daniel gregg a écrit :C'était précisément un parti pris artistique de sa part, comme Preminger, en fin de carrière, que de synthétiser le plus possible sa mise en scène.
Pour lui, comme pour Preminger, idéalement, un film bien mis en scène est un film où le montage est invisible, dans lequel il suffirait d'un seul et même plan sequence.
Lourcelles explique très bien l'intention de Lang, dans ses films de fin de carrière, de parvenir à une épure absolue pour cerner au plus près ses personnages et ne jamais sacrifier le récit dont les péripéties et rebondissement sont concentrées à l'extrême. (C'est aussi un peu comme si tu reprochais à Picasso d'avoir fait évoluer son style vers davantage d'épure, d'expressivité, non ?)
Mon problème avec l'évolution du style de Lang, c'est que je vois une grosse rupture entre ses films allemands et ses films américains, et que je la déplore.
En Allemagne, que ce soit pour le muet ou le parlant, Lang était un maître de l'image (peut-être LE cinéaste de l'image avec Eisenstein). Il traduisait ses idées par des images profondément évocatrices, sensationnelles, cinématographiques quoi. Bon sang, rien que de repenser à la première partie des
Nibelungen ou à
Metropolis, ça me flanque des frissons... ce gars-là était un génie, un véritable visionnaire au sens propre du terme.
Aux États-Unis, Lang semble avoir complètement perdu ça. Je reste intimement persuadé que son passage chez l'Oncle Sam a stoppé voire brisé quelque chose dans sa créativité. Parmi ceux que j'aie vus, il y a peu de ses films US où je ne me dise qu'il ne fait qu'habiller un scénario. Il y a bien sûr de temps à autre des idées éparses qui rappellent momentanément le Lang formaliste des grands jours (l'ouverture de
Man hunt, par exemple, la nervosité de
Furie ou
Les contrebandiers de Moonfleet), il y a parfois des photos travaillées (
House by the river) où Lang semble dérouler programmatiquement un univers expressionniste qu'il a lui-même contribué à créer, mais plus aucun de ses films ne sera mû par une dynamique essentiellement visuelle. En Allemagne, son art a justement toujours été de tout transcender par la mise en scène ; aux USA, il a pour moi perdu son génie en s'oubliant trop souvent derrière de la parlote filmée. Encore une fois, vous allez me trouver très sévère (pour ma défense, c'est à la mesure de ma déception face à cette trajectoire qui est la sienne), mais
L'invraisemblable vérité m'apparaît ainsi moins comme l'aboutissement d'une démarche épurée que comme l'énième confirmation d'un renoncement artistique (parce que bon, de
La femme au gardénia à
La femme au portrait en passant par
Les bourreaux meurent aussi, c'est quand même techniquement pas folichon de la part d'un maître dont la mise en scène de
M le maudit, par exemple, reste d'une modernité à toute épreuve).
AtCloseRange a écrit :Mais bon, y a quand même de superbes films dans sa période US: Fury, Chasse à l'Homme, Règlement de Comptes, La 5ème Victime, Moonfleet (même si je suis un peu en désamour aujourd'hui).
Oui, il y en a des bons. J'aime beaucoup
La rue rouge, notamment. Mais à cause de tout ce que je viens d'expliquer, je ne peux pas les mettre sur le même piédestal que sa période allemande. Quelque part Lang s'est "affadi" pour moi, aux USA.