Louis Feuillade (1873-1925)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Demi-Lune »

Très honnêtement, je ne sais pas si je vais poursuivre au-delà des trois premiers épisodes tant ils ne suscitent guère mon enthousiasme. Ce n'est pas inintéressant, mais au terme de trois longues heures, la rallonge feuilletonnesque donne le sentiment d'avoir déjà fait le tour et de patiner en permanence. L'évocation du Paris de la Belle Époque devient plus captivante que le récit lui-même. Il y a une certaine atmosphère d'énigme qui reste plaisante, et un souci du rythme qui, même s'il apparaîtra totalement dépassé aujourd'hui, mérite quand même d'être souligné. Mais la logique du serial a fini par me lasser, les enjeux et les personnages étant inexistants (au moins sur Les espions que j'apprécie modérément dans le même genre, Lang avait une vraie progression dramatique et de vrais personnages). Ennui, donc, et déception par rapport à la mise en scène de Feuillade qui ne me semble que sporadiquement se donner les moyens visuels de son ambition, et se cantonne le plus souvent à quelque chose de statique et monocorde (rares variations d'échelle, par exemple).
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Flol
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Flol »

Totalement d'accord avec Demi-Lune. J'ai seulement vu les 2 premiers épisodes, puis j'ai arrêté en plein milieu du 3ème (Le mort qui tue), tant j'avais l'impression d'avoir déjà fait le tour de l'oeuvre.
Et en plus, faut reconnaître que je n'ai pas trouvé ça hyper passionnant. Certaines séquences peuvent durer facile 10mn, alors qu'à l'écran, on voit juste un flic qui dévisse une grille. :|
Comme Demi-Lune, j'ai surtout été intéressé par toutes les images du Paris du début du siècle (notamment dans Juve contre Fantômas), parce que c'est une période qui me fascine...mais j'ai pris 15 fois plus de plaisir devant le documentaire de Nicole Védrès diffusé juste avant la soirée Feuillade sur Arte : Paris 1900.
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Boubakar
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Boubakar »

Ratatouille a écrit :Comme Demi-Lune, j'ai surtout été intéressé par toutes les images du Paris du début du siècle (notamment dans Juve contre Fantômas), parce que c'est une période qui me fascine...mais j'ai pris 15 fois plus de plaisir devant le documentaire de Nicole Védrès diffusé juste avant la soirée Feuillade sur Arte : Paris 1900.
Pareil, certaines archives de ce docu (constituées en partie de films ou d'actualités) sont fascinante sur le Paris d'alors.
Viggy Simmons
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Viggy Simmons »

Les derniers épisodes peinent à retrouver la magie des deux premiers (ou est-ce l'effet de lassitude?), mais quelle restauration incroyable.
bruce randylan
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par bruce randylan »

Vendémiaire (1918)

Un soldat démobilisé à cause d'une blessure part dans le sud de la France pour participer aux vendanges. Il se lie d'amitié avec un vieil homme et sa fille. Parmi les travailleurs saisonniers se trouvent aussi deux allemands qui ont pris ont volé les papiers d'identité de deux voyageurs belges qu'ils ont assassinés.

Réalisé pour l'effort de guerre, ce long film (2h30) est malheureusement très inégal. Ca se serait pas si gênant si les passages les plus ratés ne se trouvaient pas dans la seconde moitié. Finir le film sur tous ces défauts n'aide certainement pas à apprécier cette oeuvre qui ne manque pourtant pas de qualité.
En premier lieu, il y a le soin attaché à la réalisation et son tournage en extérieur qui offre de très beau paysage (la vallée du Rhône filmé depuis un bateau) et bien-sûr les vignes et le monde agricole.
Une approche naturaliste, presque documentariste par moment, qui bénéficie d'une excellente interprétation sobre, d'une fort belle photographie et d'un scénario qui sans être original est plutôt bien construit avec des personnages touchants et crédibles (notamment la veuve vivant comme une paria et dont les allemands font une coupable parfaite à leurs crimes). Il y a de plus quelques parallèles intéressants comme la terre que cultive les français et que piétinent littéralement le duo teutons (et dont l'un possède une mort très bien intégrée à l'univers puisqu'il chute dans une fosse de fermentation et décède des émanations gazeuses ; péripéties très proche du sérial). Mais après ça, le film s"égare totalement dans une interminable sous-intrigue où le vieil homme cherche son autre fille qui aurait coupable d'avoir fait un enfant avec un allemand... Ce qui lance un flash-back de plusieurs dizaines de minutes sans intérêt d'autant qu'il délaisse les beaux décors naturels pour des intérieurs studios sans charmes. Le retour au temps présent n'offre alors qu'un morne mélodrame manipulateur aux ficelles grossières. Cette longue parenthèse m'a totalement fait sortir du film qui perd énormément en subtilité, surlignant de plus les idées narratives et en rendant manichéens les personnages alors que certaines séquences nuançaient les criminels (comme lorsque le plus cruel des deux se laisse gagner subitement par l'émotion devant le triste sort de la veuve).
Un beau gâchis qui ne parvient tout de même à faire oublier la beauté de la première moitié.
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Ann Harding
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Ann Harding »

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L'Homme sans visage (1919) de Louis Feuillade avec René Cresté, Gina Manès, Edouard Mathé, Louis Leubas et Gaston Michel

A Nice, Blanche Méry (G. Manès) travaille comme professeur de piano pour payer la pension de sa petite fille, placée chez des paysans. Elle fait la connaissance de Ralph Carson (R. Cresté) un officier américain qui tombe amoureux d'elle. Mais, Blanche trouve un travail de dame de compagnie auprès d'un mystérieux Comte de Brançais (E. Mathé), un mutilé de la face qui porte constamment un masque de velour noir...

Tourné dans l'arrière-pays niçois, ce mélodrame a été conçu pour mettre en valeur celui qui était alors une des idoles du public français, René Cresté. Il était devenu une star grâce à son incarnation de Judex (1917) où vêtu d'une cape noire et d'un chapeau aux larges bords il faisait battre les coeurs des spectatrices. Cette étoile filante du cinéma français, disparu prématurément à l'âge de 41 ans, avait une silhouette élancée qui est ici mise en valeur par son uniforme américain bien ceintré. Le scénario concocté par Feuillade a tout d'un roman-feuilleton pour midinette avec la fille-mère courageuse, le bel officier et l'ignoble prince teuton violeur et meurtrier. Avec de tels éléments, on aurait pu espérer avoir un développement dramatique intéressant à défaut de subtilité dans les personnages. Malheureusement, l'intrigue est à deux sous et il n'y a strictement aucune surprise. Il semble cependant que la copie conservée est légèrement incomplète ce qui rend le déroulement de l'histoire encore plus simpliste (il doit manquer environ 10 min). Le public hier soir a d'ailleurs éclaté de rire en découvrant la véritable identité du Comte de Brançais (Edouard Mathé) qui apparut soudain avec casque à pointe, rictus, allure menaçante et affublé du surnom d'Attila sur une coupure de journal! Il faut dire que la transition était amenée plutôt brutalement. Pourtant, cet homme au masque de velour censé caché ses mutilations nous rappelait que c'était l'époque des gueules cassées. Malheureusement, Feuillade oublie la subtilité et préfère nous offrir un Edouard Mathé en prince allemand sanguinaire qui dissimule son identité. C'est cependant un plaisir de découvrir la jeune Gina Manès avec ses magnifiques yeux de lionne dans un rôle assez ingrat. Cresté est élégant et athlétique; Mathé n'est pas très convaicant et les autres membres de la troupe de Feuillade n'ont guère le temps de briller. On peut sauver la jolie cinématographie de Maurice Champreux, mais guère plus. Un Feuillade décevant.
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Ann Harding
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Ann Harding »

Je rapatrie ici un certain nombre de critiques sur des sérials et films de Feuillade.

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Parisette (1922, L. Feuillade) en 12 épisodes avec Sandra Milowanoff, Georges Biscot, René Clair et Fernand Hermann
Image(S. Milowanoff & R. Clair)

(Episodes 1 à 5)
Au Portugal, le vieux Marquis de Costabella (Bernard Derigal) est ruiné. Mais miraculeusement, il met la main sur une fortune en lingots d'or. Sa petite fille Manoëla (S. Milowanoff) le soupçonne de vol et de meurtre. Désespérée, elle part prendre le voile des carmélites. Elle meurt au couvent. Quelques années plus tard à Paris, Parisette (S. Milowanoff) une jeune danseuse du corps de ballet de l'Opéra de Paris ressemble comme deux gouttes d'eau à la défunte Manoëla. Elle vit avec son oncle Cogolin (G. Biscot) en ignorant les manigances de leurs voisins de palier qui dérobent son uniforme de receveur pour s'attaquer à une rentière de Neuilly...

En 1922, Feuillade a perdu certains de ses acteurs favoris comme Marcel Levesque (inoubliale Cocantin et Mazamette) et Musidora. Il délaisse sa veine criminelle commencé avec Fantômas, Les Vampires et Judex pour le roman feuilleton dans le style des mélodrames populaires avec également des éléments criminels et comiques. On est proche de Roger La Honte ou de Sans Famille avec ses histoires de banquiers véreux, d'enfants illégitimes cachés et ses innocents accusés injustement. Feuillade a recruté en 1920 une jeune danseuse russe nommé Sandra Milowanoff. Elle est déjà apparu dans deux films de Feuillade et là elle joue un double rôle, la religieuse portugaise et la jeune danseuse parisienne. On peut admirer également son talent de danseuse quand elle interprète 'La Mort du Cygne' lors d'une soirée chez un banquier. Son visage triangulaire expressif en font la parfaite héroine de mélodrame, mais sans excès de sentimentalisme. Levesque est remplacé pour le rôle comique par Georges Biscot. Bien que n'étant pas aussi bon que son prédécesseur, il réussit néanmoins à égayer le film avec ses mimiques et ses faux-pas. Le début du film au Portugal offre une image avec des clairs obscurs qui renforce le mystère du Marquis de Costabella. Le film comporte quelques cascades dangereuses comme lorsqu'un malfrat escalade la façade d'un immeuble pour pénêtrer par la fenêtre. Le plan général ne laisse aucun doute sur le fait que la cascade a réellement été réalisée. Certes, le film a moins de mouvements et d'actions que les sérials précédents de Feuillade. Mais, les épisodes de 30-35 min sont bien remplis et tiennent en haleine. Il me reste encore 7 épisodes à voir. A très bientôt! :wink:
[Ce sérial est visible dans la salle des collections du Forum des Images]

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Parisette (1922, L. Feuillade) Episodes 6 à 12 (Fin)

Cogolin (G. Biscot) s'est réfugié à Nice pour échapper à la police qui le soupçonne du meutre de la rentière de Neuilly. Déguisé en clergyman, il fait de son mieux pour passer inaperçu. Parisette (S. Milowanoff) a retrouvé son grand-père en la personne du Marquis de Costabella (Bernard Derigal). Malade, elle part pour Nice avec lui. Leur ancien voisin, le père Lapusse se cache lui aussi à Nice...

Dans cette deuxième partie, l'action se passe entièrement dans le sud de la France (Nice, Beaulieu). Il faut dire que Gaumont a des studios sur place et peut également utiliser la villa de Léon Gaumont. L'action patine quelques peu dans certains épisodes. L'intrigue se recentre sur le comique Georges Biscot qui fait un numéro fort amusant déguisé en faux clergyman ou en vieille femme. Reste quelques séquences de meurtre qui montrent que Feuillade n'a perdu son talent dans ce domaine. Le père Lapusse est expédié dans un monde meilleur par Cogolin d'une manière inattendue. Il le jette par-dessus le parapet au bord d'une corniche qui surplombe la méditerrannée. Il tombe sur les rochers en contrebas. Et, il n'est en aucune façon inquiété pour ce meurtre! :o Au contraire, il devient le héros du moment, salué par tous les corps constitués, pour avoir sauvegardé l'honneur d'un dame au mépris de sa propre sécurité. Les autres personnages restent relativement passifs durant ces épisodes. Parisette et son fiancé Jean (un tout jeune René Clair) n'ont pas grand'chose à faire. Pour conclure, il ne s'agit pas d'un Feuillade majeur. Il n'y a pas l'élan et le rythme de Judex. Il y manque peut-être un peu d'atmosphère. Seul le premier épisode offrait du mystère et du clair-obscur. Quand il filme un pur mélo, Feuillade est moins à l'aise que dans l'intrigue criminelle. Néanmoins, ce sérial avec une bonne musique et une projection sur grand écran pourrait certainement gagner en ampleur.

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Image

Barrabas (1920, L. Feuillade) en 12 épisodes avec Gaston Michel, Fernand Hermann, Edouard Mathé, Georges Biscot et Blanche Montel
Image (Gaston Michel tenant le révolver)

Jacques Rougier sort de prison. Il est immédiatement pris en charge par une organisation criminelle secrète 'Barrabas'. Alors qu'il tente de quitter cette vie de crime, il se retrouve inculpé de meurtre. Il est condamné à la guillotine bien qu'innocent. Il laisse un testament à son avocat Jacques Varèse (F. Hermann). Celui-ci va tenter de percer le secret de cette organisation dont le chef est le banquier Strélitz (G. Michel)...

Avec ce sérial en 12 épisodes, Feuillade poursuit sur la lancée de Fantômas. Nous sommes à nouveau face à un grand maître du crime. Gaston Michel prête sa barbe blanche et sa haute stature à Strélitz, un monstre froid qui peut éliminer femme ou enfant d'un trait de crayon. Comme le dit l'une de ses victimes, Noëlle Maupré: "On peut ne pas croire en Dieu, mais quand on connait Strélitz, on est bien obligé de croire en Satan." Chacun des membres de l'organisation porte un tatouage au bras qui fait de lui un membre à vie de Barrabas. Face à cette organisation riche (elle possède hôtel et clinique) et tentaculaire, l'avocat Varèse (F. Hermann) et son ami le journaliste Raoul de Nérac (E. Mathé) vont devoir se battre. Ils peuvent compter sur le renfort de Laugier (Laurent Morlas), un garagiste ami de Nérac et du crémier Biscotin (G. Biscot). Mais, la lutte sera difficile ponctuée d'enlèvement, de chantage et de meurtre. La film contient quelques cascades spectaculaires comme celle dépeinte sur l'affiche ci-dessus où Laurent Morlas saute sur le toit d'un train en marche depuis un pont. Et Blanche Montel s'échappe d'un vieux manoir par les toits avant de traverser les fossés en marchant sur une planche étroite. Le film commence à Paris avant de se déplacer à Marseille et à Nice (où Gaumont possède des studios). Le film contient quelques vues aériennes spectaculaires de Nice où on peut admirer la jetée promenade maintenant disparue. Les héros se déplacent en train, en voiture, en avion biplan ou en hydravion. Les personnages restent des esquisses ; mais la narration est menée de main de maître. Parisette, qui était un mélodrame, révélait les faiblesses des personnages. Feuillade est plus doué pour tisser une trame à suspense que pour la subtilité psychologique. Dans une histoire criminelle comme Barrabas, les personnages sont suffisamment typés pour nous faire oublier qu'ils sont des stéréotypes. Et l'intrigue se déroule suffisamment rapidement pour qu'on soit pris par le récit. Gaston Michel, un vétéran du théâtre français, est parfait en maître du crime. Son allure suggère un banquier prospère et inoffensif. Il arrive facilement à tromper son monde. La copie numérisée du Forum des Images est superbe: entièrement teintée et bien contrastée. (Seuls quelques épisodes sont un peu trop sombres.) Un très bon Feuillade. :)

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Vendémiaire (1918, L. Feuillade) avec René Cresté, Edouard Mathé, Louis Lebas et Gaston Michel

Image Le Père Larcher (Gaston Michel) avec une de ses filles
Image Sarah 'la caraque' (Mary Harald)

Sur un bateau qui descend le Rhône, un réformé Pierre Bertin (René Cresté) rencontre Le père Larcher (G. Michel) et sa famille, des réfugiés du nord de la France qui fuient l'occupation allemande. Ils partent tous pour le bas Languedoc pour participer aux vendanges. Deux espions allemands (L. Lebas et M. Caméré) assassinent deux réfugiés belges en route pour la vendange et usurpent leurs identités...

Avec ce film, Feuillade fait oeuvre de propagande alors que la première guerre mondiale est proche de sa fin. Plutôt que de nous offrir une vision du champ de bataille, il nous montre la vie de ceux qui sont restés à l'arrière comme le fait d'ailleurs Abel Gance dans J'accuse (1919). Mais, contrairement au film de Gance, Feuillade offre un film patriotique avec son lot de propagande anti-allemande. Un des deux espions allemands est d'ailleurs interprété par Louis Lebas qui se faisait une spécialité des personnages de criminels dans les films de Feuillade (Les Vampires) et de Perret (L'enfant de Paris). Les bases sont claires : il faut faire un dernier effort pour bouter l'ennemi hors de France en se serrant les coudes face à un envahisseur criminel et vicieux. Mais, le film n'est pas seulement une oeuvre de propagande datée, c'est une ode à la nature avec un souci de réalisme proche d'André Antoine. Le début du film se déroule sur une péniche sur le Rhône que nous descendons nonchalament comme les bateliers de L'Hirondelle et la Mésange. Puis, nous suivons la vendange dans l'Hérault, la région natale de Feuillade. Une camaraderie s'installe entre les vendangeurs et le propriétaire du domaine, la Capitaine de Castelviel (E. Mathé) qui a perdu la vue dans les tranchées. On embauche même une gitane (ou 'caraque' dans la patois local) car son époux est mort au front. Les deux espions s'infiltrent dans le groupe et Wilfrid (Louis Lebas) va utiliser la suspicion envers la gitane pour lui faire porter le poids de son larcin (le vol de la paie des vendangeurs). Feuillade utilise là un symbolisme puissant en montrant que Wilfrid, sans scrupule ni morale, a utilisé les gaz de combats. Il le fait mourir après avoir inhalé les gaz toxiques produits par la fermentation du raisin. (Il est d'ailleurs frappant que dans Les Vampires, tourné dans les premières années de la guerre, on observe également ce recours aux gaz toxiques pour endormir les participants d'une fête pour leur dérober argent et bijoux.) Pour contrebalancer ce personnage allemand (que les intertitres appellent 'boche' selon l'expression typique de l'époque), le complice Fritz, lui se contente de suivre et de se taire en se faisant passer pour muet. Il joue néanmoins au violon Standchen (sérénade) de Franz Schubert lors d'une scène pastorale où les vendangeurs se reposent près d'une rivière en songeant au passé. Dans la deuxième partie du film, on s'intéresse à Louise (la fille aînée du père Larcher, un des vendangeurs) qui vit en zone occupée à Maubeuge, près la frontière Belge. Elle doit accueillir des soldats allemands qui sont cantonnés chez elle. Son mari qui s'est évadé, vient lui rendre visite secrètement. Quant elle accouche plus tard d'un enfant, tous les villageois la croient qu'elle a couché avec l'ennemi. Le film finalement touche à tous les aspects de la guerre: la population occupée, le sort des femmes, les blessés de guerre, et le désir ardent du retour à la paix . Le film se termine d'ailleurs sur une note optimiste où tous trinquent avec le vin nouveau qui annonce des lendemains meilleurs. Un Feuillade vraiment passionnant.

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Le Noël du Poilu (1916, Louis Feuillade)
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Le caporal Renaud va encore une fois passer un Noël solitaire dans les tranchées. Sa femme et sa fille habitent dans le nord de la France en zone occupée. Mais la marraine de guerre de Renaud va organiser une rencontre avec sa famille...

Avec ce court-métrage d'environ 35 min, Feuillade réussit à évoquer l'atmosphère du pays en guerre d'une manière remarquable quand Henri Desfontaines ne faisait qu'un film scolaire et ennuyeux. Nous découvrons la vie de Mme Renaud et de sa fille et en une seule image tout est dit. La porte du fond s'ouvre révélant un groupe de soldats allemands cantonnés chez elle qui festoient. Avec une grande profondeur de champ, nous suivons le coucher de la petite fille avec en contrepoint les soldats tapageurs dans le fond de l'image. De même, la région est évoquée par la berceuse que Mme Renaud chante à sa fille: 'Le p'tit Quinquin'. Sur ce sujet très simple, Feuillade nous concocte une délicieuse tranche de vie avec les retrouvailles de la famille chez la marraine de guerre. Et le film se clôt sur la même berceuse du 'P'tit Quinquin'. Charmant. :) ce film de Feuillade est un supplément sur le DVD du Film du Poilu chroniqué plus haut.

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De G à D; Tih Minh (Mary Harald), J. d'Athys (René Cresté) et Sir F. Grey (Edouard Mathé) entourent la cuisinière Sidonie, une espionne.

Tih Minh (1918, L. Feuillade) en 12 épisodes avec René Cresté, Edouard Mathé, Mary Harald, Gaston Michel, Louis Lebas, George Biscot et Jane Rolette

L'explorateur Jacques d'Athys (R. Cresté) revient d'un voyage avec une jeune annamite, Tih Minh (M. Harald). Mais, à son arrivée sur la côte d'azur, il est épié par trois mystérieux criminels, Kistna (L. Lebas), Gilson (G. Michel) et Dolorès (G. Faraboni)...

Ce serial de Louis Feuillade a été tourné à la même époque que Vendémiaire avec une distribution similaire. Les deux films reflètent leur époque en évoquant les espions allemands infiltrés sur le territoire français. Mais, à part cela, les deux films sont totalement différents. Tih Minh est un suspense criminel dans la lignée de Judex et des Vampires où l'on retrouve un groupe de criminels aguerris qui utilisent tous les moyens pour arriver à leurs fins : séquestrations, enlèvements, empoisonnement, vol et meurtres. L'héroïne du film, Tih Minh, interprétée avec talent par l'anglaise Mary Harald, est une eurasienne qui a suivi Jacques d'Athys en Europe où elle devient la proie des criminels. Elle est enlevée par Kistna et sa bande qui lui font prendre une drogue violente. Elle perd la mémoire et la raison. Le début du film se situe à la Villa Circé qui porte bien son nom. Des femmes en chemise de nuit sont enfermées au sous-sol de la villa et semblent avoir subi le même traitement que Tih Minh. Pour lutter contre l'organisation criminelle, qui veut s'emparer d'un document codé que possède Jacques d'Athys, l'explorateur d'Athys (R. Cresté) et son ami le diplomate Sir Francis Grey (E. Mathé) reçoivent le renfort d'un médecin aliéniste. Nos héros n'utilisent même pas la police pour les aider dans leur lutte. Après tout, c'est la guerre et les citoyens doivent se débrouiller pour lutter contre les espions ennemis. Le film comprend de grands morceaux de bravoure (il faut saluer le courage des acteurs!) avec des escalades de façade et une descente vertigineuse en wagonnet pendu à un câble. Mais, ce qui retient l'attention, comme dans Les Vampires, ce sont les éléments oniriques tels que cette vision des femmes demi-folles qui errent dans le jardin de la Villa Circé. L'héroïne vient des lointaines colonies d'Indochine et apporte une touche d'exotisme au milieu des aloès géants des villas majestueuses sur la côte d'azur. D'ailleurs, Feuillade utilise au mieux les décors naturels (près de Nice) comme il l'avait fait pour Paris dans Fantômas. Les à-pic du bord de côte sont le prétexte à des glissades vertigineuses et les petites routes escarpées à des poursuites en automobiles. Comme toujours, Feuillade apporte une touche d'humour avec les domestiques, Placide (G. Biscot) et Rosette (J. Rolette) qui manient revolver et intelligence en aidant leurs patrons dans leur lutte. René Cresté, tout auréolé de son succès dans Judex, apporte son charme et sa haute silhouette au personnage de d'Athys. Il mourra en 1922 à l'âge de 41 ans, déjà oublié par le public. Mais, les acteurs de Feuillade restent immortels : ils sont naturels, dépourvus de théâtralité et campent leurs personnages avec un engagement sans limite. Encore un merveilleux serial qui mériterait une édition en DVD.
Viggy Simmons
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Viggy Simmons »

Merci pour ces reviews fort intéressantes. Déçu moi aussi par L'HOMME SANS VISAGE.
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par bruce randylan »

Viggy Simmons a écrit :Merci pour ces reviews fort intéressantes. Déçu moi aussi par L'HOMME SANS VISAGE.
N'ayant pas pu assister à la séance, vos avis me console un peu :P
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bruce randylan
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par bruce randylan »

Pierrot - Pierrette (1924)

Un frère et sa jeune soeur habitent dans une roulotte avec leur grand-père et gagnent leur vie en se produisant dans la rue. Lors d'un numéro, ils croisent les services sociaux..

L'un des derniers Feuillade qui décédera l'année suivante. J'avais quelques crainte à découvrir cette oeuvre des années 20 (surtout à la lecture du synopsis) et ça s'est révélé une très sympathique découverte. :)

Évidement le film ne brille pas sa réalisation, loin de posséder la sophistication de la nouvelle génération mais son découpage est dans l'ensemble précis et surtout la photographie est très soignée, mettant encore une fois de très beaux extérieurs. Tout juste quelques rares décors intérieurs n'ont pas l'air d'avoir évoluer depuis 10 ans et sonnent un peu trop factices.
En revanche, la direction d'acteurs est un régal. S'adressant en priorité aux enfants, les comédiens surjouent juste ce qu'il vaut pour toujours verser dans la comédie malgré quelques situations assez cruels sur le papier telle la petite maltraitée par le vil vendeur de casserole. Mais avec sa moustache qui remonte comme les cornes du diable, il est plus ridicule qu'inquiétant.
Les enfants eux sont impeccables et se révèlent immédiatement attachants. Leur relation avec le grand-père ne manque pas de tendresse sans verser dans le mélodrame fort heureusement. Feuillade choisit souvent en effet l'humour et le décalage qui offre quelques moment très amusant comme le picnic avec le chien accroché à l'arbre, la vente "au rabais" et la fin avec les serviteurs s'armant contre les cambrioleurs. On trouve surtout une hilarante séquence où la fillette se trouve dans une bagarre entre deux commerçant qui s'en servent comme d'une matraque :o
Elle est évidement remplacé par un mannequin en mousse que Feuillade met clairement en avant pour une dimension totalement surréaliste d'autant que ça survient de façon imprévisible.

Avec 70 minutes, le film a l'avantage de ne pas avoir besoin de réellement raconter une histoire qui serait sans doute tombé dans les clichés façon Oliver Twist. En optant pour une narration relâchée, sans ligne conductrice définie, Pierrot - Pierrette conserve son charme et sa fraîcheur du début à la fin.

Le film a été restaurée en 2002 par la cinémathèque pour une copie sublime.


Et en parlant de Feuillade, il aura droit à un hommage au Festival de La Rochelle cette été. :D
Dans les conférences du Toute la Mémoire du monde, il annonçait une intégrale :shock:
(mais j'ai mal à croire que tout tienne en 7-8 jours)
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par filip »

Il me semble que l'actrice de Pierrot- Pierrette la petite Bouboule est toujours vivante, elle s'appelle Geneviève Temporel.
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Ann Harding
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Ann Harding »

Un court métrage comique de Feuillade.

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Le gendarme est sans culotte (1914, L. Feuillade) avec Marcel Lévesque, Suzanne Le Bret et Charles Lamy

Cette petit pochade comique en deux bobines de Louis Feuillade vaut surtout pour la prestation du délicieux acteur comique que fut Marcel Lévesque. Il joue un gendarme campagnard qui va être victime d'un groupe de cinématographistes (comme on appelait les gens de cinéma à l'époque). Ils vont lui emprunter son pantalon et laisser le malheureux en caleçon. Il ne trouve pas de pantalon de rechange et enfile des sous-vêtements féminins puis une jupe, ce qui provoque moultes péripéties. Nous sommes dans le domaine du burlesque à la française qui est moins rythmé et inventif que ne le seront les Keystone Cops ou les films de Charlot. Cependant, on peut compter sur Lévesque pour donner de la couleur à son personnage de gendarme avec ses clins d'oeil appuyés à la caméra. Le film se clôt sur un clin d'oeil à la grande production Gaumont de 1914...Fantômas! C'est déjà du placement publicitaire avant l'heure. A voir ici pour vingt minutes de rire.
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Jack Carter
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Jack Carter »

Les Vampires : du 23 décembre au 1er janvier, 1 episode par jour sur HENRI


https://www.cinematheque.fr/henri/film/ ... lade-1915/
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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damdouss
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par damdouss »

Jack Carter a écrit : 23 déc. 20, 20:28 Les Vampires : du 23 décembre au 1er janvier, 1 episode par jour sur HENRI


https://www.cinematheque.fr/henri/film/ ... lade-1915/
Ils feraient mieux de diffuser Judex qui n'est toujours disponible qu'aux USA ou Tih Minh mais bon c'est déjà ça pour ceux qui ne connaissent pas encore !
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Jack Carter
Certains l'aiment (So)chaud
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Re: Louis Feuillade (1873-1925)

Message par Jack Carter »

"mise en ligne d'une infime partie de notre collection, celle dont nous possédons les droits de diffusion"

c'est bien beau de raler, mais sais-tu s'ils ont les droits de diffusion des deux titres que tu cites ? Tin-Minh a-t-il été restauré ?
Peut-etre qu'ils seront proposés plus tard..
Image
The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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