Mikio Naruse (1905-1969)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Tutut
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Re: Mikio Naruse 3 films - Coffret Wild Side

Message par Tutut »

Moi aussi, mon préféré dans ce coffret est Nuages flottants, les défauts de compression sur les arrières plans n'ont pas totalement disparu sur Le Repas et dans Ukigumo on a parfois des blancs très (trop) éclatants, si je me souviens bien.
Dommage que Wild Side arrête avec Naruse, avec les films qui sont passés sur Canalsat, j'espère qu'un éditeur va nous sortir d'autres titres.
Mon préféré après Nuages flottants reste Okasan (La Mère), qui n'est sorti en DVD qu'en Espagne pour l'instant.
Alligator
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Re: Mikio Naruse

Message par Alligator »

Onna no naka ni iru tanin (The stranger within a woman) (The thin line) (Mikio Naruse, 1966) :

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Un Naruse surprenant, dans le mauvais sens du terme en ce qui me concerne. Il aborde là (à la fin de sa carrière) un mélodrame où le pathos à son paroxysme vient considérablement alourdir non pas sa mise en scène (heureusement, la majesté et la délicatesse sont toujours de mise) mais son scénario.

Un adultère débouche, au cours d'une baise masochiste, à la mort accidentelle de la femme. Et le type va trimballer son déshonneur et son remords tout le long du film. Peu à peu son sentiment de culpabilité l'envahit de manière destructrice.
Cette descente en enfer proposée par Naruse ne ressemble décidément pas au cinéaste plus prompt à dégager des tourments de l'existence une philosophie (du moins un regard philosophique) de l'acceptation et de la compréhension.
Ici ces notions ne sont pas manquantes. Seul le principal personnage ne parvient pas à prendre du recul devant son crime. Et ne se le pardonne pas. Car il ne le comprend pas.
Que ce soit sa femme ou son ami qu'il a trompés, tout le monde parvient à le pardonner. Lui seul abandonne le combat, trop élevé.
On retrouve Naruse chez tous les personnages sauf le principal. On le retrouve aussi dans sa mise en scène, douce, attentive, symbolique parfois (le tonnerre pour le premier aveu, le tunnel pour le second, le travelling sur le dernier plan, etc.).

Au final il va me falloir, en tant que spectateur, lui pardonner de m'avoir infliger ce personnage fatigant à force de lamentations et d'auto-destruction.

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Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

LE REPAS (1951)

J'ai entamé ce soir le coffret Naruse (Wild Side) avec LE REPAS. Et je dois dire que, sans m'avoir complètement marqué, j'en suis sorti très satisfait, et même charmé. Premier plaisir: celui de retrouver Setsuko Hara que j'avais déjà croisé chez Ozu et Kurosawa, il me semble. J'aime beaucoup cette actrice, capable ici d'être à la fois lumineuse et intérieurement tourmentée. Je l'aime vraiment beaucoup.
A propos d'Ozu, d'ailleurs, les premières minutes du film m'ont semblé très familières, pour le novice que je suis, puisque les scènes se déroulent dans des lieux similaires: petite rue résidentielle, intérieurs de maisons populaires, quai de gare, café. Pour le reste, je ne suis pas assez spécialiste mais la parenté m'a sauté aux yeux.

LE REPAS propose une peinture intéressante du couple et de la fragilité du mariage, des besoins réciproques pas forcément avoués, et finalement de la complicité d'être à deux pour avancer dans la vie. On peut aussi déceler quelques éléments sociaux, pas forcément critiques mais présents quand même, comme cette héroine épanouie aux yeux de tous mais qui, pourtant, s'ennuie dans sa vie, regrettant ce qu'elle est devenue, une sorte d'esclave routinière du quotidien.
J'aime beaucoup les nuances et les détails très discrets apportés aux personnages, au fur et à mesure qu'on progresse dans l'histoire. Ce sont des éléments microscopiques, mais qui enrichissent leur profondeur et leur humanité.
Sur le film global, je regrette peut-être un sentiment trop fort de retenue, l'idée qu'on aurait pu aller plus loin.
Le film a la grande qualité d'être très agréable à suivre (et pour un semi-réfractaire comme moi, c'est déjà pas mal :wink: ).

Ce fut aussi un grand confort visuel: la restauration numérique est palpable (il n'y a qu'à voir les quelques photogrammes abimés pendant les fondus), copie propre et bien définie, images stables, compression très discrète (en upscale, pourtant). Seul défaut persistant (mais peu gênant): les contrastes instables pendant tout le film. En tout cas du beau boulot.

J'en profite pour mettre le lien vers le topic consacré au coffret 3dvd paru chez Wild Side
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... =2&t=22970
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AtCloseRange
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par AtCloseRange »

J'ai aussi commencé le coffret Wild Side avec ce film et même si j'aurais bien du mal à expliquer pourquoi, je suis moins emballé.
Difficile de trouver des défauts au film mais ce n'est pas toujours une qualité pour moi.
Le film est intéressant pour sa description du Japon de l'après-guerre et de la condition de la femme à cette époque et regorge de petits détails qui en font sûrement le prix mais c'est aussi peut-être la raison qui me fait rester réserver.
Le film risque de grandir dans mon esprit d'autant plus que sa dernière partie à Tokyo me semble plus réussie mais ce n'est pas forcément le type de cinéma qui me parle le plus.
La copie Wild Side n'est pas mal mais les bouts de copie non restaurés à chaque transition de plan sont un peu gênants.
Alligator
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Onna ga kaidan wo agaru toki (Quand une femme monte l'escalier) (Mikio Naruse, 1960) :

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plein de captures, essentiellement du remarquable casting
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Un Naruse plus noir qu'à l'habitude. Il me semble. Ca fait quelques temps que je n'avais pas vu un de ses films. C'est d'abord un joli portrait de femme, incarnée par une Hideko Takamine encore une fois subjugante de classe. Elle ne cesse de m'épater. Sans être extrêmement jolie, elle dégage quelque chose d'irrésistible qui la rend belle. Le travail de Criterion pour rendre hommage à cette radieuse beauté est comme de coûtume remarquable. Quand la magie Criterion opère sur la magie Takamine.

Pour en revenir à l'histoire, les personnages, je ne peux m'empêcher d'être sur la retenue. Non que les personnages soient inintéressants, ou mal écrits. Bien au contraire. C'est encore une fois un travail d'écriture considérable. On retrouve là le soin, la délicatesse et l'acuité de Naruse. L'acuité du regard de sa caméra n'a d'égal que la tendresse et l'attention qu'il porte à ses personnages. Encore dans la profondeur, encore dans l'humanité.
Aussi ne sais-je pas trop encore en quoi le film ne m'a pas autant touché que les précédents Naruse que j'ai vus. Je n'arrive pas à mettre ne serait-ce qu'une ébauche d'idée là-dessus. Peut-être et vraiment peut-être... que j'espérais plus de la relation entre Takamine et Nakadai, que le scénario y accorderait plus d'importance? Pffff... en même temps, je me dis que ce n'est pas du tout l'essentiel de l'hstoire. C'est Takamine qui monte l'escalier, pas Nakadai. C'est bien le difficile trajet d'une femme seule, indépendante, ses atermoiements, les chausse-trappes affectifs dans lesquels elle tombe, le poids d'une société qui laisse peu de place à la femme, sinon comme objet sexuel ou décoratif.

Ce que j'aime dans ce film, outre la prestation de Takamine, c'est le fait que tout n'est pas aussi simple qu'on ne le voudrait. Naruse crée des personnages réels, qui luttent plus ou moins contre les identifications faciles, contre les ambitions et les destins tout tracés, les caractères types que la société préconise expressément. Plusieurs fois Takamine se voit proposer des solutions par les hommes, où elle perd de son espace de liberté. La pression sociale est telle que la tentation de s'y plier est grande. D'autres le font. Beaucoup le font. Takamine succombe parfois. Elle est à la fois faible et forte. Elle apprend. Mais dieu que c'est dur de monter l'escalier quand on est une femme! Au final elle reste maîtresse de ses décisions. Naruse lui accorde ce pouvoir.

Je suppose que c'est ce que j'aime le plus chez Naruse, la force très simple et très naturelle pourtant qu'il donne à ses propres personnages, comme s'il n'était pas le directeur du récit, comme s'il n'était qu'un témoin de cette histoire. Pour arriver à ce genre de prodige, il faut un sacré coup de pinceau, une écriture ciselée et une direction d'acteurs attentionnée. On les sent en effet à la fois libres de leurs mouvements et suivis attentivement par la caméra. C'est toujours un bonheur un Naruse, même quand il ne me caresse pas l'âme.
Alligator
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Midaregumo (Nuages épars) (Mikio Naruse, 1967) :

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caps en pagaille
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Un Naruse sombre jouant avec subtilité sur des éléments traditionnels et simples du mélodrame romantiques. Toujours avec un soucis quasi naturaliste que les personnages complexes incarnent et grâce surtout à une mise en scène qui laisse place à un jeu épuré jusque chez les personnages secondaires, Naruse parvient à raconter une histoire classique de deuil particulièrement diffcile à vivre, de sentiments de culpabilité qui empêchent les individus de dépasser l'absence, la mort des êtres chers et le poids des valeurs sociétales que les protagonistes s'ingénient à supporter, comme des juges suprêmes, pour mieux ne pas accepter l'idée de leurs propres réticences. C'est bien nébuleux tout ce charabia pour qui ne connait pas l'histoire. Alors résumons un petit peu.

Juste avant de partir pour Washington avec sa femme un diplomate est tué dans un accident de voiture. Quelqu'un lui est rentré dedans. Victime d'une crevaison et d'une embardée fatale, le conducteur (Yuzo Kayama) se sent néanmoins responsable de cette mort. Il essaie d'oublier cet accident en envoyant de l'argent à la veuve (Yôko Tsukasa) qui l'accepte qu'avec grande réticence. Bientôt elle est rejetée par la famille de son mari, perd son statut d'épouse et se retire dans son village d'enfance non loin de la petite ville où vient d'être muté Yuzo Kayama. Progressivement, ils se retrouvent. Elle accepte enfin de discuter et d'essayer d'affronter ensemble leurs deuils respectifs. Forcément, leurs douleurs les rapprochent jusqu'à ce qui parait inimaginable, surtout pour elle. Elle n'y échappe cependant pas. Quand elle accepte cet amour naissant dans une scène bouleversante, elle essaie d'oublier sa douleur, son sentiment de culpabilité d'aimer un homme responsable de la mort de son époux. Le passé beaucoup trop présent se rappelle à son mauvais souvenir, sans arrêt : un accident sur la route, un couple amoureux et enlacé, une femme qui tient la main de son mari gravement blessé sur une civière, etc.

Cette histoire d'amour impossible est développée avec la lenteur et la délicatesse que l'on connait à Naruse. Il prend le temps. Les personnages ne sont pas forcément décrits avec précision mais avec une ou deux scènes a priori anodines, Naruse réussit à disposer tous les éléments nécessaires à la fluidité du récit. Les exemples sont multiples, comme les échanges de regards qui valent tous les discours ou bien les aléas que subissent les personnages en parallèle, dûs à ce poids du passé : ils tentent de se distraire dans les soirées entre amis ou dans l'alcool mais il y a toujours quelqu'un pour ruiner leur frêle gaité en rappellant la tragédie.

Plus que dans les autres Naruse que j'ai vus, la société joue un rôle considérable, notamment par le fait qu'elle est d'une certaine façon utilisée comme prétexte, support ou incarnation des barrières que les deux personnages construisent eux même autour de ce deuil qui les emprisonne. Presque de manière paranoïaque, ils transforment le regard des autres en jugement de valeur, que finalement ils sont seuls à déceler. Les personnages secondaires les poussent à passer à une autre existence. Peut-être pas à être ensemble mais disons que tout le monde a oublié l'accident sauf Yuzo Kayama et Yôko Tsukasa. Elle garde une photographie encadrée de son mari qu'elle adule du regard. Lui, maintient une relation névrotique, à la limite du harcèlement avec cette veuve qui ne veut pourtant pas de son argent ; il n'a aucune obligation judiciaire à faire cela, si ce n'est une question d'honneur destinée à cacher une sorte d'obsession malsaine.

Les personnages sont interprêtés avec une justesse remarquable. Si je connaissais Daisuke Katô (que j'ai pu voir dans Yojimbo ou dans Quand une femme monte l'escalier déjà chez Naruse) le petit ami de Mitsuko Mori et celle qui joue la mère de Yuzo Kayama et dont j'ai perdu le nom, je ne connaissais pas Yôko Tsukasa ni Yuzo Kayama. Comme souvent chez Naruse qui semble aimer filmer les jolies femmes, le film doit beaucoup à l'élégance, la retenue et la beauté de Yoko Tsukasa. Il s'avère qu'en plus, coup de bol, elle joue très bien. L'intensité de son regard dans les face-à-face haineux ou amoureux avec Yuzo Kayama marque les plus grandes scènes du film. Toutefois, j'avoue avoir été d'abord estomaqué par le sieur Yuzo Kayama lors de la scène avec sa mère. Entre ivresse et désespoir, son visage se vide, semblant se perdre dans les méandres de son désespoir. C'est beau, simple. Avec rien il dit tout cela. Brio.

Ce que j'aime chez Naruse, c'est qu'il n'est jamais enfermé dans les carcans du cinéma. On ne sait jamais où il veut en venir. Beaucoup auraient donné une fin heureuse à ce film. D'ailleurs on n'est pas loin d'y croire. Mais Naruse privilégiant peut-être l'exaspération des sentiments dans la culpabilité étouffe dans l'oeuf la relation amoureuse. Soucis de réalisme ou au contraire recherche dans la tragédie de résonances romantiques? Difficile de répondre. Comme Naruse focalise essentiellement son cinéma sur la femme japonaise, je pencherais volontiers pour l'idée qu'il veut avant tout présenter les difficultés pour les femmes de construire leur vie, contre la dépendance vis à vis des hommes et de leurs propres sentiments, même au-delà de la mort.
Alisou Two
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alisou Two »

la critique est excellente sur ce beau film
CINECLASSICS l'année derniere nous avait programmé pendant l'été "presque" une intégrale de NARUSE alors que cette année elle s'est contentée de rediffusions
Alligator
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Ginza keshô (Le fard de Ginza) (Mikio Naruse, 1951) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... kesho.html

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Comme souvent avec Mikio Naruse, je mets beaucoup de temps à entrer dans le film. A plusieurs reprises en effet, les deuxièmes parties de ses films font prendre tout leur sens aux premières. On découvre ses dernières avec une circonspection polie mais non sans inquiétude : "où veut-il en venir?" Les intrigues où se mêlent divers personnages prennent un certain temps, un temps de proposition que Naruse investit avec soin, avec minutie et qui peut laisser le spectateur dans un état d'expectative. Et puis soudain, ces quelques nuages de désarroi et d'incompréhension se dissipent. Tous les morceaux du puzzle trouvent leur place, le film prend tout son sens, la première partie devient cohérente, le film grandit, surprend, épate.

Sur celui-là, c'est exactement encore une fois le même ressenti. Le contraste des impressions est d'autant plus intense que la première moitié du film est presque la copie conforme de "Quand une femme monte l'escalier", tourné 9 ans plus tard en 1960 avec Hideko Takamine. Je ne savais pas que c'était un remake en quelques sorte du "fard de Ginza". Par contre, celui-là incorpore dans la trajectoire de Yukiko (Kinuyo Tanaka) une histoire d'amour ratée et surtout un petit bout de chou dont la présence et la disposition vont souligner la force de caractère de Yukiko.

Dans un premier temps, j'ai été comme déçu de découvrir ce lien entre les deux films m'attendant par conséquent à suivre le même récit. Or, si les deux films traitent conjointement de la condition de la femme indépendante, les deux scenarii et les deux actrices principales apportent quelques nuances notables, notamment grâce aux différences d'entourages. Kinuyo Tanaka doit soutenir son frère, sa soeur et élever son bambin. Hideko Takamine est vraiment indépendante, elle lutte pour maintenir cette liberté. Kinuyo Tanaka s'adapte à son indépendance, elle la subit. Ses discussions avec sa soeur ou son amie évoquent souvent l'homme idéal sur lequel bâtir un avenir sécurisant. Hideko Takamine fuit tant que faire se peut ce genre de compromission avec sa liberté, malgré la pression sociale qui l'incite à abandonner ses marges de mouvement, sa souveraineté de décision. De ce fait, les deux films montrent une nette évolution socio-morale dans le Japon de la décennie. Intéressant.

Je parlais de sens plus haut à propos de la dernière partie mais l'on pourrait tout aussi bien parler de poésie humaniste. La lente approche de la première moitié du film est nécessaire pour véritablement toucher du doigt cette sensibilité et ce qu'éprouvent les personnages dans la seconde partie. Une scène comme celle de l'avoinée que subit le marmot que sa mère a cherché partout est d'une rare intensité dans un film jusque là plutôt calme. De même, la dernière séquence qui voit l'oncle chercher en vain dans ses poches une pièce ou deux à donner à son neveu me touche beaucoup. Les deux scènes réorientent les personnages vers leur priorité, le bonheur d'un enfant. La recherche du bonheur de l'autre est déjà une priorité, un réflexe cher Yukiko, démontrée quand rejetée par le bellâtre qui s'amourache de sa soeur, elle parvient très rapidement à considérer le sourire de sa soeur pour ce qu'il est, l'essentiel sans que cela soit ressenti comme un sacrifice, non, mais bien plutôt comme un geste altruiste, marque de tempérance, marque d'amour pour sa soeur. Du Naruse tout craché, humaniste. Non, non, je ne m'emporte pas, les mots sont raisonnables.

PS. Je note un trait qui revient souvent dans ce film et que je n'ai pas aperçu sur les autres films de Naruse : souvent la caméra encadre les personnages à travers les fenêtres depuis l'extérieur. D'autre part, Naruse joue beaucoup avec les reflets des personnages dans les glaces et miroirs. Il me faudra prêter attention à ces procédés lors des prochains visionnages pour y déceler une récurrence et peut-être un sens profond.
Alligator
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Yama no oto (The sound of the mountain) (Mikio Naruse, 1954) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... o-oto.html

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Incroyable Naruse! Il continue de me surprendre, de m'interpeller là où je ne l'attends pas. Dans ce mélodrame conjugal, il se paie le luxe de jouer avec les codes du genre, peut-être même avec le bon sens.

D'abord, on découvre avec une grande finesse d'écriture et un sens du rythme toujours aussi bien rodés les différents personnages qui forment une famille dans la banlieue de Tokyo. Un couple de vieux héberge leur fils et leur belle-fille. Manifestement, on sent que l'amour entre les deux jeunes mariés s'est étiolé. Du moins du côté de l'époux qui rentre tard, saoul et considère sa femme comme une enfant (sous-entendant également que leur entente sexuelle est soporifique). Très vite, il s'en ouvre à son père et parle de son adultère. Et progressivement, le père, joué par Sô Yamamura de très belle façon ceci dit en passant, devient le personnage central de l'histoire.

Le spectateur est ainsi invité à découvrir l'histoire par cette position de témoin que prend volontiers le père d'autant plus qu'il nourrit une vive affection pour sa belle-fille (Setsuko Hara).
Sô Yamamura est plus que remarquable, d'une extrême sobriété, il laisse magnifiquement laisser paraitre toute sa surprise mêlée de désolation en découvrant l'étendue des dégâts qu'occasionne l'immaturité et la bêtise de son rejeton.

C'est aussi un film qui raconte cet amer constat d'échec, quand le père se voit également obligé d'héberger sa fille qui a fui le foyer marital et qui trouve le temps entre deux geignements à propos de son infidèle et incapable époux d'exprimer sa jalousie à l'égard de sa belle sœur que le père ose aimer davantage. Un puzzle familial compliqué à expliquer en quelques mots mais que Naruse parvient sans aucune difficulté à reconstituer avec même une sorte d'aisance aérienne qui fait souvent le charme de son cinéma.

Rarement, ses histoires tournent à l'expression pleine d'ostentation de la souffrance, au mélodrame pleurnichard. Ce film-là est au bord de ces crises de larmes. Mais surtout à cause du personnage de Kikuko (Setsuko Hara), la belle fille prise entre son affection pour le beau-père, la fidélité à son mari et l'envie de fuir ce pathos conjugal.

Entre deux Japon, celui du kimono et celui du costume cravate, les questions d'honneur et du statut de la femme sont une nouvelle fois les pièces maitresses du problème évoqué par Naruse.

Je me demande comment ce film aurait évolué avec une actrice un peu plus dense que Setsuko Hara. Une Hideko Takamine par exemple aurait été bouleversante. Hara fige un peu son jeu dans un sourire perpétuel. Le masque Nô qui frappe tout le monde par la troublante vie qui s'en dégage et qui en fait sa beauté est sans doute le symbole de cette inertie du personnage de Hara. La femme objet, jouant un personnage conventionnel d'épouse parfaite, portant un masque, métaphorique celui-là et avortant en cachette pour ne pas avoir d'enfant de ce mari volage. Souvent Naruse -comme Sirk- renverse les situations. Ici c'est la maitresse, abandonnée également par le mari, qui préfère garder son enfant. Dans une dernière scène bouleversante Hara et Yamamura se disent adieu, scène de rupture détournée, le mari faisant défaut jusqu'au bout, c'est le père qui en subit la conséquence quasi-amoureuse.

Peut-être pas le meilleur Naruse, m'enfin, on n'est pas en compétition et puis par sa structure et ses thèmes il peut donner beaucoup d'émotion et susciter de bonnes réflexions.
Alligator
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Maihime (The dancer) (Dancing girl) (Mikio Naruse, 1951) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010/10/maihime.html

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S'il y a bien un Naruse qui m'a fait penser à Douglas Sirk, c'est bien celui-là. La filiation parait évidente.

Une femme tiraillée entre une histoire d'amour adultérine et ce sentiment de culpabilité vis à vis de son mari et ses enfants. Où se placer? Quelle part de liberté peut-elle s'octroyer? Quelle autre de responsabilité l'aliène-t-elle à son sort? Mikio Naruse ne simplifie pas son propos, l'époux manquant également à ses devoirs, trop distant, trop muet. Comme souvent, l'incommunicabilité est à l'origine du dysfonctionnement conjugal et la famille éclate lors d'une scène paroxystique où tout le monde déverse d'un seul coup tout son plein d'amertume longtemps contenu. Mais une fois l'abcès crevé, la tension ne faiblit pas pour autant et les personnages continuent de s'enfermer sur eux mêmes. Seuls les enfants essaient de réagir. Ils rappellent en cela ceux de "Tout ce que le ciel permet" avec moins d'agressivité peut-être dans l'intrusion. Ce que vit Mieko Takamine est le dilemme universel que connait Fred McMurray dans "Demain est un autre jour" : continuer et approfondir une relation amoureuse avec ce que cela suppose d'aventureux ou essayer de sauver une relation conjugale essoufflée, lui redonner une seconde chance, le lustre d'antan qui a le charme du souvenir et de la jeunesse?

S'immergeant dans le monde de la danse classique, Naruse utilise joliment la musique classique pour décorer son drame et souligner la souffrance que subit chaque membre de cette famille, les déchirements et les angoisses qu'engendrent cette cassure. L'intelligence du scénario de Kaneto Shindô affleure notamment dans l'expression de chacun. Les personnages, s'ils laissent parfois échapper des élans de fureur et de crainte qui les limitent et les enferment dans de courtes vues égocentriques, parviennent tous à un moment ou un autre de dépasser ces clichés et à élargir leur vision des évènements, comme si l'humaniste Naruse ne pouvait se résoudre à raconter une histoire superficielle ni à abandonner ses personnages à des horizons aussi bornés. Il aime ses personnages et les veut plus braves, plus grands, car il croit vraiment en la force de l'humanité et ses ressources par instants étouffées. Encore un trait similaire à Sirk.

Dommage qu'il ait fait appel à Mieko Takamine dont le jeu me déplait parfois. Je la trouve un peu fade. Ce n'est pas systématique, mais suffisamment souvent pour que je ne parvienne pas à lui trouver du charme, ni même à éprouver un peu de sympathie.

La thématique me plait mais les acteurs ne transcendent pas vraiment le récit. Je ne ressens pas l'étincelle qu'une Hideko Takamine ou un Tatsuya Nakadai savaient si bien déclencher par ailleurs.

Un bon Naruse qui mériterait tout de même une édition dvd (ici il s'agit d'une diffusion de la télévision nippone).
bruce randylan
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par bruce randylan »

Vu à la MCJP :)

Toute la famille travaille (1939)

La vie difficile d'une famille japonaise des années 30 où les parents sont obligés de pousser leurs enfants à arrêter leurs études le plus tôt possible pour ramener un peu d'argent dans le foyer. Évidement les enfants ont d'autre ambitions.

Une chronique familiale-sociale comme le Japon (et moi) les aime tant, simple et réaliste.
La présentation est formidable : on découvre le quotidien de la famille, les problématiques de leurs existence, leurs psychologie, leurs dilemmes dans une présentation très alerte qui jongle d'un personnage à l'autre avec tendresse, humour, mélancolie, naturel mais sans pathétisme ou paternalisme appuyé.
Le découpage de Naruse est très réussi dans les première scènes où l'on ne découvre qu'au compte goutte les nombreux membres de la famille qui vivent dans la même pièce. C'est astucieux et saisissant.

Malheureusement passé cette premi-demi-heure, le film stagne énormément et n'évolua pas durant près de 20 minutes où les mêmes enjeux sont répétés 2-3 fois sans que la situations évolue. Seule les 5 dernières minutes accélère le dénouement, peut-être même un peu trop vite car la conclusion n'est pas très satisfaisante.
Dommage pour les personnages qui sont assez justement dessiné et joué, surtout la figure du père, beaucoup plus laxiste que dans tous les films de l'époque.

Joli mise en scène (certains cadrages sont vraiment très beaux) mais qui ne peut rivaliser avec des œuvres plus matures.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alisou Two »

en 2008 CINECLASSICS avait diffusé 12 films de NARUSE
Le repas (1951) et Nuages d’été (1968) Le grondement de la montagne (1954) L’histoire de la femme (1963) Nuages flottants (1955) Au gré du courant (1956)
Nuages d’été (1968) Le sifflement de Kotan (1959) Courant du soir (1960) Quand une femme monte l’escalier (1960) Comme une épouse et comme une femme (1961)
Tourments (1964) Nuages épars (1967)

ce serait interessant de programmer un autre cycle?
bruce randylan
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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par bruce randylan »

D'après ce que je sais, un nouveau cycle serait justement prévu. ça serait sur Orange et avec 9 films au programme (peut-être des inédits)


Acteurs ambulants (1940)

Deux acteurs font partie d'une troupe de Kabubi qui traverse la campagne. Leur rôle : celui d'un cheval qu'ils prennent très à cœur.
Une vision tellement intransigeante qu'un malencontreux accident a priori anodin va remettre en cause leurs carrières.


Un scénario tout ce qu'il y a de plus simple avec donc un postulat léger pour ne pas dire maigre et qui ne racontera que cela durant 75 minutes.
Loin d'être ennuyant et rébarbatif, c'est une comédie fraîche, drôle, attachante et originale (surtout après avoir vu dans le cycle MCJP plusieurs mélo des années 30 qui propose toujours les mêmes intrigues).

Avec tendresse, Naruse s'amuse de la conviction des deux acteurs à pratiquer leurs arts sans jamais les ridiculiser. On rit donc régulièrement du décalage de leurs sérieux (surtout le plus vieux) qui peuvent regarder durant des heures un cheval pour observer sa manière de bouger les pattes, de frotter la terre avec leurs pieds quand ils sont en colère ou de se vanter d'être depuis 10 ans les jambes du devant après avoir été 5 ans celle de derrière.
Naruse s'amuse notamment beaucoup de leurs tics gestuelle comme ce plan sur les pieds des deux acteurs sortant déprimés d'une rendez-vous qui reproduit leur démarche sur scène.
Si on aurait donc tendance à se moquer d'eux au début, on se prend rapidement de sympathie pour eux face au cynisme des responsables du village qui les hébergent.

Sous ses airs anodins et superficielles, ce film n'en demeure pas fondamentalement Narusien avec des personnages sacrifiés (non féminin cette fois) qu'on pousse à abandonner leur raison d'être avec une cruauté mal placée. C'est le cas de la mère, histoire d'une femme mais aussi toute la famille travaille.

Et quand bien même le film resterait mineur, ca demeure un titre rafraichissant et chaleureux à l'image d'une fin humoristique très amusante et ouverte, comme Naruse en a livré beaucoup par la suite.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
frmwa
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Re: Mikio Naruse

Message par frmwa »

Alligator a écrit :Onna no naka ni iru tanin (The stranger within a woman) (The thin line) (Mikio Naruse, 1966) :

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Un Naruse surprenant, dans le mauvais sens du terme en ce qui me concerne. Il aborde là (à la fin de sa carrière) un mélodrame où le pathos à son paroxysme vient considérablement alourdir non pas sa mise en scène (heureusement, la majesté et la délicatesse sont toujours de mise) mais son scénario.

Un adultère débouche, au cours d'une baise masochiste, à la mort accidentelle de la femme. Et le type va trimballer son déshonneur et son remords tout le long du film. Peu à peu son sentiment de culpabilité l'envahit de manière destructrice.
Cette descente en enfer proposée par Naruse ne ressemble décidément pas au cinéaste plus prompt à dégager des tourments de l'existence une philosophie (du moins un regard philosophique) de l'acceptation et de la compréhension.
Ici ces notions ne sont pas manquantes. Seul le principal personnage ne parvient pas à prendre du recul devant son crime. Et ne se le pardonne pas. Car il ne le comprend pas.
Que ce soit sa femme ou son ami qu'il a trompés, tout le monde parvient à le pardonner. Lui seul abandonne le combat, trop élevé.
On retrouve Naruse chez tous les personnages sauf le principal. On le retrouve aussi dans sa mise en scène, douce, attentive, symbolique parfois (le tonnerre pour le premier aveu, le tunnel pour le second, le travelling sur le dernier plan, etc.).

Au final il va me falloir, en tant que spectateur, lui pardonner de m'avoir infliger ce personnage fatigant à force de lamentations et d'auto-destruction.
Ben je ne suis pas d'accord pour le coup. La base est un roman policier américain d'Edward Atiyah (The Thin Line), également utilisée par Chabrol dans son film "Juste avant la Nuit" avec Michel Bouquet et Stéphane Audran. Je n'ai pas lu ce roman, mais j'ai vu que les deux cinéastes suivent la même trame narrative donc le comportement du personnage n'est pas imputable à Naruse en particulier. Le traitement cinématographique en revanche est différent, et c'est plutôt intéressant de voir chaque interprétation.
Et le personnage qu'il faut suivre, ce n'est pas l'homme, c'est la FEMME (dans les deux cas).

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Re: Mikio Naruse (1905-1969)

Message par Alligator »

Que la lassitude vienne de Naruse ou du roman d'origine importe peu, ça revient au même, le résultat est que j'ai eu du mal avec le personnage chouineur. Ce n'est pas un avis, mais juste un ressenti.
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