Yves Robert (1920-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Cathy
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Cathy »

Rick Blaine a écrit :Le second est tout de même plus faible je trouve. On perd en poésie, en fraicheur, on perd aussi un formidable Bernard Blier (qui parait-t-il avait regretté que son personnage soit mort dans le premier, ne pouvant donc pas participé au second). Le premier est effectivement magnifique, avec pour ma part un gros faible pour la scène ou Blier et ses sbires observent Darc et Richard, ça me fait mourir de rire à chaque fois.
C'est à qui les cigarettes ?
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Profondo Rosso
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Re: Yves Robert (1920-2002)

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Alexandre le bienheureux (1967)

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Alexandre est cultivateur dans une petite ferme française, mais sa femme le pousse à bout de force en lui imposant chaque jour une liste de travaux démesurée. Devenu brutalement veuf, il éprouve un grand soulagement et se sent libéré de son labeur : il décide de s'accorder un repos qu'il juge mérité, afin de prendre le temps de savourer la vie. Son comportement sème rapidement le trouble dans le petit village par l'exemple qu'il donne, et une partie des habitants décide de le forcer à reprendre le travail. Mais ils échouent, et Alexandre commence à faire des émules, qui s'essayent comme lui à la paresse.


Yves Robert signe avec Alexandre le bien heureux une magnifique ode libertaire à l'oisiveté et au rêve. On est au fond pas très éloigné sur le fond du Boudu sauvé des eaux de Renoir. Dans ce dernier un feignant notoire et heureux de l'être (Michel Simon) se voyait rattrapé par la normalité d'une existence domestique classique avant un magnifique pied de nez final. Yves Robert ne raconte pas autre chose, même si la structure est différente et que le cadre rural offre d'autres possibilités. Contrairement à Boudu, Alexandre (Philippe Noiret) ne connaît que par brèves intermittences les joies du farniente tant sa rugueuse épouse lui mène la vie dure. L'hilarante première partie du film fonctionne ainsi au rythme des claquement de doigt de "La Grande" sortant constamment notre héros de ses rêveries dans un quotidien à l'organisation millimétrée (câlin du soir compris) où il est quasiment réduit au rang de bête de somme (Tu m'as épousé par ce que j'étais le plus fort !). Françoise Brion entre regard bleu séduisant, ses traits sévères et ses attitudes militaires est parfaite et offre une opposition de choix à un Noiret dépeint comme un gros ours à la bonhomie contrariée. Yves Robert multiplie les gags et les astuces narratives (l'armoire bloquée un an) pour souligner l'existence sans joie d'Alexandre et les quelques moments de respiration sont d'une poésie décalée brillante comme lorsqu'il s'arrête de travailler pour observer les oiseaux.

Malgré de timides tentatives de rébellion envers son épouse tyran (génial gag avec le talkie-walkie) c'est le sort qui libèrera Alexandre lorsqu'il deviendra veuf. C'est alors un autre film qui débute, plus lent, bucolique et chaleureux lors qu'Alexandre décide enfin de tout arrêter, se reposer et vivre enfin pour lui. Là encore Yves Robert truffe le film d'idées ludiques (la demeure d'Alexandre truffé de gadget lui évitant de quitter son lit), la plus grande étant un extraordinaire personnage de chien (sûrement le héros canin le plus charmant avec celui du récent The Artist) à l'expressivité incroyable. Compagnon indéfectible, "homme" à tout faire et toujours partant pour les amusements, le chien sera également le seul clairvoyant et l'élément déclencheur lorsque la réalité voudra rattraper Alexandre. Le film se pose ainsi en défi à la normalité, aux responsabilités qui en découlent et au fardeau qu'elle constitue. Les autres agriculteurs auront bon employer les stratagèmes les plus extravagants pour tirer Alexandre de sa torpeur (la fanfare nuit et jour grandiose !) au fond ils ne rêvent que de faire de même. Philippe Noiret qui obtenait là enfin un premier rôle majeur prête merveille sa nonchalance et son regard lunaire à cet ours paisible qu'est Alexandre. Marlène Jobert en double fainéant au féminin excelle également de candeur ambiguë alors que les seconds regorge d'habitués passé et à venir d'Yves Robert : Jean Carmet, un tout jeune Pierre Richard, Jean Carmet ou encore un savoureux Paul Le Person en Sanguin.

Boudu refusait la prison domestique par un beau plongeon final, Alexandre fera de même par un "non" vibrant avant de disparaître dans le paysage campagnard ensoleillé de l'Eure-et-Loir dont Yves Robert aura su si bien filmer la langueur. 5/6
Dernière modification par Profondo Rosso le 9 juin 13, 14:59, modifié 1 fois.
Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

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http://alligatographe.blogspot.fr/2012/ ... uyons.html

Courage fuyons (Yves Robert, 1979)

J'ai pour Yves Robert plus que de l'affection, une admiration dont les bornes sont un peu floues. Bien entendu, le diptyque quadras de l'éléphant au paradis fait figure d'Everest indépassable, néanmoins j'osai croire que "Courage fuyons" pouvait se faufiler à une belle place dans le classement des films intimes de Robert et je pense ne pas m'être trompé.

Vu quand j'étais marmot, j'en avais pas gardé un souvenir impérissable, si ce n'est ce gag d'un Jean Rochefort faisant de grands gestes menaçants devant un homme à qui il demande un renseignement banal pour faire croire à Catherine Deneuve qu'il le tance comme elle venait de lui en faire la demande. Les premières minutes faisant la présentation du "complexe" de ce personnage lâche, infoutu d'affronter le danger sous toutes ses formes sont hilarantes.

Mais j'ai craint quelques temps que le tableau ne finisse par être trop chargé et les scènes trop répétitives à la longue. La lassitude née de ce mono-gag était un écueil massif que Jean-Loup Dabadie et Yves Robert ont su éviter avec maestria en densifiant davantage les personnages.

Et c'est ce qui me charme le plus dans ce cinéma, cette écriture à la fois drôle et touchante, c'est que le lâche n'est pas seulement comique mais se teinte de tragique, préférant maladivement éluder le conflit jusqu'à ne plus vivre réellement. Quand il feint l'amnésie afin d'éviter sa femme, son désamour, ses colères et la mort, il s'enterre dans une existence tronquée et prend des allures de héros romantique dont le ridicule donne une étrange et poétique couleur. Et pour nous, de découvrir un être inédit, produisant une émotion surprenante, entre rires et larmes.

Mais ces indices de pathos ne dépassent jamais la légèreté de tonalité qu'Yves Robert installe de bout en bout de sa filmographie. Vous noterez en effet que les personnages de ses films s'imaginent toujours victimes d'un monde hostile et se protègent vainement contre des vents qu'ils croient contraires, avec le regard vide des êtres démunis face au sort.

Qui, en France, pouvait mieux que Jean Rochefort pouvait incarner un tel archétype de personnage? Avec son air de cocker triste, cette allure un brin guindée, ces yeux bleus rêveurs?
Face à lui, Catherine Deneuve joue une femme joliment insaisissable, ce moderne amalgame de femme offensive et fragile, un rôle en chair, bien en chair, délicieuse bourrasque de cheveux blonds.

Pas le meilleur d'Yves Robert mais indiscutablement intelligent, le film fait partie d'une même famille, accueillante, légère et souriante avec ce petit brin de voix mélancolique qui relie à la vraie vie.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

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Les Copains (1964)

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Sept inséparables décident de prendre quelques jours de vacances pour mettre au point trois énormes canulars destinés à bafouer les corps constitués : l'armée, l'église et l'administration... Ils jettent leur dévolu de manière presque arbitraire sur deux paisibles sous-préfectures : Ambert et Issoire, car celles-ci les lorgnaient d'un mauvais œil sur une carte de France.

Entre son adaptation (adoucie certes mais le matériau est là) de La Guerre des Boutons ou son ode libertaire Alexandre le bienheureux, Yves Robert dans ce cadre de cinéma populaire se sera avéré un cinéaste étonnement subversif. La preuve avec cet hilarant Les Copains, adaptation modernisée d'un roman de Jules Romains et grand éclat de rire moqueur lancé à la France Gaullienne. On pense parfois à son futur et cultissime diptyque Un éléphant ça trompe énormément/Nous irons tous au paradis dans cette visions collective de l'amitié masculine mais si malgré l'humour la réalité rattrape quelque peu les personnages des films de 77/78, on baigne ici dans une douce insouciance détachée des vicissitudes du quotidien. D'ailleurs héros des Copains sont chacun des sorte d'archétypes moins fouillés que dans Un éléphant... mais immédiatement cernés et attachant grâce au casting parfait et à la présentation ludique qu'en fait Yves Robert en ouverture. Là, du berceau au lycée en passant par le service militaire et les grandes écoles, Yves Robert dépeint toute les étapes du cycle de la vie d'homme qui auront vu les personnages se rencontrer tour à tout avec la bande joyeux lurons que sont Philippe Noiret (Bénin), Guy Bedos (Martin), Michael Lonsdale (Lamendin), Christian Marin (Omer), Pierre Mondy (Broudier), Jacques Balutin (Lesueur) et Claude Rich (Huchon).

Dans ce parcours balisé, les sept camarades n'auront jamais cessé de s'amuser et se rire de leur entourage. On en a une démonstration en début de film lorsqu'ils sèment la zizanie dispersé dans une salle de cinéma ou lors d'une beuverie épique dans un bar où le tenancier Jean Lefebvre sera joliment malmené. C'est dans cet état second que leur vient l'idée de passer à l'étape supérieure pour moquer cette rigueur et médiocrité ambiante à plus grande échelle. Le cadre de leur action sera choisi au hasard alcoolisé d'une carte de France dans deux sous-préfectures endormies de la Haute Loire, Ambert et Issoire. Chacun des sept amis échafaudera une farce dont les trois meilleures seront exécutées au détriment des malheureux habitants.

Le film s'enferme un peu au départ dans une préciosité qui nous éloigne un peu des personnages déséquilibré entre sophistication et esprit de sales gosses turbulents. Il y a néanmoins de bonne idées comme celle de faire du périple vers les villages une sorte de chanson de geste où les copains se croise et se répondent distance tel des nobles chevaliers de la blague en route vers leur destinée, le tout truffé de rencontres loufoques tel cette tenancière d'hôtel revêche jouée par Tsilla Chelton. Par contre une fois les fameux canulars lancés, l'hilarité, la vraie, ne se dément pas jusqu'à la dernière minute. L'audace du récit est de se jouer à travers chacune des facéties d'une grande institution que ce soit l'armée, l'église ou l'administration.

La droiture et le respect aveugle de l'armée sont génialement caricaturés avec un Pierre Mondy déguisé en ministre qui mettre à sac une caserne et la ville par la seule crédulité et l'obéissance de gradés. Les dialogues sont extraordinaires, subtil et rabelaisiens avec une vulgarité élevée en en art (l'épisode des toilettes :mrgreen: ) et un final explosif où les malheureux villageois vont passer une drôle de nuit. Philippe Noiret grimé en prêtre provoquera un même éclat de rire avec un discours en forme d'appel à la chair où les contrechamps entre sa tirade enflammée et les mines frustrées et/ou concupiscente des fidèles décuple la force du propos. Le troisième canular prometteur dans l'idée et amusant dans sa réalisation s'avère moins fort même si la figure de Vercingétorix ridiculisée et le phrasé grandiloquent et pompeux du maire son savoureusement croqués.

Une beuverie avait annoncé le début de la campagne farceuse, un autre grand banquet amorce sa fin mais avant de retourner à leur existence ordinaire notre bande s'offrir un dernier coup d'éclat à l'ampleur... écarlate ! Même s'ils ont parfois du mal à tous exister (dommage pour Michael Lonsdale un peu en retrait alors qu'il aura peu eu l'occasion de faire dans la gaudriole) tous les acteurs emportent l'adhésion, en particulier Guy Bedos en grand enfant, Philippe Noiret en chef de bande (et qui remettra le couvert avec le pendant italien du film d'Yves Robert Mes cher amis) et un Pierre Mondy canaille. Grande comédie ! 5/6
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Best »

Profondo Rosso a écrit :Les Copains (1964)

...

Grande comédie ! 5/6
Vendu !
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Profondo Rosso »

Salut l'artiste (1973)

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Nicolas est comédien et, à quarante ans, attend toujours le grand rôle qui le fera sortir de l'ombre et des petits emplois alimentaires. Partagé entre sa maîtresse Peggy, son ami Clément, soumis aux mêmes contraintes de métier et sa femme Elisabeth qu'il ne voit que très rarement, Nicolas est un homme déprimé.

Yves Robert signe là une ode magnifique aux artistes de l'ombre, ceux qui n'auront jamais leur nom en haut de l'affiche mais dont la disponibilité est indispensable à l'accomplissement de tout spectacle. Nicolas (Marcelo Mastroianni) est de ceux-là, courant le cachet à longueur de journée pour des emplois alimentaires, divers et variés : figurant, doubleur de dessin animé, magicien ou rôle de théâtre microscopique... Pourtant comme le résumera parfaitement le co scénariste Jean-Loup Dabadie dans l'accroche du film, Nicolas est un homme qui "perd sa vie en la gagnant". Sa vie privée est en effet un chaos équivalent à sa vie professionnelle. Partagé entre sa compagne Peggy (Françoise Fabian) qu'il délaisse et son ex-femme avec qui il n'a pas rompu le lien Elisabeth (Carla Gravina), Nicolas se démène également avec son fils fugueur et partage ses difficultés avec son ami Clément (Jean Rochefort) comédien soumis aux mêmes vicissitudes. Notre héros mène dans un parallèle logique ses deux existences, disponible pour foultitude de petits boulots mineur mais jamais appelé pour le grand rôle qui pourrait tout changer et constamment de passage avec ses proches pour lesquels il n'est qu'une ombre furtive cavalant entre deux cachet. La scène d'ouverture où Yves Robert nous perd malicieusement dans le château de Versailles donne le ton avec une esthétique évoquant le film historique jusqu'à ce qu'un Mastroianni grimé en Louis XIV réponde à un appel téléphonique.

Sans réelle intrigue directrice, le film suit donc le quotidien de ce personnage et exprime avec un réalisme amusé et grinçant tous les désagréments et humiliations que sont amenés à rencontrer les intermittents : pièce annulée, metteur en scène indécis et tyrannique, cachets non versés... On se demanderai presque ce qui motive encore ces artistes à poursuivre mais Yves Robert retranscrit avec autant de talent la chaleur, complicités et camaraderie régnant dans cet envers du décor au détour de quelques truculentes séquences (le spectacle de magie, la figuration pour le film de guerre). Au fond même s’ils ne seront sans doute jamais des stars, ils font ce qu'ils aiment et demeurent de grands enfants n'ayant jamais quitté leur terrain de jeu. Le personnage de Jean Rochefort illustre bien cette idée, lui qui abandonne le métier pour la plus rentable animation commerciale en supermarché mais ne peut s'empêcher de transformer celle-ci en spectacle. Yves Robert et Dabadie avait au départ écrit le rôle de Nicolas pour Montand au départ emballé par l'idée avant de se rétracter car pensant que son public n'accepterait pas de le voir en perdant, auditionnant et courant les cachets (ce qui annonçait les difficultés de Sautet quand il lui ferait jouer un serveur dans Garçon!). Marcello Mastroianni qui ne se plaît jamais autant qu'à dégrader et malmener son image de séducteur repris ainsi le rôle et est formidable d'humanité. Tout aura beau s'écrouler autour de lui (il termine le film dans une bien plus mauvaise posture qu'il ne l'a commencé), subir les pires désillusions dans son métier, il lui restera toujours cette petite étincelle de passion qui le fera poursuivre. Le film se conclu sur une énième figuration anecdotique de Nicolas mais loin de donner dans le pathétique, la manière qu'a Yves Robert de capturer son visage satisfait nous prouve bien qu'il est à sa place même si ce ne sera jamais la plus haute. 5/6
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par blaisdell »

A ce jour, l'une des réalisations d'Yves Robert qui m'a le moins convaincu..
Il faut que je lui redonne sa chance bientôt.
julien
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par julien »

Moi celui qui m'avait pas tellement convaincu de Robert c'était Clérambard mais Salut l'Artiste c'est quand même du bon petit cinoche à la française, avec une idée originale et des ressorts comico-dramatiques plutôt bien exploités sur l'ensemble du film.
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par blaisdell »

julien a écrit :Moi celui qui m'avait pas tellement convaincu de Robert c'était Clérambard mais Salut l'Artiste c'est quand même du bon petit cinoche à la française, avec une idée originale et des ressorts comico-dramatiques plutôt bien exploités sur l'ensemble du film.

Ah oui, tu me fais penser que Clérambard ne m'a pas totalement convaincu non plus. Il aurait fallu plus de férocité dans le trait, comme le Mocky des bons jours.
Mais la prestation de Noiret est remarquable et la musique de Cosma excellente, ce qui m'a inciter à garder mon dvd.
En revanche, j'ai adoré Les copains, qui a dû plus qu'inspirer Mes chers amis ou Courage Fuyons ! avec un superbe Rochefort.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Profondo Rosso »

Courage fuyons (1979)

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Martin Belhomme est un lâche de naissance, d'ailleurs chez lui la lâcheté se transmet de génération en génération. Après une enfance passée dans le tumulte de l'Occupation, il se "fait marier" par Mathilda qui décidera tout pour lui: ils auront deux enfants et il deviendra pharmacien, lui qui vouait une passion pour la musique. Mais au terme de cette vie monotone, survient Mai 68, et sa lâcheté va paradoxalement le conduire dans une folle aventure, loin des siens, avec Eva, ravissante blonde chanteuse dans un cabaret d'Amsterdam. Dès lors, il fera tout son possible pour séduire la belle, et passer pour un aventurier à ses yeux.

La filmographie d'Yves Robert est peuplée d'homme-enfant pour lesquels la réalité et son quotidien sont des prisons qu'il faut fuir à toutes jambes. Cette fuite peut se faire dans l'aventure (le diptyque des Grand Blond), la farce (le tordant Les Copains) ou la paresse (Alexandre le Bienheureux), La doublette Un éléphant ça trompe énormément/ On ira tous au paradis offrant une sorte d'aboutissement à cette thématique pour Yves Robert. Plutôt que de s'attaquer à un troisième volet de ce grand succès, Yves Robert et son scénariste explore une nouvelle fois la question de manière très différente dans ce Courage fuyons taillé sur mesure pour le talent de Jean Rochefort.

N'écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda d'intervenir. Jules Renard

Ce penchant à la fuite qui caractérise les personnages masculin de d'Yves Robert, Martin Belhomme (Jean Rochefort) en rêve mais ne peut s'y résoudre. La cause ? Un penchant héréditaire pour la lâcheté (génialement expliqué en flashback sur le destin malheureux de ses pères et grand-pères) qui l'enferme dans une situation de plus en plus inextricable. Epris de liberté et rêveur, il "se fait marier) par une épouse tyrannique et autoritaire (Dominique Lavanant). Il ambitionne d'être musicien ? Cette même épouse l'installe dans une sinistre carrière de pharmacien de quartier. Les évènements de Mai 68 se déroulant parallèlement à l'intrigue offre une parfaite symbolique de la situation de notre héros. Tout comme cette jeunesse s'élevant enfin contre la rigueur de cette France Gaullienne, l'immature Martin se rebelle face à son existence conventionnelle et sans saveur. Cela se fera par le mimétisme d'une lâcheté qui ne l'a pas quitté, Martin le temps d'une hilarante scène détruisant sa propre voiture en compagnie des jeunes survoltés qui l'entourent (parmi lesquels on reconnaitra un tout jeune Gérard Darmon et qu'il ne souhaite surtout pas froisser :lol:.Martin va réellement sortir de sa coquille par la rencontre de la belle Eva (Catherine Deneuve), magnifique créature qui va lui permettre enfin de sortir de sa coquille peureuse. Eva n'exige et n'attend rien de lui, ne lui pose ni condition ni ultimatum et par cet amour sans contrainte va permettre à Martin d'endosser un personnage plus assuré, charismatique et attirant. Après la narration très sophistiquée de cette première partie Yves Robert laisse s'exprimer cette liberté nouvelle et le bonheur de son héros dans une longue séquence romantique laissant déambuler le couple dans une Amsterdam idéalisée, cliché compris (la traversée d'un joli champ de tulipe).

Ses peurs ne vont pas tarder à le rattraper avec l'apparition d'un ancien amant récalcitrant le menaçant de mort et l'ampleur de la fuite sera proportionnelle à celle de l'inattendu courage initial, Martin retournant chez lui en se faisant passer pour amnésique. Retrouvant sa coquille plus profondément encore, Martin va pourtant être tiré sa médiocrité par une Eva l'acceptant et l'aimant tout trouillard qu'il est. Yves Robert offre un bonheur mérité à son héros sans pour autant le changer. Il y a d'un côté les héros et les sauveurs et de l'autre les créatures apeurées qui n'aspirent qu'à survivre et n'en ont pas moins de mérite. La mémorable conclusion fait finalement de cette peur un surprenant trait commun au couple et plutôt que de s'unir grâce à une action téméraire qu'aucun deux n'ose effectuer, c'est dans cette faiblesse qu'ils se reconnaissent mutuellement qu'ils pourront s'aimer à leur manière très originale. Jean Rochefort tout en charme fuyant, gouaille distanciée et lucide, est absolument parfait et Catherine Deneuve resplendit en objet fantasmatique qui va révéler un registre plus complexe. Le film n'est sans doute pas aussi équilibré que d'autres grandes réussites d'Yves Robert (quelques longueurs et des transitions peu fluides dans les gros rebondissements) mais sa tendresse et l'originalité de son propos (la fin est réellement mémorable) en font une de ses œuvres les plus attachantes. 5/6
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Jeremy Fox
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Jeremy Fox »

La chronique du grand blond avec une chaussure noire à l'occasion de sa sortie en Bluray. On en profite pour vous faire partager notre top Yves Robert.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Bogus »

La semaine dernière je suit tombé sur une rediffusion du Château de ma mère et rien qu'en entendant quelques note de La Valse d'Augustine de Vladimir Cosma dans une scène tout à fait anodine j'ai presque été ému aux larmes.
Ce diptyque sur la jeunesse de Marcel Pagnol est indéfectiblement lié à mon enfance, une véritable madeleine de Proust.
Ça fait aussi partie de ces films qu'on aimerait habiter. L'accent marseillais, le soleil, les Bellons, cette maisons de vacances, la famille Pagnol, les personnages pittoresques, la voix chaleureuse de Jean-Pierre Darras...
Nathalie Roussel restera l'incarnation de la mère idéale dans l'imaginaire de nombreux petits français des années 90.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Supfiction »

Bogus a écrit :La semaine dernière je suit tombé sur une rediffusion du Château de ma mère et rien qu'en entendant quelques note de La Valse d'Augustine de Vladimir Cosma dans une scène tout à fait anodine j'ai presque été ému aux larmes.
Pas revu mais seulement en évoquant cette Valse d'Augustine, j'en ai également des frissons et je vois le sourire de Nathalie Roussel. C'est un film dont on a pas ressenti à sa sortie (bon accueil critique sans plus, gros succès mais aucun César) qu'il allait devenir un vrai classique.
Dernière modification par Supfiction le 9 août 15, 20:53, modifié 1 fois.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Jeremy Fox »

Bogus a écrit :La semaine dernière je suit tombé sur une rediffusion du Château de ma mère et rien qu'en entendant quelques note de La Valse d'Augustine de Vladimir Cosma dans une scène tout à fait anodine j'ai presque été ému aux larmes.
Ce diptyque sur la jeunesse de Marcel Pagnol est indéfectiblement lié à mon enfance, une véritable madeleine de Proust.
Ça fait aussi partie de ces films qu'on aimerait habiter. L'accent marseillais, le soleil, les Bellons, cette maisons de vacances, la famille Pagnol, les personnages pittoresques, la voix chaleureuse de Jean-Pierre Darras...
Nathalie Roussel restera l'incarnation de la mère idéale dans l'imaginaire de nombreux petits français des années 90.
Assez d'accord avec tout ça. L'une des très belles réussites du cinéaste.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Profondo Rosso »

Montparnasse-Pondichéry (1993)

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Julie François, créatrice de papier peint, doit passer son baccalauréat pour aller enseigner son art à Pondichéry, en Inde. De retour sur les bancs du lycée, elle rencontre Léo, musicien sexagénaire, décidé lui aussi à obtenir le diplôme. Une amitié amoureuse se crée alors entre eux, faite de respect et de tendresse.

Yves Robert signe son dernier film avec Montparnasse-Pondichéry, une ultime réussite à l'image de sa filmographie tendre, amusée et bienveillante. Julie François (Miou Miou) est une quarantenaire forcée de retourner sur les bancs du lycée, obtenir son bac étant indispensable à l'opportunité d'enseigner son art de la confection de papier peint à Pondichéry. Le doute va pourtant rapidement s'immiscer, autant par sa difficulté à se remettre au rythme et niveau que par la défiance de son entourage dont un petit ami (Maxime Leroux) la rabaissant. Une rencontre va pourtant lui redonner espoir avec Léo (Yves Robert), musicien sexagénaire passant également le diplôme par correspondance. Leur relation tendre et ambigüe va ainsi l'aider à relever le défi.

On retrouve là le dosage de drôlerie et mélancolie typique du cinéma d'Yves Robert. Le récit déploie à travers ses deux personnages un regard sur l'avenir et un droit à la seconde chance par les aspirations de Julie, l'appréciation de la saveur du présent à travers la relation tendre et enjouée du duo mais aussi une tristesse et un gout d'inachevé face à amitié amoureuse finalement platonique. Léo est un ange gardien sautillant et rieur toujours là pour remobiliser Julie, sans que cette complicité ne débouche sur une vraie romance. Il goutera à un sentiment amoureux inespéré pour lui à son âge, tout en ne pouvant le mener plus loin pour les même raisons. Julie oscille aussi constamment entre espoir et résignation, Yves Robert déployant en filigrane un vrai propos social et féministe sur le droit à la seconde chance, à l'accès à la culture et au savoir. Tout cela se fait sur un ton amusé mais qui sait être cruel (l'odieux professeur de mathématiques joué par Judith Magre), le côté lumineux et très positif atténuant un environnement social teinté de noirceur. Les moments de grâce ne manquent pas tel la première rencontre dans le métro, toute les scènes en classe de philo (excellent André Dussolier en prof charismatique) et les échanges dans l'appartement de Julie où les amis se confient et s'apprivoisent. Yves Robert offre une interprétation poignante, roc et confident solide à l'extérieur et amoureux transis à l'intérieur. Miou Miou plus fragile et libre de ses émotions affirme néanmoins la détermination de son personnage jusqu'au bout. En faisant partager l'urgence, l'angoisse et l'euphorie de jeunes bacheliers à des personnages adultes et en les faisant replonger dans l'adolescence, Yves Robert retrouve la fantaisie et l'immaturité réjouissante qui caractérise tous ses héros (Les Copains, Alexandre le bienheureux, Un éléphant ça trompe énormément ou Courage fuyons).Hormis quelques petites fautes de goût 90's (l'incursion d'un rap laborieux dans la belle bande originale de Vladimir Cosma), une belle réussite dont un rebondissement surprenant rend le final plus poignant encore, et le rêve d'autant plus beau après cette parenthèse enchantée. 4,5/6
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