Yves Robert (1920-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Burnett
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Burnett »

Ce sont des films qu'on peut apprécier à tout age, effectivement.
Pour ma part, je ressens le besoin de les revoir régulièrement, il ne s'écoule pas 5 ans sans que je revois ces 2 petits bonheurs ! :wink:
yaplusdsavon

Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par yaplusdsavon »

L'Atalante, Ma nuit chez Maud et maintenant Yves Robert: Alligator tu es mon ami!

Pour continuer ce topic de rêve, et tenter de réveler encore l'invention infinie dont fait preuve le petit dyptique en question (dont l'inspiration cinématographique -s'il y en a! Ces deux films sont tellement uniques et tellement "vrais"...- relève pour moi au moins autant de la finesse de Lubitsch que de la comédie italienne) j'aimerais revenir par exemple sur le personnage de Daniel:
Alligator a écrit :Il y a Brasseur dans son rôle à double face, mi-homme viril, qui ne dédaigne pas aller faire le coup de poing pour aider les copains et puis l'amoureux en larmes, parce qu'éconduit mais aussi à cause de son coming-out non maitrisé. Un homo qui refoule, évidemment plus mal que bien. Brasseur est étonnant parfois, jouant parfaitement de ces masques de virilité exagérée, de ces pacotilles, de ces costumes trop grands à porter tout seul, contre les autres.
En fait, je ne sais pas tellement ce que refoule cet homo-là; je pense qu'il aime plus ses trois amis que ses amants, et semble désireux de les protéger, eux et leurs éventuels préjugés. Rares sont les films qui ont autant montré la beauté de l'amitié et du sacrifice qu'on lui offre de grand coeur.
D'autre part, la vie sentimentale de Daniel apparaît aussi fissurée que celle des trois autres: je me souviens d'une scène courte et étonnante où, voyant arriver deux superbes jeunes femmes en cabriolet dans son garage, Daniel s'empresse de s'allumer une clope et de mettre de la grande musique.
On ne sait si ce réflexe de mépris découle d'une crainte des femmes (l'une d'elle, sa supérieure hiérarchique, formidable ogresse ambiguë jouée par Gaby Sylvia, l'aura bien compris en lui mettant le grappin dessus) ou d'un choix qui est en train de se fortifier -jusqu'à lancer à la tête du macho Bouly: "mais ça ne m'empêchera pas de siffler les petits militaires!" au moment où Daniel annonce à ses amis qu'il se marie. Un peu des deux certainement: pour l'instant, ces deux conductrices forment un bloc sublime, exubérant (et même un rien bestial) intimidant et apparemment autosatisfait, en réaction duquel Daniel allume immédiatement sa radio dédiée aux plaisirs spirituels.
Sabsena
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Sabsena »

Yves Robert qui fut aussi excellent acteur par exemple Le viager et Un mauvais fils, a su faire un cinema de divertissement de qualité, Alexandre le bienheureux et cet hymne à la paresse, savouruex Noiret, et des films qui ont connu un merité succes commercial, Un elephant ca trompe enormezment et Nous irons tous au paradis, brillanres scenes comiques comme Brasseur en aveugle dechainé, et Le grand blond avec une chaussure noire et Le retour du grand blond, dans ce dernier le numero de parodie d'espion de Pierre Richard et surtout quand il provoque le policeman anglais m'a toujours fait tordre de rire au point d'arreter le film pour reprendre mes esprits, et dans la premier la robe et le decolleté de Mireille Darc tellement sublime est un moment de cinema inoubliable.
Vous conviendrez qu'il vaut mieux arroser quelqu'un que de l'assassiner. Fernando Rey : Cet obscur objet du désir.
Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Alligator »

Je ne sais trop à quelle scène tu fais allusion. Je n'ai pas vu encore Nous irons tous au paradis.
Je me souviens d'une scène dans le garage. Il vient de ramener la Rolls. On ne sait pas ouvertement que le personnage est homosexuel à ce stade du film. On n'a pas vu encore le petit flirt avec Laurent Malet. Les filles passent, il se retourne. Son visage apparait, soucieux, presque en colère. Je ne me souviens pas qu'il allume la radio, par contre la manière dont il allume sa cigarette m'a rappelé son homosexualité. Je resouligne le fait que je n'avais pas vu ce film depuis belle lurette (gai luron en l'occurrence, devrais-je dire) et ce mécontentement, son air renfrogné m'ont remis sur les rails de la sexualité du personnage. Je l'ai lue cette scène dans ce sens : les filles qu'il devrait suivre, draguer, qu'il sifflerait avec Bouly, elles lui rappellent la forfaiture, le mensonge auquel il se livre péniblement avec ses copains, la douleur de mentir à ses amis qu'il aime sincèrement, cette contradiction dans laquelle il se trouve cloîtré. Je crois réellement qu'il souffre, que cette situation n'a pas de raison sacrificielle vis à vis du bien-être de ses amis, non, je crois qu'il l'a subie malgré lui. Et vraiment le sentiment de trahir ses amis doit lui procurer une grande douleur.
Peut-être aussi cache-t-il son homosexualité parce qu'il n'est pas encore sûr de renoncer à l'hétérosexualité, la pression sociale étant trop forte, son identité n'étant pas encore intégralement assumée. Certes, il ne sait pas ou ne veut pas savoir. Peut-être veut-il croire envers et contre tout qu'il peut être hétéro comme ses copains et comme la société l'y poussent.

Quant à Lubitsch et Robert, je n'ai pas osé faire le rapprochement. Non que je n'y ai pas pensé un moment. Mais les thèmes récurrents chez l'un comme chez l'autre m'ont semblé leur donner une distance trop importante. Maintenant que l'idée est lancée, j'avoue y avoir songé avec une scène. La manière simple, efficace de filmer sans grand discours, l'usage de l'ellipse m'ont fait penser effectivement à Lubitsch. Brasseur accompagne Bedos pour aller chercher la femme de Lanoux chez son amant. Bedos revient bredouille. Il bafouille qu'il a vu un type. Il en est encore ahuri. Surtout il n'a pas osé faire d'esclandre. L'aspect armoire à glace du type l'a incité à faire demi-tour. Brasseur, dédaignant ce genre de précaution et de faiblesse, s'en va chercher la délurée, le torse bombé devant les avertissements de Bedos. La scène coupe, il revient le nez et l'arcade en sang, en fanfaronnant un brin pour cacher la honte de s'être fait rosser. Sa mauvaise foi éclate. Il revient bredouille aussi, mais le cache maladroitement sous des grumpffffs bougonnnants. Le rythme de cette scène est génialement agencé. Savoureux. Lubitschien.
yaplusdsavon

Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par yaplusdsavon »

Alligator a écrit : Je l'ai lue cette scène dans ce sens : les filles qu'il devrait suivre, draguer, qu'il sifflerait avec Bouly, elles lui rappellent la forfaiture, le mensonge auquel il se livre péniblement avec ses copains, la douleur de mentir à ses amis qu'il aime sincèrement, cette contradiction dans laquelle il se trouve cloîtré.
Je pense plutôt qu'il s'amuse de cette petite comédie, et qu'il serait plus en retrait (vers Simon par exemple: "Arrête... c'est gênant...") si ce n'était pas le cas; au contraire, son côté hâbleur et misogyne s'accommode parfaitement du machisme de Bouly.
l'amoureux en larmes, parce qu'éconduit mais aussi à cause de son coming-out non maitrisé
Peut-être aussi cache-t-il son homosexualité parce qu'il n'est pas encore sûr de renoncer à l'hétérosexualité, la pression sociale étant trop forte, son identité n'étant pas encore intégralement assumée. Certes, il ne sait pas ou ne veut pas savoir. Peut-être veut-il croire envers et contre tout qu'il peut être hétéro comme ses copains et comme la société l'y poussent.
Là encore, je doute, non que l'on ne puisse pas allèguer parfois nos maux à la société en général, mais parce que dans ce film, la société et les amis (ou parfois la famille) c'est quasiment la même chose. Je ne peux pas mettre l'amitié profonde qui lie ces quatre personnes à pied d'égalité avec "la société"; ce qui me semble plus sûr, c'est que Daniel est triste, non seulement de s'être fait traiter de "pauvre conne" devant ses amis, mais surtout d'avoir perdu son amant -et aussi d'avoir rendu ses amis tristes pour lui.
Quant à Lubitsch et Robert, je n'ai pas osé faire le rapprochement. Non que je n'y ai pas pensé un moment. Mais les thèmes récurrents chez l'un comme chez l'autre m'ont semblé leur donner une distance trop importante.
En fait, j'y ai pensé faute de mieux (il y a bien aussi l'impassibilité Keatonienne et secrètement burlesque du visage de Jean Rochefort mais cela n'oriente pas tout le film); on trouve donc quelques éléments qui vont dans ce sens comme la scène que tu décris, le thème de l'adultère chez le personnage d'Etienne qui est proche du Boulevard mais avec plus de nuance et d'élégance qu'à l'ordinaire, et enfin une façon infiniment délicate de développer tel ou tel caractère.
Pour ce qui est du rythme ou de la façon dont sont écrits les dialogues, comme toi je pense qu'il faut chercher ailleurs ou ne pas chercher.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par bronski »

J'ai jamais vraiment accroché à Un Elephant et sa suite. Mais c'est plaisant. Par contre, Le Grand Blond, oui, mille fois oui !
Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Alligator »

Honte sur moi et ma famille sur douze générations! J'ai oublié de mettre en valeur un personnage hallucinant (littéralement, qui nous laisse à penser qu'on ne voit pas ce qu'on voit, qu'on est sujet au délire), celui joué par Christophe Bourseiller. Sorte de Droopy obsédé par les seins de Daniel Delorme. Outre la drôlerie du personnage en complet décalage avec les autres, dans une réalité parallèle, absurde où il peut croire fonder une liaison passionnée avec la femme de Rochefort, une bourgeoise somme toute heureuse et aimant son époux, cet olibrius me parait sortir d'une boite de farce-et-attrape, quelque part aussi une sorte de guignol effrayant. Et j'ai beau chercher je ne vois pas d'équivalent ailleurs. Je n'ai jamais revu un tel personnage. Et Christophe Bourseillier le joue parfaitement. Du reste il le reprendra un peu il me semble dans Clara et les chics types. Le type dans la lune, prosant sans arrêt, livre-bouche, un homme qui laisse traîner son enfance dans sa manière d'être. Une sorte de petit prince vieillissant. Un adulescent avant l'heure?
Pour en revenir avec le personnage de l'éléphant, je me demande s'il n'a pas quelques liens avec le lunaire Pierre Richard, avec le Grand blond, cette espèce de personnage malencontreusement désaxé, pas à sa place. Sans aller jusqu'à le désigner comme un avatar du grand blond, il a cette tendance à être là où il ne devrait pas être, sans être marginal pour autant. Ce qui les différencie irrémédiablement ce sont les raisons de ce décalage. Le grand blond est le personnage distrait made in Pierre Richard, sa marque de fabrique, il ne sait pas qu'il est décalé. Lucien, puisque c'est son nom (quel panard de s'en souvenir après une lutte acharnée avec ma mémoire vieillissante et paresseuse! Rhahh lovely dirais-je pour citer les grands auteurs), Lucien donc sait très bien ce qu'il fait, mais il s'en fout, c'est un anar pûr jus, désinhibé au moral comme au social. Il est proche de la marginalité, du harcèlement. Mais Marthe réalise très bien (on retrouve toute la bonté et la compréhension des personnages robertiens) qu'elle a affaire à un ado perturbé par ses hormones.
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Watkinssien »

Alligator a écrit :Christophe Bourseiller. Sorte de Droopy obsédé par les seins de Daniel Delorme.
Surtout le gauche ! :mrgreen:
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Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Alligator »

Nous irons tous au paradis (Yves Robert, 1977) :

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_______________

Un an après le succès de l'éléphant l'équipe Robert/Dabadie remet le couvert avec les mêmes ingrédients et ils parviennent à tenir la gageure de créer quelque chose d'aussi intense, hé... sinon plus.

Appuyés sur les personnages devenus familiers, les auteurs décident de passer à la vitesse supérieure dans l'aspect dramatique. Il y a même quelques moments de gravité extrême. Pas seulement cette incroyable scène à la gare où le malheureux Simon s'effondre, un moment toujours bouleversant, qui secoue, réhaussé par le jeu pudique et malin de Bedos, cette main accrochée à la porte du wagon, ces petits couinements de douleur, une scène qui fait mal. Je ne me souvenais pas de pareille puissance. Ca m'a cueilli.

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Je suis encore plus étonné par la richesse du personnage de Daniel et la profondeur, la délicatesse, la tendresse de Brasseur et le don qu'il fait dans son interprétation. Il est majuscule sur ce film. C'est quand même prodigieusement remarquable à quel point Dabadie et Robert parviennent à hisser ce personnage déjà très riche dans le premier film. Magnifique.

Je suis encore sous le charme de ces dialogues merveilleux, petits bijoux, sonnants, percutants, décalés, en rupture ou au contraire complètement dans le sens des personnages. C'est tellement bien écrit, un piquant plaisir d'écoute.

Il y a une scène qui m'a gêné. Celle de la fin de la grève aéroportuaire, avec le tremblement de terre constitutif au matin, que je trouve un peu trop exagéré, on tombe presque dans la farce. D'un coup le film dérape un peu. Le réalisme s'estompe pour jouer dans la cour des enfants. "On dirait que la maison elle tremblerait tellement les avions passent au-dessus". Dommage. M'enfin c'est là une observation de conquis, du chipotage d'enfant gâté, je le confesse.

En finissant le film je reste abasourdi par la profondeur et la légèreté de ces deux films, ce savant mélange des genres, cette combinaison incroyablement difficile à mettre en place et qui parait ici d'une simplicité presque ordinaire. Tellement de travail, tellement d'humanité, de sincérité derrière ce diptyque. Et puis je suis heureux d'avoir revu ces deux films, particulièrement surpris par les sentiments et le plaisir qu'ils m'ont procuré. J'avais gardé finalement un souvenir assez approximatif de ces deux films. Je me le suis remémoré comme deux sympathiques comédies françaises, sans plus. Aujourd'hui c'est avec un autre oeil, plein d'admiration que je l'ai regarde. De la très belle oeuvre!
Dernière modification par Alligator le 21 oct. 08, 17:28, modifié 1 fois.
yaplusdsavon

Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par yaplusdsavon »

Alligator a écrit :Il y a même quelques moments de gravité extrême. Pas seulement cette incroyable scène à la gare où le malheureux Simon s'effondre, un moment toujours bouleversant, qui secoue, réhaussé par le jeu pudique et malin de Bedos, cette main accrochée à la porte du wagon, ces petits couinements de douleur, une scène qui fait mal. Je ne me souvenais pas de pareille puissance.
Je vois cette scène d'une façon sensiblement différente: elle est poignante bien sûr, mais comme peut l'être un pathétique juif tellement excessif que le rire n'est jamais loin; le spectateur est quand même surpris que Simon plonge dans un état pareil alors qu'enfin le voilà débarrassé d'une harpie geignarde, tentaculaire et dictatorialement installée dans sa vie sentimentale (et pas que). Un tel mystère amuse mais ne manque pas d'intriguer.
Il y a une scène qui m'a gêné. Celle de la fin de la grève aéroportuaire, avec le tremblement de terre constitutif au matin, que je trouve un peu trop exagéré, on tombe presque dans la farce. D'un coup le film dérape un peu. Le réalisme s'estompe pour jouer dans la cour des enfants. "On dirait que la maison elle tremblerait tellement les avions passent au-dessus". Dommage.
Là encore j'y vois un certain burlesque, fondé non pas sur la répétition mais sur le sort qui s'acharne sur les protagonistes du film. En une matinée, tout s'effondre: leur maison, leur joie de la veille, leur amitié ("Pour une fois, nous ne nous aimions plus" dit Etienne), et tout cela, encore une fois dans un grotesque dont seul l'ironie du sort possède le secret. On a rarement connu plus parfaite malchance.
En finissant le film je reste abasourdi par la profondeur et la légèreté de ces deux films, ce savant mélange des genres, cette combinaison incroyablement difficile à mettre en place et qui parait ici d'une simplicité presque ordinaire. Tellement de travail, tellement d'humanité, de sincérité derrière ce diptyque. Et puis je suis heureux d'avoir revu ces deux films, particulièrement surpris par les sentiments et le plaisir qu'ils m'ont procuré. J'avais gardé finalement un souvenir assez approximatif de ces deux films. Je me l'ai remémoré comme deux sympathiques comédies françaises, sans plus. Aujourd'hui c'est avec un autre oeil, plein d'admiration que je l'ai regarde. De la très belle oeuvre!
Et là je souscris des deux mains. Je ne me lasse jamais de ces films, à la fois pudiques, goguenards, chaleureux, tendres, vrais (rares sont les films que je ne trouve pas glacés et sophistiqués à côté) et qui doivent donc autant au réalisateur Yves Robert qu'au scénariste Jean-Loup Dabadie, l'un des esprits les plus brillants, libres et originaux de son temps.
Et aussi Vladimir Cosma. Sans oublier Jean Rochefort. Ni tous les autres.
Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Alligator »

yaplusdsavon a écrit :
Alligator a écrit :Il y a même quelques moments de gravité extrême. Pas seulement cette incroyable scène à la gare où le malheureux Simon s'effondre, un moment toujours bouleversant, qui secoue, réhaussé par le jeu pudique et malin de Bedos, cette main accrochée à la porte du wagon, ces petits couinements de douleur, une scène qui fait mal. Je ne me souvenais pas de pareille puissance.
Je vois cette scène d'une façon sensiblement différente: elle est poignante bien sûr, mais comme peut l'être un pathétique juif tellement excessif que le rire n'est jamais loin; le spectateur est quand même surpris que Simon plonge dans un état pareil alors qu'enfin le voilà débarrassé d'une harpie geignarde, tentaculaire et dictatorialement installée dans sa vie sentimentale (et pas que). Un tel mystère amuse mais ne manque pas d'intriguer.
Je ne suis pas sûr de comprendre. Mais comme il y a beaucoup à dire sur cette relation, je suis sûr que cela s'éclaircira. Si j'ai bien compris, en schématisant un peu ta pensée, la scène par son côté absurde, contradictoire avec la relation jusqu'ici présentée, dans les cris et, les remontrances perpétuels, la scène donc serait fondamentalement plus comique qu'elle n'en a l'air. Si c'est bien ce que tu vois dans la scène on a là un ressenti totalement différent.

Pour moi, la relation conflictuelle de Mouchi et Simon n'est présentée dans un rapport de force et de lutte possessive, dans la violence de l'attrait/rejet périodique, que d'une manière artificielle... argh, ce n'est pas exactement ce que je veux dire. C'est une caractéristique mais qui ne suffit pas et surtout qui ne tient pas la route sur la distance.
Certes, c'est une relation pathologique, indéniablement les deux en souffrent, la mère ne supportant pas quand les espaces de liberté de son fils ne l'incluent pas, le fils hurlant la douleur de la castration à tout va, les "arrête!!!!" que la voix stridente de Bedos rend plus que déchirants sont des cris qui ne laissent aucun doute sur le degré de douleur qu'ils s'infligent. Mais sur cette relation sadique, la contradiction ne m'a pas paru risible, ou du moins juste un temps, un peu sur le cour de tennis dans Un éléphant, jusqu'à ces fameux hurlements à la mort, à l'amour du fils pour sa maman qui l'infantilise. Peut-être aussi devant la mauvaise foi de Mouchi et son cinéma permanent qui passe toujours "Comment tu traites ta mère, mon fils!". Tout cela n'est qu'opérette. D'ailleurs ses amis, les témoins de ces piques de rejet ne rient pas. Ils sont soient ébahis, la plupart sont affligés, désolés. Ils assistent à un spectacle presque morbide.

Si cette relation a du comique en elle, c'est de l'humour très noir, bâti sur une souffrance profonde. Simon apparait à bien des égards comme le personnage le plus enfantin, maintenu par sa mère à son rang de petit, mais aussi dans sa manière de fuir la réalité (le manque de courage physique, les relations sexuelles adultérines, inabouties et cachées forcément, l'aspect lunaire aussi, un peu à côté de la plaque, l'hypocondrie, etc.). Il est maintenu dans cet état par sa mère qui ne l'autorise pas à devenir un homme. Ce n'est qu'après sa mort qu'il apprend qu'elle avait acheté son caveau en Bretagne, ce n'est que tardivement qu'il apprend qu'il a des lingots d'or à la banque, etc.

C'est encore un personnage qui ressemble, je ne sais si je l'ai déjà évoqué, au dernier de la bande de copains dans Les copains, un film prémonitoire, esquisse exquise d'Yves Robert avec un rôle de naïf pour Bedos, déjà. Bedos notait dans les bonus qu'il avait une relation particulière avec Robert, un peu filiale, et que cela s'en ressentait dans les éléments du rôle. De même, il faisait le lien entre sa relation avec sa propre mère et la relation Simon/Mouchi. D'autant que Robert connaissait la véritable mère de Bedos, lequel n'a pas manqué dans certains de ses sketchs de dépeindre une relation hautement plus conflictuelle et cruelle que celle décrite dans le film. Mais bref, Robert s'est sûrement inspirée de cette relation pleine de souffrances et de violences morales pour brosser un portrait mère/fils juifs des plus violents.
Mais Robert dans son soucis de justesse et surtout d'humanité, de tendresse envers ses personnages ne pouvait pas se contenter décrire cette violence sans en proposer un regard plus profond, sans en donner une sorte de justification. Il lui fallait montrer la vraie nature de la relation, au-delà des ornements du spectacle que nous livrent les deux personnages. Au delà du premier abord, il y a une réelle et profonde relation d'amour. C'est pourquoi Simon est avant tout un fils qui aime sa mère malgré l'état infantile dans lequel elle l'enterre ET dans lequel il se laisse enterrer. La relation est autant sadique que masochiste. Pourquoi vit-il à deux pas de portes de sa mère sinon pour la laisser maîtriser sa vie? Il y a une dépendance que la souffrance de ne pas pouvoir grandir ne parvient pas à détruire. Le noeud, le lien oedipien est fait d'un si gros cordon ombilical que la violence de la douleur n'est pas en mesure de nuire à leur relation de dépendance. Seule la mort peut libérer Simon. Pas étonnant qu'il pleure, qu'il couine comme un bébé qui nait et prend sa respiration. C'est une douleur terrible.

Aussi je trouve étonnant que l'aspect comique puisse rejaillir dans cette scène d'après toi. D'ailleurs note les yeux embrumés de Lanoux, les visages atterrés de Rochefort et de Brasseur, les larmes de l'amante. Le spectacle Michou est terminé. Le rideau est baissé. Et on est d'autant plus attristé qu'on découvre ce qu'on pouvait subodorer : Simon aimait sa mère. C'est pourquoi il continuait à entretenir cette relation castratrice. De l'étonnement du spectateur de découvrir ce fils malmené, maintenant ravagé par les pleurs nait une sorte de choc que les comédiens par leurs mines défaites amplifient, que les dialogues magnifient "Etienne veut te dire que ta maman est morte", auquel la mise en scène avec ce bras accroché comme à une bouée de sauvetage, avec ce torse que Bouli offre aux coups de Bedos (vas- tape, tapeuhh!") donne une dimension physique d'une émotion sublime.... j'étais au bord des larmes. L'idée, le besoin du rire m'étaient complètement absents. J'étais complètement dedans. Dans le pathos. Et ravi quelque part que ça ne déborde pas en mélo larmoyant, grâce à cette pudeur extrême que Bedos parvient à sauvegarder en fuyant le champ de la caméra, grâce également au rythme de la scène en rupture totale avec le reste du film. Un moment massue. Superbement écrit.
yaplusdsavon

Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par yaplusdsavon »

Oulà, si on sort les tartes à la crème du barbichu viennois, alors en effet la légèreté peut repartir la queue basse et Simon n'a pas fini de pleurer sa mère :mrgreen: mais enfin tu n'as sans doute pas tort; d'autre part personne n'a jamais prétendu que le rire était une chose plate et indolore.
(En tout cas, moi qui adore les engueulades de famille je donnerais n'importe quoi pour assister à un shabbat !!! )
Alligator
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Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par Alligator »

Hum... les couinements de la renaissance, ça avait l'air bien à l'écrire... à le lire ça a l'air plutôt crétin, ce qu'on appelle dans le jargon de la "branlette". Tout ça pour expliquer que je n'ai pas fait risette sur cette scène en somme.
yaplusdsavon

Re: Yves Robert (1920-2002)

Message par yaplusdsavon »

Ma réaction était un peu facile :mrgreen: il est normal qu'à mon tour je développe un peu mon point de vue.

En fait je pense que cela dépend de qui regarde le film et à quel moment. J'ai du voir plusieurs fois "La Maman et la putain" par exemple, film que je trouvais très amusant d'abord et qui ensuite finissait par me plonger dans une tristesse un peu sourde; à ce moment là je n'aurais jamais laissé dire personne que ce film était un film rigolo tant je l'aurais senti comme une injure personnelle (involontaire certes).
Il peut y avoir quelque chose d'insupportable dans l'argument ou la posture du rire, c'est que cela permet à n'importe qui de se croire malin, sans savoir que l'humour, précisément, cela demande des comptes -comme si le rire et les larmes se tenaient à l'horizon de notre perception et que la vérité naissait non pas du compromis mais du choc brutal entre ces deux éléments. Je ne parle pas de la douleur de Simon mais de la façon dont le spectateur peut appréhender un tel regret de la victime pour son bourreau, toute mère qu'elle ait été. C'est le ressort de quelques films assez équivoques comme "Cul de sac" de Polanski par exemple, où le personnage de Donald Pleasance ne s'épanouit que sous l'autorité brutale de Françoise Dorléac d'abord, puis de Lionel Stander.

Ce qui nous ramène cet humour noir que tu évoques dans ton analyse: c'est un humour absurde, presque dangereux mais ici, la noirceur est dansée ou chantée, selon un principe proche de l'opérette que tu as aussi évoquée (et qui nous ramène à Lubitsch, décidément j'y tiens!) car il y a parfois quelque chose de métaphysique dans l'opérette.
Cette relation de Simon avec sa mère me fait penser à ce qu'est censé deviner le spectateur dans une scène hors champ d'un film de Laurel et Hardy: par exemple l'un rentre dans une pièce et ferme la porte, bruit de casseroles, il sort de la pièce le chapeau enfoncé sur la tête et le faux col en travers. On ne le voit pas dans le film, mais il s'est fait très mal, et il serait même très logique qu'il se soit cassé le nez ou les dents.

Ton texte me rappelle aussi cette phrase d'Etienne en voix-off dans le premier épisode, où celui-ci "présente" les personnages et dit, au moment où Mouchy fait une scène à Simon au cours d'une soirée et fait fuir sa nouvelle petite amie: "Depuis toujours, Simon entretenait cette relation exclusive avec sa mère." En somme, elle l'empêche de vivre lorsqu'elle est là, et morte elle trouve encore le moyen de lui faire du mal (même si c'est pour une renaissance comme tu le dis); d'un certain point de vue cela ramène un peu à cette blague juive que raconte Woody Allen au début d'Annie Hall pour dire ce qu'il pense de la vie: deux vieilles dames se plaignent d'un gâteau qu'on leur a servi dans un café, l'une dit que ce n'est vraiment pas bon, et l'autre renchérit, en ajoutant qu'en plus les parts sont vraiment petites.
Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

Motivé par la découverte de ce topic il y a quelques jours je viens de revoir UN ELEPHANT CA TROMPE ENORMEMENT qui trainait sur mes étagères depuis quelques années maintenant. J'ai pris énormément de plaisir à redécouvrir ce pur bijou de la comédie à la française, à la fois fine par son écriture (un régal) et chaleureuse par ses personnages et son humour. Je n'avais jamais vu le film aussi attentivement, d'où la compréhension du titre (enfin! il était temps) par rapport à ce florilège d'histoires tournant autour des liaisons extra-conjuguales.

Si le groupe d'amis est déjà présent, il reste assez accessoire dans ce 1er opus (je crois que ça change un peu dans la suite que je redécouvrirai bientôt). Même si les figures de l'amitié sont déjà dessinées et que les personnages sont déjà bien croqués et nécessaires à l'intrigue, avec leurs qualités et leurs défauts (tout en optimisant leur aspect comique), l'histoire est davantage un excercice de style (réussi) autour de l'adultère.
Très beau personnage que celui interprété par Rochefort. Malgré l'immoralité latente de ses tentatives, on ne peut qu'être avec lui, partager ses sentiments et ses déboires (ô combien joussifs, finalement). Par cette humanité si touchante, par sa maladresse aussi, il exprime en même temps une ambivalence des sentiments. Car, attiré par cette mystérieuse brune à la robe rouge, il continue à aimer sa femme. A laquelle Danièle Delorme apporte une belle interprétation.

En plus du fameux casting d'amis, ce film presque "chorale" bénéficie de deux second rôles fameux qui, dans mon souvenir, vont s'émanciper davantage dans la suite. Pour l'instant j'adore toujours Marthe Villalonga toute en exubérance pied-noir: une caricature de la mère possessive absolument irresistible (son rôle le plus mémorable). Christophe Bourseiller m'avait bien fait marrer il y a quelques années dans ce rôle. Je l'ai retrouvé toujours aussi spécial, mais que c'est bon.

A suivre...
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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