Rashomon a écrit :En parlant de cette somme, je trouve intéressant que Tatave ait récemment beaucoup rétropédalé sur certains des jugements les plus catégoriques du livre, au point que je me demande si certaines notices ne reflétaient pas davantage les goûts de Coursodon que les siens? Qu'en pensez-vous?
50 ans a été pour moi un outil de travail de chevet depuis qu'on me l'a offert en 1991, ultra utilisé à tel point que les reliures (j'ai les deux gros volumes noirs dans un coffret) ont triste mine et ne tiennent plus qu'à trois fils. Mais il n'y a pas photo, le vrai Tavernier critique-historien, je ne l'ai personnellement découvert qu'il y a une dizaine d'années avec l'avènement de ses présentations de films sur dvd, et en 2012, avec ses chroniques
blogueuses. Tavernier n'est jamais meilleur que lorsqu'il traite les films au cas par cas. Alors pour te répondre, Rashomon, tu dois avoir raison mais je ne me suis personnellement jamais trop posé la question de qui écrivait quoi. Tout ce que je peux dire, c'est qu'un petit quelque chose de vaguement gênant à la fréquentation de l'ouvrage a pris fin à partir du moment où je me suis mis à lire ou à écouter Tatave seul. D'abord, il y a à mon sens, deux contingences techniques qui peuvent expliquer certaines choses : l'exercice de l'encyclopédie qui condamne à embrasser une œuvre, une carrière sans qu'il soit possible de trop s'appesantir sur un seul film (à moins qu'il s'agisse de Charles Laughton, bien sûr
) et ensuite l'accès aux films, à cette échelle-là, dans de bonnes conditions (donne qui a évidemment considérablement évoluée), ce qui pouvait encore poser quelques difficultés en 1990 pour la réalisation de ce type d'exercice et expliquer une certaine impression de survol, de jugements fondés sur des souvenirs. Et puis il y a les idéologies. Quand on lit
50 ans, on reconnaît l'obédience
Positif (par opposition à celle des
Cahiers), on "voit" les cinéastes à mettre en avant (exemple spectaculaire et fameux : Henry Hathaway), mais on peut également déplorer une propension à trop privilégier le fond parfois au détriment du charnel cinématographique (tir que corrigera Tavernier en parlant lui-même des films). Ainsi, bons nombres de notules se contentent de
décrire ce qui se passe dans un film comme si cela garantissait son très haut intérêt. Inversement, certains films sont "pinaillés" sur leur rhétorique. Ce que Coursodon et Tavernier disent de
Vol au dessus d'un nid de coucou (exemple qui m'avait marqué) me parait assez coupeur de cheveux en quatre, discutant sur plus d'une ligne le capital de sympathie dégagé par le personnage de Jack Nicholson. Si Tavernier devait s'exprimer actuellement sur ce classique des 70', on l'imagine privilégier d'autres angles.
Ce que j'aime chez le Tavernier historien-critique est son ouverture d'esprit, son affranchissement de toute chapelle, de tout dogmatisme. On sent chez lui des marottes, des affinités, des amitiés (tout un cinéma français contemporain) et c'est bien normal et on est pas obligé de le suivre sur tout mais il s'est révélé un imparable dépoussiéreur de films populaires, de France, de Navarre, d'hier, d'aujourd'hui, conjuguant sensibilité esthétique et expérience praticienne.
Disons que lorsque je lis ou j'écoute Tavernier seul, il m'arrive facilement d'oublier
50 ans. Attendons de voir comment
100 ans de cinéma américain intégrera l'évolution d'un certain nombre de ces paramètres.