David Wark Griffith (1875-1948)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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someone1600
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Re: David Wark Griffith

Message par someone1600 »

Tu vois ces films a partir d'enregistrements tele, ou de dvd ? :?

Faudrait bien que je regarde Orphans of the storm... :oops: :roll:
allen john
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

someone1600 a écrit :Tu vois ces films a partir d'enregistrements tele, ou de dvd ? :?
Sur DVD. Les films que j'ai passé jusqu'ici en revue provenaient de :
Biograph shorts (Kino)
D.W.Griffith, years of discovery (Image)
The avenging conscience (Kino)
Birth of a nation + Civil war shorts (Kino)
Intolerance (Kino) et (Eureka)
Broken Blossoms (Eureka)
Way down east (Eureka)
et divers DVD de compilation.
someone1600
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Re: David Wark Griffith

Message par someone1600 »

Faudra que j'explore le catalogue Kino un jour... il y a des perles parmis ca... :wink:
allen john
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par allen john »

Orphans of the storm (1921)

Le traitement de l'Histoire chez Griffith est une affaire entendue: il suffit de voir ou revioir le début de ce film pour comprendre: en quelques plans, quelques intertitres, Griffith nous refait l'histoire de France afin de proposer aux spectateurs un contexte approprié aux aventures de ses héroïnes prises dans la tourmente. Il assène donc que les Français sont mal gouvernés (Par des Kingly bosses, pas par un roi, la nuance est intéressante) et qu'ils vont légitimement se révolter contre les nobles et leur gouvernement. mais il nous propose aussi en complément la suite de l'histoire dans laquelle il assimile joyeusement Robespierre aux bolchéviks. Il termine son introduction en conseillant aux Américains de ne pas se laisser faire par la tentation du communisme. Comment pourrait-on le prendre au sérieux après ça? D'ailleurs le film ne nous encourage pas à la faire; ces Deux orphelines ne sont pas une leçon d'histoire, juste un mélo excessivement distrayant, qui déroule tranquillement ses 150 minutes de péripéties irrésistibles autour du vieil argument: deux jeunes filles, orphelines depuis peu, se préparent à aller à Paris pour consulter un spécialiste: l'une d'elles, Louise (Dorothy Gish) est aveugle, et pourrait éventuellement guérir. Elles arrivent dans un Paris agité que Griffith a fait exprès de situer en pleine révolution, et Henriette (Lillian Gish) se fait kidnapper dans le but de servir d'apéritif à une orgie. Laissée seule, Louise se fait enlever par une famille de margoulins, dont la mère, interprétée par la grande Louise La Verne (Pour laquelle l'expression "laideur fascinante a sans doute été inventée) terrorise la jeune fille, l'obligeant à mendier. Pendant ce temps, Henriette échappe à un destin pire que la mort, se fait des ennemis, rencontre un Danton interprété par Monte Blue et un jeune premier du nom de Joseph Schildkraut. Ca n'arrête pas, ça court dans tous les sens, les décors sont comme d'habitude très soignés...

S'attendre à la moindre innovation de la part de Griffith, ce serait trop en demander, mais s'il applique une formule, il le fait ici avec le plus grand succès, et joue soigneusement avec nos nerfs dans un grand nombre de scènes. Citons pour la bonne bouche deux scènes souvent commentées: Henriette discute avec une femme de la noblesse (Qui n'est autre que la vraie maman de Louise qui a été adoptée par la famille d'Henriette), lorsqu'elle entend, venant de la rue, la voix de sa soeur; Elle est en train de mendier dans la rue: Henriette la reconnait, l'appelle, et s'ensuit une scène d'hystérie collective menée sans faux semblants par les soeurs Gish... Sinon, l'inévitable scène de condamnation à mort, suivie de charrette, suivie de menace de guillotine, donne lieu à un climax en pleine forme de Griffith, qui se plait à ajouter une dosette de sadisme en plus pour enrichir le tout: lorsque Henriette est condamnée à mort, Louise est dans la salle. les plans de Jacques-Sans-oubli, le juge qui en veut personnellement à Henriette en qui il voit un symbole de l'oppression et de la collaboration, sont alternés avec ceux de Louise qui essaie de comprendre la situation, et avec ceux d'Henriette qui demande a être condamnée en silence pour épargner sa soeur, qu'elle a cherchée durant tout le film. Danton s'improvise en sauveur de jeune fille en détresse, avec ses cavaliers qui nous rappellent une autre chevauchée, décidément dans toutes les mémoires.

Donc, c'est très distrayant, mais le fait est que Griffith n'a plus de bouleversement à apporter. Ce film a été exploité avec un système de sonorisation (Déja essayé sur Dream Street, en 1920) et un procédé d'illumination pour compléter le teintage, déja utilisé dès Broken Blossoms. On remarquera que les innovations techniques ainsi mises en avant par la publicité sont extérieures au film: après Intolerance et son histoire compliquée, Griffith n'a peut-être plus envie de prendre des risques. Après tout, en 1921, il appartient à la vieille garde; ce film, un véhicule pour les soeurs Gish qui s'apprêtent à quitter Griffith, est bouclé avec panache, mais sera suivi d'autres oeuvres qui peineront, si on en croit les réactions des critiques, contemporains et autres, à rivaliser avec les Lubitsch, Stroheim, Chaplin, Ingram... Mais il faut défendre ces films, qui nous réservent sans doute d'autres frissons, des petits plaisirs, et peut-être plus... Ici, réjouissons-nous de quitter les soeurs Gish ensemble, dans un film haut en couleurs.
Dernière modification par allen john le 30 juin 09, 18:09, modifié 1 fois.
someone1600
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par someone1600 »

Orphans of the Storm (1921)

Image

Premier film de Griffith que je vois, et je n'ai pas été decu. Sur fond de révolution francaise, Griffith nous fait voir le périple de deux jeunes soeurs dont l'une est aveugle qui sont séparé a leur arrivé a Paris. L'histoire est pleine de suspence particulierement a la fin, alors que Henriette est sur le point d'etre guillotiné et que son sauveur doit faire face a une foule en folie. Terrifiant comme Griffith maitrise l'art du montage et des les années 20, avec des procédés que tous utilisent aujourd'hui. Je crois qu'il s'agit de la derniere grande oeuvre de Griffith qui a presque tout inventé depuis les debuts du cinéma. Un excellent film et un chef d'oeuvre du muet.

Note : 9 / 10
allen john
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

Un petit truc en plus pourcrevenir sur les versions d'Intolerance
allen john a écrit :Intolerance a deux montages distincts, dont les différences sont en fait présentes dans les intetitres, et donc dans les intentions, mais aussi dans deux séquences absentes de la version Kino et de son édition Française chez MK2. La scène de la fusillade, dans la version courante, est montrée avec des policiers (Ou miliciens) qui tirent sur la foule. Un intertitre de l'autre version nous informe que les miliciens en question n'utilisent que des balles à blancs, les morts durant la fusillade seront dus aux balles des employés briseurs de grève de Jenkins. Un épisode de la chute de Babylone est également présent (Et répertorié dans le découpage publié par les Cahiers il ya quelques années maintenant) mais il est clairement redondant. son seul argument est de représenter une rencontre plus importante entre Balthazar et la fille des Montagnes. Une séquence supplémentaire, enfin, donne à voir la fin de l'intrigue moderne avec le bébé qui est rendu à la petite famille une fois le mari innocenté. C'est sans doute une fin alternative, dont l'intention était de finir de rassurer dans les chaumières. Une question toutefois: et Miriam Cooper, qu'advient-il d'elle? Dans le film, on la voit quitter la prison bras-dessus bras-dessous avec Tom Wilson, le futur policeman de The Kid. Elle vient de confesser un meurtre, pourtant... Aucun changement dans cette version à ce sujet. Bon, si vous souhaitez voir ces images supplémentaires, elles sont sur le DVD Eureka
La version (très belle) diffusée ces derniers temps sur Arte est cette version "augmentée", avec des teintes plutôt adéquate, sauf les rouges décidément trop poussés. On peut donc y voir, dans de bonnes conditions, les scènes supplémentaires négligées par Kino.
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cinephage
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par cinephage »

Kevin Brownlow en parle dans son livre Les pionniers du cinéma :
Griffith avait placé une séquence brutale où des miliciens tirent à la mitrailleuse sur des grévistes et tuent le père du garçon. (...) Mais, à l'époque, personne ne pouvait lui reprocher de diffamer les autorités ; troupes régulières ou détectives tiraient régulièrement sur les travailleurs. C'était un des risques des conflits sociaux. Griffith s'était inspiré du massacre de Ludlow et de la grève de Bayonne (New Jersey). (...) Griffith suivait la tradition de Dickens : il attaquait les maux sociaux avec témérité plutôt que rationnellement. (Les réformateurs demandèrent à grands cris la censure de son film. Quand il le réédita en 1919, il dut montrer de bon réformateurs en action, et insérer un titre expliquant que les troupes qui mitraillaient les grévistes tiraient à blanc.)
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par Cinematographer »

Deux conseils de lecture :

Adventures with D.W. Griffith de Karl Brown (assistant opérateur de l’immense Billy Bitzer), Ed : Secker & Warburg.

Billy Bitzer : His story de Bitzer, ed : Farrar, Straus & Giroux.
"There are so many pictures being made today that are dependent on the dialogue; sometimes you find yourself essentially photographing words, and that's OK. But this was a great opportunity to work with a director who was interested in visual storytelling." John Toll
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par Tancrède »

que valent les DVD Bach films ? est-ce potable ?
notamment True heart susie ?
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par allen john »

Tancrède a écrit :que valent les DVD Bach films ? est-ce potable ?
notamment True heart susie ?
Je n'en ai aucun, mais d'une part les DVD Bach films sortent toujours après la mise à disposition (Par Kino, Image ou Milestone notamment) de DVD d'assez bonne qualité de ces films, donc il ya peut-être une sorte de piratage semble-t-il relativement légal puisque les films sont dans le domaine public. Mais ils sont également tripatouillés, avec l'ajout d'intertitres Français neutres et sans âme. D'autre part, s'il s'agit seulement de voir les films, ils le permettent. C'est déja ça.
allen john
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par allen john »

AMERICA (1924)

Sorti en 1924 sous le titre America or love and sacrifice, cette grosse production avait hérité du titre Français, supposé plus explicite, de « Pour l’indépendance ». L’ironie, c’est que derrière cette rare intrusion du prestigieux cinéaste presque quinquagénaire dans l’histoire sacrée de la Révolution Américaine, se cache la dernière tentative de sauver son indépendance et son statut de père du cinéma Américain. C’est raté ; 1924 est une très grande année : sortie de classiques immortels (Greed, Thief of Bagdad, The marriage circle, The iron horse) , réalisation de grandes œuvres (The gold rush) et aussi la création de la MGM , qui éclaire d’un jour nouveau l’économie et le mode de production du film US. Entre l’affirmation d’un art de metteur en scène voulu par Griffith, et la toute puissance du système de production dans lequel le « director » est un employé, l’histoire a tranché. Bien sur, d’autres auteurs ont réussi à maintenir leur position, tels Chaplin ou DeMille, mais Griffith était déjà dans une position délicate depuis trop longtemps. Qui plus est, comparé à la concurrence, son film ne tient pas la route…

Griffith se lance donc dans un quitte ou double qui doit lui permettre de redorer son blason : depuis Orphans of the storm, aucun film n’a marché, et ceux qui auraient eu des chances de rapporter des sous ont vu leur budget alourdi par des dépenses imprévues : on l’a beaucoup dit, et cela pourrait être vrai :la nouvelle vedette de Griffith, Carol Dempster, a exigé de son mentor un final grandiose pour un petit film (One exciting night), afin de se voir traitée à l’égal de Lillian Gish… le budget a ainsi explosé, rendant tout bénéfice impossible pour ce qui était à la base une petite comédie à suspense. Dempster, dont Griffith s’obstinait à vouloir faire une star, est de retour ici, avec un ensemble d’acteurs parmi lesquels le seul vétéran vraiment visible est le grand Lionel Barrymore. Sinon, Neil Hamilton et Louis Wolheim pour s’en tenir aux noms connus, sont de la partie. Le bon vieux Bitzer est toujours là, mais il n’est que l’un des opérateurs. Sinon, le scénario est crédit à l’écrivain Robert Chambers (Ce n’est pas un énième pseudonyme de Griffith) et pourtant, l’histoire de ce nouveau film est un ensemble de scènes recyclées de Intolerance, Birth of a nation, et Orphans of the storm.

Le but officiellement poursuivi par Griffith est commémoratif : donner à voir aux spectateurs Américains un album d’image, tourné en Nouvelle-Angleterre, des grandes dates de la guerre d’indépendance, rassembées en une histoire typiquement griffithienne : en Virginie, une famille « Tory » (Loyale à l’Angleterre), les Montague, assiste à l’éclosion d’une rebellion, dont l’un des membres, le jeune Nathan Holden (Hamilton), est amoureux de la jeune Nancy Montague (Dempster). Les Montague, par ailleurs amis de George Washington, restent volontiers loyalistes, jusqu’ à ce qu’un certain nombre d’incidents les poussent à changer de camp : le jeune Charles, d’abord, va rejoindre les rebelles, après avoir assisté à une répression sanglante (Réminiscente de Intolerance). Nancy choisit le camp rebelle par amour, et le père Montague réagit après avoir été témoin du comportement ignoble des soldats loyalistes acoquinés avec des Indiens (A la façon du père Stoneman, qui professe l’égalité durant tous le film, mais s’indigne des demandes extravagantes de Sylas Lynch dans Birth of a nation). Le film est noyé sous les intertitres, qui redondent à tout va, explicitent et didactisen,t, et excusent un certain nombre de choses. Afin de ne pas s’aliéner le public Anglais, Griffith a par ailleurs un réflexe malheureux, renvoyant l’essentiel des combats menés au nom du roi à la responsabilité d’un groupe de renégats menés par le capitaine Butler (Barrymore) présenté souvent comme une être aux passions débridées : on devine que l’homme ne déteste pas ajouter des squaws à son ordinaire ; ses hommes font pire : ils se déguisent en Indiens pour commettre leurs forfaits. Pour un peu, on croirait à la vision du film que cette guerre d’indépendance a été principalement un combat pour la pureté de la race… Fâcheux coup pour la célébration de la naissance des idéaux politiques démocratiques Américains, passés à la trappe. Sinon, les images d’Epinal sont là, la reddition de Cornwallis à Washington, la prière de Washington à Valley Forge sur un tapis de neige, la chevauchée de Paul Revere… ce sont les plans les mieux composés du film. Les scènes de bataille retrouvent la lisibilité légendaire de Naissance d’une nation, et Griffith ayant posé une famille comme principal vecteur de son histoire peut laisser libre cours à son motif favori : la maison assiégée. La meilleure séquence du film voit ainsi Barrymore et ses soldats s’inviter chez les Montague, et envahir la maison ou les orgies et beuveries vont se succéder. La vertu de Nancy Montague, convoitée par le Capitaine Butler, devient ainsi l’enjeu de la lutte, lorsque Nathan Holden s’introduit dans les lieux pour déjouer les plans des ses ennemis. Cette scène est aussi un rappel de Four horsemen of the apocalypse, en moins efficace : on se souvient de ce manoir pris d’assaut par les soudards Allemands menés par un Wallace Beery en répugnant officier prussien. Mais dans le film d’Ingram, il n’y avait pas cette menace de viol, un trait décidément ultra-Griffithien. A ce sujet, Dempster, l’héroïne que tous convoitent, n’est pas mauvaise, contrairement à la légende. Son visage particulier et ses yeux étranges lui donnent une allure intéressante, et lors d’une scène avec Barrymore, elle joue beaucoup de sa présence corporelle (Elle était danseuse). La scène de la mort d’un proche est jouée avec une sincérité inattendue et de vraies larmes, ou en tout cas ce qui y ressemble… Une autre scène située à la fin du film voit les héros réfugiés dans un fort, envahis par des Indiens assoiffés de sang, pendant que les rebelles chevauchent afin de les sauver… Pourquoi changer de marmite quand la soupe est bonne ?

Bon, sans être un pensum de bout en bout, le film n’est pas brillant. Le motif familial auquel le metteur en scène tenait tant a fait long feu, et on s’irrite de le voir ressortir une fois de plus, surtout lorsque sur le même principe, Ford a fait beaucoup mieux la même année(La vision Lincolnienne des Etats-Unis comme une famille à unir, renvoyant à la symbolique du train, fil rouge de The iron horse, un film dans lequel l’influence Griffithienne est très présente.) De surcroît, America est un gros mélange, on l’a vu, et les gênantes opinions raciales de Griffith ne peuvent décidément pas se cacher. Qui plus est, ce film est sans doute celui pour lequel la vision historique est la plus crûment démontrée comme indigente. L’âge? Le fait de n’avoir plus rien à perdre? Qui sait. En tout cas, le muet se finira sans qu’aucune épopée Griffithienne ne voit le jour. Quant à son indépendance, elle était définitivement derrière lui. En 1926, après d’autres films moins imposants que celui-ci, Griffith allait tourner pour la Paramount Sorrows of Satan.
allen john
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Message par allen john »

SALLY OF THE SAWDUST (1925)

En 1925, Griffith est amené à produire ce film d’après une pièce à succès, Poppy, dans laquelle s’est illustré W.C. Fields. On peut s’étonner d’un pareil choix, et les critiques se sont généralement divisés en deux camps distincts : les défenseurs du film, attribuant généralement les qualités à Fields, parfaitement à l’aise dans un rôle sur mesure, et les détracteurs, qui ne pardonnent pas à Griffith de s’attaquer à un sujet qui ne lui convient pas. Sans parler de la malédiction de Carol Dempster sur les épaules de laquelle le film repose énormément. Pourtant, et sans aller jusqu’à suivre Claude Beylie qui s’est attaché à défendre dans un magnifique article (Griffith, sous la direction de Jean Mottet, L’Harmattan, 1984) les films jugés comme mineurs de Griffith, je donnerai sans doute tout America pour certaines séquences de ce film.

Evitant le piège du théâtre filmé, Griffith donne beaucoup de mouvement à cette histoire, basée sur un mélo typique : une jeune femme (Dempster) élevée dans un cirque a été élevée par le « proffesseur » (sic) Eustace Mcgargle (Fields), un escroc-bonimenteur qu’elle considère désormais comme son propre père. Celui-ci se rendant compte qu’il lui sera difficile d’éviter à la jeune femme les dangers de la vie (En gros, elle est jolie et naïve, et on est dans un mélo, donc tous les hommes sont des loups.), il l’emmène en Nouvelle-Angleterre afin de retrouver la famille de Sally : le grand père (Erville Alderson), un juge qui a désavoué sa fille lorsque celle-ci a épousé un homme du cirque, et une grand-mère à jamais inconsolable de la perte de son unique fille (Effie Shannon). La jeune femme, lors de ce voyage, n’est au courant ni de la filiation ni de la volonté du « proffesseur » de la confier à sa famille. Elle va, inévitablement, rencontrer un beau jeune homme (Alfred Lund) dont elle va tomber amoureux, et qui se trouve être le fils du meilleur ami du juge. Celui-ci se verra confier la tâche d’éloigner du jeune homme la saltimbanque, une mission dont il va tâcher de s’acquitter avec efficacité.

L’intrigue permet de varier les décors, depuis le cirque du début à la splendide et coûteuse maison du juge Foster, en passant par la prison, le palais de justice et même la campagne verdoyante ou des scènes de poursuite automobile quasi burlesques ont été improvisées autour de W.C. Fields. L’ensemble du film est centré non pas sur Fields lui-même, mais sur le couple Fields-Dempster, manifestement complices. Griffith, toujours attaché à mettre en valeur sa protégée contre les nombreux détracteurs, lui a d’ailleurs donné le « Star billing », avant Fields. Elle doit, dans ce film, jouer le mélodrame en usant beaucoup du canon Griffithien de la jeune adolescente infantile, à la façon de Mae Marsh dans Intolerance, avec une hyperactivité rendue plus forte par le fait que Dempster joue beaucoup de son corps (En tout bien tout honneur, on est chez Griffith, quand même) ; elle est danseuse dans le film comme dans la vie, ce qui permet à griffith de placer une scène qui nous rappelle immanquablement Way down east : invitée par Mrs Foster à danser pour ses invités, elle se déguise en dame de la haute société et dame le pion à tous les bourgeois présents, telle Lillian Gish dans une scène d’élégance au début du film précité. Le reste du film voit Sally déambuler dans une petite robe sans forme, avec des bas noirs, des chaussures plates et un chapeau boule… Dire de Dempster qu’elle est bonne actrice relève du défi, de la mission impossible, tant elle est poussée à jouer, grimacer à la façon dont Griffith s’imagine que les toutes jeunes filles le font. Certaines scènes pourtant, lui permettent de s’investir autrement. Sa faculté d’afficher des larmes, déjà remarquée dans America, est mise à profit dans les scènes au cours desquelles elle est jugée, et passe le plus clair de son temps à crier que son « Pop » va arriver pour la sauver, et la scène la voit s’enfuir, poursuivie par des policiers, dans une scène de poursuite spectaculaire : jamais elle n’y joue les poules décapitées, contrairement à Lillian Gish ou Mae Marsh : elle y possède une assurance physique qui est pour beaucoup dans le plaisir qu’on prend lors de la scène. La scène de quasi viol dans america lui permettait de montrer là aussi plus de prsence physique que l'aurait demandé Griffith à ses autres actrices ("Lève les bras au ciel, Mae! Bien, roule des yeux, maintenant!")

Fields, en, 1925, est déjà le Fields de toujours, la parole (Et quelques kilos ) en moins… il est donc burlesque dans le mélo, son regard plein d’une assurance d’escroc toise le reste du casting avec autorité. Mais le mélange, qu’il soit ou non voulu par Griffith entre comédie, voire une timide tentative de slapstick, et le mélo classique a bien du mal à prendre. Il me semble que c’est une erreur d’avoir utilisé le montage alterné pour passer d’une poursuite dramatique (Sally, dans sa fuite) à l’autre, franchement burlesque (Fields, se battant à la fois contre sa voiture et contre des poursuivants qui veulent l’empêcher de porter secours à Sally). Néanmoins, et malgré le mélange des genres, on se réjouit de voir Griffith essayer de renouveler la poursuite finale…

Au final, ce film se laisse regarder, en dépit de sa longueur ou de ses mélanges de genre mal fichus , avec plaisir. Il faut dire que le metteur en scène, peut-être résigné par son travail sur la pièce d’un autre, scénarisé par un autre (Forrest Halsey), a enfin daigné abandonner les intertitres verbeux, sentencieux tendancieux et redondants, et cela rend le film plus léger, ô combien. Sally of the sawdust a été suivi d’une autre collaboration entre Fields et Griffith, avec Carol Dempster, le film That Royle girl, mais celui-ci est perdu.
allen john
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

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THE BATTLE OF THE SEXES (1928)

En 1928, c’est un Griffith rentré dans le rang qui met en scène ce film: désormais au service de Joseph Schenck, en partenariat avec … mary Pickford pour la United Artists, le conglomérat d’artistes indépendants que Griffith a contribué à créer. S’ils l’ont laissé choisir un sujet à sa convenance (Déjà tourné lors d’une période incertaine pour faire bouillir la marmite en 1914, le film étant perdu), s’ils l’ont laissé travailler avec ce vieux Bitzer, l’ajout de Karl Struss à la cinématographie est très symbolique : il s’agit de rajeunir coûte que coûte le vieux Griffith ; de même, l’intrigue de la pièce adaptée est ramenée en plein jazz age, et les toilettes des actrices rappellent à tout moment la date de création du film.

Jean Hersholt, le Marcus de Greed, joue William Judson, un homme aux finances confortables et à la famille idéale : une épouse élégante (Belle Bennett), un fils quasi inexistant (William Bakewell), une fille volontaire et futée, Ruth (Sally o’Neill). Il croise la route d’une jeune femme (Phyllis Haver) qui en a après son argent, et va laisser le démon de (L’après-) midi détruire peu à peu sa famille… Mais heureusement, l’appât du gain chez la jeune femme est tel, et la fille Judson est si futée, que tout finira par rentrer dans l’ordre.

Avec un tel synopsis, on peine à croire qu’on est chez Griffith, et c’est d’ailleurs souvent confirmé en visionnant le film. Le problème, c’est qu’on n’est pas non plus chez Lubitsch, voire Clarence Badger ou Mal St Clair, voire Charley chase ou Harold Lloyd : le cinéma Américain des années 20, que ce soit sur son versant burlesque ou du coté sophistiqué de la comédie, savait très bien faire pétiller ce genre de film. Mais ici, en dépit de quelques scènes fort distrayantes, et malgré l’attachement réel qu’on porte aux personnages, ce bon Judson en tête (C’est un Hersholt en mode Nounours !), on ne peut pas dire que ça pétille! De plus, Griffith choisit la rupture de ton afin de pouvoir rattraper le film avec son forte, le suspense émotionnel, mais les scènes (un égarement de Mrs Judson, qui va peut-être se jeter dans le vide, puis le désir de Ruth de tuer la maitresse de son père), mais ces scènes ne s’intègrent pas dans l’ensemble. Aussi sympathique soit-il, Hersholt ne peut pas non plus empêcher l’ennui de s’installer devant ces scènes de comédie poussive qui le voient longuement se battre avec des techniques pour maigrir, sur plusieurs longues minutes de pellicule : Griffith, on le sait depuis Way down East, ne comprenait pas grand chose à la comédie. Avec tous ces défauts, le film reste quand même franchement regardable, mais on regrette que le metteur en scène se soit contenté, tant qu’à explorer le versant dramatique de cette situation vaudevillesque, de traiter le sujet en mode binaire : vaudeville d’un coté (La tromperie de Phyllis Haver avec un escroc, les efforts de dissimulation et les mensonges de Judson, et même le coté « Sauvons Maman ! » de la jeune Ruth) , tragédie de l’autre : pour Mrs Judson, il n’y a plus rien à faire. Mais cette figure tragique, passive et inerte, laisse à désirer. On se réjouit de voir que le metteur en scène évite au moins de retomber dans son moralisme facile, mais tant qu’à jouer la carte tragique, il aurait pu aller plus loin dans la peinture de la désagrégation du couple, dans la mise en perspective des scrupules du père (il hésite durant deux secondes !) . Mais de toutes façons, pourquoi tant en demander ? Le but de ce film, était de remettre en course le vieux Griffith, le réactualiser. C’est un film agréable, peu ambitieux, et qui a sans doute redonné confiance à la fois au metteur en scène et à ses producteurs. Griffith allait encore tourner trois films pour la United Artists, et bientôt passer au parlant.
allen john
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

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ABRAHAM LINCOLN (1930)

La réputation de ce premier film parlant est fluctuante, loué (Raisonnablement) par les uns pour l’utilisation du son, un élément dont on n’attend certes pas qu’un Griffith sache se servir, considéré par d’autres comme l’un de ces films parlants catastrophiques des débuts (Rythme lent, diction ridicule, gaucherie des mouvements de caméra), et enfin ignoré par la plupart des tenants d’un Griffith ancré à tout jamais dans le muet et qui aurait perdu son génie après 1921. De plus, une partie de la bande-son a disparu, dès les premières minutes ainsi que lors d’une des nombreuses scènes d’exposé des clichés Lincolniens : trois sortes de copies circulent : la version intégrale, ou du moins reconstituée par le MOMA, avec les plans silencieux : cette version est disponible en DVD chez Kino, avec une option de sous-titres pour compléter les dialogues et le son manquants ; Ensuite, une version complète dont les plans muets ont été simplement agrémentés de musique (Ce qui m’a longtemps fait penser que le film possédait, un peu à l’instar d’un Vampyr ou de Sous les toits de Paris, des scènes simplement volontairement muettes, ce qui n’est en rien typique d’un film Américain de l’époque. Cette version du film est disponible chez Eureka, dans une édition à la compression hasardeuse, inexpliquablement teintée. Enfin, d’autres versions amputées des passages muets circulent.

Avec ce Lincoln, Griffith a en fait trois intentions : faire son passage au parlant, d’abord, comme la plupart de ses confrères. On sait que l’enjeu pour les jeunes metteurs en scène était de taille (Comme le dit Ford : « on a tous été virés »), alors pour un vétéran comme Griffith, on comprendra qu’il y avait fort à faire. Ensuite, il lui faut encore et toujours se remettre en selle, comme durant toute la décennie qui précède. Désormais alcoolique, oublié du public, et sous la tutelle de Joe Schenck, Griffith marche sur des œufs. Pour finir, Griffith a le souci de renouer avec l’histoire, son grand domaine de prédilection, laissé en plan depuis le désastre héroÏque de America ; Avec Lincoln, Griffith pense jouer à la fois sur l’amour du public pour un héros indiscutable et ses propres obsessions historiques, déjà évoquées dans un film tristement célère dont l’ombre plane à plus d’une reprise sur ce nouvel opus, et de façon systématiquement consciente : ce n’est pas un hasard si Griffith choisira Walter Huston, ici interprète du président, pour tourner avec lui un prologue à une ressortie de Birth of a nation, sous la forme d’une conversation entre les deux hommes. Dans l’esprit de Griffith, son Lincoln était donc un film important, ce que n’étaient ni Battle of the sexes, ni Drums of love, ni Lady of the pavements, autant de besognes qu’il était contraint d’accepter avant de réintégrer sa place…

Cela a été dit avec humour, mais de façon très juste par un forumeur:
bruce randylan a écrit :Abraham Lincoln ( D.W. Griffith - 1930 )

Ca a autant d'interet qu'un manuel scolaire d'un éléve de CE2

Donc Abraham Lincoln est né au bout de 2 minutes. Il est marié au bout de 10, il est avocat au bout de 15 minutes, il est président au bout de 22 et puis c'est guerre alors il est un peu dans la deche, il gagne finallement et se fait assassiner. Mais c'est pas grave, sa statue est belle et grande.

La rapidité avec laquelle sont passée ses 1ères année sont ridicules ( 3 pauvres fondus enchainés pour un meeting electorale :roll: ), les acteurs sont vraiment à l'ouest, la mise en scène d'un platitude gênante venant de Griffith dont le seul éclat est le travelling dans la forêt au début.
Quand au portrait de l'homme, c'est tout aussi superficiel.
Certes le coté gauche, maladroit et simple de Lincoln peut le rentre attachant mais le contenu est tellement creux que la frustration est immense. En Fait l'action du président se borne à répéter "l'Union doit être préserver"

Le DVD Bach film n'est pas des brillants ( encore un master analogique ).
En effet, Giffith a fait avec ce Lincoln un pensum d’une grande platitude : d’abord, les faits sont dans les livres d’histoire, et la romance dans les esprits Américains de l’époque : tous les clichés possibles sont ici présents, et la volonté de Griffith de donner une figure christique à son président est contrebalancée par la gaucherie de l’ensemble : comme un grand nombre de films parlants des débuts, celui-ci souffre d’un cruel manque de rythme, d’un jeu faux et lent, théâtral dans les pires moments, et d’une construction sous forme d’une compilation de moments, sans réel mouvement global, sans enjeu : Lincoln va mourir. Griffith nous montre que c’est son destin, ainsi que celui de l’Amérique. A trop vouloir montrer que Lincoln est un être exceptionnel parce qu’il était simple et humain, il en fait une coquille vide, et un être exceptionnellement simplet… Huston sera meilleur en président dans Gabriel over the White House, et on passe à coté d’un portrait humain, que Ford réussira à brosser quelques années plus tard, avec un Henry Fonda visité par la grâce.

La vision de l’histoire du metteur en scène, nous l’avons vu plus d’une fois dans ce forum, est une vision ô combien personnelle, et ce jusque dans les pires excès. Des réminiscences du racisme Griffithien se sont glissées dans ce film, qui vont au-delà des limites généralemnt constatées dans les films Américains de cette époque : un acteur en « black face » se plaint qu’on lui ait donné une arme et donne raison à des sudistes qui s’inquiètent du fait d’armer les esclaves. La scène sera l’occasion pour Griffith de mettre en scène l’arrivée de John Wilkes Booth, futur assassin du président, dans un souci ridicule de faire allusion à une sorte de déterminisme historique. Mais ce qu’on retient de la scène, ce n’est pas le jeu ampoulé et théâtral de Ian Keith en Booth, mais bien le pauvre noir totalement crétin qui va se plaindre à ses maîtres qu’on a osé lui proposer un bout de liberté. De même, lors du départ des troupes sudistes la fleur au fusil, Griffith n’hésite pas à montrer des femmes noires qui dansent de façon ridicule au son de Dixie, et même si la caméra reste à distance, le plan est lourd de ces tendances et croyances instinctives chez Griffith : ces gens-là, finalement, ce sont des animaux et des grand enfants, qui ne comprennent rien à ce qui se passe autour d’eux : Griffith n’a pas besoin d’aller jusqu’à Dakar pour insulter les noirs, et il ne peut pas s’en empêcher.

Le titre Français, La révolte des esclaves, parait inapproprié vu de loin, mais ne l’est pas à la vision du film. Se rappelant du prologue de sa plus célèbre épopée, le réalisateur nous montre ici une scène laissée muette par le poids des ans, mais dont les images possèdent une force incroyable : sur un bateau négrier en pleine tempête, les marchands se débarrassent du corps d’un homme malade. Contrairement aux plans racistes évoqués plus haut, ces scènes ont été tournées avec des Afro-Américains, de surcroît nus, et possèdent une beauté effrayante, grâce à la photographie clair-obcur de Karl Struss, et le vieux truc Griffithien de filmer une scène à travers les éléments du décors, qui cachent partiellement l’action, comme avec des images volées. Lascène est suivie d’une séquence au cours de laquelle deux rassemblements privés (dans deux maisons) de citoyens nous montrent la rancœur du Sud pour le Nord et celle du Nord pour le Sud : dans les deux maisons, un portrait de Washington sert de caution et les participants lui rendent tous un hommage vibrant : il fallait un homme, un seul pour faire l’unité du pays. Et ces plans bien sur sont suivis de l’épisode consacré à la naissance de Lincoln. L’obsession d’unification présentée comme étant celle de Lincoln (C’est d’ailleurs son unique credo politique si on en croit le film, alors que Lincoln était bien plus complexe et fascinant que cela, bien sur) trouve dans dans la structure même une raison d’être, qui justifie du même coup a posteriori la propre idéologie de Griffith, déjà énoncée pour Birth of a nation. Et justement, ce film est hanté par le classique muet, comme je l’ai dit, d’abord par ses vieux démons, ensuite par le recours à des scènes de guerre (Certaines d’ailleurs fort réussies, mais toutes regroupées, elles perdent en force) et à des motifs qui renvoient au film antérieur ; la présence de Henry B. Walthall, le « petit » colonel (Il fait 1m60, donc il est petit, et il est un colonel… ) nous renvoie bien sur au colonel Cameron, et la scène peut-être la plus belle de Birth of a nation (Le meurtre de Lincoln par John Wilkes Booth, lors de la représentation dune comédie) trouve ici un écho impressionnant, qui présente trois différences notables toutefois : la présence de Elsie Stoneman et de son frère, dans la scène du meurtre de Birth of a nation, ancre la mort du président dans le domaine de l’affectif, et devient la mort du père, une tragédie personnelle donc. Ici, c’est l’histoire qui est en marche, et la caméra adopte donc le point de vue d’un narrateur potentiel. Sinon, le recours au son a deux effets : d’une part, Griffith fait faire un discours à Lincoln, qui sonne faux et ridicule dans le contexte (on a repris un discours effectué dans un autre contexte, et Huston se contente de commencer son discours par un « Comme je l’ai déjà dit… », ce qui a pour effet d’être particulièrement comique. D’autre part, la pièce est reconstituée dans ses détails, et donne du caractère à la scène ; les acteurs, sur scène, sont crédibles, et la réaction du public, son abandon à un rire salvateur, donne plus de force encore au meurtre. Mais le « Sic Semper tyrannis », asséné lentement et emphatiquement par l'acteur après son geste, casse l’effet. Cela reste, malgré tout, une belle scène, qui montre à quel point Griffith croyait en ce film.

Voilà, pour conclure je ne serai pas aussi expéditif que mon confrère, mais il faut dire que j’ai eu la chance de voir une copie plus belle, restaurée et sans doute complète. Ce film est, pour le meilleur et pour le pire, un film totalement Griffithien. Il est parlant, c’est son défaut, et nombreux sont les films réalisés en cette année 1930 qui sont hautement soporifiques : le problème est technique, et on est ici devant un cas intéressant : malgré ses défauts, ce film possède après tout une belle utilisation du son (Pas des dialogues, cruellement ratés) et avec Karl Struss désormais seul maître à bord, de belles images : quelques mouvements de caméra (Succincts mais logiques et motivés), une utilisation de la profondeur de champ, afin en particulier de sortir Lincoln du lot, et un beau plan de l’ombre du président qui annonce l’arrivée du grand homme, qui s’apprête à assumer son autorité à la surprise générale. A ce sujet, il s’agit d’ailleurs de l’unique allusion à un fait historique qu’on a tendance à oublier : Lincoln était le candidat Républicain en 1860, parce que les membres du parti croyaient vraiment pouvoir en faire ce qu’ils voulaient. Le président a habité bien vite la fonction, et est devenu naturellement, vraiment, un bon président. Il est dommage que ce président-là n’ait été que très partiellement évoqué par ce film. Il est plus présent dans les deux chefs d’œuvre de Capra(Smith, Deeds) que dans ce passable, mais attachant Abraham Lincoln, avant-dernier film de David Wark Griffith.
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Re: David Wark Griffith (1875-1948)

Message par allen john »

THE STRUGGLE (1931)

Griffith n’était pas ennemi de la contradiction, on le sait ; c’est donc par une tentative de pamphlet anti-alcoolique qu’il va terminer son illustre carrière, lui qui a plongé durant les années 20 dans un alcoolisme qui ne se démentira jamais jusqu’à sa mort en 1948. En pleine prohibition, décriée tant et si bien qu’elle sera terminée deux ans plus tard, le film commence par un de ces avertissements qui florissaient sur un grand nombre de films à l’époque : Scarface est par exemple présenté comme une dénonciation du crime, et The Struggle comme une réflexion sur la responsabilité de la prohibition dans l’alcoolisme. Pourtant cette piste est à peine présente dans le film, tout comme ni Scarface, ni Little Caesar, ni Public enemy n’étaient des charges contre le crime. Cet avertissement n’est somme toute qu’une précaution oratoire ; Griffith sentait-il le coté fumeux de son projet ?

Consciemment ou non, le film est ambitieux : une histoire naturaliste sur la déchéance d’un homme (Hal Skelly) marié et père d’une charmante jeune fille, et les conséquences désastreuses que son alcoolisme ont sur son mariage, mais aussi les répercussions sur la vie de sa jeune sœur qui manque son mariage à cause de la honte. L’histoire est créditée à Anita Loos et John Emerson. Ces deux anciens collaborateurs de Griffith ne sont évidemment pas n’importe qui, et Loos en particulier fait beaucoup plus partie du gratin Hollywoodien en cette année 1931. Mais le coté surranné et (vaguement) moralisateur de ce film se situe aux antipodes du ton que possédaient les autres œuvres de la dame en cette période : il y a un monde entre The struggle et Red-headed woman ! La photographie de ce film n’est plus créditée à Struss, mais à Joseph Ruttenberg, futur employé compétent de la MGM (Three comrades, The shopworn angel), qui s’acquitte ici sans trop de génie d’un travail honnête, en photographiant de façon assez plate des intérieurs sans réelle distinction , en cascade. Griffith situe son film dans des salons, des bars, des speakeasies et une usine. Très peu d’extérieurs volés à new York, ce qui aurait insufflé à cette histoire voulue comme naturaliste un souffle dont elle a cruellement besoin : même un film au pedigree aussi incertain que Walking down Broadway respire beaucoup plus que celui-ci : The struggle sent la naphtaline. Et je le dis haut et fort dans ce forum ou l’on s’obstine à glorifier la naphtaline, moi je dis que la naphtaline ça sent mauvais. :uhuh:

Un prologue très typique du metteur en scène nous montre le bonheur des années 10, durant lesquelles les gans pouvaient sortir en famille, boire gentiment de la bière, discuter (des films Biograph…) et se sentir choqués lorsque une personne affichait en public une ivrognerie évidente. A en croire le film, la prohibition n’avait donc rien à sanctionner, ce qui est un peu court, et complètement idiiot : aussi stupide soit-elle, la prohibition répondait quand même à un besoin de faire quelque chose contre l’alcoolisme ; Griffith lui-même a réalisé en cette lointaine époque ses propres films moralisateurs contre les abus de l’alcool : What drink did, The Drunkard’s reformation… Néanmoins, le film poursuit son prologue et nous présente les deux personnages principaux : Zita Johann (The mummy, Tiger shark) est amoureuse de « Red » (Hal skelly), un homme qui s’est mis à boire « Quand la prohibition est arrivée ». Voila le seul alibi de l’avertissement donné au début du film, et on n’ira pas plus loin sur cette piste. Ayant promis à sa fiancée de ne plus boire, Red va tenir sa promesse une dizaine d’années, jusqu’à jour ou il tente de consoler un ami qui a perdu son emploi, et inexplicablement replonge. Son épouse lui en veut, et il s’enfonce plus avant dans sa faute jusqu’à la déchéance… Jusqu’à mettre en danger la vie de sa fille dans une scène hautement ridicule et visiblement plaquée sur le scénario sans effort particulier, permettant à Zita Johann, qui est plutôt passive dans le film, d’assumer le rôle de celle qui arrive à la rescousse dans un film de Griffith pour sauver la vie d’un innocent.

Avec tous ses défauts, le film n’est même pas antipathique , grâce à des personnages peu intelligents mais qu’on aime bien. De plus, ici, pas de méchant, juste des circonstances. Le jeu des acteurs est plus naturel que naturaliste, et on préfère ces répliques improvisées aux dialogues ridicules et ampoulés de Abraham Lincoln. Mais on est loin, très loin de The Crowd, un modèle sans doute pour Griffith, mais que le metteur en scène de Broken blossoms ait besoin d’aller chercher des modèles, c’est un signe des temps. Peut-être Griffith croyait-il plaire, en s’intéressant à la peinture quotidienne d’une réalité sordide; peut-être s’attendait-il à repartir dans une nouvelle direction, et faire son trou en tournant des chroniques de ce genre pour pas cher, mais ce film fade, sans vedettes, sans attrait et disons le sans âme, a été un échec. Griffith n’a plus jamais tourné.
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