Sur un Télérama de décembre 1963, il y a un article intéressant sur la programmation cinéma de la télévision.
La télévision présente chaque année 130 films... Comment sont-ils choisis ?
Le cinéma, pensent beaucoup de téléspectateurs, est mal servi par la télévision : seuls passent sur le petit écran des films médiocres interdits aux enfants.
C'est bien vite dit et c'est souvent fort injuste [...]
Pour choisir les quelques 130 films annuels le service des films, que dirige Jean-José Marchand, se base sur trois principes : la qualité esthétique, la cote morale et le genre.
[...] du temps où M. Janot était directeur de la RTF, c'était la cote morale qui prévalait. Actuellement, M. Bordaz se préoccupe plutôt de la qualité esthétique. Il est évident que la qualité esthétique des films qui passent sur le petit écran s'est améliorée depuis quelques mois. Mais il est évident également que ce choix ne correspond pas forcément au goût des téléspectateurs.
Sur le plan moral, le service des films s'inspire essentiellement des cotes de la Centrale Catholique du Cinéma. Certains films, même s'ils ont connu un grand succès (comme Les Amants de Louis Malle, ou la Notte d'Antonioni) sont définitivement écartés dans leur programmation intégrale ; à la rigueur en passera-t-on des extraits.
Un grand nombre d'autres films ne sont programmés qu'à condition d'y insérer le carré blanc ou avec une annonce préalable de la speakerine.
Jean-José Marchand essaie ainsi de choisir des films qui ne choquent aucune conviction. C'est lui qui se charge également de pratiquer, en accord avec le producteur, les coupes qui lui semblent indispensables lorsque certaines séquences de l'oeuvre lui paraissent trop audacieuses pour le petit écran.
Enfin, le troisième principe qui préside au choix des films [...] est celui des genres. Depuis trois ans, Jean-José Marchand a classé les films en cinq catégories :
- Grandes oeuvres et grands succès
- Drames et mélodrames
- Fantaisies et comédies
- Aventures et énigmes
- Comédies musicales.
[...] Le plus difficile [...] est de trouver de bonnes oeuvres à programmer dans la catégorie "Fantaisies et Comédies". Car si la grosse farce et le gros comique que l'on peut trouver dans des films comme Ignace ou François 1er gardent encore une certaine saveur en dépit de leur âge, la comédie légère et le sourire esquissé vieillissent mal et vite.
Or la télévision [...] ne peut programmer que des films anciens. Les distributeurs de films et les exploitants de salle considèrent, en effet, qu'un film est mort pour l'exploitation en salle au bout de cinq ans. Ce n'est qu'à ce moment qu'ils acceptent d'en céder une copie à la télévision [...]
Jean-José Marchand a réussi à obtenir des distributeurs que ce délai soit raccourci d'un an, mais il ne peut les convaincre de le raccourcir davantage.
Pourtant, il serait possible de présenter à la télévision un film, un ou deux ans seulement après sa sortie en salle, sans faire, pour autant, de tort aux exploitants. Certains films de qualité, qui n'ont pas connu un grand succès à leur sortie, pourraient être relancés à la télévision. D'anciennes oeuvres [...] ont bénéficié d'un renouveau d'intérêt de la part du public et des distributeurs après leur passage sur le petit écran. Le film Goupi mains rouges par exemple [...] et M. le Maudit [...]
Le prix du passage sur le petit écran d'un film datant de plus de cinq ans est estimé à 9000 francs ; ce prix augmente en fonction de la relative jeunesse des films [...]
On reproche également à la télévision de ne passer que des films étrangers, en majeure partie américains. Or, il se trouve que la télévision présente par an autant de films français que de films étrangers (dont 2/3 en versions doublées et 1/3 en versions sous-titrées), ce qui correspond à peu près à ce qui se présente en salles de cinéma.
Sur la seconde chaîne, par contre, la télévision ne programmera plus que 40% de films français contre 60% de films étrangers. La raison en est simple : pour trouver les 270 films qu'on envisage de programmer chaque année sur la deuxième chaîne, la production française est nettement insuffisante.
Sur les quelques 3.000 films tournés en France entre 1932 et 1957, un millier, en effet, est inutilisable en raison du mauvais état des copies. 300 seulement des 2.000 autres films sont susceptibles de passer à la télévision.
De plus, depuis quelques années, la production française tend à devenir de plus en plus "noire" et les films de la Nouvelle Vague, qui donnent une vision souvent très particulière de la vie, sont d'un passage très difficile sur le petit écran.
La télévision, qui doit se rabattre sur la production américaine, essaye de limiter le nombre de navets [...] Les films de qualité ne peuvent évidemment réprésenter la totalité des films projetés sur le petit écran. Mais il y a déjà une nette amélioration par rapport aux années précédentes puisque les oeuvres dites "d'Art et d'Essai" ont atteint en 1963 12% de la programmation totale et atteindront 20% en 1964.
Le but et le voeu du service des films [...] serait de faire de la télévision [...] une sorte de musée et de conservatoire des grandes oeuvres du cinéma.
Cela ne veut pas dire que nous ne verrons plus que de vieux films. Simplement la télévision s'inquiète désormais de choisir de bons films anciens plutôt que des navets récents [...]
(Monique Lefebvre)
Ouuuf ! j'espère qu'il y aura au moins "un" lecteur pour jeter un coup d'oeil à ce post.