Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Ann Harding a écrit :Quelques films sur la Grande Guerre. Le premier film est Belge, mais il peut s'insérer dans ce topic car il est produit par Pathé.

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Maudite soit la guerre (1914, Alfred Machin) avec Baert, Suzanne Berni, Fernand Crommelynck et Albert Hendricks

Dans un pays non défini, la guerre est déclarée séparant pour toujours Adolf Hardeff (Baert), venu d'un pays voisin et maintenant ennemi, de son son ami Modzel (A. Hendricks), ainsi que sa soeur Liza (S. Berni) dont il est épris...

Tourné en 1913 et sorti en mai 1914, ce film antimilitariste et pacifiste d'Alfred Machin était prémonitoire du conflit mondial qui allait bientôt éclater. Cette oeuvre est remarquable à plus d'un titre. Tout d'abord, il s'agit d'un des tous premiers films réalisés en Belgique, marquant les débuts de la production cinématographique dans le plat pays. Ensuite, c'est un film entièrement colorié au pochoir par le procédé Pathécolor ce qui lui donne un relief tout particulier. Le film est à la fois une réalisation cinématographique de première classe pour son époque, pour la qualité de sa composition, du jeu des acteurs et l'articulation de l'intrigue, et aussi pour sa dénonciation du nationalisme qui mène à la guerre. La simplicité de l'intrigue met en relief les différents personnages. Tout d'abord, il y a Hardeff, venu d'un pays voisin et ami, qui est venu apprendre le pilotage en compagnie de son ami Modzel. Ils sont tous deux dans l'armée, mais amis. La brutale entrée en guerre de leurs pays respectifs va faire d'eux des ennemis et les mettre l'un face à l'autre pour un combat à mort, de la même manière que dans le futur Wings (Les Ailes, 1927) de William Wellman. Aucun des deux ne réchappera de cette lutte à mort. De son côté, Liza, la soeur de Modzel, qui aimait Hardeff perd à la fois un fiancé et un frère. Alors qu'elle songeait à refaire sa vie avec un autre officier, elle découvre effrayée une breloque sur sa chaîne de montre. C'est elle qui avait offert cette breloque à Hardeff à son départ, et l'officier se désigne lui-même comme le meurtrier de son fiancé. Liza décide d'entrer au couvent et le film se clôt sur un gros plan du visage de la belle Liza, une grande et belle actrice belge qui ressemble à la star française Suzanne Grandais. Si vous voulez découvrir ce film d'Alfred Machin, il est disponible en ligne sur le site European Film Gateway .
Je l'ai vu la semaine dernière à la cinémathèque et j'ai beaucoup aimé aussi.
Comme tu dis, la réalisation de Machin est de premier ordre. On voit qu'il accorde énormément de soin au découpage, cherchant à diversifier les angles de prises de vues. Ainsi même si le film se déroule en grande partie dans un nombre réduit de décor (dont la maison familiale et son jardin), il varie autant que possible le placement de caméra plutôt que tout capter du même axe : légèrement décalé sur le côté, un peu reculé, ou un peu plus tourné vers la droite. Des nuances pas toujours perceptibles mais qui enrichissent l'émotion de la scène pour se recentrer sur une atmosphère ou des rapports entre les personnages. Machin comprend qu'une histoire se raconte aussi par la caméra et ça se ressent vraiment à l'image.
De plus, l'histoire reste bien construite (malgré certaines conventions mélodramatiques un peu prévisibles vers la fin) et on trouve même un scène clé qui se rejoue selon différents points de vue (le plus vieil exemple que je connaisse). Sans oublier en effet, des acteurs sobres au jeu intériorisé. Cerise sur le gâteau, la restauration est magnifique et les couleurs aux pochoirs étaient époustouflante de beauté pour un émerveillement de tous les instants.

Sur le nouveau site des Europa films treasure (qui se met à jour quand il veut), on peut voir un autre court-métrage d'Alfred Machin qui se déroule aussi autour d'un moulin : le moulin maudit (1909). La réalisation y est déjà d'un raffinement incroyable avec un sens du cadre spectaculaire.
http://cinema.arte.tv/fr/le-moulin-maudit

Pas pu voir le Léonce Perret hier mais je vais essayer d'y aller samedi prochain :)

Ce Cycle 14-18 à la cinémathèque m'a aussi permis de découvrir Alfred Jasset avec son Protéa (1913).
C'est un sérial trépidant, délirant au rythme totalement fou. On dirait une série condensée en 40 minutes. Protéa et son assistant sont tous deux des rois du déguisement et passent leur temps à se travestir pour les besoin de leurs missions où ils doivent récupérer des documents secrets en territoires ennemis. Ils doivent changer de costumes au moins 2 fois par scène tout en s'échappant de manière improbable à la fin. C'est du grand n'importe quoi mais les péripéties sont irrésistibles et multiplie les situations rocambolesques : poursuites en voiture, domptage de lion, trappes en tout genre, dîners mondains, explosifs, plongeon par la fenêtre etc...
La réalisation de Jasset est très astucieuse rempli de trouvailles géniales comme l'escalade de la façade ou le fondu qui fait disparaitre des portes pour montrer ce qui se cache derrière... sans oublier donc la cadence infernale de ses aventures qui a dû inspirer Feuillade et Musidora puisqu'on trouve déjà ce grand costume entièrement noir et moulant. :o

Gros coup de coeur donc !

Ce soir j'y retourne pour un Abel Gance (les Gaz mortels) et un André Antoine (les frères corses) :D
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Encore deux films français de 1916.

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Les Gaz mortels (1916, Abel Gance) avec Léon Mathot, Maud Richard, Emile Keppens, Doriani et Maillard

Le professeur Hopson (Maillard) travaille sur les venins de serpent avec son aide Mathus (Léon Mathot). Alors que la guerre est déclanchée, il accepte de travailler au développement de gaz asphyxiants pour le compte du ministère de la guerre...

En 1916, Abel Gance travaille pour la société Film d'Art. Il tourne simultanément, près de Cassis, deux longs métrages Barberousse (1917) et Les Gaz Mortels. Ces deux films sont des mélodrames aux péripéties dignes des sérials de Feuillade ou de ceux réalisés aux Etats-Unis. En voyant cette oeuvre de Gance, il est d'ailleurs évident que le jeune cinéaste est très inspiré par les nouvelles techniques américaines de montage où l'on alterne gros plans, plans moyens et plans larges dans un rythme nerveux qui fait la part belle au suspense contrairement au cinéma français qui était resté fidèle aux techniques d'avant-guerre du plan large au rythme plus lent. Contrairement à Barberousse, Les Gaz mortels est en lien avec l'actualité de l'époque en ce qu'il s'intéresse aux gaz de combat qui commencent à être utilisés sur le front. Même si les personnages ne sont pas impliqués directement sur le front, il montre comment l'idée de 'gazer' l'ennemi peut devenir acceptable pour un scientifique pétri d'humanité. Gance combine donc des éléments d'actualité avec des personnages de mélodrame typique comme le couple de cousins (Emile Keppens et Germaine Pelisse) qui tentent d'éliminer le savant et son petit-fils pour capter un héritage. Le montage du film rappelle plus un film américain dans le style de ceux de D.W. Griffith que ceux de Feuillade. Gance a bien compris où se trouvait le futur de l'écriture cinématographique et quelques années plus tard, il innovera encore plus que les cinéastes américains. Ces Gaz mortels sont donc menés tambour battant avec montage alterné et montée du suspense. Il est fort dommage que la copie de ce film soit issue d'un contretype médiocre qui ne permet pas d'apprécier à plein le travail remarquable de Léonce-Henry Burel derrière la caméra. Un Gance important de sa première période.

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L'Angélus de la victoire (1916, Léonce Perret) avec Fabienne Fabrèges, Armand Dutertre, Laurenson et Emile André

Jacqueline Brizel (F. Fabrèges) est la fille de l'organiste du village (A. Dutertre). Amoureuse de Roger de Rambrun (Laurenson), elle ne peut l'épouser à cause de son aristocrate de père (E. André). Roger part au front. Jacqueline, apprenant quelques mois plus tard sa mort, perd la raison...

Ce film de Léonce Perret nous est parvenu sous la forme d'une copie incomplète de 20 min qui vient d'être restaurée en 2K. Néanmoins, cette superbe nouvelle copie permet d'apprécier à nouveau le talent de directeur d'acteurs de Perret. Avec une distribution sensiblement identique à celle d'Une Page de gloire (1915), il brode une nouvelle histoire de séparation de deux amants à cause de l'opposition d'un père, puis de la guerre. Mais contrairement au précédent film, Perret montre les effets dévastateurs de la guerre sur le moral des civils. Jacqueline ne réussit pas à surmonter le choc de la mort de celui qu'elle aimait et devient folle. Elle passe ses journées à bercer une poupée en forme de soldat qu'elle refuse de lâcher. Fabienne Fabrèges donne une interprétation bouleversante de la jeune femme traumatisée qui a remplacé son fiancé mort par cette poupée à son image. Montrant toujours son sens visuel aigu de la composition, Perret donne à cette histoire tragique son rafinement habituel. Bien que la moitié du film ait disparu (probablement décomposé), ce qui reste de L'Angélus de la victoire est à chérir. Encore une très belle oeuvre de Perret.
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L'Homme sans visage (1919) de Louis Feuillade avec René Cresté, Gina Manès, Edouard Mathé, Louis Leubas et Gaston Michel

A Nice, Blanche Méry (G. Manès) travaille comme professeur de piano pour payer la pension de sa petite fille, placée chez des paysans. Elle fait la connaissance de Ralph Carson (R. Cresté) un officier américain qui tombe amoureux d'elle. Mais, Blanche trouve un travail de dame de compagnie auprès d'un mystérieux Comte de Brançais (E. Mathé), un mutilé de la face qui porte constamment un masque de velour noir...

Tourné dans l'arrière-pays niçois, ce mélodrame a été conçu pour mettre en valeur celui qui était alors une des idoles du public français, René Cresté. Il était devenu une star grâce à son incarnation de Judex (1917) où vêtu d'une cape noire et d'un chapeau aux larges bords il faisait battre les coeurs des spectatrices. Cette étoile filante du cinéma français, disparu prématurément à l'âge de 41 ans, avait une silhouette élancée qui est ici mise en valeur par son uniforme américain bien ceintré. Le scénario concocté par Feuillade a tout d'un roman-feuilleton pour midinette avec la fille-mère courageuse, le bel officier et l'ignoble prince teuton violeur et meurtrier. Avec de tels éléments, on aurait pu espérer avoir un développement dramatique intéressant à défaut de subtilité dans les personnages. Malheureusement, l'intrigue est à deux sous et il n'y a strictement aucune surprise. Il semble cependant que la copie conservée est légèrement incomplète ce qui rend le déroulement de l'histoire encore plus simpliste (il doit manquer environ 10 min). Le public hier soir a d'ailleurs éclaté de rire en découvrant la véritable identité du Comte de Brançais (Edouard Mathé) qui apparut soudain avec casque à pointe, rictus, allure menaçante et affublé du surnom d'Attila sur une coupure de journal! Il faut dire que la transition était amenée plutôt brutalement. Pourtant, cet homme au masque de velour censé caché ses mutilations nous rappelait que c'était l'époque des gueules cassées. Malheureusement, Feuillade oublie la subtilité et préfère nous offrir un Edouard Mathé en prince allemand sanguinaire qui dissimule son identité. C'est cependant un plaisir de découvrir la jeune Gina Manès avec ses magnifiques yeux de lionne dans un rôle assez ingrat. Cresté est élégant et athlétique; Mathé n'est pas très convaicant et les autres membres de la troupe de Feuillade n'ont guère le temps de briller. On peut sauver la jolie cinématographie de Maurice Champreux, mais guère plus. Un Feuillade décevant.
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

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Alsace (1916, Henri Pouctal) avec Gabrielle Réjane, Albert Dieudonné, Francesca Flory, Camille Bardou et Berthe Jalabert

1872. L'Alsace est annexée par l'Allemagne. M. et Mme Obey (M. Barbier et Gabrielle Réjane), des patriotes alsaciens, chantent la Marseillaise à tue-tête ce qui leur vaut une expulsion vers la France. Leur fils Jacques (A. Dieudonné) reste au pays pour diriger la filature familiale. Il tombe amoureux de Marguerite Schwarz (F. Flory) la fille de ses voisins allemands...

En 1913, la grande comédienne Gabrielle Réjane crée la pièce de Gaston Leroux, Alsace. Trois ans plus tard, la pièce est adaptée au cinéma par la société Film d'Art avec le metteur en scène Henri Pouctal. On a oublié de nos jours l'importance de Réjane qui était la seule vedette internationale française à côté de Sarah Bernhardt, la seule qui fasse également des tournées internationales. Contrairement à la grande Sarah dont les mimiques théâtrales paraissent horriblement surranées sur grand écran, Réjane montre qu'elle a compris qu'il faut modérer son expression au cinéma. Au lieu d'être dirigée par le tâcheron de service (Louis Mercanton) comme Sarah, Réjane est dirigée par un excellent réalisateur en la personne de Pouctal. Même si elle est la vedette du film, elle n'étouffe pas ses partenaires. Le récit patriotique de ce film bien que nationaliste, n'est pas aussi outrancier qu'on pouvait le redouter. Certes, on y retrouve les clichés sur les Allemands buveurs de bière et ripailleurs, mais les voisins Schwarz (joués par Camille Bardou et Berthe Jalabert) sont des petits bourgeois sympathiques et en aucun cas des Teutons sanguinaires et caricaturaux. Cependant, les différences de culture sont soulignées par le couple formé par Jacques, interprété par un tout jeune Albert Dieudonné, et son épouse Marguerite qui se disputent à tout bout de champ. L'aigreur est attisée par l'intense inimitié entre la femme et la redoutable belle-mère que joue Réjane. La déclaration de guerre en 1914 fait exploser toutes les rancoeurs. La femme et la mère se disputent le pauvre et faible Jacques qui est sommé de choisir son camp. Il n'en aura pas le temps et sera victime de la brutalité Allemande. J'ai été impressionnée par le charisme de Réjane qui donne à son personnage de mère abusive une dimension remarquable. Elle a un visage mobile et expressif et montre un talent naturaliste dans l'expression. Le jeune Albert Dieudonné, le futur Napoléon de Gance, montre son talent d'acteur. Il est par moment encore un peu théâtral, mais il sait déjà suggérer son émoi face à sa puissante mère. La copie teintée issue du Filmmuseum d'Amsterdam était de belle qualité et permettait d'apprécier le talent de composition de Pouctal. Il savait créer une réelle profondeur de champ avec des actions simultanées qui en disaient long sur les sentiments des personnages, comme lorsque Dieudonné au premier plan se morfond en présence de sa belle-famille qui festoie à l'arrière-plan. La scène finale a une certaine grandiloquence patriotique alors que Réjane, en grand deuil vêtue à l'Alsacienne, se réjouie de l'arrivée des troupe françaises en Alsace sur la tombe de son fils. Un film tout à fait intéressant qui m'a permis de découvrir Réjane.
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Message par bruce randylan »

Toujours dans ce cycle 14-18 :)
Les frères corses (André Antoine - 1916)

Lors d'un voyage en Corse, Alexandre Dumas fait la rencontre d'un homme qui lui raconte la vendetta qui l'oppose à une famille voisine et qui a conduit son frère jumeau à l'exil à Paris

Une sacrée rareté que voilà : il n'existe plus qu'une seule copie de ce film au Japon qui ne sort que très rarement de son pays (la troisième fois je crois depuis les années 80 ; avant le propriétaire ne voulait même pas prêter sa copie ; il a fallu attendre sa mort).
l'image n'est pas d'une beauté immaculée, loin de là, mais on peut profiter allègrement du soin somptueux que le cinéaste accordait à la photographie et au cadrage. Pour voir qu'il s'agissait de sa première réalisation, les plans sont d'une splendeur impressionnante avec beaucoup de cadres dans le cadres, de jeu d'éclairage tout en clair-obscur et d'une réelle maîtrise dans sa profondeur du champ ; sans parler des extérieurs. Contrairement à ce que disait l'historienne présentant la séance, je n'ai pas trouvé qu'il manquait de gros plans, ni que le découpage accusait le poids des années.
L'histoire est assez étonnante en faisant intervenir directement l'écrivain dans l'intrigue. Ca déstabilise la première partie qui souffre un peu de passivité mais ça apporte en revanche plus d'émotion durant la seconde moitié qui gagne en lyrisme et qui s'avère même poignante par moment.
On sent que cette copie japonaise est en revanche incomplète car le récit manque de fluidité, surtout dans ce début.

Il va sans dire que je ne regrette pas d'avoir fait le déplacement (je gardais un très mauvais souvenir de la version de Robert Siodmak datant de 1938)
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Message par Ann Harding »

Trois courts-métrages Gaumont ayant pour thème la Grande Guerre vus à la Fondation Pathé:

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Marraines de France (1915, Léonce Perret) avec Fabienne Fabrèges, Armand Dutertre et Valentine Petit

Sur une place méditerranéenne, on organise une tombola parmi de jolies baigneuses pour choisir des marraines de guerre pour les soldats au front sans famille. Madeleine (F. Babrèges) doit écrire à un certain Jacques Bertin...

Ce court-métrage de Léonce Perret a l'avantage par rapport à de nombreuses bandes patriotiques de l'époque d'être une comédie. Même si l'on s'intéresse aux marraines de guerre, Perret réussit à injecter de l'humour dans les situations. Ainsi un groupe de jeunes femmes délurées deviennent par jeu des marraines d'inconnus. La jolie Madeleine (Fabienne Fabrèges) ment à son 'filleul' en lui faisant croire qu'elle est une vieille dame. Si bien que la visite de l'intéressé se transforme en vaudeville avec Madeleine qui échange son identité contre celle de sa domestique plus âgée. Evidemment, elle regrette vite cette supercherie et avoue au beau soldat sa véritable identité. Madeleine épouse donc Jacques qui retourne au front le jour même. Même si l'intrigue prend un tour tragique avec la blessure de Jacques, les amoureux sont cependant réunis après la guerre du soldat. Le film a été reconstitué récemment; mais bizarrement un certains nombres de scènes (visibles sur le site Gaumont-Pathé Archives) ont été éliminées de cette restauration. C'est un peu dommage car elles permettaient de suivre mieux la supercherie organisée par Madeleine. En tout état de cause, il s'agit d'une délicieuse comédie superbement interprétée par Fabienne Fabrèges, l'interprète préférée de Perret dans ces années de guerre. Le metteur en scène montre, une fois de plus, sa supériorité sur ses collègues français par la qualité de ses éclairages, sa direction d'acteur remarquable et son sens comique et dramatique.

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L'Autre victoire (1914, Gaston Ravel) avec Jeanne-Marie Laurent et Musidora

Jeanne Ducastel (J.-M. Laurent) est veuve et souhaite se remarier avec le Dr. Gauthier, lui aussi veuf, avec une fille adolescente Christiane (Musidora). Le fils de Jeanne n'accepte pas cett union et rompt toute relation avec sa mère...

Tout comme ses confrères de la Gaumont, Feuillade et Perret, Gaston Ravel réalisait aussi des courts-métrages patriotiques au sein de la firme. Il utilisait les mêmes acteurs que ses collègues. Et on a donc la surprise de retrouver Musidora, à jamais associée aux personnages vénéneux des sérials de Feuillade, en jeune adolescente innocente avec anglaises à la Mary Pickford. Gaston Ravel n'a pas le talent de ses confrères en terme de réalisation. Il est plus banal et moins ambitieux. Cependant, L'Autre victoire n'est pas dépourvu d'intérêt. Tourné en extérieurs dans le sud de la France, il permet d'apprécier le talent de Jeanne-Marie Laurent en mère déchirée. L'intrigue est simple, mais elle ne tombe pas dans la mièvrerie. Musidora réussit à réconcilier la mère et le fils par l'intermédiaire de leur demi-soeur sans tomber dans le pathos. Dans un autre film court de Ravel intitulé Le Grand souffle, Musidora apparaissait aussi à contre-emploi en chanteuse d'opéra en vacances qui ramenait dans le droit chemin un 'nervi' marseillais interprété par René Navarre. Un court-métrage sympathique.

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Le Roman de la midinette (1916, Louis Feuillade) avec Musidora et Lise Laurent

La femme du capitaine Ferry (L. Laurent) accueille chez elle la veuve et la fille Jeanne (Musidora) d'un soldat du régiment de son mari. Jeanne est atteinte de phtisie et pleine de notions romatiques. Elle entame secrètement une correspondance avec un soldat esseulé...

Ce court-métrage de Feuillade offre à Musidora un rôle à sa mesure. A la fois femme-enfant innocente et rouée, elle rêve du grand amour en se lançant à corps perdu dans une correspondance avec un soldat qu'elle n'a jamais vue. La belle phtisique ne réussit pas à surmonter son chagrin en apprenant que celui qu'elle aime en secret est gravement blessé et risque de mourir. Il semble que quelques séquences manquent à l'appel au moment où elle apprend la nouvelle, ce qui affadit un peu le propos. Cependant, ce joli court-métrage réussit à nous intéresser jusqu'à son dénouement. Un Feuillade mineur mais intéressant pour son interprétation.
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Message par bruce randylan »

Trois moyens métrages d'une heure environ

La Forêt qui écoute (Henri Desfontaines - 1916)

Découverte du cinéaste Henri Desfontaines dont je n'avais jamais entendu parlé jusque là. C'est un drame sur fond d'espionnage durant la première guerre mondiale.
C'est assez médiocre dans l'ensemble. Mal écrit, platement filmé et sans suspense ni émotion. On est dans la fiction de propagande sans grand intérêt malgré nombreuses péripéties proche du sérial (avec micro relais caché dans une maison abandonnée, fausses identités, innocente accusée à tort, course contre la montre, bombe à retardement). Il n'y a vraiment que la fin où le héros masculin fait croire que la fille d'un couple d'espion est menacé par la bombe placée par eux mêmes. Une manière un peu sadique de les forcer à parler et avouer leurs missions.


Les Enfants de France pendant la guerre (Henri Desfontaines - 1918)

Cette autre réalisation de Desfontaines est un peu plus convaincante quoique très inégale. L'idée est donc de montrer la place des enfants dans le conflit. La première moitié ressemble plus à un assemblage de films d'actualité qu'à un tournage fait pour l'occasion. On y trouve entre autres quelques jolis plans du Paris de l'époque avec ses grands marchés en pleine rue. Mais les cartons qui "expliquent" les plans et vantent le dévouement de marmots est là aussi de la propagande sans grande nuance (avec défilés militaires à la clé).
En revanche la seconde partie est bien plus réussie. On suit cette fois une troupe d'enfants s'amuser à faire la guerre sur les buttes Chaumont, se lançant quelques défis comme embêter une vieille voisine acariâtre. C'est léger, assez drôle, souvent tendre avec une très belle direction d'acteurs, de jolis plans naturalistes et un découpage par moment vraiment aboutis qui utilise en plus l'éclairage de manière très plastique (comme cet enfant regardant au travers d'un volet dans une pièce plongée dans l'obscurité).

L'impossible pardon (Theo Bergerat - 1918)
Un autre exemple de fiction produit pour l'effort de guerre. Ca ressemble pas mal à la forêt qui écoute : on y retrouve un allemand qui s'incruste dans une famille alsacienne pour mieux espionner la région frontalière. Celui-ci est meilleure tout de même grâce à une dramaturgie plus construite même si le scénario demeure artificielle pour ne pas dire idiot (on se demande pourquoi l'allemand ne demande pas tout simplement lesquels des deux garçons portent le nom de son fils lors d'une scène cruciale... comme il est incompréhensible que le fils ne sache pas immédiatement qui est son père).
Mais certaines séquences ne manquent pas d'intensité dont une longue séquence en forme de torture psychologique perverse.
Pas subtil pour un sous, des acteurs pas toujours bien dirigé mais photo correcte et histoire relativement prenante (si on accepte son ineptie).
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Ann Harding
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Re: Cinéma muet français

Message par Ann Harding »

bruce randylan a écrit : La Forêt qui écoute (Henri Desfontaines - 1916)
C'est assez médiocre dans l'ensemble. Mal écrit, platement filmé et sans suspense ni émotion.
Tout ce que j'ai déjà vu de Desfontaines est du même tonneau. C'est un tâcheron sans âme. Pas de regret de ne pas être allé à cette séance.
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Re: Cinéma muet français

Message par Ann Harding »

Le début d'un marathon Fescourt à la Fondation Pathé:

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Rouletabille chez les Bohémiens (1922, Henri Fescourt) en 10 épisodes avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 1 à 3
Jean de Santierne (J. Dehelly) s'apprêter à quitter sa maîtresse, la bohémienne Callista (S. Talba) pour épouser Odette (E. Jéhanne). Callista lui jure qu'elle se vengera. De son côté, Hubert de Lauriac (J. Hamman) convoite lui aussi Odette et semble prêt à tout pour obtenir sa main. C'est alors que le père d'Odette est retrouvé mort dans son jardin. Odette a disparu. L'ami de Jean, Joseph Rouletabille (G. de Gravone) entre en scène...

Henri Fescourt a travaillé pendant de nombreuses années pour la société des Cinéromans dirigée par Jean Sapène, le patron du journal Le Matin. En 1921, il avait déjà réalisé une excellente adaptation en épisodes de Mathias Sandorf, dont il ne reste qu'un fragment de 2h1/2. En 1922, il s'attaque à un roman de Gaston Leroux avec son personnage fétiche, le journaliste - détective à ses heures - Joseph Rouletabille. Comme tout bon roman-feuilleton, il commence par un prologue qui nous donne des clés sur un objet précieux qui a été dérobé par Hubert de Lauriac (J. Hamman), un aventurier sans scrupules. Il a pris le "Livre des Ancêtres", un manuscrit religieux précieux des gitans pour s'emparer des joyaux qui le décore. Le premier épisode d'exposition est quelque peu académique et nous fait découvrir les différents protagonistes dans leur environnement. Il y a d'un côté le jeune Jean de Santierne (J. Dehelly), issu d'une bonne famille et son ami Rouletabille (G. de Gravone). On contraste la pure jeune fille Odette (E. Jéhanne) et la bohémienne machiavélique Callista (S. Talba). Les deux femmes déchaînent les passions. Celle d'Andrea (R. Joubé), un bohémien qui a été repoussé par Callista et celle d'Hubert qui rêve de posséder Odette. La trame étant maintenant établie, le deuxième épisode montre un Fescourt nettement plus en train. Il emmène ses héros aux Saintes-Marie-de-la-mer et à Arles où les événements vont se succéder. Rouletabille est interprété par Gabriel de Gavrone qui donne au jeune reporter humour et vivacité. On reconnait avec plaisir le premier cow-boy du cinéma français Joë Hamman - héros de nombreux films de Jean Durand dans les années 1910 - qui est ici un méchant mais avec panache. La fragile Edith Jéhanne, qui tourna si souvent avec Raymond Bernard, est la victime parfaite avec son visage triangulaire à la Lillian Gish. Fescourt introduit pas mal d'humour dans les épisodes 2 et 3 opposant le malicieux Rouletabille et un juge bedonnant qui passe de bar en bar pour engloutir des verres de bière. Le récit est maintenant bien lancé dans les superbes paysages de la Camargue. J'attends la suite avec impatience. A suivre!
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Re: Cinéma muet français

Message par Major Dundee »

Ann Harding a écrit : Rouletabille chez les Bohémiens (1922, Henri Fescourt) en 10 épisodes avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

A suivre!
Toujours le chic pour nous mettre l'eau à la bouche... Merci Ann 8)
PS: Et quelle superbe affiche !
Charles Boyer (faisant la cour) à Michèle Morgan dans Maxime.

- Ah, si j'avais trente ans de moins !
- J'aurais cinq ans... Ce serait du joli !


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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

J'avais pas pris le temps d'en parler

Une page de gloire (Léonce Perret)

Un très beau film en effet, magnifiquement mise en scène et photographié dont nombres plans tiennent de la peinture romantique (l'ouverture à ce titre avec le couple sous le pont déploie un raffinement visuel qui confère toute l'émotion à la scène)
Et contrairement à de nombreux films de cette période, le soin accordé à la lumière concerne également les intérieurs qui ne ressemblent pas pour une fois à des plateaux uniformément éclairés mais à des vrais pièces ayant leur atmosphères et leur caractères.

L'histoire est plus conventionnelle mais l'histoire d'amour parasitée à la fois par la séparation avec la guerre et par les grands-parents de l'héroïne qui n'accepte pas cette union. Le cinéaste privilégie l'aspect humain et la sensibilité au pure mélodrame. La chaleur de cette page de gloire enrobe les péripéties d'une tendresse vraiment touchante et surtout réaliste. Le comportement des différents protagonistes est crédible et cohérent avec leurs fonctions et leurs rangs sociaux. Le naturel des acteurs y est pour beaucoup il faut dire.
Le dernier tiers en fait peut-être un peu trop pour le coup dans le pure mélodrame en forçant le trait avec le passage sur le drapeau français, mais la mise en scène de cette séquence de bataille est plutôt satisfaisante. En revanche, j'avoue que l'hommage reçu par la femme m'a vraiment émue de manière inattendue, confirmant la sensibilité du cinéaste.

Il suffit donc de comparer cette réalisation avec d'autres œuvres de propagande de cette époque pour constater immédiatement le génie de Perret. :D
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Re: Cinéma muet français

Message par Ann Harding »

Major Dundee a écrit :Toujours le chic pour nous mettre l'eau à la bouche... Merci Ann 8)
PS: Et quelle superbe affiche !
Merci, Major! :) Si vous voulez voir le film, il passe en ce moment à la Fondation Pathé. :wink: La suite arrrive!
bruce randylan a écrit :Il suffit donc de comparer cette réalisation avec d'autres œuvres de propagande de cette époque pour constater immédiatement le génie de Perret.
Bien contente de lire ça! Tous les Perret que j'ai vus en novembre (sauf Lest We Forget) m'ont vraiment emballée. :)
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Ann Harding
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Re: Cinéma muet français

Message par Ann Harding »

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Rouletabille chez les Bohémiens (1922, H. Fescourt) en 10 épisodes avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 4 à 6
Rouletabille (G. de Gravone) part à la recherche d'Odette (E. Jéhanne) qui a été enlevée par les Bohémiens en partance pour leur sanctuaire de Sever-Turn en Europe Centrale. De son côté, Hubert (J. Hamman) est lui aussi sur ses traces...

Les trois épisodes suivants mettent en valeur le jeune Rouletabille, espiègle et malicieux, qui n'hésite pas à donner de sa personne dans ses enquêtes. Il est jeté d'un train en marche par Andrea (R. Joubé) et Callista (S. Talba). Il utilise aussi divers déguisements, souvent cocasses, pour tenter de passer inaperçu. Il a finalement recours au travestissement pour amadouer son concurrent Hubert. Dans le rôle de ce dernier, Joë Hamman montre ses talents de cavalier et de cascadeur en attrapant un train en marche à dos de cheval. Cependant, les acrobaties et les retournements de situation ne sont pas aussi soutenus qu'on aurait pu l'espérer. Fescourt introduit un humour bienvenu avec un Gabriel de Gravone très à l'aise en détective, mais il n'a pas toujours un scénario à la hauteur. L'intrigue patine quelque peu et le rythme s'en ressent. La qualité de la copie n'est malheureusement pas optimale; elle est teintée, mais elle manque de netteté et de définition. Certaines séquences qui devaient avoir une réelle atmosphère, telle que la danse nocturnes des Bohémiens autour d'un feu, en souffrent. Sinon, on peut reconnaître à Fescourt une réelle intelligence dans le choix de ses interprètes. Edith Jéhanne, avec son allure féline et ses yeux en amande, est une Odette parfaite, à la foie ingénue et mystérieuse. De Gravone, que j'ai vu tant de fois dans des rôles dramatiques comme Marius dans Les Misérables (1913) ou Frédéric dans L'Arlésienne (1922), est bien plus à l'aise dans le registre comique. Quant à Joë Hamman, c'est une figure à part dans le cinéma français des années 1920. Sa haute silhouette mince et athlétique suggère plus les héros américains du grand écran et cela donne un relief particulier à son personnage. Romuald Joubé, qui fut l'interprète de Gance, d'Antoine et de Raymond Bernard, est ici plus en retrait en Bohémien tourmenté et un peu frustre, mais parfaitement crédible. Il n'y a maintenant plus qu'à espérer que l'intrigue retrouve un peu de tonus pour les quatre derniers épisodes. Selon Fescourt, Gaston Leroux se serait inspiré de légendes tziganes pour l'écriture de son feuilleton. Il y a effectivement un potentiel intéressant dans cette histoire de prophétie dans le livre saint des Bohémiens annonçant l'arrivée d'une "nouvelle reine" qui se trouve incarnée en Odette par une curieuse coincidence. Pourtant, cet élément prophétique à la limite du surnaturel n'est guère exploité jusqu'à présent. A suivre!
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Ann Harding
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Re: Cinéma muet français

Message par Ann Harding »

Voilà, le marathon est terminé! :)

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Rouletabille chez les Bohémiens (1922, H. Fescourt) en 10 épisodes avec Gabriel de Gravone, Romuald Joubé, Edith Jéhanne, Joë Hamman, Jean Dehelly et Suzanne Talba

Episodes 7 à 10
Hubert (J. Hamman) a réussi à faire évader Odette (E. Jéhanne) de la caravane des Bohémiens. Comme elle se refuse à lui, il décide de l'emmener à Sever-Turn avec toujours Rouletabille (G. de Gravone) à ses trousses...

Les quatre derniers épisodes de ce Ciné-Roman d'Henri Fescourt confirment l'impression ressentie avec les épisodes précédents. Fescourt se contente de filmer l'intrigue cousue de fil blanc créée par Gaston Leroux, quelque peu en panne d'inspiration. Contrairement à Mathias Sandorf (1921), Les Misérables (1925) et Monte-Cristo (1928) qui sont tous de magnifiques réussites, Rouletabille est nettement moins imaginatif. Les personnages ne sont que des pions qui se déplacent sur un échiquier, sans développement psychologique. Fescourt est également confiné, la plupart du temps, en studio dans ces derniers épisodes ce qui n'arrange rien. Le monde des Bohémiens dans leur ville sacrée de Sever-Turn est à peine esquissé et c'est bien dommage. Quant à nos héros, le travestissement de Rouletabille en femme fatale était vraiment un secret de polichinelle qui n'a surpris aucun spectateur. Bizarrement, le film reprend vie pour une séquence qui semble avoir été ajoutée pour pimenter un plat trop fade, lorsque Joë Hamman lutte à main nue contre un taureau de Camargue. On annonce même cette scène dans l'épisode précédent avec un "teaser" appuyé. C'est là qu'on réalise ce que ce film aurait pu être avec une intrigue moins théâtrale. Hamman est seul face à un taureau (un buffle dans le film) et il montre son talent d'athlète dans un magnifique paysage camarguais qui soudain donne une ampleur insoupçonnée à son personnage ainsi qu'à la fin de ce feuilleton. On réalise alors à quel point le film a manqué de mouvement et de cette étincelle de suspense qui l'aurait fait décoller. Apparemment, Rouletabille a pourtant été apprécié du public de 1922, bien plus que Le Fils du flibustier (1922), un sérial de Louis Feuillade sorti au même moment qui fut un échec. Je crois que Rouletabille pourrait gagner sérieusement en atmosphère avec une copie de meilleure qualité. L'aspect granuleux et légèrement flou ne permet pas d'apprécier la composition visuelle comme il le faudrait. Un Fescourt relativement moyen, mais que je ne regrette pas d'avoir vu.
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Re: Cinéma muet français

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Bertuccio (Gaston Modot) et l'abbé Busoni (Léon Mathot)

Le Comte de Monte-Cristo (1918, Henri Pouctal) avec Léon Mathot, Nelly Cormon, Marc Gérard, Gilbert Dalleu, Alexandre Colas et Henri Mayer

1815, le marin Edmond Dantès (L. Mathot), qui s'apprêtait à épouser Mercédès (N. Cormon), est arrêté et envoyé au secret au Château d'If pour 14 ans suite à la lettre de dénonciation de Danglars (A. Colas), Caderousse (G. Dalleu) et Fernand (Jean Garat)...

Le roman d'Alexandre Dumas a suscité de multiples versions cinématographiques. Henri Fescourt en a réalisé une magnifique en 1928 intitulée Monte-Cristo qui utilisait merveilleusement les décors naturels. En fait, dès 1914, Henri Pouctal était au travail pour réaliser une version en 8 épisodes du roman de Dumas, sur les lieux mêmes de l'action imaginée par l'auteur. Cette production a subi quelques vicissitudes. Le film avait été commencé avec Jean Angelo dans le rôle-titre, avant l'entrée en guerre. Il dut abandonner le film suite à la mobilisation générale d'août 1914 et fut remplacé par Léon Mathot. Ce dernier raconte que le tournage fut particulièrement éprouvant. Ils tournèrent au Château d'If qui servait à l'époque de centre de détention pour les étrangers indésirables. Le lieu grouillait de vermine et Mathot devait piquer une tête dans la Méditerranée pour se débarrasser des poux qui infestait ses vêtements après une journée de tournage. Il faillit se noyer le jour où ils tournèrent l'évasion de Dantès du Château d'If. Il devait nager vers une tartane secourable, mais soudain le vent se leva et la mer devint mauvaise. Pouctal insista pour tourner la séquence car leur maigre budget de 3.500 francs par jour était écorné. Finalement, il sauta à l'eau et ne put jamais rejoindre la tartane emportée par le vent et les courants. Il fut repêché, épuisé, une heure et demi plus tard sans que la scène ait pu être prise... Ce récit me laissait supposer que le film devait avoir une atmosphère toute particulière et c'est le cas. Henri Pouctal est sans le moindre doute un excellent metteur en scène et l'un des meilleurs des années 1910. La vision successive d'Alsace (1916) et de Travail (1919) m'avaient déjà convaincue de ses qualités qui sont confirmées par ce superbe Comte de Monte-Cristo. Dès les premières scènes, j'ai été séduite par la qualité de la composition photographique et j'ai immédiatement pensé qu'il devait y avoir un maître derrière la caméra. C'était effectivement le génial Léonce-Henri Burel, un des opérateurs favoris de Gance. De l'entrée du "Pharaon" dans le port de Marseille à l'évasion de Dantès, il capture magnifiquement la lumière méditarréenne avec des effets de clairs-obscurs sur les visages et sur la mer. Le récit original qui était réparti sur 8 épisodes n'est malheureusement maintenant disponible que sous la forme d'une version réduite à 3 heures dans la copie présentée par la Cinémathèque Royale de Belgique sur le site European Film Gateway . Qu'importe, même si le récit est parfois un peu haché (et certaines scènes sont visiblement manquantes), on suit avec intérêt la vengeance de Dantès contre ses ennemis. Léon Mathot a parfois un peu tendance à abuser de la technique de la "réaction face à la caméra", mais il endosse avec talent le rôle de Monte-Cristo. J'ai aussi reconnu Gaston Modot qui joue Bertuccio, le factotum de Monte-Cristo. Dans le Monte-Cristo de 1928, il est monté en grade et est devenu le traître Fernand Mondego, alias le Comte de Morcerf. Une excellente production qui montre la place importante qu'occupe Henri Pouctal dans l'histoire du cinéma français.
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