Dorothy McGuire (1916-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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francesco
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Dorothy McGuire (1916-2001)

Message par francesco »

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La carrière de Dorothy McGuire est étonnante et paradoxale : sans jamais être une star, elle reste pourtant une leading lady d’importance ; sans avoir collectionné les prix d’interprétation, elle était une actrice particulièrement respectée de la critique ; en étant essentiellement une actrice de théâtre, elle n’a pourtant jamais négligé les plateaux de tournage, tournant quelques 26 films en 20 ans. Une constante cependant : l’image qu’elle renvoyait sans avoir à la composer était immédiatement sympathique : elle débuta dans un rôle de jeune première adorable, elle finit sa carrière en Vierge Marie ( !) et entre temps s’était spécialisé dans les mères rurales chez Disney. Son génie fut d’avoir apporté à ses rôles, parfois stéréotypés, une matière humaine, une richesse constamment renouvelée qui va bien au-delà de la simple justesse. Elle était déjà naturellement servie par un physique naturellement attendrissant et singulier : une silhouette menue, des traits marqués sur un visage doux, une bouche chaleureuse.



Ses débuts au cinéma se sont faits sous les meilleures auspices : son triomphe sur scène dans Claudia conduit Selznic a acheté les droits de la pièce et a prendre sous contrat son interprète principale, qui semble être la seule à pouvoir rendre justice au personnage. Selznic prétendra d’abord chercher la Claudia idéale, sur le modèle de ses campagnes pour Scarlett ou Mrs de Winter, envisagera de confier le rôle à Jennifer Jones, avant de finalement décider, en accord avec le réalisateur Edmund Goulding, que seul McGuire pouvait jouer le rôle. Nous étions en 1943 et la jeune actrice débutait au cinéma dans un rôle principal, rencontrant un succès à la fois public et critique. Le personnage de femme enfant dépassée par les évènements qu’elle incarne a sans doute vieilli aujourd’hui. Le film, et sa suite tournée 3 ans plus tard, sont pratiquement invisibles, il est difficile d’en juger.

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Pendant 4 ans Dorothy MacGuire va enchainer les bons rôles, devenant une image particulièrement attachante de la fin de la décennie. C’est d’abord Le Cottage enchanté de Cromwell, où elle joue un une jeune femme au physique ingrat en refusant de se grimer, simplement sans maquillage, sans coiffures, sans costume avantageux et en « jouant » ce physique, comme le fera Olivia de Havilland dans L’Héritière. Comme Claudia Le Cottage enchanté appartient à un genre particulier, la fantaisie romantique : manifestement l’actrice est à l’aise dans le registre de la tendresse.

Après Goulding et Cromwell Dorothy Mc Guire rencontre un réalisateur plus prestigieux encore (ou plutôt qui va le devenir) : Elia Kazan qui la dirige d’abord dans Le Lys de Brooklyn. Le réalisateur dans ses mémoires trouve qu’elle manque de dureté pour incarner un personnage pour lequel elle est d’ailleurs légèrement trop jeune. Ce premier personnage maternel dégage pourtant une force réelle, parce que la conviction de l’actrice transparait à chaque plan et qu’elle finit par convaincre de sa résistance, y compris physique, en dépit de sa silhouette. Deux ans plus tard, en 1947 elle retrouve Kazan pour Le Mur invisible, peut-être son film le plus connu aujourd’hui, quelqu’en soient ses limites, et qui lui vaut une nomination aux oscars. Elle fait honneur à un rôle complexe et assez peu aimable finalement, se montrant pour une fois presque antipathique, agaçante en tous cas, crispante, sans jamais verser dans la caricature de la mondaine superficielle qu’elle aurait pu être : c’est un personnage humain avec ses limites qui se dessine.


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L’année précédente elle avait trouvé un autre rôle inoubliable : celui de la jeune sourde muette de Deux mains la nuit, superbe Female Gothic de Siodmak, dans lequel la remarquable expressivité de l’actrice fait merveille. Le moindre de ses sourires illumine son visage, et l’écran, et elle est capable de faire passer toute la gamme de l’effroi dans son regard, sans jamais lasser le spectateur, qui suit avec une crainte toute particulière, même s’il a l’habitude de ce type d’intrigue, le parcours de la jeune femme, si attachante.

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Après 1947 l’actrice s’éloigne des écrans. Quand elle y reparait dans les années 50 c’est pour des rôles de compléments (Mister 880) ou des rôles principaux dans des films moins prestigieux (Invitation qui semble avoir une intrigue lacrymogène à souhait), même si elle partage l’affiche d’un grand succès La Fontaine des amours, de Negulesco, en 1954. C’est William Wyler qui lui offre un de ses plus beaux rôles dans La loi du Seigneur en 1956 : si le film a relativement vieilli, le charme et le naturel de son actrice principale restent intacts aujourd’hui. Impossible de porter un jugement sur son interprétation tellement celle-ci coule de source. De plus le couple qu’elle forme avec Cooper est extrêmement convaincant. A titre personnel j’adore la scène où son personnage de maman Quaker défend son oie apprivoisée, menacée de passer à la broche à coups de balais en hurlant « Samantha est un animal de compagnie. »

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Dès lors le destin de Dorothy McGuire est tout tracé : elle sera une mère idéale. Chez Disney, ou à la télévision où sa figure rassurante en fait une Madame March idéale, elle est parfaite dans un registre « familial » qui peut en agacer certains. La Universal a eu la bonne idée de lui confier des figures maternelles un peu plus dérangeantes dans Cette terre est mienne, d’Henry King, Ils n’ont que 20 ans et Susan Slade de Delmer Daves, dans lesquels des intrigues mélodramatiques sont merveilleusement servies par des acteurs excellents (en tous cas dans les rôles d’adultes) qui apportent conviction et sensibilité à des personnages qui dépassent du coup complètement les stéréotypes du scénario. Oui, l’actrice est émouvante, jamais caricaturale en femme frustrée et aigrie dans le film de King, oui on la plaint et on est en empathie avec son personnage d’adultère dans Ils n’ont que 20 ans. Etre remarquable en jouant un personnage remarquable c’est déjà très beau, être remarquable dans un personnage qui l’est beaucoup moins c’est le privilège des grands acteurs. Nul doute que Dorothy McGuire fasse partie de cette catégorie.

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Re: Dorothy McGuire

Message par Kimm »

Remarquable dans LA LOI DU SEIGNEUR (William Wyler, 1956), en femme pasteur défendant des convictions pacifiques, elle est portée par ce très beau scénario de Michael Wilson et lui rend bien justice; elle réussit la gageure d'être à la fois inflexible et attachante et malgré une tenue très austère, il se dégage d'elle à la fois de la chaleur humaine mêlée à un sex-appeal subtil mais efficace. Etre l'épouse de Gary Cooper nécessitait tout de même un minimum d'attraction! ...L'épisode de l'oie Samantha nous éclaire sur les limites de la conduite qu'elle s'est fixée, et même si elle s'en veut d'avoir rossé à coups de balai un rebel sudiste, au moins a-t-elle sauvé son animal de compagnie!

Il semble que CLAUDIA (Edmund Goulding, 1943) et CLAUDIA ET DAVID (Walter Lang, 1946) était fait pour elle..Même Jennifer Jones, pourtant au profil similaire d'ingénue gaffeuse, ne pourra lui ravir ce rôle emblématique de sa carrière...
C'est l'auteur elle-même, Rose Franken, qui insiste pour que le personnage de Claudia soit confié à la comédienne qui lui avait si bien rendu justice..Jones prendra "sa revanche" avec BERNADETTE..à chacune son rôle- titre!
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Ann Harding
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Re: Dorothy McGuire (1916-2001)

Message par Ann Harding »

Je remets ici une critique qui était dans le topic Cromwell.

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The Enchanted Cottage (Le Cottage Enchanté, 1945) de John Cromwell avec Dorothy McGuire, Robert Young, Spring Byington, Mildred Natwick et Herbert Marshall

Oliver Bradford (R. Young) revient défiguré de la guerre. Il vient se réfugier, loin de sa mère envahissante (S. Byington), dans un cottage au bord de la mer. Laura Pennington (D. McGuire), une jeune fille laide, y travaille comme bonne...

Cette histoire d'amour tirée d'une pièce de Sir Arthur W. Pinero avait déjà été adaptée en 1924 par James S. Robertson avec Richard Barthelmess and May McAvoy. Cette nouvelle version bénéficie d'une équipe de choix au scénario: Herman J. Mankiewicz et DeWitt Bodeen. L'histoire sur le papier accumule les poncifs: la jeune fille laide et solitaire, le héros défiguré et le cottage qui porte bonheur aux amoureux. Pourtant, le film fonctionne plutôt bien. On se laisse prendre par sa petite musique. L'histoire est introduite par Herbert Marshall, un pianiste-compositeur aveugle qui nous raconte cette histoire à la limite du réel. Si les personnages prennent forme et deviennent crédibles, c'est en grande part dû au jeu des acteurs. Que ce soit Mildred Natwick en propriétaire désenchantée du cottage, Robert Young qui réussit à nous faire croire à son mal de vivre, Spring Byington qui est une mère castratrice parfaite, et surtout Dorothy McGuire, toute en douceur et en nuances. L'actrice traverse le film avec un maquillage qui l'enlaidit, sans qu'il soit excessif. Elle répond à la définition de la jeune fille 'plain' comme le dit joliment Oscar Wilde. Ce conte moderne semble être une illustration de cette expression si juste: 'Beauty is in the eye of the beholder.' Transfigurés par leur amour réciproque, ils se voient tous deux beaux alors que le reste du monde les considèrent comme disgraciés. De ce point de vue, le film montre bien la cruauté du monde face à la laideur. Il y a une scène très pénible où Dorothy McGuire attend de trouver un cavalier pour une soirée dansante. Hélas, chaque soldat qui s'avance s'arrête brusquement en voyant son visage et fait mine de partir. De même, Robert Young est rejeté par sa fiancée et ne reçoit de sa mère qu'une pitié dont il n'a que faire. Leur seul ami et confident est le pianiste aveugle, qui lui ne juge pas sur les apparences. Un très joli film, qui n'atteint pas les sommets de The Ghost and Mrs Muir, mais qui est une très jolie surprise.
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