Cinémas d'Amérique latine

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Pat Wheeler
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par Pat Wheeler »

Alligator a écrit :Hasta el viento tiene miedo (Carlos Enrique Taboada, 1968)

Mon 3e Taboada, après "Mas negro que la noche" et "El libro de piedra" et j'aime déjà ce style très mexicain, empruntant largement à l'esthétique hollywoodienne, mais dont la latinité expressive peine à se dissimuler, ce mélange de puritanisme et de provocation sensuelle et surtout cette incroyable facilité à transformer un récit, plutôt naïf, en une trame maitrisée et vraiment palpitante. J'aime beaucoup cette zone floue pleine de charme dans laquelle le film se meut, entre rêves et cauchemars.

J'évoquerais volontiers le style assez rigide qui se dégage des costumes, des coiffures, des attitudes et que les personnages développent tout le long du film. Cet univers étriqué, essentiellement féminin, s'inscrit sans doute dans une tradition du cinéma de suspense. On pense évidemment à Henri-Georges Clouzot et ses "diaboliques" mais les chignons stricts, les tailleurs et les jupes plissées font plus encore référence au cinéma période américaine d'Alfred Hitchcock. Et puis ajoutons à cela une dose d'effroi venue du pays des maléfices. Taboada maitrise parfaitement son histoire, ses rythmes avec les ingrédients très classiques du genre fantastique. Difficile alors de ne pas songer à Mario Bava.

Le suspense est garanti et ce, en dépit d'éléments qui paraissent tellement banals, voire stéréotypés qu'on s'installe dans une sorte d'attente, celle de la catastrophe, de l'ennui, du sourire moqueur. Rien de tel en ce qui me concerne. Je parlais de naïveté plus haut. C'est vraiment ça. Les effets de mise en scène sont attendus, visibles et malgré cela, on frémit, on s'inquiète, on est mal à l'aise. Néanmoins, ce film-là est peut-être moins percutant et effrayant que ceux que j'ai cité au début de cette critique. Le spectateur reste sur la marge. J'ai connu le frisson de la trouille qui parcoure l'échine en voyant "Mas negro que la noche" ou '"El libro de piedra". Pas ici. Juste une latence angoissante qui persiste.

N'empêche, un charme diffus s'installe très vite pour durer. Ce charme discret de la bourgeoisie mexicaine est d'autant plus sensationnel qu'il se double d'un semblant d'érotisme puritain que d'aucuns trouveront sans doute factice, très artificiel. Je le conçois. Pourtant, cet ajout me parait au contraire une excellente idée de rupture, pour ménager un temps de respiration, d'alternance vivifiante, avant de reprendre le cours horrifique du récit. Léger, coquin plus qu'érotique, mais dans le Mexique de l'époque, cette liberté soutifaire avait l'allure d'une outrance parisienne, piment exotique, européen. Charmant usage.

Quel dommage qu'il n'y ait personne pour restaurer ce film! On hérite ici d'une copie très laide qui ressemble bien plus à un enregistrement télé sur vhs. C'est triste. Taboada mérite tellement davantage! Triste et incompréhensible, c'est du bon cinéma de genre.
Expérience assez pénible pour ma part: intrigue cousue de fil blanc, photo terne, stéréotypes à la pelle, direction d'acteurs catastrophique, etc. En plus ça avance à 2 km/h et ça palabre beaucoup pour pas grand chose (je sais bien que les Latinos ont la langue pendue mais quand même :mrgreen: ). J'étais motivé pour découvrir les 3 films les plus connus de Taboada (celui-ci ainsi que El Libro de Piedra et Mas Negro que la Noche) à la suite mais là je vais y aller à reculons pour les prochains.
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bruce randylan
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Alligator a écrit :Hasta el viento tiene miedo (Carlos Enrique Taboada, 1968)

http://alligatographe.blogspot.com/2011 ... miedo.html

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Mon 3e Taboada, après "Mas negro que la noche" et "El libro de piedra" et j'aime déjà ce style très mexicain, empruntant largement à l'esthétique hollywoodienne, mais dont la latinité expressive peine à se dissimuler, ce mélange de puritanisme et de provocation sensuelle et surtout cette incroyable facilité à transformer un récit, plutôt naïf, en une trame maitrisée et vraiment palpitante. J'aime beaucoup cette zone floue pleine de charme dans laquelle le film se meut, entre rêves et cauchemars.

J'évoquerais volontiers le style assez rigide qui se dégage des costumes, des coiffures, des attitudes et que les personnages développent tout le long du film. Cet univers étriqué, essentiellement féminin, s'inscrit sans doute dans une tradition du cinéma de suspense. On pense évidemment à Henri-Georges Clouzot et ses "diaboliques" mais les chignons stricts, les tailleurs et les jupes plissées font plus encore référence au cinéma période américaine d'Alfred Hitchcock. Et puis ajoutons à cela une dose d'effroi venue du pays des maléfices. Taboada maitrise parfaitement son histoire, ses rythmes avec les ingrédients très classiques du genre fantastique. Difficile alors de ne pas songer à Mario Bava.

Le suspense est garanti et ce, en dépit d'éléments qui paraissent tellement banals, voire stéréotypés qu'on s'installe dans une sorte d'attente, celle de la catastrophe, de l'ennui, du sourire moqueur. Rien de tel en ce qui me concerne. Je parlais de naïveté plus haut. C'est vraiment ça. Les effets de mise en scène sont attendus, visibles et malgré cela, on frémit, on s'inquiète, on est mal à l'aise. Néanmoins, ce film-là est peut-être moins percutant et effrayant que ceux que j'ai cité au début de cette critique. Le spectateur reste sur la marge. J'ai connu le frisson de la trouille qui parcoure l'échine en voyant "Mas negro que la noche" ou '"El libro de piedra". Pas ici. Juste une latence angoissante qui persiste.

N'empêche, un charme diffus s'installe très vite pour durer. Ce charme discret de la bourgeoisie mexicaine est d'autant plus sensationnel qu'il se double d'un semblant d'érotisme puritain que d'aucuns trouveront sans doute factice, très artificiel. Je le conçois. Pourtant, cet ajout me parait au contraire une excellente idée de rupture, pour ménager un temps de respiration, d'alternance vivifiante, avant de reprendre le cours horrifique du récit. Léger, coquin plus qu'érotique, mais dans le Mexique de l'époque, cette liberté soutifaire avait l'allure d'une outrance parisienne, piment exotique, européen. Charmant usage.

Quel dommage qu'il n'y ait personne pour restaurer ce film! On hérite ici d'une copie très laide qui ressemble bien plus à un enregistrement télé sur vhs. C'est triste. Taboada mérite tellement davantage! Triste et incompréhensible, c'est du bon cinéma de genre.
Grâce à la cinémathèque, je viens justement de découvrir ces 3 films de Carlos Enrique Taboada. :D

Pour ma part, j'ai été très déçu par El libro de pedra (1969) que j'ai trouvé beaucoup trop mou, lent, peu passionnant et surtout bien prévisible. La longue partie qui installe le climat m'a parut interminable avec des personnages trop artificiels et des séquences que je n'ai jamais trouvé palpitantes (le moment sur le toit de l'église avec l'héroïne risquant de tomber m'a paru fort ridicule). Ce n'est que dans la dernière demi-heure que ça se réveille enfin avec une mise en scène plus "atmosphérente" pour un sentiment d'étrangeté malsain et un climat entre la terreur et l'onirisme. Mais, ça manque tout de même clairement de dynamisme et de personnages vibrants pour que les effets et les tenants fonctionnent sur moi.
Après, il faut dire que la copie projetée était assez immonde. De la vidéo sans détail, sans couleur, sans définition, terriblement terne. De meilleure condition pourrait améliorer l'immersion mais je n'y crois qu'à moitié

Mas negro que la noche est déjà bien meilleur avec une histoire tout aussi mystérieuse et inquiétante qui puise sa force dans l'absence (relative) d'explications sur les évènements qui se produisent. Tout n'est pas expliqué et ça laisse à l'imaginaire plus de liberté et donc plus de possibilité. D'ailleurs, on peut y voir comme dans la Félineune dimension psychanalytique avec des personnages féminins frustrées, frigides ou avec des problèmes de couples.

De plus la réalisation est d'un tout autre niveau avec des séquences de terreur parfaitement maîtrisées qui rappelle en effet l'univers et le style de Mario Bava en moins bariolée et baroque bien qu'on sente un vrai travail sur les ombres, l'obscurité, le choix des couloirs (ce rouge !) et les sources de lumière. Les séquence dans la bibliothèque sont épatantes et les deux derniers plans sont sidérants (surtout le travelling qui se rapproche de le la fille adossée à une colonne avant qu'elle ne reculer vers l'escalier).
Par contre, les séquences traditionnelles sont moins réussies avec une interprétation plus aléatoire. De surcroît, la structure du scénario devient vite répétitive une fois qu'on a compris que les filles vont y passer les unes après les autres. Il en résulte des gros problèmes de longueurs avant qu'on attaque la dernière ligne droite.


Par contre je ne cache pas mon enthousiasme envers Hasta el viento tiene miedo (1968) que je considère comme un petit chef d'oeuvre avec un mélange audacieux et assez rare entre la fraîcheur naïve et sensuelle des films pour adolescentes, de purs moments d'angoisse et un univers qui tient autant du rêve, du fantasme et de l'onirisme. D'où une oeuvre singulière qui ne ressemble pas à grand chose mais qui possède un pouvoir de fascination, d'émerveillement , de trouble et d'effroi vraiment unique.
En plus d'être une histoire de vengeance assez atypique, il y a une sorte de frémissement sur la fin de l'enfance que je trouve très émouvante. Ca tient autant au charme candide des interprêtes qu'au mélange curieux (parfois décalé) des genres mais qui forment au final un ensemble harmonieux.
Un film entêtant tout droit sorti d'un songe qui anticipe furieusement (et justement)Innocence de Lucile Hadzihalilovic

Taboada a également tourné un ultime film fantastique dans les années 80 Veneno para las hadas que la cinémathèque avait également programmé mais que je n'ai pas pu voir et que les amateurs du cinéastes considères comme le plus réussi de série de film d'épouvante. Il existe cependant en DVD aux USA.
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Message par Music Man »

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BESOS BRUJOS de José A FEREYRA - ARGENTINE - 1937
Avec Libertad LAMARQUE, Floren DELBENE, Carlos PERELLI

Une rivale jalouse de la chanteuse Marga lui fait croire que son compagnon est infidèle et l’a mise enceinte. Marga, désespérée, signe pour la première tournée venue. Elle se produit dans un bouge parmi des gauchos. Le plus riche d’entre eux la remarque et la fait enlever pour la séquestrer dans la jungle. Heureusement, c’est un gentleman et il ne va pas la violenter. Parti à sa recherche, son compagnon se fit mordre par un serpent venimeux dans la jungle…

Quel scénario édifiant. Bien que parlant, on a l’impression de voir un film de l’époque du muet tel qu’on les parodie quelquefois avec un héros moustachu qui grimace de douleur, une belle chanteuse perdue dans la jungle, deux rivaux qui se jettent des regards incendiaires. Oui, c’est ridicule à souhait et cela en dit long sur la naïveté du public populaire argentin, prêt à gober n’importe quel mélo tarabiscoté. La vedette est la jolie chanteuse argentine Libertad Lamarque, homologue de Carlos Gardel. Elle chante avec passion plusieurs tangos et milongas dans la jungle, en prenant son bain dans la rivière (la veille elle hurlait en apercevant le moindre varan ou la moindre grenouille, mais bon…) dont besos brujos, la chanson titre, un des plus gros succès de sa très longue carrière. Difficile de juger son interprétation tant les situations qu’elle doit jouer sont impossibles. L’image est très bonne , ce qui est rare pour un film argentin de l’époque, qui sont souvent diffusés à la télé sans la moindre restauration.
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par Music Man »

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ENAMORADA de Emilio FERNANDEZ – Mexique – 1946
Avec Maria FELIX , Pedro ARMANDARIZ, Fernando FERNANDEZ

Le révolutionnaire Jose Juan Reyes s’empare de la ville de Cholula bien décidé à confisquer l’argent des gens les plus riches de la contrée pour financer la révolution mexicaine. Mais, Jose Juan tombe amoureux fou de la belle et riche Béatriz….

Plus qu’un énième drame sur la révolution mexicaine, Emilio Fernandez nous offre ici une nouvelle mouture de la mégère apprivoisée à la sauce mexicaine. Même si le personnage du révolutionnaire endurci qui cache en fait un être sensible romanesque au cœur de midinette est difficile à croire (l’autoritaire guérillero est absolument bouleversé par la découverte – un peu tardive- du « grand amour » ; il se révèle un homme au grand cœur dont la générosité profonde est vite décelée par le curé du village), il est remarquablement joué par le charismatique Pedro Armandariz. Les chamailleries entre le révolutionnaire attendri et l’impétueuse, bouillonnante, et furieuse Maria Felix sont parfois fort drôles. Campant une fois de plus un rôle de maîtresse femme, violente et véhémente, elle n’hésite pas à donner de grandes gifles aux révolutionnaires qui l’ennuient et à littéralement faire sauter Pedro Armandariz de sa monture, à coup de feux d’artifices.
La photographie de Gabriel Figueroa est splendide, et la scène finale (très réminiscente du Morocco de Sternberg où Maria Felix, enfin domptée par l’amour, et soumise, suit dans le désert le révolutionnaire de son cœur) est un bon témoignage de son talent. Les immenses gros plans rendent hommage au beau visage de Maria Felix.
Le film assume une bonne dose de kitsch et de naïveté (sérénade à la belle –Malaguena-chantée par les mariachis sous son balcon, le personnage du curé bienveillant auquel le révolutionnaire va confier ses histoires de cœur) assez délectable.
Un divertissement fort plaisant. Un remake (inférieur semble t’il) sera tourné aux USA avec le même Pedro Armandariz mais Paulette Goddard dans le rôle de Beatriz.
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par Music Man »

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LA MENTEUSE (LA MENTIRA) de Juan J ORTEGA –Mexique – 1952
Avec Jorge MISTRAL, Marga LOPEZ, Domingo SOLER, Andrea PALMA, Miguel ACEVES MEJIA

Demetrio apprend que son frère s’est suicidé, bouleversé par la trahison de sa maîtresse. Désireux de venger son frère, il retrouve celle qu’il croit être la perfide fiancée. Il l’épouse…

Un mélo réalisé sans génie dont le seul intérêt demeure l’intrigue. Hélas, le suspens ne dure pas bien longtemps et l’on se doute assez vite que la menteuse n’est pas forcément celle que le héros croit, même si l’on attend la fin pour bien s’en assurer. C’est correctement joué (avec Jorge Mistral, le célèbre séducteur du cinéma espagnol des années 50), bien photographié, assez lent (le film est interrompu de scènes de cabarets, numéros de mariachis par la voix mélodieuse de Miguel Aceves Mejia…). La violence du personnage de Demetrio, déchiré entre son attirance et son aversion pour la « menteuse » aurait pu être mieux exploitée. Le film a fait l’objet d’un remake en 1970 avec Julissa.
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bruce randylan
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Depuis un peu moins d'une semaine, la cinémathèque consacre une grande rétrospective au cinéma brésilien avec environ 80 films (courts-métrages inclus) qui part du muet pour aller jusqu'aux films récents.
Même si la sélection n'est pas du gout des connaisseurs et que les films ne passent qu'une fois (et parfois pour des horaires de retraités/chômeurs :cry: ) , il y a de quoi être bien curieux !

http://www.cinematheque.fr/fr/dans-sall ... n,619.html

Pas de bol, ça commence mal pour moi avec le film muet Braise éteinte / Braza dormida (Humberto Mauro - 1928) qui est assommant comme pas possible. Je n'avais déjà pas du tout été convaincu par le seul autre muet que j'avais vu : Limite de Mario Peixoto (1929). Ce film du cinéaste culte Mauro (culte) est moins expérimental que ce dernier mais demeure souvent très soigné plastiquement avec notamment une très belle photo, un certain sens du cadre et quelques paysages correctement exploité. Ca donne donc régulièrement plusieurs jolis plans, surtout les derniers séquences avec un combat entre 2 hommes se déroulant dans une pénombre envahissante. A d'autres moments, des léger travellings viennent mettre en valeur un détail avec tout une jeu sur la puissance des regards. Mais le problème ne vient pas de là mais d'un narration incompréhensible pour une histoire par ailleurs indigeste et truffées de clichés (pour le peu que j'ai suivi).
On dirait que Mauro fait tout pour ramener son film à une suggestion de scènes de dialogues statiques sans chercher à mettre des cartons (explicatifs ou reprenant les répliques), comme si public savait de quoi il retournait à chaque scène. Il y a ainsi beaucoup de passages où l'on retrouve deux personnages en tête qui parlent pendant quelques longues secondes/minutes avant d’enchaîner sur la séquence suivante sans avoir eu le moindre carton qui résumerait l'enjeu ou le contenu du moment.
Je ne sais pas s'il avait un livret ou un bonimenteur dans la salle mais dans la projection de ce soir (et sans accompagnement musical :evil: ), c'était proche du supplice. Je n'étais pas le seul à lutter pour ne pas piquer du nez et plusieurs sont partis de la séance.

On ne peut pas donc pas dire que Braise éteinte soit vraiment un film dans son sens classique. Tout juste une succession de plans, enchaîné sans souci de progression dramatique ou psychologique dont j'ai bien du mal à saisir la valeur, si ce n'est historique (il parait que ce film marque la naissance du "cinéma artistique" du pays...)
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

L'heure de l'étoile / A hora da estrela (Suzana Amaral - 1985)

Macabia est une jeune femme un peu simplette qui arrive dans une grande ville pour suivre, sans grand talent, une formation de dactylo. Toujours vierge, elle s'installe dans une pension avec 3 autre filles et commence à être attirée par les hommes.

Le genre de film qui me laisse perplexe sans trop savoir quoi en penser. Le film a pas mal de qualités, à commencer par une certaine sensibilité pour son héroïne sorte de rêveuse qui aurait toujours 10-12 ans d'âge mentale avec quelques lubies étranges. Le ton oscille entre quelques touches d'humour (les fantasmes autour d'homme qui au final ne la regarde pas), le drame pathétique, le social et surtout une cruauté grinçante pour ne pas dire cynique. A part son supérieur, tout le monde ou presque la méprise à commencer par son amoureux.
Du coup, j'ai un peu du mal à comprendre la démarche de la cinéaste et la finalité de son histoire.
Moralement parlant, je suis même assez gêné par le fait de dépeindre ce genre de caractère qui n'a vraisemblablement jamais eu de chance dans la vie (le début évoque une tante décédée l'ayant éduquée), lui faire miroiter un hypothétique bonheur, avant de...
Spoiler (cliquez pour afficher)
la faire écraser par la voiture du "prince charmant" qu'une voyante lui décrivait quelques minutes plus tôt
.

Je trouve ce genre de construction dramatique toujours un peu sadique d'autant que le scénario est loin d'exploiter toutes les pistes avec des seconds rôles au final sans intérêt (les 3 co-locataires qui ne servent à rien dans le récit).

Je suis donc ressorti avec un avis très mitigé, appréciant d'un côté une certaine tendresse pour ce personnage très fragile bien interprétée par Marcelia Cartaxo tout en étant profondément agacé par un dernier tiers dérangeant (et maladroit).
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Noite Vaiza (Walter Hugo Khouri - 1964)

Deux amis parcourent un Sao Paolo nocturne en quête de rencontres féminines. Ils ramènent deux femmes dans leur garçonnière.

Un drame psychologique sous grosse influence Antonionio avec des personnages quasi mutique frappés d'un mal-être existentielle et qui déambulent dans des espaces vides.
La première moitié est peu engageante entre cinéma poseur et prétentieux pour des personnages un peu agaçants tellement ils sont désincarnés. A partir du moment où les 4 protagonistes se retrouvent dans un appartement, on se laisse doucement happé par l'atmosphère même si on est pas loin de la parodie avec les regards vides au travers des fenêtres pluvieuses, les longs silences, les traits figés, la mélancolie sans réelle explication, les coucheries pour se sentir moins seule, la sexualité triste, le mec cynique qui embarque son ami plus romantique, le trauma enfantin, le pessimisme forcé etc...

Il faut reconnaître cela dit que le style du cinéaste fonctionne bien avec une très belle photographie, un habile sens du cadrage et du découpage. Sa réalisation parvient à donner du poids et une certaine fascination à ce jeu pervers où les âmes (surtout féminines) se mettent à nues... au sens propre et figuré.
Le film n'est jamais aussi meilleur quand il joue la carte d'une certaine cruauté psychologique avec manipulation et humilations à la clé.
Ca donne un long huit clos bien exploitée, un peu répétitif par moment et sans doute très artificiel dans ces effets de style mais pas désagréable... enfin "pas désagréable", ce n'est clairement pas le genre de films qui a pour but de mettre à l'aise.

Ce titre fut sorti à l'époque sous le titre Les célibataires à la recherche de l'érotisme :o

Sinon, ça confirme tout de même que le cinéma brésilien, ce n'est pas vraiment ma came. Je vais encore en faire quelques uns mais certainement pas en me forçant (de toute façon, la programmation a l'air d'être majoritairement d'être composée de titres présents dans les archives de la cinémathèque et qui passent de temps en temps dans leur l'histoire permanente du cinéma)
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Bon, finalement, j'ai retenté à un film brésilien à la Cinémathèque :

Sécheresse / Vidas secas (Nelson Pereira dos Santos - 1962)
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En 1940, une famille de paysans fuit la sécheresse et la misère. Profitant d'un orage, ils se réfugient dans une maison abandonnée sur le terrain d'un éleveur de bétail. Ce dernier embauche le père de cette famille comme vacher.

Un bon gros (mélo)drame façon néo-réalisme qui alterne clichés rabâchés et passages plus inspirés. On n'évite ainsi pas aux séquences où le père va perdre l'argent de son salaire au jeu de cartes, ce qui contrarie forcément les plans de son épouse. Sans oublier, le patron cynique, les policiers brutaux et un pessimisme ambiant par moment vraiment forcé.
Dans l'ensemble, le ton est assez austère avec des comédiens très guindés et une réalisation assez statique et épurée qui colle cela dit bien au climat aride et désertique des paysages.

L'ennui et la passivité ne sont pas loin de pointer régulièrement leurs nez, surtout dans son tiers central (où sont concentrés les stéréotypes les plus éculés). Fort heureusement, l'introduction et la conclusion (qui fonctionne en miroir ; exode et mort d'un animal inclus) sont bien plus réussis.
Le début, la famille marchant dans le lit d'une rivière asséchée, est assez marquant avec sa quasi absence de dialogue, juste quelques commentaire fatalistes et éreintés de la mère en voix-off (lorsqu'on voit au loin des rapaces tournés en rond dans une colline éloignée, elle déclare presque jalouse "en voilà un qui va enfin pouvoir se reposer").
La fin, où le chien malade doit être abattu, ne manque pas de puissance allégorique avec une séquence assez stupéfiante où la bête agonisante est observée par deux gros rongeurs (qui étaient quelques séquences plus tôt des proies faciles).
L'idée de conclure sur l'année en cours (1942) est également brillante et résume cruellement le quotidien de ces (nombreux) laissés-pour-compte.
Ces quelques minutes permettent de finir sur un impression positive mais jamais enthousiasmante ou transcendante.

En revanche, grosse déception pour la copie vidéo projeté à la cinémathèque, à peine digne d'un DVD bachfilm (compression abominable, aucune définition et blancs complètement explosés).
Dernière modification par bruce randylan le 22 avr. 18, 09:36, modifié 1 fois.
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Les trois mousquetaires et demi / Los tres mosqueteros y medio (Gilberto Martínez Solares - 1957)
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Le nom ne vous dira sans doute rien mais Tin Tan (Germán Valdés de son vrai nom) était l'une des grande vedette du cinéma populaire mexicain avec plus d'une centaine de films à son actif. Cette parodie du fameux roman d'Alexandre Dumas en est l'un des quelques exemples et l'origine française du scénario explique sans doute pourquoi le film connut une exploitation en salle chez nous via un doublage avec la crème de l'époque (dont Roger Carel et Michel Roux).
Tin Tan avait l'air d'être connu pour son phrasé "spanglish" et l'on devine qu'une bonne partie de l'humour du film réside dans ses dialogues et nombreux jeux mots sans doute difficilement traduisibles.
Du coup, les ressorts comique de l'adaptation française repose beaucoup trop sur les anachronismes. Au début, on s'amuse de voir les personnages faire références au téléphone, au levier de vitesse (alors qu'ils sont sur un cheval) et autres avions mais ça finit légèrement par s'user sur la longue. Car l'inspiration humoristique est assez faible au final pour des gags au final sans grande originalité : un marteau-piqueur, pas mal de cabotinage, des bruitages cartoons sur un duel à l'épée entre adversaires aux ventres rebondissant, running gag sur un fourreau d'épée bien trop long, une grille de morpion dessinée sur le torse du méchant, du travestissement ou encore un déguisement de plongeur aquatique (peut-être le plus saugrenu).

Le défaut majeur du film demeure qu'il colle au roman sans grande imagination et se contente de glisser quelques gags assez faciles avec 2 chansons de Tin Tan et un numéro de French Can-can (la version française a cela dit coupé au moins une chanson et sans doute quelques scènes).
Mais ne soyons pas trop méchants non plus, Les trois mousquetaires et demi reste un divertissement sans prétention, issu de son époque et uniquement conçu comme un véhicule (efficace) à sa vedette. Ce n'est pas plus honteux que bon nombre de nos Fernandel, Fernand Raynaud et certains De Funés première période (surtout doublé en mexicain !)
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Kevin95
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par Kevin95 »

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LOS TRES MOSQUETEROS Y MEDIO (Les Trois Mousquetaires et demi) - Gilberto Martínez Solares (1957) découverte

Parodie mexicaine des Trois Mousquetaires... on peut s'arrêter là, le niveau d'improbabilité est atteint. Los tres mosqueteros y medio donc, grosse potacherie qui aime à accumuler les anachronismes et les grimaces de sa star locale - Tin Tan - qui parait-il est le Louis de Funès mexicain. Les distributeurs français, conscients du potentiel quasi nul de la péloche, lui donne des couleurs un peu plus tricolore en donnant aux doubleurs l'opportunité de dire tout et n'importe quoi du moment que ça ressemble à de l'argot. Curieux, pas si nanar que ça, ni vraiment navet, Los tres mosqueteros y medio est plus un plat typique qui aurait perdu de sa saveur avec le temps et en traversant les frontières. Pour les mexicains, c'est sans doute une Grande Vadrouille like, pour nous c'est plutôt deux heures d'occupation quand le livre de mots croisés est terminé. Décalage culturelle comme dirait l'autre, peut-être bien. De là à aller repêcher cette péloche perdue en Amérique latine... ce n'est pas comme si on était en manque de nanars pouet pouet.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Une découverte issue du riche programme "Quinzaine des réalisateur 1969" à la Cinémathèque

Lucia (Humberto Solás Borrego - Cuba - 1968)

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Un gros pavé de 2h40 pas évident à appréhender aux premiers abords dans ce film à sketchs de 3 segments aux styles visuels tranchés et qui mettent en scène 3 femmes différentes à 3 époques distinctes, toutes nommés Lucia.
Le premier qui prend place en 1895 est assez déstabilisant, dans la lignée d'une certaine hystérie frénétique d'un Zulawski ou de Ken Russel : caméra au poing qui court au quatre coin du cadre avec un peu de grand angle de surcroit, montage cut, ellipses, beaucoup de mouvement dans le cadre (et du cadre aussi). Difficile de savoir où l'on va mais on est plongé sans explication au milieu de bourgeoises hautaines qui se racontent des massacres de nonnes sous la révolution pour s'amuser à se faire peur tandis que la misère s'étale sous leur fenêtre. L'un d'elle tombe amoureuse d'un aristocrate qui lui fera avouer sans qu'elle s'en rende compte la cache de l'armée révolutionnaire de son frère, conduisant à une action de l'armée.
C'est un peu éreintant, vraiment brouillon et parfois insaisissable même si de nombreux moments offres de belles visions de chaos organisé avec une réelle énergie et un sens du montage audacieux qui nous fait perdre tout repère temporelle voire narratif. Les scènes de batailles sont spectaculaires avec un belle logistique dans sa figuration et les mouvements de foules.

La seconde histoire est plus posée, se déroule en 1932 et raconte cette fois l'engagement d'un femme de classe moyenne par amour pour un révolutionnaire. C'est le moins marquant des trois. Le style est plus passe-partout, les personnages plus conventionnels pour un contexte politique moins viscéral. C'est sans doute du à sa seconde place, après les 65 minutes précédentes qui imposaient une dynamique permanente. Reste que les scènes de guérillas urbaines dans le cinéma sont plutôt efficaces.

Le dernier segment est contemporain de la réalisation du film et c'est une petite merveille. Lucia est ici une femme analphabète, mariée à un homme jaloux et violent qui refuse de la voir sortir mais qui est contraint de devoir accepter qu'un instructeur lui donne des cours particuliers à domicile, ce qui commence à lui donner le goût de l'indépendance. Une très belle histoire d'émancipation qui critique le machisme de la société avec une comédienne magnétique et une réalisation sensible héritée du néo-réalisme et du documentaire. C'est de plus illustrée par des variations de Guajira Guantanamera par Joseíto Fernández lui-même qui intervient comme un leitmotiv, adaptant les paroles selon différentes stades de la (r)évolution de Lucia.

C'est grâce à ce dernier épisode qu'on finit par comprendre pleinement le film, son propos et sa démarche. La première Lucia n'a aucune conscience sociale et est instrumentalisé par le pouvoir en place, la deuxième s'engage par amour sans comprendre encore vraiment les enjeux et la dernière effectue sa mue, pleinement consciente de l'importance de la révolution et de ses effets concrets sur la population, et pas seulement d'un point de vue matériel. Les différents style visuel traduise en réalité leur compréhension de cette révolution : la première se fait bringuebaler par l'histoire sans avoir aucune emprise, son alter-ego de 1932 est une anonyme dans la foule et c'est le collectif qui prime tandis que celle de 1968 frémit et prend conscience de sa place dans la société pour une mise en scène plus lyrique et sensible où l'environnement est primordial (le film est en grande partie en huit-clos avant de s'ouvrir et de s'élargir sur les champs et les terrains d'exploitation du sel de mer).
Cet ancrage humain permet aussi d'éviter d'être un simple film de propagande communiste.

Et j'en suis sorti finalement assez enthousiaste, curieux de revoir ce triptyque pour vérifier si mon ressenti se valide ou non. Quoiqu'il en soit, 10 jours après, certains plans de la première partie et de nombreuses scènes de la dernière me trottent toujours en tête.
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Seconde découverte de ce "Quinzaine des réalisateur 1969" à la Cinémathèque.

Cara a cara (Julio Bressane - 1967 - Brésil)

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Rien compris ! :lol:

C'est vraiment typique du cinéma brésilien de cette période avec une narration très libre qui avance sans cohérence ni logique. On devine une certaine trame : un homme épie la fille d'une riche homme corrompu qui fomente un complot avec des représentants industrielles, politiques et religieux.
Et encore, beaucoup de choses ne se devine que sur le tard car la construction du film entretient les doutes en privilégiant des intrigues disparates qui ne se rejoignent très tardivement et qui pourrait être tout autant des projections mentales, des idées d'écritures, des fantasmes... On trouve d'ailleurs un intermède burlesque sous forme d'un film muet (dans le film) et certains personnages pourraient avoir deux incarnations (un peu comme dans Cet obscur objet du désir). Mais c'est à mettre au conditionnel puisqu'on est vraiment sans repère et qu'on essaie de s'accrocher tant bien que mal à la moindre des brindilles.
C'est encore une fois très proche d'une certaine littérature sud-américaine qui ne repose pas sur une construction cartésienne pour opter pour le surréalisme, la satire politique, la fable psychologique et l'ambiance fantastique.
Celui-là n'est pas le plus rude du genre puisqu'il a la bonne idée de ne durer que 70 minutes et que la réalisation, comme la photo, sont loin d'être bâclées.

Des copains ont vu d'autres films brésiliens de ce cycle, ça l'air vraiment bien barré et insaisissable dans l'ensemble (comme Brasil anno 2000 de Walter Lima, le brave guerillero de Gustavo Dahl - que j'aimerai bien voir quand même).
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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

La Première charge à la machette (Manuel Octavio Gómez - 1968)

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1868, la lutte des paysans cubains se munissent de leur machette pour affronter les soldats espagnols.

Qui a dit déjà que Paul Greengrass avait inventé la shakycam ? :mrgreen:
Un film révolutionnaire sur le fond qui essaye d'être révolutionnaire sur la forme et on pourrait dire qu'il y parvient. Sous grosse influence du Culloden de Peter Watkins, Manuel Octavio Gómez filme la révolte cubaine comme un sujet d'actualité contemporain avec journaliste interviewant les rebelles ou les soldats, se retrouvant plonger dans le tumulte des batailles chaotiques et adaptant son style au point de vue des personnages à l'image. Par exemple quand on questionne les gradés espagnols, l'approche est plus posée à la façon des télé institutionnalisé par le pouvoir espagnol avec sa propagande rassurante pour s'arroger le bon rôle et minimiser les exactions de leurs troupes.
Et pour bien appuyer jusqu'au bout son exercice de style, le cinéaste triture sa pellicule pour lui donner un aspect encore plus brute et rugueuse avec solorisation et contrastes bidouillés (je me rappelle plus le nom de l'effet exactement) qui gomme quasiment toute les nuances de gris pour ne garder que les blancs (brûlés) et les noirs (rapidement bouchées). Cet effet est plus ou moins poussés selon les séquences et qui se trouve au cœur de l'image. Quand ce sont les autorités mexicaines, cet effet disparait pratiquement ; quand il s'agit des champs de batailles, il est poussé à fond et c'est peine si on distingue des formes. Pour peu, on se croirait dans Sin City. C'est très déstabilisant au début et on se demande si la pellicule n'a pas été endommagée avec le temps ou s'il ne s'agit pas d'une copie 8mm de 20ème génération gonflée en 35mm ou quelque chose du genre. Au bout de 2-3 séquences, on comprend finalement que c'est un parti pris assez original car je n'en connais pas d'autres utilisations (à moins d'explorer le cinéma un underground ou expérimental ?).

En tout cas, cette réalisation atypique transcende évidement un sujet qui n'aurait pas évité la glorification de la révolution et le manichéisme primaire. Les petits reportages dans le documentaire sont ainsi assez exaltants comme celui sur l'histoire de machette pour les paysans locaux. Le film dégage donc un pouvoir de fascination assez conséquent avec une énergie et une vitalité presque éreintantes tant la caméra à l'épaule est pratiquement toujours à mouvement à coup de secousses, tremblements, panoramiques rapides et ruées dans les mêlées qui deviennent des toiles abstraites avec des tâches en noir et blanc en plein corps à corps. C'est totalement bouillonnant et fulgurant bien que le procédé ne permettent pas de tenir toutes ses promesses jusqu'au bout malgré sa durée de 80 minutes. On n'évite pas certaines répétitions via un procédé assez systématique. Contrairement aux autres film de Peter Watkins, il manque une identification, un aspect humain pour être pris aux tripes. Ici, comment souvent dans les œuvres communistes, c'est la foule et le groupe qui sont mis en avant et non différents individus reconnaissables.

Ca reste une expérience assez dingue, à vivre de préférence sur grand écran. Pas mécontent de l'avoir découvert donc à la Cinémathèque après avoir fantasmé sur le titre depuis pas mal d'années (je m'attendais à quelque chose plus proche de la dernière partie de Soy Cuba).

Pour les courageux maitrisant la langue espagnol (ou vous faire une idée), ça se trouve sur youtube. :wink:
De toute façon, je ne suis pas sur qu'il existe un dvd...

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Re: Cinémas d'Amérique latine

Message par bruce randylan »

Deux films noirs découverts lors de Toute la mémoire du monde

La nuit avance (Roberto Gavaldon – 1951)

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Un jour professionnel de pelote basque est sportif très célèbre qui qui cache un homme antipathique, calculateur et égoïste. Il est bientôt contacté par la mafia pour truqué un match.

Gavaldon joue la carte "film noar" et s'y plonge corps et âme, embrassant une noirceur qui apparait pour le coup très artificielle. On en vient presque à se demander si le film est à prendre au premier ou au second degré tant la misanthropie est de mise à chaque scène. Le protagoniste est ainsi un être haïssable, méprisant, hautain et arriviste qui ne connaît pas la moindre rédemption ou tentative de rachat. Sa seule qualité est pour ainsi dire de reconnaître son cynisme, d'où une certaine honnêteté.
Le choix d'en faire un héros est pour le moins courageux. On en vient presque à savourer la spirale de mésaventure dans laquelle il se plonge à la fois volontairement et passivement. En face, il n'y a pas grand chose pour contrebalancer cette galerie grinçante, si ce n'est une jeune fille naïve et qui sera loin d'être innocente à la fin du film. Ce sont d'ailleurs les personnages féminins qui sont les plus épargnés, souvent victimes d'un monde sans pitié comme l'ancienne maîtresse du sportif, personnage pathétique assez touchant. C'est sur ce point que le film dévie un peu du cahier des charges "film noir" puisqu'on y recense aucune vraie femme fatale.
Sinon on croise des bootlegers minables, un gangster qui se voudrait raffiné mais dénué de charisme et dont les hommes de mains sont ridicules. Et quelques policiers à l'ouest.
Rien à redire sur l'ambiance et l'atmosphère tendue et poisseuse qui s'installe dès le début avec un match de pelote basque bien monté, sans musique, au mixage très brut, sans lissage qui crée déjà un sentiment de violence et de menace. Le sport est assez bien choisi pour illustrer le futur du héros, qui s'évertue ainsi à renvoyer des balles contre un mur, plutôt que directement à ses adversaires. Une manière de montrer que le destin (la fatalité ?) a aussi sa responsabilité.

A part cette ouverture originale, la première moitié souffre de son personnage détestable mais prend un tournure savoureuse par la suite avec le second match qui rabat les cartes. Ça devient alors très rythmé pour un humour noir délectable et à l'ironie mordante (et qui donne envie de croire que le cinéaste est conscient de ce second degré presque auto-parodique). Les situations s'enchaînent sans temps mort avec pas mal de moments improbables, et quelques ruptures de tons plus sombres, voire désespérée via l'ancienne maîtresse.
Loin d'être fin, crédible et le plus ambitieux, ou maîtrisé, film de son auteur mais on s'y amuse beaucoup jusqu'à la dernière séquence qui résume l'imagerie "salle gosse" du film.


Los dineros del diablo (Alejandro Galindo – 1953)

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Un modeste ouvrier accepte d'aider des gangsters à cambrioler l'usine où il travaille.

Le gouffre qualitatif avec Gavaldon est flagrant dans ce petit film noir dont l'aspect le plus intéressant ne réside par dans sa dimension thriller mais plutôt dans ses touches sociales plus convaincantes et sincères. Rien de dément non plus et Galindo ne cherche pas à faire dans le néo-réalisme mais on apprécie le naturel des scènes de foules lors des pauses déjeuner, l'évocation de la mort du père du héros et les rapports avec le patron qui montre une figure plus humaine scènes après scènes, évitant un manichéisme qu'on craignait initialement.
Ces moments ne représentent malheureusement qu'une maigre portion du film qui reste fort décevant dans son scénario et ses personnages. La femme fatale est malheureusement très ratée et empêche d'adhérer à une grande partie du film. Si la scène même du casse est honnêtement réalisée et montée, elle manque cruellement d'enjeux et de tensions. Un qualificatif qu'on pourrait appliquer à l'ensemble du film à cause de son moralisme dégoulinant, de sa trop grande prévisibilité et du manque d'incarnation du méchant dont les hommes de mains demeurent transparents et jamais menaçants.
Le film ne manque pas de péripéties sur le papier mais leurs transpositions ne possèdent que peu d'impact si ce n'est quelques moments plus sadiques comme le chef de la bande abandonné à son sort après un accident de voiture.
Dernière modification par bruce randylan le 20 juin 18, 00:55, modifié 1 fois.
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