Ermanno Olmi (1931 - 2018)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

NotBillyTheKid a écrit :Tes critiques du Cammina Cammina refroidissent un peu plus encore mon envie de commander le dvd factets (copie mauvaise, st anglais, zone 1), ...)
Cammina cammina, si tu as aimé son génèse, il est possible que tu aimes celui-ci même si visuellement, c'est vraiment en dessous.
NotBillyTheKid a écrit :J'avoue avoir oublié qu'il était question d'Adam et Eve.. Je me souviens en revanche avec clarté de la partie sur Noé, qui est celle qui m'a marquée. Avec les plans de la guerre d'Irak collés là dedans sans crier gare. (on peut parler de prise de risque, là, non ?)
Ah oui, les images d'Irak. J'avoue que mon cerveau a préféré effacé ces plans de ma mémoire. :mrgreen:
J'ai trouvé ça fort mal amené et très maladroit (mais osé, certes).

Et en effet, comme dans beaucoup de Olmi, aucun dialogues direct sur les événements bibliques, tout est raconté par un narrateur.


De narrateur, il en est fortement question dans les 2 séances de documentaires que j'ai fait hier et aujourd'hui.

Hier, c'était un programmes de 9 courts-métrages d'une durée moyenne de 10-12 minutes qui date du début du cinéaste Buongiorno natura (1955) ; Cantiere d'inverno (1955) Costruzioni meccaniche Riva (1956) ; Il Racconto della Stura (1955) ; La Diga del ghiacciaio (1954) ; L'Energia elettrica nell'agricolura (1955) ; Manon : Finestra 2 (1956) ; La Mia valle (1955) ; La Pattuglia del Passo San Giacomo (1954).

Il s'agit presque essentiellement de films institutionnel produit par la compagnie Edison. Même dans ces titres de jeunesse qui sont des produits de commande, on sent la sensibilité de Olmi : on trouve déjà des propos progressistes, une vision respectueuse de la nature (qu'il faut malgré tout dompter) et un réel attachement à la vie rural. Plusieurs documentaires se déroulant en montagne ne sont d'ailleurs pas sans évoquer Le temps s'est arrêté surtout La Pattuglia del Passo San Giacomo dont les premières minutes s'attardent sur un petit village qui se vide doucement de sa population et qui comportent quelques beaux plans de paysans/artisan à l'ouvrage.
Dans l'ensemble beaucoup de ces films tournent autour des barrages hydrauliques ou des constructions de leurs énormes turbines. Olmi tente autant que possible de tirer profit du matériel pour essayer du sortir du cadre "institutionnel" en allant vers quelques choses de plus cinématographiques. Dans Costruzioni meccaniche Riva (le plus long pour 22 minutes), il utilise les chaines de fabrication, chariots et grue de manutention pour composer quelques jolis mouvement de caméra qui savent mettre en valeur ces pièces mécaniques imposantes et spectaculaires. Le résultat est assez fascinant.
Il va sans dire que les propos sont souvent un peu naïf et idéaliste mais les images et les commentaires témoignent d'une sincérité qui n'a pas l'air artificiel (Cantiere d'inverno est un bel éloge à la montagne).
Après, 9 films d'affilé comme ça, c'est un peu redondant et j'ai abdiqué pour le 2ème programme qui avait l'air trop proche (sur 6 films, 3 comprenaient "barrage" ou "digue" dans le titre :mrgreen: ).

Aujourd'hui, c'était deux documentaires d'une heure autour du fascisme.
Le Radici della libertà (1972) donne la parole ou met en avant des hommes et des femmes dont l'engagement politique les as mis en premières lignes contre les sbires de Mussolini : assassinat politique, arrestation, exil.
C'est souvent intéressant, révoltant, émouvant... mais ça n'a pas la force de Alcide De Gasperi. On sent qu'Olmi cherche en tout cas une forme qui sorte de conventions des genres. Il utilise ainsi déjà de séquences reconstituées qui veulent ressembler à des images d'archives ou d'actualité. Sauf que leur dimensions "spectaculaires" ou un peu peu "trop" immersives contre-disent un peu la démarche qui donne en tout cas de beaux moments, surtout la dernière histoire sur la communiste, protégée par des bergers qu'elle a tenté d'instruire.
Pas étonnant que cetté sequence, la meilleure, soit la plus longue : Olmi prend son temps pour développer ce portrait. C'est un peu la faiblesse de son documentaire : un zapping parfois trop rapide d'une h(H)istoire à l'autre.

Nascita di una formazione partigiana (1973) évoque lui la naissance des groupes de partisans dans les montagnes du nord de L'Italie.
La forme est plus abouti, le mélange des interviewés, des commentaires et des reconstitutions est plus habiles et audacieuse (un ancien chef parlant au milieu de comédiens qui jouent son escouade d'époque). Il y aune rigueur dans sa construction, un effort à coller aux faits historiques, une honnêteté à citer les sources assez rares dans le genre (sans trop alourdir le sujet). Reste que le début est un peu long à se mettre en place avec ce parti pris mais donne un dernier tiers très réussi qui ne cache pas les erreurs de ces partisans mal préparés et trop candides face à leur adversaires qui eux ne tiennent évidement pas leur promesses et massacrent des innocents après avoir récupéré deux soldats kidnappés.
On aurait presque aimé que ce documentaire soit encore plus intransigeant dans son regard lucide et sans idéalisation sur les événements.
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Les cents clous (Centochiodi - 2006).

Un professeur de philosophie est recherché par la police pour avoir transpercé une centaine de livres rares et précieux par d'énormes clous. Il se cache sur les bords d'un fleuve et s'approprie une petite maison en ruine..

Un film étrange et intrigant, capable du meilleur comme du plus discutable.

Le début commençait sous les meilleurs augures avec une ambiance qui donnait presque l'impression d'être devant un giallo intellectuelle. La mise en place est assez percutante, ménageant la découverte des "corps" meurtries avant de basculer sur une brève enquête sur le responsable d'un tel acte incompréhensible. On ne tarde pas trop à comprendre qu'il s'agit d'un professeur qui ne croit plus au savoir, comme si on partait du postulat inverse à Faust.
La suite du récit où on l'accompagne dans sa nouvelle vie ne manque pas non plus d'intérêt avec un retour à la nature, très bien mis en valeur et photographié sans pour autant tomber dans le "livre d'images". Reste qu'on sent cette certaine harmonie entre la nature et l'homme, avec toujours ce montage intelligent d'Olmi qui vient intercaler un fugace flash-back quand on s'y attend le moins ou pour créer une atmosphère doucement irréelle (comme le brochet mordant à l’appât).
L'absence de psychologie explicative, la quiétude du scénario et la simplicité des rencontres avec les nouveaux voisins sont tout à fait louables mais Olmi se fourvoie dans un dernier tiers où les connotations théologiques sont bien trop démonstratives avec son héros qu'on appelle Jésus, ses allusions à la Cène (qui évite heureusement la reprise du tableau de De Vinci) et son comportement de plus en plus messianique. Sans parler des clichés éculés avec les villageois chaleureux qui vont être bientôt évacuer de leur terrain par une mairie bêtement bureaucratique.
De plus, je n'accroche pas trop au discours du personnage qui décrète que toute connaissance est inutile tant qu'on peut boire un café avec un ami. Un raccourci qui manque forcément de nuance pour l'amoureux de culture que je suis.

Le hasard a fait que j'ai découvert Europe 51 hier à la télévision et ce dernier a une paternité évidente sur ce titre d'Olmi. On y retrouve ce personnage qui s'ouvre sur le monde plutôt que son univers d’apparence (le prof de fac qui doit bourrer le crâne de ses élèves) et décide de se couper de l'hypocrisie sociale pour se bâtir sa propre religion/philosophie altruiste qui dérange jusqu'aux dogmes de l'église. Par contre pour ses nouvelles connaissances, il est considéré comme un véritable saint. Ca donne d'ailleurs un conclusion assez jolie qui compense des propos vraiment restrictifs.

J'ai croisé une italienne à la Cinémathèque qui m'expliquait que Olmi est un cinéaste culte et adoré dans son pays mais dont les derniers films commençaient vraiment à lasser, "trop franscicain" pour reprendre son expression. :mrgreen:
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Durante l'estate (1971)

Un employé timide coloriant des cartes géographiques pour des manuels voue une passion pour l'étude des blasons. Il lui arrive même de suivre des inconnus dans la rue pour concevoir des écussons personnalisés. Sa route croise à plusieurs reprises une jeune femme qui le fascine.


S'il y a bien une chose qu'on ne peut reprocher à ce film, c'est son manque d'originalité. Le sujet qui sert de toile de fond est assez inédit et augmente de beaucoup la qualité de ce petit film plaisant mais certainement pas mémorable. Certes le personnage central, sorte de Woody Allen asocial et doux-rêveur, est attachant, certes son duo avec cette jeune femme (ravissante) donne quelques moments touchants et atypiques (les différentes rencontres, la quête de monnaie, la ballade dans le jardin aux roses, la visite chez un collectionneur d'instruments) mais la narration est bien trop relâchée, portée par une mise en scène "incolore" (un comble quand on filme un coloriste). On trouve celà dit quelques touches typiquement Olmienne avec un montage toujours aussi précis.

On aurait surtout aimé que le film cultive plus le trouble autour du héros, augmentent les détails on ne sait s'il sont vrais où s'ils tiennent d'une affabulation (volontaire ou non) pour remplir son quotidien comme les coups de téléphones auxquels personne ne répond ou ces avions qu'on entend mais qu'on ne voit jamais
Il y a avait là matière à faire un film un peu plus troublant et mystérieux qui aurait rendu le personnage plus riche, plutôt que ces moments assez longs où il croise un ancien ami ou quand il se blesse au pied (séquence qui doit bien occuper 10-15 minutes). C'est pourquoi l'accélération des 10 dernières minutes est assez stupéfiante et bienvenue mais un peu trop brutale et mal amené même si une "révélation" vient nuancer les motivations de cette drôle de figure.

Un peu frustrant tout tant Olmi aurait pu tirer quelque chose de plus immersif que juste "petit film plaisant"
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Un certain Jour (Un certo giorno - 1968)

Encore un titre assez bancal qui possède d'énormes qualités mais dont la structure est incroyablement raté.
Il faut attendre plus de 45 minutes avant que l'histoire ne commence véritablement... Jusque là, c'était une succession de séquences presque déconnectées les unes des autres et on finit par se demander qui est le personnage principal ? Est-ce que le directeur d'une agence de publicité qui vient d'avoir une attaque cardiaque ? Est-ce que ça va être son collègue qui va le remplacer ? Est-ce que ça va être le consultant étranger ? Ou encore la secrétaire ? Voire même le copain de celle-ci ?
Pourtant nous ne sommes jamais dans le film choral : malgré les apparences, les liens entre les personnages ont peu d'influence sur la trame principale qui part dans une direction totalement imprévisible. Il y a vraiment des passages dont on se demande ce qu'elles font là (surtout les 2 longs intermèdes entre la secrétaire et son flirt).

C'est donc à mi parcours que le film bifurque brillamment et de manière inattendue vers le drame psychologique à la suite d'un piéton fauché par une voiture et dont les circonstances demeurent floues pour ne pas dire impossibles. Cette partie est vraiment bien meilleure. Olmi exploite toujours admirablement bien son montage avec ses accélérations, ses flashs-backs presque subliminaux et ses ruptures/coupures imprévisibles pour créer le trouble mental du protagoniste. Les doutes du conducteur de la voiture sont bien rendus et son comportement est vraiment réaliste et échappe aux clichés attendus.
Malheureusement même dans cette seconde moitié, il y a toujours quelques éléments indésirables qui viennent polluer le récit, bien moins qu'au début cela dit.
J'imagine que ces éléments sont des fausses pistes justement présents pour intriguer le spectateur pour mieux le surprendre. Sauf qu'il faut reconnaître que l'effet recherché tombe à plat.
Enfin bon, je ne vais pas non plus trop faire la fine bouche puisque la deuxième moitié s'avère une belle réussite, une tragédie sans éclat où le travail d'acceptation est d'autant plus dur à effectuer que les événements tiennent de l'improbable... Il reste à accepter ses responsabilités avec l'impression de sortir d'un mauvais rêve sans savoir si la réalité est palpable ou non.
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Un autre programme de 4 court documentaires autour du sport

Piccoli calabresi a Suna sul Lago Maggiore (1953) et Giochi in colonia (1958) prennent place dans des sortes de colonies de vacances pour enfants ou des foyers acceuillant des enfants dont les maisons ont été détruites par des catastrophes naturelles. Ce sont des petits films anecdotiques, chaleureux et bien moins personnels que ces courts de la même période se déroulant dans le monde de l'entreprise ou prenant place en montagne. Dans le deuxième celà dit, on sent une réelle tendresse et Olmi se sent suffisament à l'aise avec sa caméra pour mettre en scène quelques moments amusants avec un petit garçon qui hésite à plonger dans une piscine (joli sens du découpage et de cadrage) ou qui cherche à jouer au mini-golf.

II° Raduno sciistico sociale all'Alpe Devero. Trofeo dei caduti della società Edison in guerra e sul lavoro (1954) et Alpe Devero raduno sciistico sociale - 3° Trofeo caduti della Soc. Edison in guerra e sul lavoro (1955) ne présentent en revanche aucun intérêt : il s'agit uniquement d'e deux captations de compétition de skis même pas professionnels. Rien de plus. Une curiosité cependant sur le premier où vers la fin du film des espèces d'autrichiens avinés commentent les images en se marrant. Curieux

Tous ces films (commes les 2 précédents programmes de courts évoqués plus haut) sont produit par le Groupe Edison. Pour la petite histoire, il travaillait pour cette société avant de gagner une caméra dans un concours interne de comédiens amateurs. C'est cette caméra qui fera de lui un réalisateur, créant alors une véritable unité de production dans la compagnie :)
(on dirait presque le scénario du formidable l'amateur de Kieslowski)
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Lungo il fiume (1990)

Derrière ce titre qu'on pourrait traduire par "le long du fleuve", Olmi compose un documentaire écologique d'une bonne facture. Le dispositif est, comme son l'indique, assez simple : le cinéaste descend un fleuve et filme depuis son navire l'eau, les rivages et surtout les traces de pollution de l'homme.
Muet à 80-90%, seules quelques citations de la bible rythme cette bal(l)ade qui font référence à la création du monde ou la beauté de la nature. Le cinéaste cherche à sensibiliser son prochain sur les dégâts irrémédiables que commet l'homme sur un univers qui existait pourtant avant lui (et façonné par la main de Dieu). Malgré une introduction pédagogique mettant en scène un excursion scolaire, le périple auquel nous convie Olmi est avant tout spirituel. La fin du la croisière est à ce titre une sublime révélation, une ouverture littéral (et littorale) sur le monde qui lui confère une dimension presque cosmique (et émouvante) avec une économie de moyen stupéfiante.

Il va sans dire que comme d'autres films de cette période, sa réalisation est très "malickienne" bien que la production télévisuelle ne permette pas une facture visuelle au niveau du talent de composition et de montage d'Olmi.

Lungo il fiume est une oeuvre contemplative tour à tour belle, choquante, naïve, profonde, révoltante, apaisante, le tout bercée par des airs de musique classiques ou d'opéra. On se fait bercer au rythme des flots et du courant au point parfois de voir les paysages défiler sous nos yeux, sans qu'on les regarde vraiment, ce qui n'est pas gênant.
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

L'or de la montagne (I Recuperanti - 1969)

A la fin de la seconde guerre mondiale, un homme rentre du front russe pour retourner dans on village natal. Devant le peu de travail et son manque de qualification, il seconde un vieil homme qui cherche des minutions et engins explosifs oubliés en montagne par les soldats pour en revendre le métal..

Quelques airs du temps s'est arrêté dans cette chronique assez réussie de l'après-guerre. Le film refuse la dramatisation, les stéréotypes et les grands effets. Il choisi plutôt la nonchalance et les moments un peu en creux ; ce qui n'est jamais un mal puisqu'il repose beaucoup sur la figure du patriarche, un homme fascinant et un conteur né dont on boit les paroles.
Ce vieil homme, qui n'a pas sa langue dans poche, parvient à rendre passionnant son exhumation des vestiges de la guerre. Il personnalise à la fois la montagne qu'il a tant arpenté et chaque bombe dont il connait la moindre spécificité comme si elles étaient des traits de caractère. Il leur parle d'égale à égale, comme à un ancien ennemi qui n'aurait plus de secret pour lui mais qui peut toujours s'avérer mortel s'il est mal manipulé.
Comme lui, Olmi, détourne souvent l'attention et la tension sur des moments qui pourrait installer une dramaturgie (et donc un suspens) un peu trop artificiel. Ainsi les deux séquences qui auraient pu créer quelques chose d'angoissant deviennent une histoire truculente sur un renard géant et un événement dont on voit seulement les conséquences après en avoir entendu parlé.
Une approche qui n'a rien de frustrante grâce à l'excellence de l’interprétation et à l'originalité du scénario. Ainsi même les éléments secondaires sont suffisamment présents et bien écrite pour être ramené à 2-3 séquences qui suffisent à poser l'arrière plan social (le départ du frère pour l'Australie) ou psychologique (l'histoire d'amour). Loin d'amenuiser l'impact, ces choix permettent au contraire de contourner les clichés et de toucher l'essentiel des rapports humains.

C'est pourquoi l'épilogue déçoit un peu en arrivant trop abruptement via une ellipse inattendue. Certes la conclusion dans sa pure dramaturgie est tout à fait cohérente et logique mais cette accélération du saut dans le temps ne fonctionne pas à l'écran.
Cette réserve mise à part, ça reste un excellent film. :)
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

La Circostanza (1974)

Le temps d'une journée, la vie d'une famille connait plusieurs événements, non sans conséquences : la mère conduit à l’hôpital un jeune blessé dans un accident de la route, la fille connait ses premiers émoi tandis que le père suit une formation alors que des rumeurs de plans sociaux planent sur son entreprise. Pendant ce temps, un enfant est sur le point de naître

1974 aura été sans doute l'année où Olmi était à son sommet créatif. Après l'incroyable docu fiction Alcide De Gasperi pour la télévision, voici un long-métrage tout aussi stimulant, virtuose et ébouriffant sur la forme pour un tourbillon sensitifs qui traduit les émotions les plus complexes.
Tout repose ici sur un montage extraordinaire qui passe d'un personnage à l'autre avec une fluidité époustouflante mais qui surtout multiplie les images plus ou moins furtives. L'art d'Olmi est de laisser planer le doute sur leur nature : dans de nombreux cas, on pourrait tout aussi bien se dire qu'il s'agit de flash-backs, de flash-forwards ou bien encore de fantasmes imaginaires. C'est évident dans le cas de l'adolescente qui songe à des jeux de séductions autour d'une piscine ou la mère et ses images obsédantes du garçon blessé dont elle décide de suivre l'état de santé ; c'est un peu moins vrai pour le père qui reste le personnage le plus effacé.
Il y a même plusieurs moments où l'on demande si les séquences centrées sur des personnages principaux ne sont pas le fruit du cerveau d'autres membres de la famille (comme la promesse faîte par le petit ami de l'adolescente qui ressemble étrangement à celle de la victime de l'accident). A certains moment, je me disais même que ces différents fragments ne se trouvaient pas à la même strate temporelle.

Ce montage n'est donc pas seulement là pour dynamiser ou éclater le récit, il sert surtout à rentrer dans la psyché des protagonistes, à rentrer dans leurs émotions, leur troubles, leurs doutes, leurs craintes etc... Cette narration a ainsi la grande qualité d'éviter toutes effluves mélodramatiques, états d'âmes envahissant ou dialogues explicatives. Tout passe par le collage d'un plan à l'autre ; par la rapidité des enchaînement, la fulgurance des inserts qui semblent pas moments autant exploser qu'imploser, comme lors de l'accouchement nocturne sous une orage apocalyptique qui donne une séquence très viscérale et pourtant linéaire.

Ces recherches formelles permettent aussi au cinéaste de livrer un film bilan qui révise une partie de son oeuvre en approfondissant plusieurs éléments : le traumatisme autour de l'accident de voiture provient d'un certain jour, le monde de l'entreprise semble être un prolongement hypothétique à Il posto, l'atmosphère estival flottante et le personnage féminin de Durante l'estate et de manière générale, il y a tout simplement cette narration multipliant les points de vue.
Après avoir poussé ces travaux jusqu'à une certaine perfection, il n'est pas surprenant qu'Olmi se soit accordé une période d'inactivité (4 ans) avant de changer radicalement de style avec l'arbre au sabots (qui m'a prodondément ennuyé).

Il va sans dire que si un seul Olmi devait sortir en DVD chez nous, ça sera bien celui-ci (pas encore vu les fiancés celà dit).
Très, très grande réussite donc ! :D
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Re: Ermanno Olmi

Message par Jack Carter »

je note (au cas ou).

tu comptes aller voir Longue vie à la Signora ? (j'en avais fait un film du mois il y a quelques années)
ne le rate pas, il ne passe qu'une fois :wink:
Image
The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

Si tous se passe bien, il me reste trois Olmi à voir à la cinémathèque. Celui-ci en fait partie :wink:
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

E venne un uomo (1965)

Evocation de la vie du pape Jean XXIII

Je n'avais pas prévu de le voir à la base mais ayant adoré les narrations à la troisième personne de l'Olmi, je me suis laissé tenter par celui-ci.
Car contrairement à ce qu'on pourrait croire Rod Steiger n’interprète pas le rôle titre mais un personnage presque en dehors du récit qui raconte la vie de ce pape aux idées progressistes. Ce n'est d'ailleurs pas une biographie dans le sens strict : si on parle de sa vie, les images qui les illustrent sont contemporaines de la réalisation du film et portent sens par le parallèle qu'elles dressent avec l'existence de Jean XXIII : on assiste ainsi à la naissance d'un enfant anonyme, on suit les études d'un enfant chétif aux grosses lunettes, on accompagne les questionnements moraux d'un ecclésiastique... Ca pourrait être la même personne qu'on voit évoluer sur plusieurs années comme ça pourrait être plusieurs individus. Ce qui intéresse Olmi, c'est la musicalité du dialogue, le travail sur le montage, la brouille entre reconstitution, réalité et fiction etc... De ce point de vue, même si ce n'est pas aussi bien abouti que ces œuvres à venir, c'est une réussite singulière qui évolue constamment en équilibriste.
Malheureusement ça n'en fait pas un bon film et le procédé ne suffit pas à maintenir l'intérêt tout simplement parce que le contenu manque de corps. Ce portrait se limite souvent à un exposé de faits et d'anecdotes qui manque d'implication et d'enjeu. L'inverse de Alcide de Gasperi où la vie de l'homme politique croisait l'histoire avec un grand H, auquel était imbriqué une touchante histoire d'amour. Il faut attendre le dernier quart pour que E venne un uomo parvienne enfin à nous faire partager les interrogations existentielles et morales de ce homme d'église réformateur.
Un rendez-vous manqué mais dont Olmi saura corriger les erreurs.


Longue vie à la signora (Lunga vita alla sognora - 1987)

Plusieurs adolescents sont engagés en renfort pour prendre le poste de serveur au dîner d'anniversaire qu''une vieille dame fortunée organise chaque année pour inviter le gratin aristocratique de la haute société.

Ah vous me l'avez un peu sur-vendu celui-là. C'est (très) bien mais ce n'est clairement pas une oeuvre incontournable même si ça fait plaisir de voir Olmi s'attaquer à une comédie tour à tour intrigante, absurde, grinçante, satirique et farfelue.
On pense forcément par moment à Jacques Tati ou The party de Blake Edwards pour ce long repas qui occupe une bonne partie du film, surtout si on compte les préparatifs. C'est d'ailleurs cette partie qui s'avère la plus réussie en retardant le plus tard possible l'explication de la venue de cette troupe de jeune. Le "suspens" est bien agencée avec peu de dialogues, beaucoup d'ellipses et des personnages qu'on ne parvient pas à cerner. Le reste du film est plus classique, y compris dans ces ressorts humoristiques qui se détache de l'atmosphère à la lisière du fantastique et de Kafka.
Le rythme assez lent est bien-sûr un choix de réalisation mais ça dessert par moment le film qui possède toujours le même tempo et ne s’accélère que rarement. Sur deux heures, ça se ressent fortement d'autant que l’interprétation est assez moyenne et la réalisation est régulièrement anodine, privilégiant surtout la confrontation des regards et l'observation.

Celà dit, il faut reconnaître que l'ambiance atypique de ce film devrait lui permette de se bonifier dans mon souvenir.


Les fiancés (I fidanzati - 1963)

En déplacement pour son travail, un homme pense à sa relation avec sa fiancée dont l'union est prévue depuis désormais trop longtemps pour les sentiments ne laisse désormais la place à un ennui.

"A priori", je pourrais parler d'une légère déception pour ce titre là aussi même une nouvelle fis, et bien plus que Longue vie à la signora, il s'agit d'un film dont les effets sont à retardement. C'est sa construction même qui crée ce sentiment de frustration, de flottement, de langueur.
Lors du premier visionnage, on ne voit pas trop ce que cherche à raconter un montage très éclaté et des scènes fragmentées sans oublier bien-sûr une structure déséquilibrée puisqu'on attend longtemps pour avoir le contre-point féminin.

Les fiancés n'est pas une banale histoire d'un amour (ou de son échec hypothétique), c'est un film centré sur les états d'âmes d'un homme en plein doute sur sa relation. Le temps comme la distance viennent fausser l'image qu'il a de sa fiancée. S'il erre dans des décors vides, s'il se trouve souvent seul dans le cadre, s'il cherche à se couper du soleil et d'une chaleur étouffante, ce n'est pas seulement pour des raisons narratives mais pour de raisons de projections mentales. Tout cela s'éclaire dans les 10-15 dernières minutes lorsqu'un échange épistolaire se crée enfin entre cet homme et cette femme et transforme cette déambulation aride en un tourbillon bouleversant et lyrique.
Je crois que je connais peu de film qui parviennent à cultiver un telle richesse à rebours (je ne parle pas des films à twist façon Shyamalan). Il va sans dire que j'aimerais bien le revoir d'ici un an ou deux. :)

PS : C'est avec ce film qu'on perçoit aussi le parcours du cinéaste puisque le monde de l'entreprise est directement dans la continuité de ces courts-métrages pour Edison. Certains plans se répondent de manière troublantes d'ailleurs.


Voilà, logiquement, c'est la fin du cycle pour moi. Il me reste encore à regarder mon DVD du métier des armes (et à trouver celui de Tickets à l'occasion). Il y a 2-3 titres que j'aurais voulu découvrir dont Il segreto del Bosco vecchio dont on m'a dit beaucoup de bien (à l'inverse du village de carton qui semble exécrable)
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Re: Ermanno Olmi

Message par NotBillyTheKid »

Merci pour toutes ces chroniques, vraiment.
J’ai revu Les fiancés l'autre jour et c'est, à mes yeux, une merveille.
Comme Longue vie, L’arbre aux sabots, l'emploi, En chantant, ce sont des films qui nous hantent longtemps après la vision...
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Re: Ermanno Olmi

Message par bruce randylan »

NotBillyTheKid a écrit :Merci pour toutes ces chroniques, vraiment.
Tout le plaisir était pour moi (enfin, le plus souvent)
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Re: Ermanno Olmi

Message par locktal »

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Le village de carton (Ermanno Olmi, 2011)

Malgré un côté parfois un peu trop théâtralisé, cette fable dépouillée réalisée par le grand Ermanno Olmi s'interroge avec beaucoup d'humilité sur ce qu'est la foi à l'époque actuelle, tout en dénonçant le problème de l'immigration (qui est toujours d'actualité, notamment en Italie, avec les récents drames de Lampedusa et l'impuissance du gouvernement italien face à cette arrivée massive de migrants) mais sans angélisme.

Michael Lonsdale est impressionnant dans le rôle de ce prêtre fatigué qui assiste sans rien pouvoir faire à la désacralisation de son église mais qui trouve un nouvel élan dans la charité qu'il donne aux immigrés clandestins : d'ailleurs, la désacralisation de son église ne représente pas grand chose face à la souffrance vécue par ces africains dans leur chemin pour trouver une vie meilleure en Europe. A noter également la présence de Rutger Hauer (déjà protagoniste de l'excellent La légende du saint buveur du même Olmi), très bon.

Bref, c'est une oeuvre puissante, superbement photographiée et toujours d'une brûlante actualité.
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Jeremy Fox
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Re: Ermanno Olmi

Message par Jeremy Fox »

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Les Fiancés - 1963

Ouvrier soudeur dans une usine milanaise, Giovanni (Carlo Cabrini) accepte d'aller travailler en Sicile pensant ainsi obtenir une meilleure qualification. Il laisse derrière lui sa fiancée Liliana (Anna Canzi) avec qui ça ne se passait pas très bien ces derniers temps, ne se parlant quasiment plus y compris lors de leurs ennuyeux dimanches. Mais la différence de culture et de coutumes entre le Nord et le Sud ainsi que l’éloignement des deux fiancés va finir par les rapprocher ; il renoue avec elle d'abord par lettre puis par téléphone. Leur amour renait…

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Après une quarantaine de documentaires industriels pour Edisonvolta, la société d’électricité milanaise pour laquelle il travaillait, Ermanno Olmi se lance dans le septième art et nous offre coup sur coup l’intéressant Le Temps s’est arrêté (Il tempo si è fermato) puis le magnifique L’emploi (Il Posto), mélange improbable mais pleinement réussi de néoréalisme, de Nouvelle Vague, de Buster Keaton et de Kafka. Les Fiancés, son troisième long métrage -produit par sa propre société-, s’inscrit dans la droite lignée du précédent même s’il est un peu moins aisé à appréhender par sa tridimensionnalité temporelle et s’il s’avère de prime abord plus austère par son scénario quasiment privé de tout dramatisme. Il narre les errances d’un homme qui a quitté Milan en espérant voir sa carrière évoluer en Sicile et qui pour se faire a dû abandonner sa fiancée durant une année complète ; une sorte de description de la solitude, du désœuvrement et de l’ennui qui vont s’ensuivre aux travers ses déambulations et divers petits tableaux descriptifs.

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Le film débute par une longue séquence qui renvoie à une de celle de Il Posto, une scène de bal populaire assez déprimante et sinistre qui se déroule dans une salle où sont assis tout autour dans un silence de mort les futurs danseurs qui attendent passivement que les deux musiciens s’installent et se mettent à jouer. Les personnes présentes semblent ne s’être rendues ici que par habitude et sans aucun entrain ; le couple de ‘fiancés’ que nous découvrons à cette occasion ne semble pas respirer la gaieté plus que les autres. Et pour cause -et nous l’apprendrons par fragments interposés- l’homme a avisé sa compagne de l’offre qu’on lui proposait de s’enrichir sur un plan professionnel à condition d’accepter de se déplacer à l’autre bout du pays. L’amour entre les deux membres du couple semblant s’être délité, le silence de l’incommunicabilité s’être installé depuis un moment et malgré le fait que la femme paraisse ne pas être vraiment ravi par ce changement –on le devine plus qu’on nous le dit car le film d’Olmi est quasiment privé de dialogue durant sa majeure partie-, son compagnon a pris la décision de partir.

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Durant les ¾ de sa durée, le film ne fera que décrire les flâneries de l’homme dans les environs de la cité industrielle où il habite désormais, observateur de tout ce qui se passe autour de lui que ce soit au travail et en dehors. Désemparé par la réalité qu’il côtoie dans cet endroit où il fait une chaleur étouffante (60° au soleil dit-il), confronté à un quotidien, à un monde et à une culture avec lesquelles il ne se sent aucun liens, il se trouve de plus en plus isolé et, en observant ses congénères, cherche tous les petits détails cocasses qui pourraient le sortir de sa torpeur et de sa tristesse. C’est ainsi qu’il se ‘délectera’ d’un serveur qui lui conte ses malheurs, d’un chien qui dérange une messe ou d’un tout jeune garçon qui se dépêche de finir son travail de barman avec des gestes mécaniques ultra-rapides pour pouvoir sortir. Avec son regard acéré de documentariste, Olmi en profite pour nous offrir de superbes plans de la Sicile -des salines fantomatiques, des moulins dont les pales sont faites de vieux draps, des plages avec vues sur les usines, des rues de pierre désertes écrasées par le soleil où seule une voiture diffusant un avis de recherche passe et se fait entendre, des paysages industriels qu’on croirait sortis tout droit d’un film d’Antonioni- ainsi que des images prégnantes comme ce snack-bar quasi déserté, cette salle de télévision au foyer où tous les ingénieurs sont avachis devant des programmes à priori sans intérêts, ou encore celles d'un harassant carnaval sicilien. A ce propos, Olmi a beau clamer "je déteste les jolis cadrages ; mieux encore, je les évite", il faut se rendre à l’évidence que ses vues sont souvent splendides, aidé en cela par son chef opérateur Lamberto Caimi. Car oui, contrairement à ce qu’il voudrait nous faire entendre, son film est plastiquement très beau surtout qu’il est encore rehaussé par un commentaire musical tout à fait plaisant signé Gianni Ferrio.

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"La banalité me fascine profondément. Je crois davantage au mystère de la banalité qu’à la clameur bruyante des discours officiels. Ce qui est authentique n'est jamais banal." disait Olmi qui filme l’ennui, l’aliénation de la société industrielle et la banalité avec une poésie du quotidien qui fait que son film n’est justement jamais ennuyeux pour celui qui accepte une œuvre sans quasiment de progression dramatique ni de dramatisation et à la structure narrative un peu éclatée –construction cubiste comme la nomme Aldo Tassone- par le fait de mélanger au montage présent et quelques scénettes du passé dont celles bouleversantes concernant le père du protagoniste que ce dernier est obligé d’envoyer à l’hospice durant son absence. Godard proclama son admiration pour ce film qui, empreint de néoréalisme -'le maitre à filmer' d’Olmi était Rossellini- n’en ose pas moins une narration assez 'Nouvelle Vague'. On a en revanche beaucoup reproché à l’époque à Olmi de ne pas avoir fait assez œuvre politique en ne s’appesantissant pas assez sur la situation sociale de la Sicile et de l’opposition Nord/Sud. Seulement ce n’étaient pas les intentions premières de l’auteur qui s’en défendait d’ailleurs très bien : "Dans une discussion où chacun s'égosille à qui mieux mieux je tiens beaucoup à m'exprimer sur un ton qui n'a rien d'écrasant. Dans un monde où tout le monde hurle présentant les faits avec une redondance épique et d'une voix tonitruante, autoritaire, il est fatal que mon point de vue, solide et lucide quant à l'observation de la réalité quotidienne, soit pris pour un signe de faiblesse."

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Ce cinéaste de l’intime et de l’observation qui préfère décrire que de raconter voulait ici avant tout parler de la douleur de l’exil, faire le constat d’un échec professionnel mais également, grâce à la tristesse de l’éloignement, d’une victoire sentimentale des deux fiancés qui recomposent le lien brisé petit à petit et à distance. Le dernier quart d’heure remet en avant la jeune femme aux travers les lettres qu’elle envoie et reçoit, certaines lues en voix off ou face caméra, les deux acteurs non professionnels faisant passer beaucoup d’émotion dans leurs regards, dans leurs gestes et dans leurs voix. Les dernières séquences sont d’un lyrisme d’autant plus bouleversant qu’elles font suite à une certaine aridité d’ensemble. Quant au dernier plan, il est d’un optimisme inespéré, l’homme retrouvant sa liberté en décidant de ne pas se rendre à son travail, lui qui juste auparavant avait réussi à faire renaitre l’amour au sein de son couple. Superbe et poignant final qui entérine la grande qualité humaine d’un film attachant, sans amertume, jamais totalement sordide, tout en pudeur et en délicatesse et qui annonce plus globalement l’œuvre à venir du cinéaste italien qui culminera dans le célèbre, splendide et ‘palmé’ L’arbre aux sabots.
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