Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Ann Harding a écrit : Bertuccio (Gaston Modot) et l'abbé Busoni (Léon Mathot)

Le Comte de Monte-Cristo (1918, Henri Pouctal) Le récit original qui était réparti sur 8 épisodes n'est malheureusement maintenant disponible que sous la forme d'une version réduite à 3 heures dans la copie présentée par la Cinémathèque Royale de Belgique sur le site European Film Gateway
Va falloir que je prenne le temps de traîner sur leur site (mais je trouve la navigation horrible. Le rangement et la base de donnée est totalement bordélique je trouve).

Sinon, il y a une mini rétrospective sur André Antoine à la Fondation Pathé avec 6 des 8 films qu'il a réalisé. :)
Seul manque à l'appel Israel (copie uniquement disponible Italie) et les frères corses (justement découvert il y a deux mois à la cinémathèque via l'unique copie qui se trouve au Japon et qui ne sort pas souvent 8) ).

Ca a commencé avec Les travailleurs de la mer (1919)

Un asocial vivant en dehors d'un petit village de pêcheur est amoureux de la fille d'un propriétaire d'un navire à moteur. Quand celui-ci disparaît sur un récif dangereux, il promet la main de sa fille à celui qui lui ramènera.

Troisième long-métrage pour Antoine qui délaisse les environs de Paris pour les extérieurs bretons afin d'adapter cette œuvre de Hugo le plus fidèlement possible. Une fidélité pas évidente quand il s'agit de montrer la lutte du héros contre une pieuvre géante et que Antoine, partisan du naturalisme, ne souhaite pas avoir recours aux trucages... Il doit ainsi se contenter d'un mollusque de quelques dizaines de centimètres qui n'a pas grand chose d'effrayant ramené à l'échelle humaine. Son découpage parvient à éviter heureusement le ridicule en excluant les plans larges, privilégiant ceux courts et les réactions de l’agressé. La scène fonctionne aussi grâce à la présentation de la menace qui s'avère inquiétante quand on la voit se faufiler entre les roches.
Ca reste la scène la plus problématique, le reste du film étant évidement bien plus traditionnel et classique dans le fond comme dans la forme.
Dans l'ensemble, l'histoire (d'amour) autour du héros fonctionne plutôt bien mais la structure du film possède plusieurs faiblesses comme le fait d'avoir 2 voleurs, ce qui alourdit considérablement et inutilement la narration, en évacuant trop longtemps les véritables personnages centraux, voire en négligeant certain (le rival amoureux). Cela dit cette dimension sérial n'est pas déplaisante (le meurtre près de la falaise et le face à face qui s'en suit) mais le gros problème demeure l’interprétation inégale. Ainsi Romual Joubé peut se montrer tour à tour touchant et émouvant puis ridicule et maladroit.

Au niveau de la forme, c'est en revanche bien plus convainquant, sans être renversant, mais les plans sont composés avec goût, il y a travail sur la profondeur de champ. Le naturalisme se drape de jolis moments qui évoque forcément le documentaire (qui n'existait alors pas encore).
Bilan en demi teinte donc.


Le coupable (1917), sa deuxième réalisation est bien plus réussie avec une écriture bien plus rigoureuse.

Lors du procès d'un jeune homme, inculpé pour meurtre, l'avocat général annonce que le présumé coupable est son fils. Il explique son parcours pour lui trouver des circonstances atténuantes.

Bien que plutôt idiot dans son intrigue (encore que cette vision sociétale de la peine de mort devait être audacieuse), le film surprend par sa construction dramatique puisque l'histoire se déroule en une succession de flash-backs chronologiques, procédés peu exploités à l'époque.
Non, seulement, le film multiplie les allers-retours du présent à différentes étapes du passé, mais Antoine se permet même d'intégrer un court flash-back dans un des flash-back (le récit de la brodeuse).
Sa narration n'a rien de brouillonne, elle est au contraire d'une fluidité exemplaire et d'une maîtrise du rythme très moderne. Pour bien faire la différence des changements époques, le cinéaste stylise la photographie des scènes à procès où l'éclairage isole les protagonistes dans l'espace où ils se trouvent. Il met ainsi l'accent sur les visages et la psychologie avec un travail qui rappelle le fameux Forfaiture qu'Antoine n'avait pas vu alors. Il fut surtout très déçu de constater qu'en même temps que lui, Abel Gance avait également développés ce type de recherche, mais avec un meilleur résultat et une meilleure direction artistique.
Antoine était sans doute un peu trop sévère avec lui car son film, son montage et son découpage demeurent exemplaires et parfaitement construits. Il y a de surcroît de très beaux plans du paris des années 1910 et sa dimension sociale n'a pas trop vieillie.
Passionnant durant sa première heure, le film souffre en revanche d'un dernier tiers assez ennuyant et redondant puisque le scénario explique également les événements proches de ce procès et détaille les états d'âme de l'avocat alors que l'intrigue en flash-back rendait tous ses éléments largement explicites.
Dommage de finir sur une telle fausse note après tant de qualités.
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La terre (André Antoine - 1921)

Différents membres d'une famille de paysans convoite l'argent caché par le patriarche

Oulalah. Absolument pas accroché à celui-là. :?
Pas forcément à cause la réalisation, correct mais souvent anodine, mais pour l'histoire et le traitement des personnages que j'ai trouvé détestable.
Non seulement les personnages sont haïssables au possible avec une galerie d'individus sans morale ni scrupules mais surtout on ressent le mépris/dédain du cinéaste. Et ce dernier point me dérange fortement car autant je n'ai rien contre des films grinçants si je comprends les motivations des protagonistes autant si le cinéaste n'arrive pas à me faire croire à eux, c'est juste un exercice de style ; du cynisme gratuit et sans fondement. C'est donc le cas dans la terre où tout le monde essaie de trahir son frère/fils/père dans une misanthropie misérabiliste rapidement fatigant. A aucun moment une quelconque nuance viendrait enrichir ou complexifier l'un ou l'autres des caractères à l'image et au bout de 20 minutes, je regardais l'écran sans m’intéresser à ce qu'on essayait de me raconter.

Et ce n'est pas la réalisation d'André Antoine, régulièrement incolore, qui va transfigurer son sujet. D'ailleurs sa mise en scène n'a quasi pas évolué en 5-6 ans avec un découpage rudimentaire et une narration mollassonne qui se répète beaucoup.
La photographie est un peu meilleur sans être le haut du panier. On sent en tout cas l'influence de l'impressionnisme (certains plans évoquent directement des tableaux comme les Glaneuses de Millet) ce qui n'est jamais désagréable. Mais on rage que les meilleurs moments ne décollent jamais à cause de ces personnages auxquels il est impossible de s’identifier ou s'attacher. La fin par exemple avec ce vieillard qui déambule dans le froid devrait posséder une réel souffle dramatique et émotionnel mais au final, on s'en fiche totalement... On se dit même presque "de tout façon, c'est bien fait pour lui" :|

Après, je l'ai pas vu non plus dans de bonne conditions non plus (le lendemain de l'attentat contre Charly, doublé d'une panne de chauffe-eau)
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Message par bruce randylan »

L'arlesienne (André Antoine - 1921)

Un paysan s'éprend d'une habitante d'Arles aux mœurs frivoles qui ne tarde pas à le quitter. Désemparé et au bord du suite, une voisine amoureuse de lui tente de lui redonner goût à la vie.

Une belle adaptation d'Alphonse Daudet même si le film fut controversé lors de la sortie pour avoir représenté le personnage de l'arlesienne.
Plus que le drame ou les grandes lignes de l'histoire, très classique et rempli de stéréotypes, c'est la qualité de la réalisation et de l'interprétation qui confère l'émotion voulue. Les acteurs sont sobres avec un jeu intériorisé qui met en valeur leur nature torturée ou inquiète. Cette justesse se retrouve dans le style d'Antoine qui privilegie les gros plans, livrant de très beaux plans de visages, des paysages tout aussi fascinant que les exterieurs fort bien photographiés.
Cette sensibilité et la beauté des images, forcément naturalistes, font oublier les péripéties conventionnelles comme le retour de l'arlesienne le jour du marriage de son ancien amant (joli duel se deroulant alors qu'une farandole vient séparer les adversaires). Les clichés sont également évacués avec une deuxième moitié qui tire vers la fable tragique sur le pouvoir fatal d'un amour brisé. L'amertume fait partie intégrante des dernières sequences y compris dans celles qui pourraient être plus positives comme les retrouvailles entre les deux personnes âgées. L'amertune et la tendresse aussi.
C'est tout à l'honneur du cinéaste que d'avoir mêlé ces émotions contradictoires même si cela se fait au détriment du rythme et de la surprise.
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Le gardien du feu (Gaston Ravel - 1924)

Le gardien d'un phare enferme son épouse et son second dans une pièce de son lieu de travail. Après avoir jeter la clé dans l'océan, il écrit dans son journal de bord les raisons de cet acte.

Le premier film que je découvre du cinéaste et c'est un très bon titre.
Comme on devine à la lecture du résumé, le film est raconté par flash-backs successifs et chronologiques pour une structure narrative qui fonctionne admirablement bien. L'idée excellente est de commencer directement par cette séquence perturbante où les deux (supposés) amants sont enfermés par le mari jaloux. Avec son style naturaliste, son travail sur la photographie et ses sources de lumières, une direction d'acteurs irréprochable et des tournages en extérieur (la pointe du Raz), le film frappe immédiatement par son intensité dramatique et son tourbillon d'émotion.
Cette force ne se démentira pratiquement jamais. A part quelques longueurs avant de rentrer dans le dernier quart de l'intrigue, le film maintient une pression permanente par son montage qui passe d'une époque à l'autre avec toujours le bon tempo pour ne jamais perdre la tension en restant trop longtemps dans le passé. Le travail d'écriture est admirable à ce titre puisque chaque scène est conçue pour la plus concise et dense. Par exemple, les parents du mari n'apparaissent qu'une seule fois mais leur présence est marquante sans être forcée ni trop explicative.
Certains flash-backs peuvent paraître superflu d'un point de vue narratif, ils ne le sont cependant absolument jamais sur celui psychologique. Chaque nouvelle séquence vient enrichir les personnages les uns par rapport aux entres, y compris après la découverte de l'adultère (où l'épouse semble toujours attaché à son époux tendis que lui ne plus désormais plus l'embrasser sans s'essuyer la bouche dans la foulée).
Le gardien de feu n'est pas qu'un simple mélodrame, c'est une tragédie poignante et cruelle mais inéluctable qui saisit à la gorge et prend aux tripes. Le sort des protagonistes est véritablement "scellé" dès les premières minutes. Il sera entretenu jusqu'à la fin stupéfiante et sans appelle d'un violente glaçante. On pourrait toutefois regretter que le scénario ne cultive pas plus l’ambiguïté sur la culpabilité de l'épouse et de son "cousin", ce qui aurait rendu cette histoire encore plus profonde.
On ne va pas se plaindre, on tient ici un petit bijou où toute l'équipe technique, le cinéaste et les comédiens ont livrés le meilleur d'eux-mêmes. :D

Ce film a été très récemment restauré par la cinémathèque qui disposait de la seule copie existante à ce jour. Celle-ci n'était pas projetable en l'état ; il s'agit donc vraisemblablement de sa première projection depuis très très longtemps ! :o
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Thumette (Alice Tissot) surveille Delaïk (M.-L. Iribe) et Louarn (M. Floresco)

Le Gardien du feu (1924, Gaston Ravel) avec René Navarre, Marie-Louise Iribe, Michaël Floresco et Alice Tissot

Le gardien de phare Goulven Névès (R. Navarre) a épousée la jolie Delaïk (M.-L. Iribe). Leur mariage est heureux jusqu'au jour où il est nommé sur le phare de Gorlebella qui est situé en haute mer...

Gaston Ravel est bon artisan dont j'ai maintenant vu quatre longs métrages et un certain nombre de courts-métrages Gaumont. Il a un métier solide à défaut d'une grande imagination. Ce Gardien du feu fait cependant partie de ses meilleurs oeuvres avec Jocaste (1925). A partir d'un roman régionaliste d'Anatole Le Braz, il tisse un drame intimiste sur fond de Bretagne "bretonnante". René Navarre est un gardien de phare à cheval sur les principes qui a du mal à comprendre le mal être de sa jeune et jolie épouse (une délicieuse Marie-Louise Iribe) qui vient de Tréguier. Elle ne s'adapte pas à l'univers hostile et âpre du Finistère qui semble incarné dans la silhouette noire et sinistre de Thumette Chevanton (Alice Tissot), une autre femme de gardien qui vient de l'Ile de Sein. Ce qui devait arriver arrive: Delaïk trompe son époux - absent durant des mois - avec son cousin, le joyeux Hervé Louarn (Michaël Floresco). Elle suscite ainsi la jalousie de Thumette, elle aussi éprise de Louarn. Elle prend plaisir à informer l'infortuné époux qui va ourdir une vengeance machiavélique. La structure du film est une agréable surprise en ce que l'histoire de Goulven nous est contée par une série de flash-backs alors qu'il a enfermé les amants dans une chambre du phare où il va les laisser mourir de faim, de soif et de folie. Tourné en Bretagne, le film capture la brise marine et l'âpre paysage de la pointe du Raz. Ce nouveau tirage de la Cinémathèque est d'excellente qualité et permet d'apprécier le travail des opérateurs. Les acteurs sont en parfait accord avec leur personnage, de Marie-Louise Iribe, en jeune épouse vive et joyeuse à René Navarre, l'époux trompé dont l'amour tourne à la haine ainsi qu'Alice Tissot en sombre créature envieuse et mauvaise. Le film ne souffre que d'une narration un peu trop étirée avec sa durée de 104 min car la tension se relâche aux deux tiers du film. Sans aucun doute, un des meilleurs films de Gaston Ravel.
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Si vous n'avez rien à faire demain (ou le samedi suivant), la Fondation Pathé diffuse d'une traite les Misérables d'Henri Fescourt (1925) dans sa version restaurée... soit 6-7 heures de projection d'affilé :o :D

http://www.fondation-jeromeseydoux-path ... 7T13:00:00

Je vais le tenter et si je suis encore en forme en sortant, j'enchaîne avec le Olmi de 21h45 à la cinémathèque :mrgreen:
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(parties 1 et 2)
Les Misérables (1925, H. Fescourt) avec Gabriel Gabrio, Sandra Milowanoff, Jean Toulout, Andrée Rolane, Renée Carl et Georges Saillard

Jean Valjean (G. Gabrio) sort du bagne après 19 ans. Alors que toutes les portes se ferment devant lui, Mr Myriel (Paul Jorge) lui offre le gîte. Valjean lui dérobe son argenterie et pourtant Myriel L'innocente face aux gendarmes...

La superbe adaptation du roman de Victor Hugo réalisée par Henri Fescourt pour la Société des Cinéromans est de nouveau visible à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé dans une nouvelle restauration numérique 4K. J'avais vu le film en 2009 dans une copie teintée de la Cinémathèque de Toulouse qui était déjà de belle qualité, mais cette restauration offre une qualité d'image époustouflante avec une finesse des détails et des contrastes, et des teintages et virages numériques parfaitement dosés. C'est donc un plaisir de se replonger dans l'univers de Victor Hugo dans ces conditions. Les personnages des Misérables sont des achétypes du mélodrame: l'ancien bagnard, la fille-mère abandonnée, l'enfant martyrisée, le curé magnanime etc. Et pourtant, cette histoire demeure palpitante même après la vision de nombreuses versions filmées. Fescourt se montre à la hauteur du challenge: retracer en plus de six heures l'oeuvre hugolienne avec une troupe de comédiens parfaitement choisis. Délaissant les studios, il part sur les traces de ses personnages à Digne et à Montreuil-sur-mer avec des extérieurs particulièrement saisissants qui nous projettent au dix-neuvième siècle. Jean Valjean a été icarné au cinéma par de très grands acteurs tels que Henry-Krauss dans la première version cinématographique d'Albert Capellani en 1912 et évidemment par Harry Baur dans la version parlante de 1934 réalisée par Raymond Bernard. Le Valjean de 1925, Gabriel Gabrio, est lui aussi un merveilleux interprète du rôle. Plus jeune que ses confrères, il confère au personnage du bagnard un regard, une silhouette et une présence que l'on n'oublie pas. Le bagnard asocial redevient peu à peu sous nos yeux un être humain sous l'influence du très bon et très saint Monseigneur Myriel. Fescourt a le temps de nous montrer la lente progression de l'homme sous l'écorce de la bête. Pour incarner Fantine, Fescourt s'est tourné vers la merveilleuse Sandra Milowanoff, qui pourtant n'avait pas été son premier choix pour le rôle. Elle n'avait pas de formation théâtrale car elle venait de la danse. C'est Feuillade qui fit d'elle une actrice de cinéma en 1920 et bien lui en prit. Il n'y a aucun geste théâtral chez elle, elle se déplace d'instinct comme une danseuse. Elle évite les excès mélodramatique et réussit à nous faire verser une larme lorsqu'elle se décide à aller se prostituer pour payer la pension de Cosette. Elle vit son rôle plus qu'elle ne l'interprète. Le malheureux spectre qui se déplace sous la neige se transforme en furie face au dandy qui la maltraite. La petite Cosette, jouée par Andrée Rolane, est meilleure que Gaby Triquet dans la version de Raymond Bernard. Son allure maigrichonne et ses grands yeux qui lui mangent le visage font d'elle la proie parfaite du couple Thénardier. Evitant la caricature, Renée Carl est une mégère poissarde sans excès et son cher époux, menteur et cupide, est joué par Georges Saillard. Il y a plusieurs séquences dans ces deux premières parties qui restent en mémoire, en particulier la descente aux enfers de Fantine dans les rues de Montreuil et la frayeur de Cosette dans les bois où les arbres prennent vie. Ces Misérables sont le chef d'oeuvre de Fescourt avec sa magnifique adaptation de Monte-Cristo (1928). Vivement la suite!
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Je me suis fait la projo intégrale samedi et j'ai aussi beaucoup aimé (surtout les parties 2 et 4). Il faut que je finisse mon texte d'ailleurs.
J'ai largement préféré cette adaptation à son Monte Christo qui est loin d'avoir la même sensibilité et qui demeure plus inégale en terme de mise en scène.
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Et voici la fin des Misérables.

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Parties 3 & 4
Les Misérables (1925, H. Fescourt) avec Gabriel Gabrio, Sandra Milowanoff, Jean Toulout, François Rozet, Suzanne Nivette, Renée Carl et Georges Saillard

Cosette (S. Milowanoff) vit à Paris avec son père adoptif Valjean (G. Gabrio). Un jour, au jardin du Luxembourg, ils croisent le chemin de Marius (François Rozet) un jeune étudiant qui tombe amoureux de Cosette...

Dans les deux dernières parties de l'adaptation-fleuve d'Henri Fescourt, de nouveaux personnages prennent le premier plan par rapport à Valjean, Javert et Cosette. C'est ainsi que nous faisons connaissance avec Marius (François Rozet) dont le père et le grand-père se sont déchirés à cause de l'Empereur Napoléon. le jeune étudiant est souvent un personnage assez fade dans les adaptations cinématographiques. François Rozet s'en tire plutôt bien. La famille Thénardier se terre maintenant dans un galetas sous le nom de Jondrette ce qui n'empêche pas le père (G. Saillard) de continuer ses combines et ses rapines. C'est Eponine qui entre dans la lumière, magnifiquement interprétée par Suzanne Nivette (Mme Saillard à a ville) au corps gracile et androgyne. La fille des Thénardier est tenaillée par des sentiments contradictoires, son amour pour Marius qui l'ignore et sa jalousie pour sa rivale, Cosette. Elle montrera finalement son abnégation en mourant dans les bras de celui qu'elle aimait sans retour.
La dernière partie du film est riche en grandes scènes spectaculaires comme celle des barricades où meurent Eponine et Gavroche. Comme pour toutes les versions filmées, cette scène a été tournée en studio, sans que le sens du réel en soit bouleversé. Fescourt réussit à maintenir le suspense jusqu'à l'arrivée de Valjean qui va épargner la vie de son ennemi de toujours, le policier Javert. Les dernières confrontations entre les deux hommes montrent un sens aigu de la caractérisation chez Gabriel Gabrio et Jean Toulout. Javert voit tous ses repères anéantis en découvrant la grandeur d'âme de l'ancien forçat, une séquence d'introspection où Toulout montre tout son talent. Sandra Milowanoff a la difficile tâche d'incarner Cosette jeune fille après avoir été Fantine. Sa Cosette est légère et sans mièvrerie et se différencie facilement de sa douloureuse mère. Au total, c'est une superbe adaptation du roman de Hugo qui sera - je l'espère - un jour disponible en DVD, maintenant qu'il existe une splendide copie numérique.
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Pour rester sur la Fondation Pathé, il organise dans un quelques semaine un cycle autour de René Leprince. Je ne connais absolument pas. Il y a des choses bien ?
(sachant qu'avec le boulot, les possibilités de séance seront réduites).
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Portrait d'un mogul à la française des années 1920, Jean Sapène, sur mon Blog.
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Re: Cinéma muet français

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Mme de Pompadour (Claude France) en petite tenue

Fanfan la Tulipe (1925, René Leprince) en 8 épisodes avec Aimé Simon-Girard, Simone Vaudry, Claude France, Renée Héribel, Paul Guidé et Pierre de Guingand

Episodes 1 à 5
Fanfan-la-Tulipe (A. Simon-Girard) est un enfant trouvé ansi surnommé car il fut découvert dans un champ de tulipes. Ne pouvant épouser Perrette (S. Vaudry) qu'il aime, il s'engage dans les armées du roi...

Contrairement à ce qu'on pourrait penser le personnage de Fanfan-la-Tulipe est arrivé sur les écrans bien avant le film avec Gérard Philipe. En 1925, la Société des Cinéromans de Jean Sapène met en production un film en épisodes sur un scénario original de Pierre-Gilles Veber, le père de Francis Veber. Il invente une trame romanesque, dans le style des romans d'Alexandre Dumas, où les personnages de fiction (Fanfan, Fier-à-bras) croisent les personnages historiques (le Maréchal de Saxe, Louis XV, Mme de Pompadour). C'est tout l"univers de la France du XVIIIe siècle qui est recréé devant nos yeux, utilisant avec bonheur le château de Versailles, de Chambord et d'autres extérieurs enchanteurs. L'intrigue n'a rien à voir avec celle du film de Christian-Jaque à part que notre héros est soldat dans l'armée du roi. Aimé Simon-Girard joue Fanfan comme un petit paysan jovial et naïf qui se laisse facilement emporter par ses émotions. Plutôt qu'un personnage moteur de l'action, il est victime des intrigues du malfaisant Chevalier de Lürbeck (Paul Guidé) et du Marquis d'Aurilly (Pierre de Guingand). Nous sommes plongés dans les intrigues de cour où la Marquise de Pompadour (Claude France) tente de reprendre la main face au mystérieux Lürbeck, qui espionne à tout va. L'auteur du scénario a eu la bonne idée de corser l'action en y ajoutant deux autres personnages historiques que sont l'actrice Mme Favart (Renée Héribel) et son époux le dramaturge Charles-Simon Favart (Jean Peyrière). Aux intrigues amoureuses s'opposent les aventures guerrières du Maréchal de Saxe lors de la guerre dans les Flandres contre les Anglais. Il y a donc suffisamment de matériel pour tenir 8 épisodes (405 min) en introduisant tous les ingrédients du roman-feuilleton: poursuites, enlèvements, déguisements, etc. Ce n'est finalement pas le héros qui retient notre attention, si ce n'est pas ses espiègleries, comme lorsqu'il se travestit en femme, mais plutôt le traître élégant et machiavélique joué par Paul Guidé, qui joue sur tous les tableaux, en renseignant le roi et ses ennemis. Les dames du feuilleton sont les fort jolies Simon Vaudry, la petite Perrette, la gracieuse Renée Héribel et Claude France qui compose une Mme de Pompadour tout à fait crédible. Elles apparaissent toutes dans une séquence de déshabillage qui a dû fort titiller le spectateur de 1925. Si René Leprince n'est pas un très grand réalisateur, il offre un film honnête de bon faiseur, profitant des services d'excellents opérateurs et de décors et de costumes somptueux. le film est projeté en ce moment à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Les prochains épisodes sont vendredi prochain. A bientôt!
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Re: Cinéma muet français

Message par bruce randylan »

Je voulais tenter Vent debout de Leprince justement aujourd'hui... Colis suspect sur la ligne 4... Pas de Fondation Pathé. :evil: :(
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Re: Cinéma muet français

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L'Occident (1928, Henri Fescourt) avec Claudia Victrix, Jaque Catelain, Lucien Dalsace, Paul Guidé, Hughes de Bagratide et Andrée Rolane

Au Maroc, Hassina (C. Victrix) sauve la vie du capitaine Cadières (L. Dalsace) venu déloger les djouchs menés par Taïeb (H. de Bagratide) qui la retient captive. Elle part avec Cadières laissant sa soeur Fathima (A. Rolane) aux mains de Taïeb...

La pièce L'Occident du dramaturge belge Henri Kistemaeckers avait déjà été adaptée à l'écran en 1918 par Albert Capellani avec Alla Nazimova sous le titre Eye for Eye. Le film américain ayant disparu - à part à un court fragment - on ne peut donc le comparer au remake réalisé par Henri Fescourt en 1927 pour le compte de la société des Cinéromans de Jean Sapène. Il est cependant absolument certain que Capellani avait à sa disposition une grande actrice en la personne d'Alla Nazimova. Malheureusement, pour Henri Fescourt, il n'en est pas de même. Il doit accepter de diriger la femme de Sapène, la totalement incompétente Claudia Victrix. Le tournage fut donc un long calvaire pour Fescourt, qui outre ses déboires avec la Victrix, dût faire face à de nombreux incidents et accidents au Maroc. L'intrigue de Kistemaeckers est celle d'un mélo échevelé dans une France coloniale triomphante. La France "protectrice" bombarde les côtes marocaines pour déloger les Djouchs, ces bandits pillards qui la dérangent. Sur ce fond politiquement incorrect et désuet se superpose l'intrigue amoureuse qui oppose Cadières (Lucien Dalsace) et Saint-Guil (Jaque Catelain) tous deux amoureux d'Hassina. La prestation de Claudia Victrix suscite de nombreuses fois le fou rire car elle cumule les maladresses avec une persistance d'amateur. Elle ne sait pas bouger, elle est empotée, maladroite et en plus, elle n'est pas du tout photogénique avec un long nez, une bouche en coeur soulignée par un trait de rouge à lèvres maladroit et un visage ingrat. Les opérateurs et le réalisateur semblent avoir renoncé à la mettre en valeur. Et en plus, elle est aussi expressive qu'une bûche. Il est difficile de ne pas éclater de rire lorsqu'on voit Hassina dire, le plus sérieusement du monde, "J'ai bu son sang. Je luis appartiens," après avoir sucé la plaie de Cadières mordu par un serpent. Alors que reste-t-il à sauver dans ce film que Fescourt renia après son tournage? Eh bien, le metteur en scène a eu l'excellente idée d'utiliser la petite Andrée Rolane, qui fut la superbe Cosette enfant de sa version des Misérables (1925), à qui il confie le "clou" du film. Et la gamine d'une dizaine d'années vole facilement la vedette à son aînée par ses qualités d'interprète. Dans un bouge à marins, elle doit danser sur une table au son d'un tambour. La séquence est rythmée à la perfection comme celle du 'Trou à charbon' dans le Kean (1924) d'Alexandre Volkoff. La foule l'observe alors que Taïeb la force à danser de plus en plus vite. Le montage se fait frénétique et la caméra devient subjective, nous montrant le vertige qui saisit la gamine épuisée. Pour cette seule séquence, le film mérite d'être vu. Mais, on peut comprendre le découragement de Fescourt face à une actrice qui n'en était pas une...
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Fanfan (A. Simon-Girard) et le Maréchal de Saxe (Alexandre Colas)

Episodes 6 à 8
Fanfan la Tulipe (1925) en 8 épisodes de René Leprince avec Aimé Simon-Girard, Paul Guidé, Simone Vaudry, Renée Héribel et Pierre de Guingand

Fanfan la Tulipe (A. Simon-Girard) est le porte-drapeau du Maréchal de Saxe à la bataille de Fontenoy. Le Chevalier de Lürbeck (P. Guidé) a fait enlever Perrette (S. Vaudry) pour forcer le Marquis d'Aurilly (P. Guingand) à lui fournir des missives secrètes...

Pour les derniers épisodes de Fanfan, Le rythme du récit s'accélère. Le Chevalier de Lürbeck élimine une complice trop bavarde en tirant à travers une vitre teintée. Les problèmes personnels des personnages s'effacent face aux événements historiques. La bataille de Fontenoy est un enjeu crucial qui va mobiliser tous les héros et les traîtres de notre histoire. Lürbeck espionne à tout va pour renseigner les Anglais usant de l'intrigue et de la menace. Fanfan, appelé au front, va devoir secourir le roi Louis XV ainsi que d'Aurilly des griffes de ce redoutable adversaire. Pour la reconsitution de la bataille de Fontenoy, on a mobilisé d'importants moyens de figuration: un régiment d'Ecossais en kilt attaquent les Français dont certains sont perchés dans les arbres. Il y a moult charges de cavalerie et autre combats corps à corps. Certes, la réalisation reste fort sage. On est loin des effets techniques éblouissants d'Abel Gance dans Napoléon (1927). Néanmoins, le dernier épisode tient en haleine sans problèmes et les acteurs font tous preuve d'excellentes qualités athlétiques dans leurs rôles respectifs qu'ils chevauchent à bride abattue ou qu'ils ferraillent avec une belle énergie. Dans le style roman-feuilleton, ce Fanfan la Tulipe tient extrêmement bien la route comme les meilleurs feuilletons de l'ORTF savaient le faire. Un très agréable divertissement qui est un plaisir pour l'oeil.
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