Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Marie Richard (M. Renaud) et Jacques Averil (L. Mathot)

Vent Debout (1923, René Leprince) avec Léon Mathot, Madeleine Renaud, Robert Tourneur, Maurice Touzé et Camille Bert

Suite à la faillite et au suicide de son père, Jacques Averil (Léon Mathot) abandonne sa fortune aux créanciers de son père. Il retourne à Paimpol où il s'engage comme simple matelot sur un chalutier...

Il est difficile d'imaginer le statut de Léon Mathot au sein du cinéma français en 1923. Il est le favori du public français et il touche alors 60.000 francs par an de Pathé-Consortium ce qui constitue un salaire extrêmement élevé pour l'industrie française. Il faut dire qu'il a tourné précedemment d'excellents films pour Film d'Art sous la direction d'Henri Pouctal et d'Abel Gance, en particulier Le Comte de Monte-Cristo (1918) et Travail (1919). Vent Debout lui offre un rôle passionnant, celui d'un homme qui a perdu toutes ses illusions et qui tente de refaire sa vie en tant que marin. L'héritier oisif qui aimait la mer va devenir un dur à cuire et va s'imposer à bord d'un chalutier dominé par une brute. Il se prend d'amitié pour un petit mousse qui lui témoigne de l'affection. Las, ce nouvel environnement qui lui offrait un nouvel espoir de vie se fracasse avec la mort accidentelle du gamin. Le retour à Paris après ce drame ne semble guère engageant, car à part une bordée très arrosée, il n'a pas de perspective. C'est sa rencontre avec la douce Marie, interprétée avec énormément de talent par une toute jeune Madeleine Renaud de 22 ans, qui va en décider autrement. Soudain, l'espoir renaît avec la possible découverte d'un filon de malachite en Islande. Ce nouvel espoir sera également sans lendemain, mais Marie revient vers lui prête à partager sa vie. Leprince a à sa disposition une excellente histoire qu'il filme à Paimpol et à Paris. Mathot donne à son personnage toute la gamme de sentiments voulue avec une grande sensibilité. Du matelot costaud qui se mutine au jeune homme timide qui ne sait pas comment aborder le jolie Madeleine Renaud qu'il vient de rencontrer. La copie qui nous est parvenue est teintée et de belle qualité à part quelques séquences en cours de décomposition. Une autre curiosité du film est la présence de l'acteur Robert Tourneur, le frère cadet de Maurice Tourneur qui fit carrière au théâtre et au cinéma. Il est le portrait craché de son frère aîné. Un très bon film de René Leprince qui a été accompagné magnifiquement par Emmanuel Birnbaum à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.
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Ann Harding
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Suzanne (1916, René Hervil et Louis Mercanton) avec Suzanne Grandais, Jean Signoret, Marie-Louise Derval et Georges Tréville

Suzanne (S. Grandais) tombe amoureuse de Michael de Sylvanie (J. Signoret). Mais, il est promis à la Princesse Sonia (M.-L. Derval). Après son départ, Suzanne enceinte est jetée à la rue par son père. Elle trouve refuge auprès d'un vieux berger, le père Bonheur...

Cette production Eclipse est un véhicule pour mettre en valeur Suzanne Grandais qui était alors une des plus grandes stars du cinéma français. Ayant quitté la Gaumont, elle n'a plus Léonce Perret pour la diriger et doit se contenter du tandem Mercanton-Hervil qui sont également les réalisateurs attitrés de la grande Sarah Bernhardt. Ils ne sont malheureusement pas du tout au même niveau que le grand Léonce. Cependant, ce mélodrame larmoyant, qui ne recule devant aucun cliché, résiste au temps grâce à sa délicieuse interprète qui est la fraîcheur et le naturel même. Suzanne illumine l'écran de sa personnalité et nous permet d'avaler ce mélo sans sourciller. L'intrigue est pleine de déjà-vu dans la carrière-même de l'actrice: elle est séduite et abandonnée par son amant, puis fille-mère jetée à la rue, avant de retrouver son prince après avoir perdu la raison. Tout cela se termine par un suicide aquatique dans la grande tradition d'Ophélie comme elle le faisait déjà dans Le Coeur et l'argent (1912, L. Perret). Avec un tel sujet, Perret aurait certainement réussi à nous tirer quelques larmes alors que Mercanton et Hervil se contentent de filmer tout cela fort platement. Heureusement, le film a été tourné sur la Côte d'Azur près d'Antibes, ce qui nous vaut de beaux paysages maritimes. Cependant, les cadrages et les prises de vue manquent d'originalité. On est cependant très content de pouvoir regarder ce petit film grâce à l'European Film Gateway qui offre une copie néerlandaise teintée de belle qualité.
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J'ai finalement pu voir 2 séances de René Leprince avec (ironie du sort) son dernier film et deux de ses premières réalisations

La tentation (1929)

Une femme mariée est au centre de l'attention de nombreux séducteurs. Celle, fidèle à son mari, rejette donc les avances et sollicitations même si l'un d'eux ne la laisse pas insensible. Quand son époux décède dans un accident de voiture, elle songe enfin à pouvoir vivre sa passion avec ce prétendant.

Voilà l'un des derniers films muets français qui bénéficie d'une très belle direction artistique de Jacques de Baroncelli (également producteur). Les vastes intérieurs sont à ce titre un véritable régal que mettent bien en valeur une photographie soignée et des cadrages travaillées. Malgré cela, il ne faut pas croire que la réalisation soit de qualité puisque ce raffinement visuel ne semble jamais en adéquation avec le contenu des séquences. On a presque l'impression que les plans sont choisis aléatoirement sans chercher à regarder s'ils correspondent à l'état d'esprit des personnages. Ca en devient presque gênant lors de certains face à face qui devraient être intimiste et/ou tendu et qui multiplient au contraire les plans esthétiques en dépit du bon sens, voire de façon totalement gratuite (à l'instar d'un nerveux rapide travelling aérien qui survole une grande table de banquet et qui jure vraiment avec la mise en scène pour ainsi totalement statique).
Il faut savoir que Leprince est décédé durant le tournage et c'est son assistant René Barberis qui termina le film. Le changement de directeur a-t-il eut une influence sur la mise en scène ? Je n'en suis pas sûr, car elle possède tout de même une réelle unité. Ce n'est de toute façon pas suffisant pour faire oublier la médiocrité du scénario dont la première moitié ne passionnent absolument pas avec une Claudia Victrix repoussant les avances de ses prétendants.

La seconde moitié en revanche grimpe en intensité quand on découvre que son futur deuxième mari serait responsable de la mort du premier (pour un flash-back fort bien découpé). Les personnages y gagnent une nette profondeur et la dramaturgie se complexifie de façon inespérée. D'un mélodrame sans caractère, on glisse dans le drame psychologique de qualité même si on regrette fortement que ce Leprince ne soit dans la lignée des grandes réussites d'Abel Gance (Mater Dolorosa ou la 10ème Symphonie auquel on pense fortement). Le trio de personnage parviennent en tout cas à maintenir l'intérêt sans plus faiblir. La dernières minutes sont d'ailleurs joliment mise en scène : les rideaux se fermant, la compréhension du nouveau mari (personnage fort intéressant qui aurait mérité plus de développement), la farandole autour du banc... Reste que l'amant éconduit est quand même un sacré égoïste jusqu'au bout :mrgreen:
Spoiler (cliquez pour afficher)
(puisqu'il se suicide dans le jardin du couple qu'il devrait libérer de son emprise)
.

Avec un scénario mieux travaillé et un cinéaste plus inspiré, ça aurait pu donné quelque de vraiment mémorable. Ca reste tout de même un mélodrame tout ce qu'il y a de plus honnête.


L'autre séance était constituée de 2 courts-métrages de 1911-1912, juste après avoir fini sa collaboration avec Max Linder (ce que j'ignorais).

Le firt dangereux (1911) suit une aristocrate qui surprend un cambrioleur à l'oeuvre au travers d'un miroir sans teint.
Ce film en 1 bobine est plutôt sympathique, surtout pour sa seconde moitié avec la confrontation entre la femme et le voleur qui propose quelques idées vraiment intéressantes tel les effets de lumière et de cadrage avec l'héroïne en premier plan observant le criminel dans la pièce voisine, avec un éclairage très tranché entre les 2 chambres.

Le collier de la danseuse (1912) est encore meilleur. D'une durée d'une vingtaine de minutes, le style s'est grandement affirmé et la réalisation est plus maîtrisé avec même des effets vraiment réussis comme ce plan depuis les coulisses montrant la scène et une partie du public. La caméra est d'ailleurs légèrement en contre-plongée, ce qui donne un aspect plus menaçant à certain passage et qui permet également de placer toutes les informations dans l'image comme cette lampe que le méchant va éteindre à coups de revolver. Enfin, on trouve une étonnante poursuite en voitures, filmée uniquement depuis le siège arrière du véhicule héros ; le tout en temps réel essentiellement si ce n'est 2-3 jump cut ! C'est pas forcément très dynamique mais c'est assez fascinant et audacieux.

C'est en tout cas un film plaisant, bien rythmé avec meurtre, incendie criminelle, poursuite ou de nombreux déguisements improbables (la statue ! :lol: ). D'où une dimension (pré ?-)sérial très enthousiasmante. :D
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Bandits en automobile (1912, Victorin-Hippolyte Jasset) avec Henri Gouget, Josette Andriot et Camille Bardou

L'épopée criminelle du bandit Bruno, et de son gang, et son arrestation par la police.

Au printemps 1912, les méfaits de la bande à Bonnot tiennent en haleine toute la France. Avant même l'arrestation et la mort de Jules Bonnot, la société Eclair décide de faire un film sur l'épopée criminelle du gang. Le film a donc été réalisé en deux parties distinctes. La première intitulée L'auto grise montre la série de crimes et de braquages commis par Bonnot, et la seconde, Hors-la-loi, se concentre sur le siège du gang à Choisy-le-Roi le 28 avril 1912. Nous sommes donc face à une sorte de docu-fiction où les noms des protagonistes sont discrètement modifiés de Bonnot à Bruno, ce qui ne devait tromper personne. Comme la plupart des films Eclair que j'ai pu voir, le style de la maison est plus rapide et nerveux que celui des firmes concurrentes. La copie n'est pas tout à fait complète, mais les manques ne sont par rédhibitoires pour la compréhension. La première partie contient une action bondissante avec de fréquentes poursuites en voiture. La seconde est une recréation extrêmement fidèle du siège de Choisy-le-Roi tel qu'on peut le voir dans une bande d'actualités Gaumont de 1912. La police ne montrait pas du tout le professionnalisme que l'on connaît de nos jours. Il y avait un niveau d'improvisation assez affolant. Ainsi, on a utilisé une charette de foin pour s'approcher du garage où était retranché Bonnot pour faire exploser le mur à la dynamite. Il a fallu s'y reprendre à trois fois ! Il est étonnant de constater que le film de Jasset tent à héroïser le bandit qui fait face seul à la charge de la police. Golbalement, ce film montre le très grand talent de Jasset, qui avait été chef de figuration à la firme Gaumont, qui sait parfaitement construire son intrigue, choisir ses angles de prise de vue et impeccablement faire monter le suspense. La Cinémathèque royale de Belgique qui a retrouvé le film l'a mis en ligne sur YouTube.
Dernière modification par Ann Harding le 31 mai 15, 17:11, modifié 2 fois.
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La mystérieuse Mme Azmy (Lise Jaffry)

Le Secret d'Alta Rocca (1920, André Liabel) en 12 épisodes avec Louis Monfils, Henri Bosc, Jacqueline Arly, Jacques Volnys et Gina Manès

Episodes 1 à 6

Dans la mystérieuse villa Alta Rocca au bord de la Méditerranée, M. et Mme Azmy (Louis Monfils et Lise Jaffry) organisent des escroqueries et des chantages. Une de leurs victimes est le banquier Romero (M. Javerzac) qui a réalisé des trafics louches en Amérique du Sud durant la guerre...

En 1919, René Navarre, l'illustre interprète de Fantômas, crée une société de production à Nice nommée les Cinéromans. Il utilise les studios de la Victorine (alors appelés Ciné-studios) qui sont les mieux équipés de France à l'époque. Ils profitent aussi du climat clément de la Côte d'azur qui leur permet des tournages en extérieurs. Pour ce Cinéroman en 12 épisodes, le scénario est signé Valentin Mandelstamm qui est l'auteur de plusieurs romans. Il a concu une intrigue criminelle à rebondissements qui est cependant moins échevelée que celles d'Arthur Bernède, le collaborateur de Louis Feuillade. Plusieurs intrigues se nouent dans des milieux différents. D'un côté, il y a les agissements louches des Azmy qui dissimulent leur identité et de l'autre la vie apparemment sans histoires d'un riche industriel, M . Sourbier, et de sa fille. Or, ce dernier a un homme de confiance, Vitelli (Jacques Volnys) qui est en fait une sombre canaille qui essaie de marier son neveu désargenté avec Catherine (J. Arly) la fille de Sourbier. Pour arriver à ses fins, il n'hésite pas à faire emprisonner le fiancé secret (Henri Bosc) de celle-ci en fabriquant des preuves. Le film est extrêmement riche en séquences tournées en décors naturels et nous permet de découvrir Nice, ses vieux quartiers, ses rues pentues avec leurs trams ainsi que Grasse et Cannes. Malheureusement, André Liabel n'est pas un grand réalisateur et il filme sans grand relief cette intrigue criminelle. Les acteurs sont peu connus à part Henri Bosc (qui faisait du cinéma depuis les années 1910 comme dans La Dame de Monsoreau) et la jeune Gina Manès en amoureuse éconduite. Malgré tout, la sauce prend car le scénario nous transporte dans le microcosme de cette côte d'azur de l'après-guerre où se croisent des russes émigrés, des sud-américains et les industries locales, comme la parfumerie de Grasse. A bientôt pour la suite!

**********************
Episodes 7 à 12

Le romancier-détective Octave Bernac (Jean Dulac) a réussi à innocenter Jean Caudry (H. Bosc) et à confondre Valetti (J. Volnys). Cependant, les mystérieux occupants de la Villa Alta Rocca continuent à sévir...

Ces six derniers épisodes se sont clos sur une interrogation. Le fameux secret d'Alta Rocca en est resté un après l'apparition du mot fin à l'écran. Il semble évident qu'il manque certaines séquences du film qui auraient éclairé notre lanterne. Certes, on a compris que les occupants de la villa finançaient leurs recherches scientifiques en volant le bien mal acquis de profiteurs de guerre. Utilisant les méthodes de Robin des Bois, ils prennent aux riches pour aider leur cause qui reste obscure. On a compris que Mme Azmy est une princesse balkanique en exil et qu'elle dirige un groupe d'hommes déterminés de nationalités différentes (dont des russes) pour obtenir de l'argent coûte que coûte. Mais, que cherche-t-elle? A reprendre le contrôle de sa principauté balkanique ? A punir des profiteurs de guerre ? Quelles sont ces mystérieuses recherches scientifiques qui semblent impliquer des éclairages sous-marins ? Tout cela n'est aucunement résolu dans ce qui reste du film. Et c'est bien dommage, car l'intrigue annexe amoureuse a été résolue rapidement. Il faut noter que la police est constamment tenue à l'écart par le détective amateur Octave Bernac. Bien qu'il soit l'ami d'un policier - par ailleurs pas très futé - il ne le tient pas forcément au courant de ses investigations et préfère arranger les choses en dehors de la loi. C'est ainsi qu'il sait que Mme Azmy pratique le chantage et le vol. Mais, comme il considère que c'est pour une bonne cause, il laisse faire. Au total, malgré des éléments intéressants en prise avec la période de l'après-guerre, le feuilleton se révèle inégal et bien moins prenant que les grands sérials de Feuillade. On peut néanmoins louer la belle cinématographie de Marcel Eywinger et la qualité des extérieurs.
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Ann Harding a écrit :Image
Bandits en automobile (1912, Victorin-Hippolyte Jasset) avec Henri Gouget, Josette Andriot et Camille Bardou

L'épopée criminelle du bandit Bruno, et de son gang, et son arrestation par la police.

Au printemps 1912, les méfaits de la bande à Bonnot tiennent en haleine toute la France. Avant même l'arrestation et la mort de Jules Bonnot, la société Eclair décide de faire un film sur l'épopée criminelle du gang. Le film a donc été réalisé en deux parties distinctes. La première intitulée L'auto grise montre la série de crimes et de braquages commis par Bonnot, et la seconde, Hors-la-loi, se concentre sur le siège du gang à Choisy-le-Roi le 28 avril 1912. Nous sommes donc face à une sorte de docu-fiction où les noms des protagonistes sont discrètement modifiés de Bonnot à Bruno, ce qui ne devait tromper personne. Comme la plupart des films Eclair que j'ai pu voir, le style de la maison est plus rapide et nerveux que celui des firmes concurrentes. La copie n'est pas tout à fait complète, mais les manques ne sont par rédhibitoires pour la compréhension. La première partie contient une action bondissante avec de fréquentes poursuites en voiture. La seconde est une recréation extrêmement fidèle du siège de Choisy-le-Roi tel qu'on peut le voir dans une bande d'actualités Gaumont de 1912. La police ne montrait pas du tout le professionnalisme que l'on connaît de nos jours. Il y avait un niveau d'improvisation assez affolant. Ainsi, on a utilisé une charette de foin pour s'approcher du garage où était retranché Bonnot pour faire exploser le mur à la dynamite. Il a fallu s'y reprendre à trois fois ! Il est étonnant de constater que le film de Jasset tent à héroïser le bandit qui fait face seul à la charge de la police. Golbalement, ce film montre le très grand talent de Jasset, qui avait été chef de figuration à la firme Gaumont, qui sait parfaitement construire son intrigue, choisir ses angles de prise de vue et impeccablement faire monter le suspense. La Cinémathèque royale de Belgique qui a retrouvé le film l'a mis en ligne sur YouTube.
J'ai vu ça aussi sur youtube n'ayant pas me rendre à la fondation Pathé et j'ai beaucoup aimé aussi. Après son Protéa, voilà une autre preuve éclatant du talent de Jasset.
Il y a un sens du rythme et de l'action qui est plutôt stupéfiant pour l'époque et le film a assez peu vieilli sur ce point. D'ailleurs l'efficacité de la réalisation et sa description du banditisme aux personnages aussi violents que fascinants fontt plus penser à Raoul Walsh qu'à Feuillade.
J'espère ne pas avoir à attendre trop longtemps pour voir d'autres films du cinéaste.

Et pour rester sur la Fondation Pathé, a partir du 17 juin il y aura un focus sur le cinéaste français Camille de Morhlon (inconnu pour moi) qui devrait durer 3-4 semaines. Logiquement, je devrais pouvoir en voir un peu plus que pour René Leprince :)
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Message par Commissaire Juve »

Remarque en passant.

Je cherche la date d'inauguration d'un cinéma disparu de ma ville (mercredi, aux archives départementales, j'ai trouvé un plan daté de juillet 1920... je cherche donc autour de cette date).

Dans la revue Cinémagazine de 1922, je tombe à plusieurs reprises sur Les mystères de Paris (Charles Burguet, 1922) et je constate qu'il y a un épisode par semaine. Je me dis : "C'est les Mystères de Paris I, les Mystères de Paris II, les Mystères de Paris III..."

Et je ne croyais pas si bien dire : sur la IMDb, je viens de voir que le film était composé de 12 épisodes ! :o Bref : ça n'était pas vraiment du cinéma, mais de la sérié télé avant l'heure ! :mrgreen:
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Message par Ann Harding »

Commissaire Juve a écrit :Et je ne croyais pas si bien dire : sur la IMDb, je viens de voir que le film était composé de 12 épisodes ! :o Bref : ça n'était pas vraiment du cinéma, mais de la sérié télé avant l'heure ! :mrgreen:
La vogue des serials américains ou des ciné-romans français a été maximale à partir de 1914. Cela va de Fantômas (1913-14, L. Feuillade) (avec un certain Juve! :mrgreen: ) jusqu'à Fanfan-la-tulipe (1925, R. Leprince). Le film en épisodes, ça permet de fidéliser le public et en plus, l'histoire était publiée dans les journaux en feuilleton simultanément. Bonne pub!
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Début de cette petite rétro Camille de Morlhon en 6 séances à la fondation Pathé.

Voici le texte de présentation du site
Personnalité marquante et incontournable du cinéma français, Camille de Morlhon est né 1869. Ses origines aristocratiques lui permettent de rencontrer très tôt des personnalités des arts et des industries, des banques et de la politique. Il s’essaie avec quelques succès au théâtre puis s’initie au 7ème art à partir de 1908 chez les Frères Pathé. A l’heure où la firme domine le marché mondial, Camille de Morlhon y tournera plus d’une centaine de films entre 1908 et 1912 : scénarios originaux, adaptations du patrimoine littéraire et théâtral français, comédies, drames, reconstitutions historiques… En 1911, il fonde sa société de production « Les films Valetta » et en 1917 « la Société des Auteurs de Films », qui aura une importance capitale pour la reconnaissance du droit des réalisateurs. A cette période, Camille de Morlhon rédige des textes législatifs, et écrit de nombreux articles sur le cinéma.

Malgré l’abondance de sa filmographie - l’une des plus importantes du cinéma français des années dix - et la diversité de ses actions, Camille de Morhlon est un cinéaste assez méconnu du grand public. Pourtant son œuvre mérite l’attention dont jouissent désormais celles de ses confrères, pionniers du cinéma : de Léonce Perret à Jean Durand sans parler des grands maîtres Albert Capellani et Louis Feuillade.

Place aux films :

L'affaire du collier de la Reine (1912)

Une adaptation en 30 minutes de la célèbre escroquerie. L'histoire demeure un peu brouillonne et on est perdu à plusieurs reprises dans la complexité des faits et le grand nombre de personne. Possible qu'une partie du dernier tiers soit perdu cela dit.
La réalisation est correct sans être extraordinaire. Elle dans la bonne moyenne de l'époque grâce à une utilisation intelligente de la profondeur du champ, des figurants biens exploités, plusieurs gros plan et quel cadre bien composé. De Morlhon tente de sortir de la théâtralité avec sa réalisation mais n'y parvient pas tout le temps.

Une aventure secrète de Marie-Antoinette (1910)
D'une dizaine de minutes, ce mélodrame historique n'est pas déplaisant. Il a la qualité de présenter un scénario plus limpide : Masquée, la Reine se rend à un bol où un officier tente de la séduire. Repoussé, il alerte la garde qui désire bientôt connaître l'identité de cette femme.
Si on oublie l'actrice Yvonne Mirval, aussi élégante qu'une vieux cheval de trait, on apprécie ce court film pour sa simplicité, sa fluidité. D'ailleurs, le film est dénué de cartons (problème de restauration ?) et à part une ellipse lors de l'épilogue, on saisit tout de l'histoire, des personnages et des psychologies. La réalisation est là aussi honorable bien que dénuée de génie.
A noter que Morlhon recyclera le final (décor, placement des figurants) dans une séquence très proche de L'affaire du collier de la Reine.


Expiation (1918)

Un médecin découvre une liaison entre sa fiancée et son meilleure ami. La future mariée étant de surcroît enceinte, elle est mise à la porte et le médecin s'exile dans le sud pour s'occuper de nécessiteux. 20 années passent et la femme qui s'est mariée avec son amant se rend compte que son fils est bien celui de son premier prétendant.

Un mélodrame mondain, vaguement adapté de Maupassant, qui ne brille pas par sa finesse et sa subtilité mais surprend agréablement par la sobriété des acteurs et une délicatesse feutrée qui donne une jolie noblesse à l'ensemble. L'intrigue est vraiment entièrement resserré sur sa relation triangulaire, augmenté du personnage du fils dans la seconde moitié. Une approche épurée qui s'avère payante pour une durée agréablement resserrée qui évite ainsi les atermoiements à rallonge.
De Morlhon cherche la aussi à éviter une réalisation trop statique et théâtrale. Il y a de fréquents raccords dans l'axe, beaucoup de gros plans, un montage harmonieux, des décors (crédibles) qui ne sont pas filmés frontalement, un photographie qui cherche à donner un peu de relief à plusieurs moments. Reste que malgré ses qualités, le film est loin de pouvoir rivaliser avec la maestria d'un Abel Gance qui sortait la même année une dixième symphonie époustouflante. Et on dirait que plusieurs années séparent les deux œuvres tant la différence est flagrante.

Je dirais que c'est réussie à son modeste niveau mais ça manque d'éclat et de souffle.
Très belle restauration par ailleurs même si les responsables auraient pu traduire les cartons anglais.
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Message par Jeremy Fox »

Aujourd'hui, Anthony Plu chronique une rareté, la version des Misérables signée Henri Fescourt.
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Re: Cinéma muet français

Message par Commissaire Juve »

Jeremy Fox a écrit :Aujourd'hui, Anthony Plu Chronique une rareté, la version des Misérables signée Henri Fescourt.
Et c'est grâce à cette chronique que j'ai découvert Andrée Rolane et... le blog d'Ann Harding ! :o :mrgreen:

Excellent !
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Commissaire Juve a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Aujourd'hui, Anthony Plu Chronique une rareté, la version des Misérables signée Henri Fescourt.
Et c'est grâce à cette chronique que j'ai découvert Andrée Rolane et... le blog d'Ann Harding ! :o :mrgreen:

Excellent !
Pourtant elle en parle souvent de son (excellent) blog :wink:

J'ai continué les Camille de Morlhon avec 2 séances de court-métrages datant de 1909-1912.
Dans 90% du temps découpée en succession de tableaux fixes comme c'était le cas à l'époque. Mais comme pour ceux que j'évoquais il y a quelques jours, le cinéaste se place dans la bonne moyenne.

Séramis (1911) est un film historique de qualité (pour l'époque) grâce à des décors plus soignés que la moyenne, quelques jolis idées visuelles (l'envol vers l'au-delà) et surtout une très bonne gestion des figurants (et du cadre) qui se comportent de façon plus réaliste que chez les concurrents. Malheureusement, les acteurs principaux continuent de jouer comme s'il était aux théâtres avec des poses et des gestes sur-dramatisés.

Une intrigue à la cour d'Henri VIII (1911) et Cromwell (1909) sont évidement très proche avec sa description de la monarchie anglaise qui se conclut tous deux par des décapitations publiques. Cependant, les copies ayant survécus sont dénués de cartons et d'intertitres d'où des scénarios qui manquent forcément de compréhension et de profondeur (surtout pour Cromwell). Reconstitution plutôt soignée dans l'ensemble, notamment les costumes qui ne font pas artificiels.
Fouquet, l'homme au masque de fer (1911) est dans la même veine mais son histoire est mal exploitée et manque un peu d'émotion et d'intensité.

La rançon du roi Jean (1911) est un plus réussie avec une interprétation plus harmonieuse, une dramaturgie mieux travaillée et plusieurs extérieurs agréables. Mais on peut se demander si le film est complet car la sous-intrigue avec l'aubergiste et sa femme est assez mal intégrée au récit (avec un dénouement très abrupte).

Le meilleure restait son adaptation assez ambitieuse de Don Quichotte (1912) qu'il produisit lui-même au travers de sa société de production. Je l'avais en fait déjà vu en fait il y a un peu plus d'un an au Musée d'Orsay dans le cadre d'un hommage à Gustave Doré. Celà dit, il me semble que cette copie était plus courte et non coloriée au pochoir.
Si le film manque un peu de rythme (dû à un projection trop lente ?), sa réalisation est plus sophistiquée avec de nombreux split-screens divisant le cadre en deux avec des visions fantasmée par Don Quichotte. Sans chercher une poésie appuyée ou un imaginaire très fantaisiste, ses moments témoignage surtout d'une certaine mélancolie avec le décalage avec la réalité. La fin à ce titre s'avère même émouvante, pleine de noblesse.
La fameuse scène des moulins est assez courte mais bénéficie de décors assez grands pour représenter les géants.

Le film fonctionne par ses effets et son acteur Claude Garry (de la Comédie Française) mais témoigne tout de même des limites de son auteur dont le style reste souvent sage, académique et sans grande prise de risque. Il suffit par exemple de comparer avec Le moulin maudit d'Alfred Machin datant de 1909) qui parvenait vraiment à donner une identité aux moulins par un découpage intelligent.
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

La broyeuse de coeur (Camille de Morlhon - 1913)

Dernière séance pour moi dans ce petit cycle Camille de Morlhon (qui demeure le premier jamais organisé !) avec ce moyen-métrage de 45 minutes soit un drame qui évite le mélo avec une habile dose d'ironie qui laisse croire que le cinéaste ne prenait pas totalement au premier degré cette histoire rocambolesque d'adultère et de séduction. Ca ne lui empêche pas de conférer une réelle intensité, notamment dans la seconde moitié où le mari devient jaloux tandis que sa maitresse se fait charmer par un torero un peu trop romanesque.
Si l'interprétation était encore marquée par le théâtre et l'exagération au début, elle se fait plus subtile par la suite d'autant que la réalisation, plus resserrée que sur les groupes de personnages permet d'établir tout un jeu sur les regards et les réactions vraiment réussis (la lettre à bruler ou à ranger dans le corsage ; encore la soirée où la comédienne provoque son amant en courtisant le torero).
C'est dans ces moments que la broyeuse de Coeur laisse percevoir le talent du cinéaste, plus à l'aise dans ce genre de scène (de foule) que dans les séquences sur l'épouse effondrée.
Malgré tout, je suis loin de me montrer aussi enthousiaste sur Camille de Morlhon que sur Feuillade, Perret, Capellani, Jean Durand ou Jasset (que je rêve de mieux découvrir)
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Du Victorin Jasset :D

Pas grand chose cela dit mais deux court-métrages à se mettre sous la dent quand même grâce à la cinémathèque qui projetait surtout son cultissime Protéa que j'ai découvert et adoré l'an dernier.

Dans les ruines de Carthage (Co-réalisé par Georges Hatot - 1910)
Cette petite bande de 1910 est l'une des premières réalisées pour la compagnie Eclair où Jasset fut directeur artistique et le réalisateur phare du studio avec une productivité et un talent éclatants.
Ce n'est clairement pas sa meilleure réalisation mais ce court-métrage bénéfice d'un tournage sur les lieux-mêmes de l'action, ce qui permet quelques extérieurs bien mis en valeurs, surtout les premiers plans avec un très belles gestion de la foule. Le reste est plus routinier, dénué des idées typiques du cinéaste qui parvient habituellement à trouver une astuce de réalisation pour dynamiser une scène ou apporter un détail atypique.
Ici, on voit clairement que c'est ce tournage "exotique" qui est l'attrait unique, l'histoire n'est qu'un vague argument de remplissage avec un voleur de trésor archéologique. Excepté donc les extérieurs, ça reste mineur.

Le val d'enfer (1913) est bien meilleur.... du moins peut-on le supposer car il ne reste que dizaine de minutes du film, soit le quart de sa durée initiale. :(
Malgré certains décors intérieurs un peu grossièrement bâclés, ces quelques morceaux sont plutôt alléchants mais trop fragmentées pour pouvoir se pouvoir se faire un vision globale de ce plagiat du comte de Monte-Cristo. Reste que Jasset a déjà une grammaire cinématographique bien rôdée avec plusieurs gros-plans, quelques cadres bien trouvés (avec des effets de lumières vraiment intéressant). La direction d'acteur manque un peu de souplesse par moment en revanche et certaines péripéties ont l'air plus platement filmés mais il y a au moins une séquence géniale, celle de l'évasion dans un tunnel sous-terrain et filmée de profil, avec une vue en "coupe". La fin dans les ruines du château devait sans doute être sympathique mais il n'en reste rien.

J'avais pu voir il y a quelques mois à l'exposition Paris, premiers crimes son premier épisode de Nick Carter (Guet-Apens - 1909) d'une petite dizaine de minutes qui connut un succès foudroyant et c'est en effet très réussi pour l'époque avec toujours beaucoup de tournage en décor naturel et la petite séquence originale (le piège !).
En revanche son Capitaine Fracasse de 1909 (qu'on trouve en bonus de la version de Cavalcanti sorti chez Lobster) est assez anecdotique.

Sinon, toujours à la cinémathèque, j'ai aussi pu voir une production Albatros
Le chiffonnier de Paris (Serge Nadejdine - 1924)

Rien de bien folichon dans ce mélodrame où un chiffonnier recueille l'enfant d'un homme agonissant et qui 20 ans plus tard recueillera à son tour un nourrisson, abandonné par la fille d'un aristocrate qui cherche justement à la marier avec un officier qui est lui amoureux... de la fille du chiffonnier !! :|

Bref, un scénario redoutable de facilité et de heureux hasards dont les rebondissements se devinent beaucoup trop en avance (la véritable identité de l'aristocrate). Hormis Nicolas Koline savoureux dans le rôle titre, le casting brille par sa médiocrité, surtout Hélène Darly qui manque autant de talent que de grâce et nous gratifie d'une grotesque séquence où elle tente de se suicider par asphyxie.
Comme souvent chez le studio, la direction artistique tient bien la route mais pas assez pour se prendre au jeu. Ca sent le produit commercial pour financer des productions plus ambitieuses.

Il devrait d'ailleurs avoir une rétrospective Albatros à la Fondation Pathé début 2016 :wink:
Dernière modification par bruce randylan le 8 déc. 16, 00:57, modifié 2 fois.
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

bruce randylan a écrit :Du Victorin Jasset :D
Et ça continue :D

Balaoo (Victorin Jasset 1913)

Avec son sens du rythme et ses rebondissements feuilletonesques, Victorin Jasset était tout disposé à croiser à plusieurs reprises l'univers de Gaston Leroux. Il adapte ici un roman où un scientifique parvient à donner à un grand primate une apparence humaine qui va bientôt échapper à son contrôle.

Comme le singe est interprété par le très athlétique Lucien Bataille, Jasset lui donne de nombreuses occasions de faire la démonstrations de ses dons d’acrobates en s'accrochant à des branches ou se jetant depuis plusieurs mètres de haut. Il apparaît ainsi régulièrement en bondissant par tous les bords de l'écran (et souvent celui supérieur !).
Le film ne possède donc pas de temps mort, avec une cadence typique de l'efficacité du cinéaste qui sait toujours trouver des cadres inspirés qu'on soit en intérieur ou en extérieur. La photographie est aussi très soignée, particulièrement lors de la séquence de l'agression nocturne dont le découpage est assez virtuose (pour l'époque) où Jasset utilise avec intelligence la lumière, la profondeur de champ et des trucages simples (Bataille marchant au plafond).

Par contre, le scénario pâtit du rythme du film qui manque tout de même beaucoup de crédibilité et rate le portrait de son héros qui aurait pu trouver une jolie dimension tragique. Toutefois je me demande si la copie n'est pas incomplète car on sent de nombreux trous, voire de séquences absentes qui avaient l'air primordiales (la rencontre avec le chasseur par exemple).


Hara-kiri (Marie-Louise Iribe, Henri Debain - 1928)

Derrière ce titre se cache une sorte de variation du fameux Madame Butterfly : cette fois, c'est une occidentale qui tombe amoureuse d'un asiatique, au point d'abandonner son mari.

Contrairement à beaucoup d’œuvres de cette époque exploitant maladroitement la dimension exotique, Hara-Kiri surprend sur 2 points assez inhabituels. Tout d'abord, on sent un réel respect pour la culture asiatique, en particulier japonaise. Non seulement 90% des personnages asiatiques sont joués par des vrais comédiens chinois et japonais (à commencer par l'amant de l'héroïne) mais en plus tout ce qui se rapporte aux costumes, à l'architecture et au cérémonial est vraiment fidèle à la réalité.
L'autre point surprenant est le traitement du personnage féminin qui quitte donc son époux (déjà métisse) pour s'enfuir avec son amant japonais pour une relation et un comportement qui ne sont jamais condamnés ni jugés. On sent même beaucoup de compassion dans ce portrait qu'on pourrait aisément qualifier de féministe.

La raison qui explique ceci provient sans doute du fait que son actrice Marie-Louise Iribe a repris le tournage après le départ d'Henri Debain. Ce dernier aurait en effet claqué la porte après avoir reçu une gifle de Iribe qui lui reprochait ses choix de mises en scènes.

A la vision du film, on peut sans trop de mal deviner qui a filmé quoi tant certains passages sont statiques et dénués d'émotions tandis que d'autres sont vibrants, poignants et virtuoses. L'ouverture est à ce titre une petite merveille de délicatesse et de raffinement où l'on suit l'héroïne finir sa valise, retirer son alliance pour la glisser dans la lettre d'adieu qu'elle laisse à son mari. Sans jamais voir son visage, sa gestuelle et le travail sur le cadre et les mouvements d'appareil rendent palpables le trouble du personnages. Une sensibilité rare et de manière de coller au personnage féminin qui m'a fait pensé au début de Madame De.
La suite est donc plus inégale, alternant élégants mouvements d'appareil, virtuosité parfois gratuite (une caméra à l'épaule qui suit un policier franchir les portes d'un hôtel) et séquences platement illustratives et sans éclat. Comme l'histoire est un peu invraisemblable dans ses grandes lignes, l'émotion retombe un peu avant de resurgir dans le dernier acte qui renoue avec le brio du début pour une dimension bien plus dramatique. Iribe n'hésite pas alors à utiliser plusieurs procédés avant-gardistes du meilleur effet comme la caméra subjective parcourue de larmes ou un incroyable effet d'éclairage très théâtral sur l'héroïne se tenant debout derrière une porte. Les 10-15 dernières minutes ainsi possèdent un forte intensité dramatique qui parviennent à dépasser les conventions mélodramatiques. De plus les costumes comme les décors participent vraiment à l'implication du spectateur... Ce qui n'était pas donné étant l'accompagnement musical électronique qui desservait vraiment le film. :?

Malgré un milieu un peu terne, le début, sa fin et la justesse du traitement en font un mélodrame vraiment recommandable.

Le hasard des projections ont fait que j'ai découvert Narayana (Léon Poirier - 1920) le lendemain qui possède quelques similitudes avec ce Hara-Kiri. Cette fois un homme dénué d'empathie se trouve en possession d'une statuette représentant une divinité orientale qui peut lui permettre d’exhausser 5 vœux... mais le dernier sera au prix de sa mort.

Certes Narayana a été tourné 8 ans avant Hara-kiri mais cela n'excuse pas totalement son folklore exotique qui mélange tout et n'importe quoi pour un univers assez grotesque.
Je n'ai donc pas vraiment accroché à ce mélodrame que j'ai trouvé bien trop terne et étriqué. La réalisation manque cruellement d'aération malgré quelques idées visuelles intéressantes (l'aquarium). C'est surtout les enjeux et les personnages qui m'ont laissés de marbre.
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