L'énigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog - 1973)
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L'énigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog - 1973)
L'Enigme de Kaspar Hauser, de Werner Herzog (1974)
Un des rares Herzog que je n'avais pas vu jusqu'à présent. Anomalie heureusement réparée puisque le film est sublime, atypique et m'a viscéralement ému comme rarement.
L'Enigme de Kaspar Hauser traite à la fois d'un conditionnement social si resserré qu'il semble presque invisible, et du regard porté sur l'autre, l'anomalie et l'étrangeté. Herzog suit Kaspar Hauser (qui fut effectivement découvert abandonné sur une place de Nuremberg en 1828, ne sachant ni lire ni écrire et à peine marcher) avec une subtilité et une délicatesse remarquables. La souffrance est certes omniprésente et déchirante, chaque geste est réappris et prend une dimension dramatique rare (marcher, manger, se laver...puis mémoriser une phrase, porter un nouveau-né) mais jamais Herzog ne cède à la facilité, à un quelconque sentimentalisme. Il est évidemment aidé par une magistrale performance de Bruno S., dont la jeunesse fut elle-même chaotique (maltraitances, placements en hopitaux psychiatriques), ce qui provoque un écho particulièrement fort avec le personnage de Kaspar Hauser. Il se saisit du rôle avec une justesse d'interprétation admirable, ne forçant jamais le jeu et ne surlignant pas avec excès ces ressentis.
On ne plaint pas Kaspar Hauser...au contraire, Herzog en fait un personnage d'une humanité rare et décisive. Sa fragilité et sa vulnérabilité lui rendent une fraîcheur d'âme unique, mais aussi créent une solitude insupportable. Il ne peut comprendre le matérialisme d'une société, les croyances religieuses (à cet égard, le titre allemand, qu'on peut traduire comme Chacun pour soi et Dieu contre tous est particulièrement révélateur), sa soif jamais tarie de découvertes, sa formidable curiosité se heurtent à une souffrance ténue mais omniprésente. Ces barrières relationnelles sont inéluctables, et si jamais le malaise dans les regards portés sur Kaspar Hauser ne semble gratuit et complaisant, celui-ci ne cesse jamais et devient le miroir d'un lien impossible, d'une naissance qui porte aussi la mort dans son sein.
Herzog, comme le titre français semble l'indiquer, ne cherche pas à résoudre le mystère d'un tel personnage...il laisse de toute façon planer toutes les incertitudes sur l'identité de Kaspar et ses origines (historiquement parlant, théories et interprétations, le rattachant par exemple au duc de Bade, se sont succédé dans leurs exubérances et leur fantaisies curieuses). Le final magnifique maintient le récit dans la torpeur du rêve, d'une douceur incomparable.
L'ensemble est superbe de fluidité tant la tendresse presque apaisée de la mise en scène contraste avec la puissance tragique du récit. L'Enigme de Kaspar Hauser pose les contradictions d'une humanité qui se fuit dans une normalité figée, parmi laquelle un homme tel Kaspar, malgré toutes les sollicitudes, ne peut avoir sa place.
Un des rares Herzog que je n'avais pas vu jusqu'à présent. Anomalie heureusement réparée puisque le film est sublime, atypique et m'a viscéralement ému comme rarement.
L'Enigme de Kaspar Hauser traite à la fois d'un conditionnement social si resserré qu'il semble presque invisible, et du regard porté sur l'autre, l'anomalie et l'étrangeté. Herzog suit Kaspar Hauser (qui fut effectivement découvert abandonné sur une place de Nuremberg en 1828, ne sachant ni lire ni écrire et à peine marcher) avec une subtilité et une délicatesse remarquables. La souffrance est certes omniprésente et déchirante, chaque geste est réappris et prend une dimension dramatique rare (marcher, manger, se laver...puis mémoriser une phrase, porter un nouveau-né) mais jamais Herzog ne cède à la facilité, à un quelconque sentimentalisme. Il est évidemment aidé par une magistrale performance de Bruno S., dont la jeunesse fut elle-même chaotique (maltraitances, placements en hopitaux psychiatriques), ce qui provoque un écho particulièrement fort avec le personnage de Kaspar Hauser. Il se saisit du rôle avec une justesse d'interprétation admirable, ne forçant jamais le jeu et ne surlignant pas avec excès ces ressentis.
On ne plaint pas Kaspar Hauser...au contraire, Herzog en fait un personnage d'une humanité rare et décisive. Sa fragilité et sa vulnérabilité lui rendent une fraîcheur d'âme unique, mais aussi créent une solitude insupportable. Il ne peut comprendre le matérialisme d'une société, les croyances religieuses (à cet égard, le titre allemand, qu'on peut traduire comme Chacun pour soi et Dieu contre tous est particulièrement révélateur), sa soif jamais tarie de découvertes, sa formidable curiosité se heurtent à une souffrance ténue mais omniprésente. Ces barrières relationnelles sont inéluctables, et si jamais le malaise dans les regards portés sur Kaspar Hauser ne semble gratuit et complaisant, celui-ci ne cesse jamais et devient le miroir d'un lien impossible, d'une naissance qui porte aussi la mort dans son sein.
Herzog, comme le titre français semble l'indiquer, ne cherche pas à résoudre le mystère d'un tel personnage...il laisse de toute façon planer toutes les incertitudes sur l'identité de Kaspar et ses origines (historiquement parlant, théories et interprétations, le rattachant par exemple au duc de Bade, se sont succédé dans leurs exubérances et leur fantaisies curieuses). Le final magnifique maintient le récit dans la torpeur du rêve, d'une douceur incomparable.
L'ensemble est superbe de fluidité tant la tendresse presque apaisée de la mise en scène contraste avec la puissance tragique du récit. L'Enigme de Kaspar Hauser pose les contradictions d'une humanité qui se fuit dans une normalité figée, parmi laquelle un homme tel Kaspar, malgré toutes les sollicitudes, ne peut avoir sa place.
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L'enigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog, 1973)
Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m'ont pas trouvé malin. A vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d'amoureuses flammes, M'a fait trouver belles les femmes : Elles ne m'ont pas trouvé beau. Bien que sans patrie et sans roi Et très brave ne l'étant guère, J'ai voulu mourir à la guerre : La mort n'a pas voulu de moi. Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu'est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde : Priez pour le pauvre Gaspar !.
Ces vers de Paul Verlaine écrits en 1873 sont destinés à un être mystérieux, hirsute, grimaçant, au sommeil lourd. Tenant à peine sur ses jambes.
Son infirmité est lourde traînée par des mains anonymes dans une nature verdoyante ondulant au rythme des vents.
Gaspar Hauser âgé d'environ seize ans et découvert au mois de Mai 1828 bras gauche tendu tel une statue de pierre au milieu d'une place sous les regards inquiets d'autochtones découvrant une telle posture.
Il porte une lettre destinée à un capitaine de cavalerie et ne prononce qu'une seule phrase apprise par cœur :
« J'aimerais devenir un combattant comme le fût mon père."
Recueilli par la collectivité Gaspar montre une ignorance inégalée, il ne sait ni lire ni écrire, recrache ce qu'il mange, n'offre qu'un regard fixe envers ses protecteurs.
Un intérêt pour les bases de l'existence et néanmoins découvert, Gaspar nourrit patiemment un oiseau. Le contact de la chaleur et la douceur de la main d'un bébé déclenche des larmes. Ce jeune homme a des sens.
Les progrès sont fulgurants, il apprend le mécanisme de la nature, la musique, les sons, la parole mais le destin veille entretenant un mystère contrariant un mécanisme interne évolutif.
Werner Herzog habille ses œuvres d'échecs, Fitzcarraldo, Aguirre et Gaspar sont anéantis par des destins contradictoires programmés afin d'obstruer des mécanismes d'énergies, un genre de grandeur négative ou les oppositions sont des affirmations antinomiques.
Gaspar ne se délecte provisoirement que de cette seconde naissance intellectuelle offerte par des mots captés et renvoyés. L'encadrement est doux, patient envers cette entité à façonner, pourtant toutes ces sollicitudes sont vouées à ne pas réussir.
Ce curieux personnage emporte son parcours que l'on peut définir afin d'épiloguer sur un sujet bien mystérieux comme un bâtard le fruit d'un amour infidèle escamoté à la naissance, un masque de fer gênant qu'il ne faut surtout pas faire grandir intellectuellement.
Ce n'est qu'une suggestion pour conserver la maîtrise d'un dénouement que Gaspar privé du potentiel d'une intuition divine ne peut fournir faute de temps.
Le mystère Gaspar Hauser logé au ministère de l'absurdité reste entier pour l'éternité .
Ces vers de Paul Verlaine écrits en 1873 sont destinés à un être mystérieux, hirsute, grimaçant, au sommeil lourd. Tenant à peine sur ses jambes.
Son infirmité est lourde traînée par des mains anonymes dans une nature verdoyante ondulant au rythme des vents.
Gaspar Hauser âgé d'environ seize ans et découvert au mois de Mai 1828 bras gauche tendu tel une statue de pierre au milieu d'une place sous les regards inquiets d'autochtones découvrant une telle posture.
Il porte une lettre destinée à un capitaine de cavalerie et ne prononce qu'une seule phrase apprise par cœur :
« J'aimerais devenir un combattant comme le fût mon père."
Recueilli par la collectivité Gaspar montre une ignorance inégalée, il ne sait ni lire ni écrire, recrache ce qu'il mange, n'offre qu'un regard fixe envers ses protecteurs.
Un intérêt pour les bases de l'existence et néanmoins découvert, Gaspar nourrit patiemment un oiseau. Le contact de la chaleur et la douceur de la main d'un bébé déclenche des larmes. Ce jeune homme a des sens.
Les progrès sont fulgurants, il apprend le mécanisme de la nature, la musique, les sons, la parole mais le destin veille entretenant un mystère contrariant un mécanisme interne évolutif.
Werner Herzog habille ses œuvres d'échecs, Fitzcarraldo, Aguirre et Gaspar sont anéantis par des destins contradictoires programmés afin d'obstruer des mécanismes d'énergies, un genre de grandeur négative ou les oppositions sont des affirmations antinomiques.
Gaspar ne se délecte provisoirement que de cette seconde naissance intellectuelle offerte par des mots captés et renvoyés. L'encadrement est doux, patient envers cette entité à façonner, pourtant toutes ces sollicitudes sont vouées à ne pas réussir.
Ce curieux personnage emporte son parcours que l'on peut définir afin d'épiloguer sur un sujet bien mystérieux comme un bâtard le fruit d'un amour infidèle escamoté à la naissance, un masque de fer gênant qu'il ne faut surtout pas faire grandir intellectuellement.
Ce n'est qu'une suggestion pour conserver la maîtrise d'un dénouement que Gaspar privé du potentiel d'une intuition divine ne peut fournir faute de temps.
Le mystère Gaspar Hauser logé au ministère de l'absurdité reste entier pour l'éternité .
Chaque individu a le devoir de se réaliser par l'esprit dans le contexte historique de son époque.
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Un grand film qui prend le temps à l'image du personnage principal, de vivre, d'essayer d'apprendre, d'essayer surtout de survivre. L'acteur principal, Bruno S. a quasiment vécu toute son enfance un peu comme Gaspar, ne connaissant pas ses parents qui l'abandonnèrent alors qu'il n'avait que 3 ans. Il passera plus de 25 ans en orphelinat par la suite et quand on voit le film, on comprend que le choix de ce non-acteur n'est pas anodin : Il est Gaspar Hauser.
Ajoutez à celà une très belle photographie et le superbe thème du "Kanon-D Dur" de Pachenbell et vous obtenez un film auquel je ne suis pas resté insensible. Beau film.
Sinon blague à part, je préfère Caspar David Friedriech à Hegel mais c'est de la peinture. Je sais c'est nul, je sors.
Ajoutez à celà une très belle photographie et le superbe thème du "Kanon-D Dur" de Pachenbell et vous obtenez un film auquel je ne suis pas resté insensible. Beau film.
Sinon blague à part, je préfère Caspar David Friedriech à Hegel mais c'est de la peinture. Je sais c'est nul, je sors.
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Re: L'enigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog, 1973)
Mea culpa !
Gaspar Hauser est un film dont je connaissais tout à la fois le titre et vaguement le sujet mais que j'avoue n'avoir jamais vu.
J'avoue qu'à la lecture des avis des uns et des autres que je me poserai assez la question de savoir si j'aurai envie de voir le film. Notre ami Jipi est à l'aise pour ne pas dire très à l'aise pour traiter ce type de sujet. Et pensant le connaître suffisamment, je me hasarderai à dire que Jipi était plus jubilatoire quand il a traité Gaspar Hauser par opposition à La Mégère Apprivoisée...
Gaspar Hauser est un film dont je connaissais tout à la fois le titre et vaguement le sujet mais que j'avoue n'avoir jamais vu.
J'avoue qu'à la lecture des avis des uns et des autres que je me poserai assez la question de savoir si j'aurai envie de voir le film. Notre ami Jipi est à l'aise pour ne pas dire très à l'aise pour traiter ce type de sujet. Et pensant le connaître suffisamment, je me hasarderai à dire que Jipi était plus jubilatoire quand il a traité Gaspar Hauser par opposition à La Mégère Apprivoisée...
John Wayne : "la plus grande histoire jamais contée" - It was true ! This man was really the son of God !...
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Re:
J'ai adoré aussi cette séquence. La spontanéité contre la logique poussée jusqu'à l'absurde (la réponse du mathématicien est très alambiquée, et que dire de son refus de la réponse de Kaspar , et de ses commentaires).julien a écrit :J'adore la séquence où le mathématicien pose une énigme à Kaspar et que celui-ci arrive à y répondre sans passer par une logique scientifique. Ed aussi a du apprécier.
Magnifique film que je viens de découvrir.
Je suis tout à fait d'accord avec Anorya pour son commentaire sur ce film. Si l'interprétation de Bruno S. touche autant, c'est qu'il ne joue pas (on n'est pas dans la performance à Oscars), il est Kaspar .
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Re: L'énigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog - 1973)
Je ne sais pas si vous avez vu ça mais c'est prévu pour septembre. Possible qu'il ne s'agisse que d'un OBTI (Objet Branchouille Très Identifiable) puisqu'il y a, outre Vincent Gallo, une ex-top model et une zik signée du talentueux et malin Vitalic.
En tout cas la bande annonce vaut le coup d'oeil.
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The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
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Re: L'énigme de Gaspar Hauser (Werner Herzog - 1973)
Eh oui, quand les soucoupes violentes attaquent...
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Joseph L. Mankiewicz
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