120 films, une carrière qui s’étale sur 45 ans, des triomphes (et au moins un four) au théâtre, une carrière active à la télévision (elle y a joué notamment une version Boulevard du Crépuscule) et à la radio (elle enregistre ainsi un de ses plus grands rôles dans Le Grand Mensonge, Loretta Young se substituant à Bette Davis), un divorce retentissant dans les années 30, une liaison orageuse avec John Barrymore, une conversion au catholicisme et une désintoxication via les AA : c’est, en quelques mots, le résumé de la vie de Mary Astor, une des plus grandes actrices d’Hollywood, cela dit en passant.
Sa carrière s’est basée sur un étrange paradoxe : elle était une star, et une star aimée du public, mais pourtant, à partir du parlant, elle n’a que très rarement eu la vedette, de son propre choix semble-t-il. Attention, ce n’est pas d’une actrice de caractère dont il s’agit : on ne vous parle pas d’Elsa Lanchester ou de Thelma Ritter mais d’une femme qui pouvait égaler en séduction toutes ses prestigieuses partenaires.
Elle est assez peu appréciée en général du cinéphile français, troublé sans doute devant ce mélange détonant : un merveilleux visage de madone, une voix très sombre, une silhouette massive, une élégance remarquable … le tout au service de rôles de tentatrices et de femmes fatales associées dans notre mémoire au sex apeal de Laureen Bacall, Ava Gardner ou Kim Novak. Pourtant la venimeuse ambigüité qu’elle peut apporter à n’importe quel personnage nous éloigne avec un vrai bonheur de certains stéréotypes. Actrice particulièrement « concentrée », dense, « monstrueusement narcissique » pour reprendre l’expression heureuse d’un critique, elle a toujours accaparé la lumière et l’attention du spectateur quelque soit son ou sa partenaire, et ce sur des personnages souvent ingrats, voire odieux ou bien les deux à la fois. Autre source de gène peut-être.
En tous cas la plupart des rôles du muet (que je n’ai pas vus, je me fie à des synopsis) exploite une image positive et sereine du personnage, l’incomparable beauté de ses traits semblant s’accorder avec ce type de rôle (d’ailleurs ses premiers tests parlants seront jugés peu concluant, car la voix « n’allait » pas avec ce visage, il faudra une reconnaissance critique au théâtre pour les studios reviennent sur leur décision). Aux côtés de John Barrymore elle joue ainsi dans Beau Brummel (en 1924) et dans Don Juan (1926) mais la filmographie muette de Mary Astor est tellement riche qu’il faudrait y consacrer une étude réelle et approfondie.
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Dans le registre comique elle adopte finalement une stratégie similaire et qui fonctionne parfaitement. Quand on voit son interprétation dans La Baronne de Minuit (1939) on se rend compte que c’est l’antithèse d’une actrice « légère » ou « fantaisiste » : mais elle a une espèce de hauteur souveraine pour dire les pires perfidies en restant parfaitement mondaine sans verser non plus dans la caricature de cette mondanité qu’elle incarne si bien. Du très grand art.
Une exception au milieu de ses dames du monde pas toujours sympathique : son rôle dans Dodworth (1936, un chef d’œuvre, en particulier au niveau de la direction d’acteurs) où, encore, une fois, elle ne joue la carte de la bonté éthéré, mais transmet plutôt une bonté et douceur profondément incarnée, terrienne même.
Le début des années 40 lui est particulièrement favorable. En 1941 elle trouve ses deux plus grands rôles. L’inoubliable et insolite femme fatale du Faucons Maltais, dont le phrasé haché était obtenu par Huston en la faisant courir entre chaque prise. La pianiste égoïste du Grand Mensonge qui lui permet d’emporter un oscar et de cabotiner avec une démesure réjouissante, tout près de la parodie sans jamais y tomber. En 1942 elle retrouve Claudette Colbert, après la Baronne de Minuit pour une autre comédie célèbre : The Palm Beach Story, dans lequel elle s’essaye, si j’ai bien compris, je n’ai pas vu le film, à jouer les évaporées. Je suis curieux du résultat mais j’ai confiance en sa technique.
Après cela commence la triste période MGM, dans laquelle on lui confit des rôles de mères douces et tendres dans des films qui peuvent être très bons (Les Quatre filles du Docteur March en 1949 et surtout Le Chant du Missouri -1944) mais dans lesquels elle n’a pour ainsi dire rien à faire. Elle se réfugie à la télévision, jusqu’à l’aube des années 60 et termine sa carrière dans le registre qu’elle apprécie davantage : la dame du monde prête à tout pour arriver à ses fins. Après Stanger in my arm (1959) elle obtint un étonnant triomphe critique pour son interprétation, effectivement glaçante, dans Les Lauriers sont coupés (1961) dans lequel elle domine chaque plan où elle apparait, vipérine à souhait, perverse même sous l’apparence de la bonne éducation.
En 1964, par l’entremise de Bette Davis restée son amie depuis Le Grand Mensonge elle peut faire ses adieux au cinéma, le temps d’un caméo qui lui offre une paire de scène mémorable (sa superbe verbale, alors que le corps est diminuée vaut son pesant d’or en particulier quand elle fustige Olivia de Havilland en pleine rue). Après cela elle décide qu’elle décide qu’elle ne jouera plus. C’était, une fois de plus, une décision personnelle, et une décision intelligente sans doute. Mary Astor pensait peut-être déjà à la postérité.