection des 3 premiers épisodes. Ce n'est guère commode de suivre un film en épisodes de cette façon, mais je n'ai guère eu le choix vu que la Cinémathèque a oublié le prologue. Ce prologue contient d'ailleurs les scènes les plus chargées d'atmosphère de tout le film. Les séquences bibliques ne déparerait pas un film de Cecil B. DeMille pour la qualité de la reconstitution. De même, les scènes du ghetto de Varsovie au XVIIème siècle sont superbement éclairées. Si le film pêche, c'est pas la longueur des épisodes qui approchent des 90 min. Pour tenir une telle longueur, il faut un souffle épique remarquable comme dans Les Misérables (1925) d'Henri Fescourt. Hélas, Luitz-Morat n'a pas les qualités de metteur en scène de ce dernier. Il faut dire aussi que la Cinémathèque a eu l'idée saugrenue de passer deux épisodes simultanément, ce qui a résulté par une séance de 2h40... au lieu des 1h50 prévues sur le programme. La copie est absolument superbe dans l'ensemble. Il semble que du matériel original ait été utilisé pour cette restauration. Si le récit est trop lent et manque de créativité, en tout cas, c'est un vrai plaisir pour les yeux. La suite bientôt....
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Fin du Juif Errant (3ème partie)
Le Juif Errant (1926, Luitz-Morat) avec Maurice Schutz, Antonin Artaud, Gabriel Gabrio et Jeanne Helbling

Ep. 4 - Le Justicier
Le sinistre M. Rodin (Fournez-Goffard) continue ses manigences pour éliminer les héritiers de la fortune Rennepont. A ce moment-là, une épidémie de choléra se déclanche à Paris. Immédiatement, il décide d'éliminer les deux soeurs Simon en les mettant dans une pièce contaminée. Pour ce qui est de Adrienne de Cardoville et de son fiancé Djalma, un autre héritier, il prépare une mascarade pour pousser celui-ci au meutre...


Le dernier épisode du Juif Errant est une relative déception. Le dénouement est attendu et les différentes péripéties n'apportent pas le suspense que l'on pouvait espérer. Le personnage central est maintenant le sieur Rodin qui met au point les guet-apens les plus infâmes pour se débarrasser des héritiers: assassinat, drogue, prison, choléra... Tout est bon pour mettre fin à leurs jours. L'acteur surjoue son hideux personnage, qui a toujours un sourire grimaçant aux lèvres et qui se frotte les mains avec délectation. Evidemment, une telle infâmie ne peut rester impunie et il mourra lui-même dans d'atroces souffrances du choléra. Malgré cette matière riche, dont un Henri Fescourt ou un Feuillade aurait pu faire un brillant épisode, Luitz-Morat ne produit qu'une illustration bien plate du scénario. Certes, le film bénéficie d'une atmosphère parisienne très réussie avec ses petites rues pavées avec les murs lépreux des maisons tels qu'on les imagine aux XIXème siècle. Intérieurs et costumes sont au diapason pour leur qualité, nullement tapageurs, mais parfaitement dans le ton. Les problèmes principaux restent la lenteur de la narration et l'absence de créativité dans la mise en scène. Au total, ce Juif Errant est un film qui manque de relief.
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Re: Cinéma Muet Français

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Gardiens de Phare (1929, Jean Grémillon) avec Fromet, Geymond Vital, Genica Athanasiou et Gabrielle Fontan

En Bretagne, le père Bréhan (Fromet) et son fils Yvon (G. Vital) vont prendre leur relève de gardiens de phare. Mais, le fils, peu de temps avant de partir, a été mordu par un chien enragé...

Jean Grémillon réalise Gardiens de Phare après son premier long métrage de fiction Maldone (1927). Le scénario est signé Jacques Feyder qui n'a pu le réaliser lui-même étant parti pour Hollywood. Cette histoire de gardiens de phare est en fait à l'origine une production du théâtre du Grand Guignol qui assure également la production du film. L'intrigue est fort simple : un gardien atteint de la rage attaque son père qui doit le supprimer pour assurer le bon fonctionnement du phare. Sur cette trame, Grémillon propose un film qui n'est pas totalement satisfaisant, comme l'était d'ailleurs également Maldone. Le film comporte fort peu de cartons d'intertitres, ce qui est un avantage. Mais, le cinéaste offre une débauche de moyens visuels en caméra subjective pour nous faire entrer dans la peau du malheureux gardien de phare touché par la rage. Au lieu de développer les personnages, le film se contente d'égrener toutes techniques possibles du cinéma avec surimpressions, caméra virevoltante, etc. Jean Grémillon a pu tourner son film en Bretagne avec un excellent caméraman, Georges Périnal, malheureusement la copie présentée était d'une qualité tellement médiocre qu'il est impossible d'apprécier vraiment le travail de l'opérateur. Les 'soft-focus' s'apparentaient à de la purée de pois. Il semble bien que Grémillon, à l'origine un réalisateur de documentaires, n'ait trouvé ses marques dans la fiction que lors de l'arrivée du parlant. C'est probablement le changement de scénaristes qui a lui a donné l'impulsion nécessaire. Dans la distribution, on remarque la roumaine Genica Athanasiou, qui jouait une gitane dans Maldone, et qui est ici une bretonne fort peu convaincante avec son visage très latin. Le film m'a fait pensé au Finis Terrae (1928) de Jean Epstein tourné également près de l'Ile d'Ouessant et on voyait les mêmes goémoniers au travail. Au total, une déception relative de la part d'un grand réalisateur.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par ballantrae »

L'annonce Epstein par Potemkine m'a fait bondir au plafond: ENFIN, des éditeurs se décident à nous offrir l'accès à ces bijoux!!!
Rien que pour cela, 2012 s'annonce bien...et si en plus The hobbit sort sans risque d'apocalypse! et si en plus Sokourov revient! et si en plus le nain de jardin est viré de son trône! OUAH!!!!!
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Message par riqueuniee »

J'ai vu aussi le film de Grémillon (hier soir à la Cinémathèque). La part fictionnelle est minimaliste, ce qui donne à ce court film un aspect quasi-documentaire (notamment sur le travail de gardien de phare à cette époque).
Si le phare est vraisemblablement celui d'Ouessant, les autres extérieurs du film ont été tournés dans le pays bigouden (ce n'est pas tout à fait en face).
Contrairement au film d'Epstein, les interprètes principaux sont des comédiens professionnels. L'actrice qui joue Marie n'est pas toujours crédible en bigoudène, mais plus parce qu'elle est trop apprêtée . Sinon, les scènes sonnent assez juste. Comme je fais de la danse bretonne, j'ai apprcié la scène du bal de mariage.
Autrement, le film se distingue aussi, côté mise en scène , par des images assez étonnantes dans les scènes de cauchemar ou d'hallucination, qui contrastent avec le côté réaliste du reste du film.
Intaressante découverte, mais je préfère , comme film "breton" de Grémillon, Pattes blanches. En plus, on y aperçoit des coins des Côtes d'Armor que je connais.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

riqueuniee a écrit :Si le phare est vraisemblablement celui d'Ouessant, les autres extérieurs du film ont été tournés dans le pays bigouden (ce n'est pas tout à fait en face).
D'après les informations de la presse d'époque, le film a été tourné au phare de Triagoz, à Port-Blanc (Côtes d'Armor)et à Saint-Guénolé .
Dernière modification par Ann Harding le 6 janv. 12, 16:04, modifié 1 fois.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par riqueuniee »

Si, pour le phare, je n'ai pas trouvé de confirmation, le tournage a bien eu lieu vers St Guénolé/Penmarc'h, en pays bigouden (et donc dans le Finistère). Ce que m'a d'ailleurs dit un spectateur ayant reconnu les lieux -pas le phare- à la sortie de la séance .
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

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Les Ombres qui passent (1924, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Henry Krauss, Andrée Brabant et Nathalie Lissenko

Louis Barclay (I. Mosjoukine) vit dans le sud de l'Angleterre entre son père authoritaire (H. Krauss) et son épouse Alice (A. Brabant). Son existence est régulée par son père, selon les préceptes de Henry David Thoreau. Mais, un jour, il reçoit une lettre lui demandant de se rendre à Paris pour toucher un énorme héritage...

Ce film d'Alexandre Volkoff produit par la société Albatros a été écrit par Mosjoukine lui-même avec Kenelm Foss. Ne cherchant aucunement à adapter une quelconque pièce de théâtre ou un roman, il laisse libre court à son imagination. Il veut utiliser ses qualités comiques qui sont absolument évidentes dès ses premiers films tel que l'hilarant Domik v Kolomne (La petite maison à Kolomna, 1913) où il se travestit en cuisinière. Mais, en 1924, il trouve son inspiration dans les comiques américains qu'il révère. Son Louis Barclay, naïf et exhubérant, doit beaucoup à Buster Keaton et à Chaplin. Ce qui rend les films de Mosjoukine si attractifs et si différents de la production française des années 20, c'est leur ton et leur narration. Il utilise les éléments habituels du mélodrame à la française en leur ajoutant une fantaisie venue de la comédie américaine et des éléments de tragédie purement russes. Avec Les Ombres qui passent, il se crée pour lui-même le personnage le plus fantaisiste de sa carrière française. Ce jeune anglais, totalement dominé par son père, mène une vie heureuse à la campagne. Il part à cheval de bon matin avec son épouse Alice pour aller se baigner. Ils sont tous deux en maillot de bain et semble adorer cette vie sans soucis. Mais, il reste les contraintes imposées par son père : la lecture du Walden de Thoreau tous les soirs, la prière avant le dîner et un manque de liberté général. L'arrivée d'une lettre annonçant un héritage va lui permettre de changer d'air. Il s'achète un costume (de deuil, son père a précisé) parfaitement ridicule avec un pantalon très court et une veste large qui lui donne un air Keatonien en diable. Son père lui fait emporter une giganstesque couronne mortuaire dont il espère pouvoir se débarrasser rapidement. Inutile de dire qu'il ne passe pas inaperçu en arrivant à l'hôtel Impérial à Paris. Sa défroque provoque le rire et son attitude sans complexe dans le restaurant continue à susciter l'ironie. Mais, comme les bruits vont vite, des aigrefins ont vent de son gros héritage. Les sinistres John Pick (Georges Vaultier) et Baron Ionesko (Camille Bardou) le mettent en présence d'une de leur complices, la belle Jacqueline (N. Lissenko). Oubliant héritage et famille, Louis change d'apparence pour devenir un homme du monde parisien et poursuit cette sirène enveloppé d'extravagantes tenues signées Paul Poiret. L'aventurière est elle aussi attendrie par ce jeune homme simple et renonce à lui extorquer son argent. Louis ne songe plus alors qu'à suivre la belle Jacqueline jusque dans son château en Corse. Le film vire insensiblement de la comédie à la tragédie. Et cette transition est une belle réussite avec un final poétique où l'aventurière disparaît et Louis retourne à sa vie antérieure, avec certainement de lourds regrets qu'il n'exprime pas. Le film entier est un festival Mosjoukine qui utilise tous les ressorts de son talent comique et dramatique avec une verve et un entrain communicatif. Mais, autour de lui, les autres acteurs ne sont pas en reste. Le vétéran Henry Krauss des grands films d'Albert Capellani des années 10, est un père autoritaire de poids, la blonde Andrée Brabant est une Alice espiègle et la brune Nathalie Lissenko, la partenaire de longue date de Mosjoukine, est une sirène mystérieuse. Il faut aussi ajouter le superbe travail des techniciens : les décors superbes d'Alexandre Lochakoff et la très belle photo de Fédote Bourgassoff. La copie teintée de la Cinémathèque est de toute beauté. J'avais déjà vu ce film en 2008 et le revoir a été un plaisir de tous les instants. Un des meilleurs films de Mosjoukine.
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Re: Cinéma Muet Français

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Âme d'artiste (1925, Germaine Dulac) avec Mabel Poulton, Nicolas Koline, Ivan Petrovitch, Gina Manès et Yvette Andréyor

Helen Taylor (M. Poulton) est devenue une star des planches londoniennes. Le poète et dramaturge Herbert Campbell (I. Petrovitch) est follement épris d'elle. Il en oublie son épouse (Y. Andréyor)...

Ce film de Germaine Dulac est censé se dérouler à Londres. Mais, il est évident que de nombreux extérieurs du film ont été réalisés sur les bords de Seine, plutôt que sur les rives de la Tamise. Cette production du consortium Westi (Franco-allemand) a une distribution internationale avec dans le rôle principale, la jeune première britannique du moment, Mabel Poulton. Le serbe Ivan Petrovich (qui a tourné avec Léonce Perret et Rex Ingram) est aussi de la partie avec Nicolas Koline, un comédien russe bien connu du public français de l'époque. Ce film précède de peu une autre production Westi qui sera également tournée aux studios de Billancourt, le Napoléon d'Abel Gance. On retrouvera d'ailleurs un certain nombre de techniciens (l'opérateur Jules Kruger) et des acteurs (Gina Manès et Nicolas Koline) au générique du film de Gance. Le scénario est sans grande surprise avec une actrice qui tombe amoureuse d'un dramaturge déjà marié, suscitant la jalousie de son richissime mécène , Lord Stamford (Henry Houry). Mais, la mise en scène est suffisamment élégante pour faire oublier la minceur de l'intrigue. Et, il faut aussi noter l'excellence de l'interprétation, avec en tête, la fraîche et vive Mabel Poulton en jeune ingénue prise au piège entre un amoureux transi et un vieux Lord libidineux. Yvette Andréyor, qui fut la vedette de nombreux films Gaumont des années 10, est ici une femme trompée qui doit subir les sarcasmes de sa mère acariâtre. Nicolas Koline est toujours un délicieux comédien, plein de fantaisie. Seul Ivan Petrovitch, fidèle à sa réputation, reste impavide en poète transi. Gina Manès joue avec talent une actrice jalouse du succès de Mabel Poulton. On remarque aussi Charles Vanel, qui fait une courte apparition en tant qu'acteur avec Mabel dans la première scène du film. Nous assistons à une scène de mélodrame stéréotypée avec un mari violent qui bat sa femme, avant que la caméra ne recule révélant les spectateurs de la pièce de théâtre qui se déroule devant nos yeux. Le film utilise les surimpressions et autres images déformées avec intelligence pour illustrer l'intrigue plutôt que pour faire simplement de l'esbrouffe. Pour la petite histoire, Abel Gance avait songé à Mabel Poulton pour le rôle de Violine Fleuri dans Napoléon, avant finalement de découvrir Annabella.
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