Elio Petri (1929-1982)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Profondo Rosso »

La classe ouvrière va au paradis (1971)

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Lulù Massa est un ouvrier modèle de l'usine BAN et ce travailleur acharné est utilisé comme référence par sa direction dans l'établissement des critères de productivité, au grand dam de ses collègues qui peinent à suivre ces cadences infernales. Un jour, Lulù est victime d'un accident du travail qui lui coupe un doigt. Par solidarité et pour faire entendre leurs revendications, les responsables syndicaux déclenchent alors un mouvement de grève générale. Privé d'un travail qui représentait jusqu'alors toute sa vie, Lulù va alors avoir le temps de réfléchir à sa condition...

Avec Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970), Elio Petri avait réalisé un des films emblématiques de l'Italie des Années de Plomb pour une satire glaciale et ironique démontrant toute la corruption et l'impunité des nantis dans un système inamovible. Petri en réalise en quelque sorte le pendant prolétaire avec La classe ouvrière va au paradis avec une même impasse et constat désabusé au bout du chemin, Gian Maria Volonté en étant à nouveau le symbole.

Lulù Massa (Gian Maria Volonté) est l'ouvrier le plus assidu de l'usine BAN, acharné de travail et seul capable de répondre aux cadences infernales imposées par la direction. Mieux, il sert de modèle à la direction pour fixer ces rythmes de travail intenable ce qui lui suscite l'animosité de ces collègues. L'ombre des Temps Modernes de Chaplin plane sur ce début de film avec le thème martial et répétitif d'Ennio Morricone accompagnant l'arrivée des silhouettes anonymes des ouvriers à l'usine tandis qu'une fois au travail la caméra virevoltante de Petri arpente l'espace de l'atelier. Là le réalisateur multiplie les effets afin de souligner la tâche harassante des travailleurs avec gros plans et zoom sur les visages en sueurs, la gestuelle répétitive et les pièces qui s'encastrent dans un maelstrom inexorable. Courant après sa prime de rendement, Lulù semble n'avoir cure des invectives de ses collègues ou des militants gauchistes squattant l'entrée de l'usine. Ces allures bravaches dissimulent cependant un malaise se révélant au quotidien où notre héros fait véritablement figure de zombie, regardant l'œil morne la télévision, trop épuisé pour faire l'amour à sa compagne Lidia (Mariangela Melato) et voyant se réveiller tous les pépins physiques accumulés par cette existence entièrement dévouée au travail.

L'éveil se fera avec un accident de travail où il perd son doigt. Prenant conscience de tout ce qu'il a sacrifié à sa tâche, Lulù passe ainsi à l'extrême inverse en devenant un opposant acharné de ses patrons. L'acharnement surhumain qu'il mettait à monter ses pièces n'a d'égal que son acharnement sans concession où il sera désormais bien plus indomptable que les timides directives syndicales en poussant ses camarades à l'arrêt total du travail. Gian Maria Volonté déploie une passion et une énergie fiévreuse pour témoigner de l'éveil spectaculaire de ce dormeur trop longtemps assoupi. Les phrases qu'il a tant occultés dans son stakhanovisme se révèle à lui en lui rappelant combien son travail le déshumanise et le réduit au rang d'automate ("Nous arrivons et quittons l'usine alors qu'il fait nuit"), un travail dont le capitalisme froid et l'organisation industrielle n'apporte même plus satisfaction avec des patrons invisibles et des pièces dont il ne saura même pas l'objet de fabrication final. Dès lors l'ombre de son ami Militina (Salvo Randone) que cette vie à faire perdre la raison et conduit à l'asile.

Petri renverra pourtant toutes ces voies dos à dos, signes de cette Italie plongée dans le chaos et où tous les choix ne peuvent être qu'extrême, dévoués maladivement aux patrons ou dans une rébellion où le terrorisme n'est jamais loin. Ainsi la supposée solidarité des camarades ouvriers de Lulù est surtout un prétexte pour eux à lancer enfin les hostilités avec les puissants. La diatribe gauchiste caricaturale s'avère très creuse, privilégiant le discours à l'individu finalement tout aussi anonyme que quand il trimait à l'usine et servant juste une idéologie différente sans forcément y gagner plus. Petri se montre d'un terrible cynisme avec ce militantisme vu comme un métier où les activistes sont presque en tournée pour réciter les mêmes idées interchangeables qu’ils se trouvent dans une usines ou dans un lycée ou l'appartement de Lulù qu'il investissent en masses en raillant le matérialisme de sa compagne.

Lulù se donnant corps et âmes dans tout ce qu'il entreprend saisira bien trop tard cet état de fait et perdra femme, enfant et travail alors que tout semble retrouver son moule originel. Après être descendu très bas (sa longue errance donnant les seuls quelques longueurs du film) la conclusion semble donner quelque espoir en faisant retrouver sa place à Lulû. Petri semble nous donner l'illusion que les choses ont changées avec cette disposition alignée des travailleurs laissant croire à un travail plus libre et convivial. Personne n'est dupe cependant, le découpage strictement identique de l'arrivée des ouvriers à l'usine et le thème de Morricone reprenant plus frénétique que jamais faisant de cette lobotomisation de l'individu un éternel recommencement. 5/6
julien
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par julien »

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A noter, la ressortie de La propriété c'est plus le vol. Il parait que c'est une farce assez grinçante et pessimiste sur le capitalisme mais qui se révèle parfois un peu poussive et un brin caricaturale. A vérifier sur place dès aujourd'hui !
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Demi-Lune »

bruce randylan a écrit :A chacun son dû (A ciascuno il suo -1967)

Après l'assassinat de deux hommes lors d'une partie de chasse, un professeur se lance dans l'enquête quand il découvre que les autorités ne font pas leur travail.


Le film a beaucoup de chose à dire (corruption, rapport entre mafia et justice, une certaine hypocrisie de l'église) mais j'ai trouvé l'approche un peu distante et froide, assez typique de certain films paranoïaques italiens de cette période (Francesco Rosi et compagnie). Cette approche casse l'installation d'une ambiance oppressante et de la montée d'un suspens. Pourtant la mise en scène est assez réussie avec de longs plans mêlant travelling, panorama et (dé)zoom. Une manière indicible pour se rapproprier l'espace et apporter une présence menaçante qui tourne autour du pauvre fonctionnaire embarqué plus ou moins malgré lui dans un piège tout en étant le jouet des institutions officielles et officieuses. Le climat est donc plus troublant qu'autre chose et ne parvient pas à mener le film où il devrait : dans une sorte de parabole à la Kafka (la fin évoque vraiment le procès).
L'autre problème, à mon gout, vient du choix de l'acteur Gian Maria Volonté qui joue ce professeur timide, mal à l'aise, manquant de confiance, rivé à sa sacoche comme Bernadette Chirac à son sac à main... Malgré son immense talent d'acteur, il a "malheureusement" bien trop de charisme pour qu'on arrive à croire en son personnage "chétif". Il aurait vraiment fallut un physique bien plus banal et anonyme.
Le film m'a également déçu (enfin, c'est toujours mieux que le ringard La dixième victime). Volontè m'a convaincu comme à son habitude, ce n'est pas le problème. Non, j'aurais tendance à déplorer un propos qui tourne à vide. Il y a un bon travail d'ambiance paranoïaque, ce qui rend le film prenant de bout en bout. Néanmoins il reste tiraillé entre sa volonté de braquer le projecteur sur certaines collusions/forces occultes en Sicile, et l'approche suggestive du scénario qui fait qu'on ne les comprend pas vraiment, ces collusions. Au final, c'est tiède voire, si on voulait être sévère, petit-bras (je vous appâte avec du gros dossier mais je ne vais pas plus loin) : le film n'est ni réellement édifiant en tant que film politique ni vraiment abouti en tant que le film kafkaïen. Cette veine trouvera un bien meilleur support avec le script du remarquable Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon.
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Jeremy Fox
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Jeremy Fox »

La propriété c'est plus le vol par Antoine Royer, le film venant de sortir en DVD chez Tamasa.
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Jeremy Fox
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Jeremy Fox »

La propriété, c'est plus le vol (La Proprietà non è più un furto) - 1973

Brûlot grinçant, fustigeant pas seulement la propriété mais également, en vrac, l'argent, le capitalisme, le monde de la finance, les institutions policières et l'égoïsme qui gangrène la société italienne de l'époque. On y trouve pêle-mêle un commissaire jouissant des arrestations, une femme-objet qui se satisfait de sa position, un boucher devenu milliardaire par le trafic, un banquier allergique aux billets et qui va se transformer en voleur, des voleurs se volant entre eux, un acteur-cambrioleur... Film très original et très méchant qui démarre vraiment assez fort (notamment lors des monologues face-caméra des différents protagonistes) mais qui ne tient pas la distance, la deuxième heure finissant par tourner un peu en rond. Dommage car l'interprétation est excellente (Tognazzi en tête) et la musique de Morricone aussi expressément agaçante qu'entêtante.
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par El Dadal »

Demi-Lune a écrit :(enfin, c'est toujours mieux que le ringard La dixième victime)
Marrant, c'est exactement ce que j'en attendais (un film d'anticipation 60's ringard à la Modesty Blaise), et j'ai finalement trouvé que son ascèse visuelle relative lui donnait plus de tenue que prévu, un côté quasi pasolinien par moments, sans compter que ça le date moins. Par ailleurs, c'est extrêmement bien rythmé, et il y a une certaine acuité dans les rapports du peuple au divertissement, à l'ennui généralisé, au TOCs et autres déficits d'attention qui sont aujourd'hui bien plus répandus. Le film trouve également la bonne distance entre sérieux thématique, humour évoluant entre gags ZAZesques avant l'heure et dialogues tongue-in-cheek sophistiqués. Et Mastroianni en branleur fini, il exsude le cool, même avec sa teinture blonde :D
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Jeremy Fox
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Re: Elio Petri (1929-1982)

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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Jeremy Fox »

Autant j'avais eu beaucoup de mal avec l'assassin, autant son deuxième film, Les Jours comptés, m'a totalement cueilli ; seul point noir à mon avis, la longue séquence de tentative d'escroquerie au bras cassé. Rome sublimement filmé.
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Rick Blaine »

:D
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Akrocine »

Jeremy Fox a écrit :Autant j'avais eu beaucoup de mal avec l'assassin, autant son deuxième film, Les Jours comptés, m'a totalement cueilli ; seul point noir à mon avis, la longue séquence de tentative d'escroquerie au bras cassé. Rome sublimement filmé.
Pareil! Malheureusement toujours pas de Blu-Ry a l'horizon :(
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Jeremy Fox
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Re: Elio Petri (1929-1982)

Message par Jeremy Fox »

Akrocine a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Autant j'avais eu beaucoup de mal avec l'assassin, autant son deuxième film, Les Jours comptés, m'a totalement cueilli ; seul point noir à mon avis, la longue séquence de tentative d'escroquerie au bras cassé. Rome sublimement filmé.
Pareil! Malheureusement toujours pas de Blu-Ry a l'horizon :(

Quoi qu'il en soit, le DVD est magnifique.
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