Robert Hamer (1911-1963)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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santiago
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Robert Hamer (1911-1963)

Message par santiago »

Robert Hamer ? Oublié aujourd'hui, ce fer de lance d'Ealing, qui, de désillusions en projets avortés, finit par se dissoudre dans l'alcool. Je l'ai(re)découvert grâce au formidable coffret Ealing et depuis je cherche à voir ses films, ce qui n'es pas aisé. Je n'en ai que 6 à mon actif mais je poursuis ma quête...

1 L'araignée et la mouche
2 Noblesse oblige
3 Il pleut toujours le dimanche
4 The long memory
5 Deux anglais à Paris
6 L'académie des coquins

PS : pourquoi si peu de films anglais sur Classic ?
Une alimentation saine dirige l'énergie sexuelle dans les parties concernées
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Watkinssien
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Message par Watkinssien »

Cinéaste malicieux, avec un grand sens du montage et une parfaite connaissance du découpage technique !

J'adore particulièrement Noblesse oblige (1949), mais également sa contribution à ce génial film à sketches qu'est Au coeur de la nuit, coréalisé par Alberto Cavalcanti, Charles Crichton et Basil Dearden en 1945.
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Jeremy Fox
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Jeremy Fox »

School for Scoundrels par Justin Kwedi ; le film vient de sortir en DVD chez Tamasa.
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Profondo Rosso
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Profondo Rosso »

Le Bouc émissaire (1959)

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L'anglais John Barratt visite la France. En se baladant dans les rues du Mans, il croise son sosie. La ressemblance entre les deux hommes est tellement extraordinaire qu'ils passent ensemble une soirée bien arrosée. Le lendemain matin, Barratt se réveille dégrisé dans une chambre d'hôtel, et s'aperçoit affolé qu'il a été dépouillé de ses vêtements et de son identité. Il est devenu son sosie : le Comte Jean de Gué. Son histoire est tellement invraisemblable que personne ne veut y croire. Barratt se retrouve acculé à vivre la vie d'un autre, une vie qui lui réserve quelques surprises...

Robert Hamer retrouvait Alec Guinness pour la quatrième fois avec The Scapegoat, adaptation d'un roman de Daphné Du Maurier. On devine ce qui a pu attirer le réalisateur et sa star dans le matériau original. Pour Alec Guinness c'est l'occasion de se livrer à un nouvel exercice de dédoublement entre le solitaire et humaniste John Barrat et séducteur et égoïste Jean de Gué. Pour Robert Hamer il y a matière à scruter à la manière de son Noblesse Oblige (le cynisme en moins) la décadence de la haute société à travers cette description d'une famille fort torturée de noble français. Le film pèche par un vrai parti pris d'adaptation. Le roman de Daphné Du Maurier plongeait une âme suicidaire au cœur d'une famille au penchant autodestructeur et au lourd passé, et John Barrat reprenait gout à la vie en endossant les responsabilités qui accablait son double car se sentant enfin utile. Le roman était une vraie étude de caractère où le vide intérieur du héros se nourrissait des maux de sa famille d'adoption pour renaître en les guérissant. Robert Hamer reprend cette idée dans le film mais avec un acteur aussi charismatique qu'Alec Guinness (à l'insistance de Daphné Du Maurier alors que la production envisageait Cary Grant) la lumière est bien plus placée sur lui que sur le défilé de névrosés que constituait la famille dans le roman. Les protagonistes sont réduits ou simplifiés, Bette Davis en matriarche morphinomane et la jeune et pétillante Annabel Bartlett s'imposent donc mais ce choix simplifient la portée de certains rebondissements qui suivent fidèlement le roman dont il aurait fallu mieux assumer de s'éloigner.

L'autre déséquilibre est d'avoir greffé une tonalité de thriller absente du livre et qui surgit sans trop d'explication au début et la fin du film. La rencontre entre John Barrat et son sosie Jean de Gué est introduite dans une logique d suspense à travers les jeux d'ombres dans la filature nocturne et l'attitude lus ouvertement inquiétante de Jean de Gué. La confrontation finale sera nettement mieux gérée mais gâchée par un épilogue un peu expédié. Du coup l'aspect social et humaniste du livre est tout juste survolé et la volonté de thriller du film pas assez appuyée. Les deux facettes auraient cependant pu fonctionner en laissant plus la narration respirer quand tout file ici trop vite en 90 minutes à peine qui ne laissent pas l'atmosphère s'installer. On peut sans doute imputer cela à l'alcoolisme de plus en plus aggravé de Robert Hamer parfois incapable de tourner et qui laissera le filmage de certaines scènes à Alec Guinness. Ce dernier sauve le film par son épatante double performance. Lors de la première entrevue des sosies, il les différencie par son jeu subtil notamment ce passage où la présence penaude de John Barrat ne parvient pas à attirer l'attention d'un barman quand le charismatique Jean de Gué s'impose d'un simple geste de la main. Faute d'antagonistes consistant (le personnage de Blanche passionnant dans le livre et pourtant incarné par l'excellente Pamela Brown n'existe pas vraiment) l'argument du livre est inversé, la bonhomie et bienveillance de l'imposteur transformant les membres de la famille plutôt que les problèmes de cette dernière éveillant son empathie. Pas inintéressant mais pas assez creusé pour convaincre, dommage mais le livre se prêtait sans doute mieux à une adaptation en feuilleton tv. Une adaptation plus récente a d'ailleurs été produite par la BBC, à tenter éventuellement. 4/6
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Profondo Rosso
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Profondo Rosso »

Et puis j'en profite pour reposter des avis disséminés dans d'autre topics

Il pleut toujours le dimanche de Robert Hamer (1947)

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Evadé de prison, Tommy Swann se réfugie chez Rose, une ancienne conquête. Mariée et mère de famille, Rose accepte alors de bouleverser sa vie rangée pour cacher le fugitif.

Cinéaste au parcours fulgurant et tragique, on ne retient généralement de Robert Hamer que le brillantissime Noblesse Oblige, féroce et caustique jeu de massacre qui occasionna une des performance les plus marquantes de Alec Guiness qui y jouait neuf rôles. Il pleut toujours le dimanche est un de ses chef d'oeuvre, atypique de l'approche habituelle du studio Ealing. Un dimanche dans le quartier d'une bourgade anglaise ordinaire va être troublé par l'annonce de l'évasion de Tommy Swann, voyou local qu'on soupçonne de revenir en ville au cours de sa cavale. Le récit choral nous dépeint donc la manière dont Tommy Swann va influencer le destin de divers personnages plus ou moins important et lié à lui. Cela va des petites frappes du cru cherchant à refourguer le fruit de leur dernier larcin à la police locale aux en aguets et surtout Rose (Googie Withers) ex fiancée de Tommy aujourd'hui mère de famille étouffant dans son foyer. Ayant retrouvée Tommy, elle ne peut s'empêcher de l'aider tandis que les souvenirs du passé afflue et que la frustration du présent se fait plus forte que jamais.

Mélange de film noir, drame et chronique sociale, It Always Rain on Sunday propose finalement un instantané peu reluisant de l'Angleterre de l'immédiat après guerre. Chacun des différents personnage qu'on accompagne tout au long de l'histoire est ainsi prétexte à soulever un aspect social marqué en toile de fond. L'enquête des policiers nous mène ainsi dans un sordide foyer d'accueil ou en quelque plan Hamer soulève une misère insoutenable. Le puritanisme ambiant pèse tel une chape de plomb sur la jeunesse le temps d'une scène où deux amoureux ne peuvent se réfugier de la pluie chez le garçon, la faute à une logeuse trop tatillonne et inquisitrice. Les rues ne sont pas sûre avec des voyous dont la bêtise poussera à un acte de violence révoltant en conclusion. Enfin, c'est la cellule familiale elle même qui s'avère instable avec une Rose frustrée et malheureuse lâchant sa rancoeur sur ses belles-filles.

Robert Hamer, grand amateur de cinéma français semble clairement avoir voulu donner un équivalent anglais au cinéma français des années 30 et du réalisme poétique qu'il admirait tant. L'esthétique évoque ainsi clairement les oeuvres de Carné au niveau de la photo tout en jeu d'ombres (excellent travail de Douglas Slocombe) et l'agencement de la ville et des décors qui rappelle (à une échelle plus réduite) Les Portes de la Nuit notamment. L'authenticité des situations, la gouaille conférée aux personnages et l'aspect grouillant de l'ensemble sont quant à eux marqués par l'empreinte de Renoir. Hamer digère toute ses influence pour un film qui ne ressemble qu'à lui finalement. Le studio Ealing était réputé malgré ses audaces être particulièrement frileux sur la question du sexe à cause des inhibitions de son patron Michael Balcon. Hamer fait pourtant tout tourner autour de la question que ce soit les intrigues secondaires (les tromperies du patron du drugstore, l'intérêt porté sur l'avenir d'une jeune fille par parrain local) et surtout celle de Rose. Formidablement incarné par Googie Withers, ce personnage qu'on pourrait détester s'avère finalement poignant dans le réveil de son désir pour son ancien amant, qu'on ressent vraiment physiquement dans la rigidité de ses postures et son regard terne retrouvant une flamme oublié lorsqu'il se met torse nu face à elle. Le film ne peut bien évidemment pas aller trop loin mais Hamer instaure une tension sexuelle indéniable.

La facette polar n'est pas oubliée non plus et surgi réellement le temps d'une formidable course poursuite en conclusion. Une très belle réussite qui cache une grande richesse sous son récit minimaliste et sans vrais héros, anticipant grandement ce que fera bien plus tard un Robert Altman. 5/6

The Long Memory de Robert Hamer (1953)

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Phillip Davidson (John Mills) sort de prison après avoir purgé une peine de douze ans. Accusé de meurtre à tort, il compte bien aller demander des explications à deux des témoins (dont son ex fiancée) qui ont fourni un faux témoignage.


Surtout connu pour ses classiques signés au sein du studio Ealing (Au cœur de la nuit (1945) où il signe le mémorable sketch du miroir hanté, Noblesse oblige (1949), Il pleut toujours e dimanche (1947)), Robert Hamer aura dans sa courte filmographie exercé son talent également hors Ealing à l'image de cet excellent polar. Hamer adapte ici un roman de Howard Clewes pour récit de vengeance surprenant. Philip Davidson sort de prison la rage au ventre après avoir purgé une peine de douze ans. On découvre d'abord un John Mills à l'allure inquiétante trouvant une demeure de fortune dans un cimetière de bateau avant qu'un flashback nous révèle les raisons de ce sort. Cherchant à couvrir les activités frauduleuses de son père alcoolique, Fay (Elizabeth Sellars) aura avec un autre acolyte fourni le faux témoignage qui condamna Davidson en faisant de lui le coupable d'un meurtre. Le vrai assassin, l'inquiétant Boyd (John Chandos) s'est volatilisé et a laissé un cadavre dans l'épave d'un bateau et la responsabilité du crime à Davidson. John Mills, le regard glacial et la mine taciturne semble tout entier dédié à sa revanche, sans un regard sur les témoignages d'amitié et les possibilités de rédemption qui s'offre à lui avec la belle Illse (Eva Bergh) autre âme blessée ou le vieillard bienveillant Jackson (Michael Martin Harvey).

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Visuellement, Hamer fait de l'atmosphère du film une sorte de reflet de l'âme sèche et meurtrie de Davidson. On alterne ainsi entre des paysages ruraux désertiques où ne surnagent que des carcasses de bateau rongées par la rouille (et où l'on aperçoit jamais la mer dans cet horizon fermé t sans avenir) et une tonalité plus urbaine et nocturne oppressante offrant des vues inquiétantes des quais voisinant Tower Bridge. Hamer fait véritablement de Davidson une silhouette maléfique à travers les cadrages et la photo d'Harry Waxman, le visage dur et impassible de Mills amenant la dernière touche de tension. On pense grandement aux ambiances inquiétantes qu'il parvenait à mettre en place dans Il pleut toujours le dimanche et le lien avec le film Ealing n'est pas qu'esthétique.

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On retrouve cette approche de film choral ainsi que l'humanité dont sait faire preuve Hamer envers ses personnages, complexes et jamais manichéens en dépit de leurs actions discutables. On pense à l'ex fiancée jouée par Elizabeth Sellars, qui a depuis refait sa vie avec le chef de la police (John McCallum) et est mère d'un petit garçon. Rongée par le remord de sa trahison passée, elle craint également de tout perdre à travers la vengeance de Davidson ou la découverte de son parjure, Hamer orchestrant de subtiles scènes de dialogues avec son époux où chacun devine l'angoisse de l'autre sans oser aborder le sujet. La dimension sociale fréquente chez le réalisateur (même pour rire jaune comme dans Noblesse Oblige) se retrouve également en liant Davidson à la jeune serveuse Ills, tous deux sont des meurtris de la vie pouvant se sauver l'un l'autre. Ills (Eva Berg très touchante) trouvant enfin un homme sincère et protecteur et Davidson trouvant dans cet amour un autre futur que la vengeance. Le ton très dur et très noir vacille ainsi constamment à l'aune des hésitations du héros, Hamer alternant constamment mélodrame intimiste et polar haletant. Tout cela se confond idéalement dans la trépidante course poursuite finale où le réalisateur allie suspense virtuose et vraie émotion. Un très beau film noir à l'ambiance assez unique. 5/6

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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Profondo Rosso »

Father Brown de Robert Hamer (1954)

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Le père Brown, un prêtre catholique, se voit confier la mission de soustraire une croix de grande valeur à la convoitise d'un voleur réputé. Or, l'ecclésiastique entend contrecarrer le vol, tout en sauvant l'âme du malfaiteur.

Father Brown est la troisième adaptation du célèbre personnage de prêtre détective créé par G.K. Chesterton. Le film est en fait le remake de Father Brown, Detective (1934) première transposition de Edward Sedgwick avec Walter Connolly dans le rôle-titre. Le film de Robert Hamer reprend le principe du scénario de cette première version en adaptant la nouvelle La croix bleue (première des 51 nouvelles consacrée au personnage) mélangée à l'intrigue d'autres nouvelles. Le mélange d'humour anglais et de vraie intrigue policière alambiquée offre donc une illustration réussie du personnage, bien aidé par l'interprétation facétieuse d'Alec Guinness.

La scène d'ouverture donne une bonne idée de la singularité des enquêtes du père Brown. Alerté par un cambriolage, des policiers ne voient pas le vrai voleur s'échapper et trouve notre héros en train de remettre le butin en place. On découvrira que le voleur était un paroissien que le prêtre a couvert et remis sur le droit chemin avec humour en lui signifiant qu'il était un bien piètre criminel. En effet, le goût pour les énigmes criminelles du père Brown n'est pas un passe-temps mais au contraire une part entière de son sacerdoce religieux où il s'entend à remettre les malfrats qu'il coince sur la voie de l'honnêteté. On évite tout prêchi-prêcha religieux grâce à l'humour des situations et de la truculence du personnage, gaffeur, lunaire et inoffensif en apparence mais à l'intelligence redoutable. Il va avoir à faire à forte partie lorsqu'il devra mettre à l'abri de Flambeau, un voleur chevronné et caméléon la prestigieuse croix de sa paroisse. Le duel entre le père Brown et Flambeau est amené avec brio, le voleur étant interprété par Peter Finch. Les deux rivalisent de subtilité pour duper l'autre et sans trop en dire le moment où les masques tombent est savoureux, l'acuité de Brown fonctionnant non pas sur l'observation des lieux et des objets mais de celles des âmes humaines qu'il sait observer et souhaite apaiser. Dès lors, tout en ayant démasqué Flambeau, Brown décèle la fragilité secrète en lui et décide de lui éviter l'arrestation, le traquant pour mieux l'absoudre. On aura ainsi une intrigue très ludique où la police piste le père Brown afin de remonter jusqu'à Flambeau. Peter Finch en simili Arsène Lupin volant pour le plaisir de l'adrénaline offre une prestation à la vulnérabilité subtile et dégage une classe folle. Le duo formé avec Guinness fonctionne à merveille et finalement on regrettera que le film soit si court tant il y avait matière à pousser plus loin le jeu.

Très agréable même s'il y avait matière à rendre la chose plus tortueuse (d'autant que certaines résolutions des nouvelles s'avère très inventives) mais on passe un bon moment. A noter une curiosité, une partie de l'intrigue se déroulant en France on trouve Gérard Oury encore acteur dans un rôle de flic franchouillard amusant. 4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

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Noblesse Oblige (1949)

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Héritier éloigné de la maison ducale d'Ascoyne-Chalfont, Louis Mazzini élimine successivement, par des méthodes aussi variées qu'inventives, tous les prétendants qui le séparent du titre, avant finalement de tuer le duc lui-même lors d'une partie de chasse, en maquillant l'assassinat en accident. Le soir où il est enfin proclamé duc, un officier de police vient l'arrêter pour un meurtre qu'il n'a pas commis, celui du mari de sa maîtresse. Condamné à mort, il écrit dans sa cellule de prison des mémoires où il relate ses crimes réels.

Très loin de se résumer à la performance multiple d’Alec Guinness qui y joue huit rôles, Kind Hearts and Coronets est un des chefs d’œuvres du studio Ealing et un grand classique du cinéma anglais. Sorti la même année que Passeport pour Pimlico, le film incarne avec celui-ci le grand virage du studio vers la comédie caustique fustigeant la société anglaise. Pourtant Noblesse Oblige par son amoralité, la virulence du propos et sa manière de bousculer absolument toutes les valeurs anglaises détone même par rapport à d’autres productions Ealing qui suivront. Le film sort durant les difficiles années d’après-guerre où le pays se reconstruit et souffre encore des privations, ces valeurs et cette identité anglaise ayant justement constitués un socle afin d’unifier le peuple face à l’adversité. Noblesse Oblige vient bousculer cet état d’esprit avec son héros au froid individualisme, symbole de ce que la guerre a bousculé à savoir l’impitoyable système de classe de la société anglaise. Un retour à cette injustice est impossible et Robert Hamer, certainement le réalisateur Ealing aux préoccupations sociales les plus marquées (se souvenir de son remarquable Il pleut toujours le dimanche (1947)) s’avère le plus indiqué pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Le film s’inspire du roman Israel Rank: the autobiography of a criminal de Roy Horniman paru en 1907. Le scénario reprend le postulat ainsi que le cadre de l’Angleterre édouardienne (symbole d’une injustice remontant loin dans l’histoire du pays) mais effectue plusieurs changements majeurs. Le héros meurtrier du roman était à moitié juif et cette caractéristique pouvait autant signifier l’antisémitisme d’alors ou dénoncer au contraire l’image intéressée que l’on se faisait des juifs à l’époque. Une ambiguïté impossible à entretenir alors que se sont dévoilées récemment les horreur d’Auschwitz mais Hamer souhaitant associer cette lutte des classe d’une certaine forme de racisme fera du héros un italien. La cruauté du roman (où le héros n’hésitait pas à tuer des enfants pour parvenir à ses fins) est retranscrite par une ironie et un humour noir savoureux s’exprimant notamment par la voix-off détachée de Dennis Price.

Sa mère ayant choisie l’amour plutôt que le rang en épousant un ténor italien, Louis Mazzini (Dennis Price) se voit détourné de la prestigieuse lignée des Ascoyne-Chalfont, prestigieuse famille noble anglaise. Il aura malgré son milieu modeste été élevé dans le souvenir de cette parenté, étudiant les arbres généalogique et interdit de se mêler aux autres enfants indignes de son rang. Les D’Ascoyne n’ont pourtant que faire de cette famille embarrassante, refusant d’aider financièrement Louis et sa mère ou de contribuer à sa carrière. Forcé de travailler comme simple commis de magasin, Louis voit pourtant sans rancœur prendre une toute autre dimension lorsqu’il sera refusé à sa mère tragiquement décédée de reposer dans le caveau familial. Il va alors radicalement reconquérir son rang, assassinant les huit héritiers Ascoyne qui le sépare du duché.Les D’Ascoyne représentent différentes facettes de l’éloignement des réalités de cette aristocratie (arrogance, snobisme, bêtise, sens de l’honneur par l’absurde l’amiral) et toutes endossent le visage d’un Alec Guinness qui s’en donne à cœur joie dans un transformisme loufoque. « L’ennemi » nanti par cette incarnation uniforme représente donc une métaphore de l’aristocratie imbue d’elle-même tandis que Hamer proposera une illustration plus hétérogène de la populace qui ne vaut guère mieux. Louis Mazzini représente le pont entre les deux classes sociales, partageant la condescendance des riches pour les classes inférieures et l’avidité des pauvres pour s’élever à tout prix dans la société.

Dennis Price est parfait pour exprimer cette dualité. Si l’on peut être tout d’abord touché par ses déconvenues (notamment la mort de sa mère, seule scène où il semble exprimer une émotion sincère), sa froide détermination dans le crime, les manières de plus en plus arrogantes de sa prestance de gentleman et les répliques distanciées finissent par le rendre aussi antipathique que ceux qu’il combat. Ce renvoi dos à dos s’exprime également à travers les deux personnages féminins. La dépravation, l’ambition et le calcul de l’amie d’enfance Sibella (Joan Greenwood) n’a d’égal que la pudibonderie, la naïveté et la conscience de son rang de la belle Edith d'Ascoyne (Valerie Hobson). La séduction provocante de la première répond à la prestance et à la beauté élégante de la seconde, manifestation des deux mondes dont est issus notre héros.La mise en scène de Robert Hamer participe de cette approche par son inventivité. Le visions majestueuses du luxe dans lequel vivent les D’Ascoyne sont non seulement atténuée par leurs attitudes arrogantes mais aussi par leurs morts ridicules que le réalisateur filme avec un sens du gag (l’amiral noyé, la chute dans la cascade) et des situations grotesques (le prêtre empoisonné) qui transforme l’ensemble en un réjouissant jeu de massacre où le rire atténue la violence des situations – mais pas toujours comme ce coup de fusil dénué du moindre trait d’humour. Bêtes, imbus d’eux-mêmes et éloigné des réalités dans les hautes sphères et prêts à tout pour réussir, froidement intéressés et immoraux au sein du peuple.

Les aristocrates accrochés à leurs privilèges s’avèrent aussi méprisables que les roturiers qui ne rêvent que de prendre leurs places. Telle est l’Angleterre bousculée que nous dépeint Robert Hamer. Le final salue ainsi ce triomphe de la vilenie (et le prolongement de façade de ces valeurs avec le bourreau et le personnel de la prison si déférents envers le duc) et du cynisme calculateur, la luxure comme le confort s’offrant à notre héros avec ces deux prétendantes dont une devra radicalement s’effacer. Le montage américain tentera bien d’édulcorer l’ensemble avec l’ajout d’un épilogue où le journal de confession est découvert mais c’est bien le regard malicieux de Dennis Price qui marquera l’impression d’ensemble. Un classique absolu. 6/6
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Profondo Rosso
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Profondo Rosso »

Pink String and Sealing Wax (1945)

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A Brighton, La femme d'un propriétaire de pub veut se débarrasser de son mari violent. Elle obtient l'aide d'un jeune homme qui travaille dans une pharmacie ...

Robert Hamer avait eu sa première expérience en tant que réalisateur au sein de la Ealing avec Dead of Night (1945), mémorable film à sketch dont il signa Le miroir hanté, l'un des segments les plus terrifiants. Fort de cette réussite, Hamer est prêt à passer au long-métrage avec Pink String and Sealing Wax. Le film adapte la pièce éponyme de Roland Pertwee sur un scénario de Diana Morgan et Robert Hamer. On y retrouve déjà tous les éléments qui feront la réussite des grands films à venir, que ce soit le cadre de l'Angleterre Victorienne de Noblesse Oblige (1949), la veine intimiste de Il pleut toujours le dimanche (1947) et bien sûr les préoccupations sociales qu'on trouvent dans les deux œuvres. La solution criminelle et/ou la résignation des films suivant à ce climat social oppressant trouvent déjà leurs expressions dans Pink String and Sealing Wax. Edward Sutton (Mervyn Johns) campe ainsi un pharmacien bigot et tyrannique féru de droiture morale qui mène la vie dure à sa famille. Il étouffe les premiers amours épistolaires de son fils David (Gordon Jackson) et empêche les velléités artistiques de sa fille Victoria (Jean Ireland) rêvant d'une carrière à l'opéra. Par son masque impassible, sa raideur et son timbre glacial, Sutton incarne toute la rigueur implacable de cette Angleterre Victorienne où il ne faut surtout pas s'écarter de sa condition. Le film dépeint ainsi la manière dont les protagonistes vont malgré tout chercher à assouvir leurs passions, désirs et ambitions.

Hamer pas encore totalement soumis au cynisme de Noblesse oblige offre encore une certaine tendresse et innocence à l'intrigue sur l'aspirante chanteuse, la candeur de Jean Ireland et le charme simple de son ascension donnant de beaux moments tel cette scène où elle charmera une cantatrice en chantant dans la rue. C'est pourtant quand il plonge dans la fange et la noirceur que le film marque. Le jeune David soigne sa frustration en s'immergeant au sein de la populace d'une taverne et va tomber amoureux de Pearl (Googie Withers) la femme du tenancier. Même si tout reste sous-jacent, on devine bien le mélange douteux de prostituée et d'escrocs en tout genre qui fréquente les lieux, Hamer ne distinguant pas la fange. Pearl femme adultère et jouée avec un vice séducteur par Googie Withers (qui donne une veine plus noire à la femme au foyer dépressive qu'elle jouera dans Il pleut toujours le dimanche) est aussi peu recommandable que son époux (Garry Marsh) alcoolique qui la bat pour punir ses aventures. La perte des repères moraux, la violence et finalement le crime seront ainsi les seules solutions pour aspirer à autre chose, Hamer tissant une tragédie progressive dans le cadre apaisé et étouffant de Brighton. La photo de Stanley Pavey oscille d'ailleurs entre le chatoiement victorien des scènes de jours où les douleurs sont étouffées et la stylisation sombre des scènes nocturnes laissant les vices s'exprimer. Les moments de cruautés sont saisissants tant par leur approche inscrite dans le quotidien (Sutton tourmentant ses enfants de versets religieux à réciter) que de violence surprenante (le hors-champs lourd de sens où Googie empoisonne son mari) où se dessine une spirale implacable. Il semble cependant que la rigueur morale du producteur Michael Balcon ait pris le dessus cette fois tant le final semble punir les perdus du récit et offrir une issue inattendue aux opprimés. Le happy-end en forme de dépêche de presse fait preuve de suffisamment de désinvolture pour ne pas faire tiquer, l'ambiguïté et le désespoir des conclusions de Noblesse Oblige et Il pleut toujours le dimanche permettant à Hamer d'exprimer son vrai point de vue par la suite. En dépit de petites longueurs, un galop d'essai prometteur pour ce météore du cinéma anglais que fut Robert Hamer. 4,5/6
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Jeremy Fox
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Jeremy Fox »

School for Scoundrels - 1960

Le postulat de départ est très amusant et "jouissivement" amoral : un homme timide et réservé vient prendre des cours d'art de la vie facile, autrement dit comment dominer ses semblables pour y arriver dans toutes les situations, que ce soit en amour, au travail et en affaires. Alastair Sim est excellent notamment lors de son discours d'introduction à ses cours et lors de la dernière excellente séquence. C'est joliment réalisé et photographié, bien interprété, Janette Scott est ravissante... mais... ça ne m'a jamais vraiment amusé. Les gags sont bien trop étirés à mon goût et j'ai vite trouvé le temps bien long. Bref, encore une comédie anglaise qui ne m'aura pas arraché énormément de sourire :(
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Rashomon »

C'est le plus grand des voleurs, oui mais c'est un gentleman... Le spectateur français pense inévitablement à l'Arsène devant ce Philippe Lodocq remarquablement interprété par Guy Rolfe - et quelque chose me dit que ce n'est pas l'effet du hasard. Tout est lupinien dans cette histoire, du protagoniste à ses relations avec les femmes et avec la société incarnée par le très ambigu commissaire Maubert (Eric Portman) jusqu'à la conclusion passablement amère de l'aventure (seuls ceux qui ne connaissent pas Lupin croient qu'il s'en sort toujours sans dommage...) Ah, et puis ça fait plaisir de voir un film étranger qui montre la France sous un jour pas trop fantaisiste ni stéréotypé - Pinewood n'est pas Hollywood...
Un DVD ferait bien plaisir, dans une meilleure copie si possible que celle que j'ai vue et qui ne rend pas justice à la photo de Geoffrey Unsworth. Quelque chose me dit que l'on risque d'attendre longtemps...

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Jeremy Fox
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Jeremy Fox »

L'anglais du jour proposé par Justin : Pink String ans Sealing Wax
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par shubby »

En passant, le premier film de la Hammer, Dick Barton: Special Agent, aurait bien été réalisé dans l'ombre par Robert Hamer, son nom ayant inspiré la célèbre collection.
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Jack Carter
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Jack Carter »

ça devient lourd, là...
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Jeremy Fox
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par Jeremy Fox »

Jack Carter a écrit : 1 avr. 23, 11:05 ça devient lourd, là...
Effectivement
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shubby
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Re: Robert Hamer (1911-1963)

Message par shubby »

Jeremy Fox a écrit : 1 avr. 23, 11:09
Jack Carter a écrit : 1 avr. 23, 11:05 ça devient lourd, là...
Effectivement
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