Lillian Gish (1893-1993)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Lillian Gish (1893-1993)

Message par Ann Harding »

En parcourant le forum, je me suis rendue compte qu'il n'y a jamais eu aucun topic sur cette femme extraordinaire.
Alors voilà une biographie rapide de cette pionnière du cinéma qui fut actrice, productrice, monteuse et même metteur-en-scène!

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A droite avec sa mère Mary qui tient dans ses bras sa soeur Dorothy.

Lillian Gish est une véritable enfant de la balle. Sa mère, elle-même actrice, la pousse sur scène avec sa soeur dès l'âge de 5 ans, purement par nécessité économique car leur père a fui le foyer. Elles font toutes trois des tournées à travers les Etats-Unis parfois en compagnie d'une petite fille qui deviendra célèbre sous le nom de Mary Pickford. C'est cette dernière qui recommande les deux soeurs à David Wark Griffith en 1912. Elle font un bout d'essai et sont embauchées immédiatement par Griffith. Lillian raconte cette première rencontre dans ses mémoires: Griffith les poursuit avec un révolver à travers le plateau et se montre ravi du résultat; elles sont terrosisées! Elles débutent dans The Unseen Enemy (1912). Elles vont tourner un grand nombre de courts métrages sous la direction du maître en compagnie de ses interprètes d'élection (Pickford, Lionel Barrymore, Robert Harron). De cette période, il faut retenir The Musketeers of Pig Alley (1912) probablement le premier film de gangster de l'histoire du cinéma américain. Judith of Bethulia (1914) fut le premier long métrage de Griffith où elle joue une jeune mère. Elle gagne à ce moment là un salaire de $50/semaine. Elle suit Griffith de la Biograph à la Mutual. Griffith quitte New York pour Hollywood peu de temps avant de se lancer dans son premier grand film: The Birth of a Nation (1915) qui va révolutionner le cinéma. C'est le premier film de 12 bobines qui coûta $91000. Lillian Gish y tient le rôle d'Elsie Stoneman et devient célèbre dans le monde entier suite à l'immense succès du film. Si dans Intolerance (1916), son rôle de "berceuse du monde" est secondaire, elle suit chaque étape de la conception, tournage et montage du film avec Griffith.
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De G à D, Dorothy Gish, D.W. Griffith et Lillian

Les tournages de Griffith sont épuisants: les acteurs donnent de leur personne comme jamais, ils ne sont pas jamais doublés. La lecture de l'autobiographie de Gish (The Movies, Mr. Griffith and Me) donne froid dans le dos plus d'une fois devant les risques parfois insensés que prennent les acteurs. Mais, le résultat est là sur la pellicule: un réalisme qui ne doit rien au hasard. c'est ainsi qu'ils tournent en pleine 1ère Guerre Mondiale, Hearts of the World (1918) en France et Angleterre dans des conditions extrèmement difficiles. Dans Broken Blossoms (1919) joue une enfant (elle a tout de même 26 ans!) martyrisée par un père alcoolique et brutal (Donald Crisp). Elle trouve réconfort auprès d'un chinois (Richard Barthelmess). Cette histoire incroyablement mélo que même Gish trouvait injouable avant de la tourner, devient sous la caméra de Griffith un petit chef d'oeuvre de sensibilité. Gish apporte au personnage une puissance dramatique incroyable. Suit Way Down East (1920) autre chef d'oeuvre tourné sur l'Hudson gelé en plein hiver, où elle retrouve Richard Barthelmess comme partenaire. A cette période, elle réalise un film avec sa soeur dans le rôle principal: Remodelling your Husband (1920). Malheureusement, ce film est perdu. Elle pense à voler de ses propres ailes et quitte Griffith après avoir tourné une dernière fois avec lui: Orphans of the Storm avec sa soeur en 1921.(ci-dessous)
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Elle signe avec une nouvelle compagnie Inspiration Pictures qui vient de produire Tol'able David, un des meilleurs films d'Henry King. Elle peut choisir elle-même ses scénarios et son metteur-en-scène. Elle décide de partir pour l'Italie pour y tourner The White Sister (1923) sous la direction d'Henry King. Le tournage dure 7 mois et exploite admirablement les paysages italiens: Rome, Naples et Capri. Le film lui-même permet à Gish de jouer un rôle plus adulte: passant de la jeune fille espiègle et insouciante à la femme murie par la douleur. Elle s'occupe personnellement du montage du film: on sent bien que les leçons de Griffith ont été parfaitement intégrées. Un jeune acteur anglais débutant, mais promis à une longue carrière fait une forte impression dans le rôle principal: Ronald Colman (Ci-dessous).
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Le succès du film permet à King et Gish de produire un autre film qui est tourné à Florence: Romola (1924). La reconstitution de la Florence du XVème siècle est impressionnante, mais, le film est un peu académique! Du côté des acteurs, il y a cependant la présence de William Powell, méconnaissable en traître odieux et ses retrouvailles avec Dorothy.
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Suivant ces deux succès financiers, elle signe avec la MGM un contrat de $800.000 pour 6 films. Elle arrive à point nommé pour tourner avec deux des plus grands metteurs en scène qui y sont sous contrat: King Vidor et Victor Sjöström. Elle est Mimi dans La Bohème (1926) de Vidor, puis, Hester Prynne dans The Scarlet Letter (1926) de Sjöström. Elle tourne à nouveau avec Sjöström en 1928 The Wind: peut être le plus beau film du suèdois.
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Elle quitte la MGM à l'orée du parlant. On lui reproche de ne pas rapporter suffisamment d'argent à la compagnie. The Wind n'est pas un grand succès commercial, bien qu'il soit maintenant un chef d'oeuvre de l'histoire du cinéma. Son premier film parlant One Romantic Night (1930) n'est pas un succès bien que les critiques reconnaissent son aisance face au micro! Elle quitte Hollywood et retourne sur les planches de Boadway et de Londres. Elle est, entre autres, Ophélie face à l'Hamlet de John Gielgud en 1936. Puis, Hollywood se souvient d'elle et on lui offre des seconds rôles dans Duel in the Sun ou Portrait of Jennie. Elle trouve le cinéma des années 40 bien moins excitant: "Avant, j'étais responsable de mes films; je me suis intéressée à tous les aspects d'une production. Maintenant, jouer dans un film, c'est simplement faire ce qu'on vous demande et ramasser son salaire!" Un dernier grand rôle l'attend sous la direction de Charles Laughton (grand amateur de Griffith): The Night of the Hunter (1955) où elle protège les enfants face à l'effrayant Mitchum.
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Elle apparait sporadiquement dans plusieurs films des années 60 comme The Unforgiven de John Huston où elle charme les indiens en jouant du Mozart en plein air et dans The Comedians (1967) de Peter Glenville (où elle résiste mieux à la chaleur que Burton). Elle tournera son dernier film à l'âge de 94 ans avec Bette Davis (seulement 79 ans!): The Whales of August de l'anglais Lindsey Anderson. Durant les années 70 à 90, elle soutient de manière inlassable tous les efforts pour aider à sauvegarder les films muets. Elle meurt à 99 ans après une vie plus que bien remplie.
L'actrice est inoubliable. La première vraie actrice de cinéma qui s'est affranchi des mimiques de théâtre. Son visage à l'écran distille un charme et une émotion indicible. On ne peut que sortir bouleversé d'un film muet avec Gish.
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Sybille
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Message par Sybille »

Merci beaucoup Ann Harding pour ce portrait de Lillian Gish (et certaines des photos sont superbes :wink: ).

J'aime beaucoup Lillian Gish également, et je suis sûre que si j'avais la possibilité de voir davantage de ses films, elle pourrait sans hésiter faire partie de mes actrices préférées.
J'ai dù la découvrir dans La nuit du chasseur sans savoir qui elle était, puis j'ai lu un peu par hasard son autobiographie que j'avais trouvé très intéressante et agréable à lire. Sinon les autres films que j'ai vu avec elle sont : Le vent de la plaine, A travers l'orage (où en effet la scène sur la rivière gelée est :shock: ) et La lettre rouge. J'adorerai voir Le vent sinon.

En tout cas c'était vraiment une femme étonnante. D'une apparence hyper fragile comme on le constate sur les photos, elle avait en réalité une constitution de fer (la preuve elle avait presque 100 ans à sa mort). Dans son livre elle raconte qu'elle était souvent très malade dans sa jeunesse, elle a eu la typhoïde ou la grippe espagnole en 1918, et pourtant elle a tenu le coup.
Et bien sûr une immense actrice, avec un jeu très subtil surtout pour l'époque du muet, et qui en plus payait volontiers de sa personne au sens physique du terme : transie de froid dans "Way down east", ou au contraire presque brûlée par une tempête de sable dans "The Wind", elle pouvait aussi se passer de boisson et de nourriture pour rendre une scène où elle devait incarner une personne mourante plus réaliste.
Vraiment une immense actrice, avec beaucoup de caractère.
Judyline
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Message par Judyline »

Je confond toujours les deux soeurs :oops: (elles se ressemblaient quand même très fort!)

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Sibylle
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Message par Sibylle »

Petit mot sur les DVD dispos de l'actrice ?

Je n'ai rien vu d'elle, mais j'aimerais bien ! ( A quand un topic sur Pickford ? ;) )
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Sybille
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Message par Sybille »

Sibylle a écrit :Petit mot sur les DVD dispos de l'actrice ?
Il y a déjà les films qu'elle a tourné à l'époque où elle était déjà âgée, La nuit du chasseur en tête, un film extraordinaire que je recommande à tous ceux qui ne l'ont pas encore vu :D .
Pour les films muets, c'est beaucoup plus compliqué malheureusement. Peut-être qu'Ann Harding (ou qqun d'autre :wink: ) sera capable de nous répondre...
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Tommy Udo
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Message par Tommy Udo »

Sibylle a écrit :Petit mot sur les DVD dispos de l'actrice ?

Je n'ai rien vu d'elle, mais j'aimerais bien ! ( A quand un topic sur Pickford ? ;) )
Certains films muets tels Le Lys Brisé, Les Deux Orphelines ou Naissance d'une Nation sont dispo chez Kino dans un coffret D.W. Griffith et peut-être à l'unité (?) (zone 1) :wink:
Sibylle
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Message par Sibylle »

Oh tiens j'adore ton pseudo, Sybille :lol:
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allen john
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Message par allen john »

Judyline a écrit :Je confond toujours les deux soeurs :oops: (elles se ressemblaient quand même très fort!)

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La vision de leurs films est donc plus que jamais indispensable; je préconise les Deux Orphelines pour commencer: elle y sont toutes les deux. Sinon, je rejoins Ann sur The wind, un film de la trempe de l'Aurore, Seventh Heaven... Lillian Gish y est bouleversante, alors que sa soeur, en solo, s'est plutôt construit une carrière de "comedienne", au sens Anglais du terme, plutôt dans le genre léger.
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Sybille
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Message par Sybille »

allen john a écrit :La vision de leurs films est donc plus que jamais indispensable; je préconise les Deux Orphelines pour commencer: elle y sont toutes les deux. Sinon, je rejoins Ann sur The wind, un film de la trempe de l'Aurore, Seventh Heaven... Lillian Gish y est bouleversante, alors que sa soeur, en solo, s'est plutôt construit une carrière de "comedienne", au sens Anglais du terme, plutôt dans le genre léger.
En effet Dorothy était apparemment très drôle, comique, tandis que Lillian était beaucoup plus grave, et ça a une incidence sur leurs films respectifs.

C'est vraiment bien "Les deux orphelines" ? (parce qu'il va passer au cinéma de ma ville en mars, et j'hésite à prendre une place - je n'aime pas trop la période Révolution française à vrai dire :oops: ).
allen john
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Message par allen john »

Sibylle a écrit :Petit mot sur les DVD dispos de l'actrice ?
Comme dit plus haut, leschefs d'oeuvre de Griffith sont disponibles, chez Kino ou Mk2; mais ses courts, dont quelques films avec Lillian ou avec Dorothy, sont aussi disponibles dans deux coffrets distincts(Griffith Masterworks, the Biograph shorts, chez Kino, et Years of discovery, chez Image. Les films essentiels sont dans les deux; le Kino est z0, le Image est z1, mais il possède un chouette commentaire de Russell Merritt. Aucun STF dans les deux.) Le film de court métrage essentiel de Griffith et Gish, c'est The Mothering Heart, soit 23 minutes de pur félicité: Lillian y incarne une jeune mère délaissée par son mari qui perd son enfant; quand le fautif rentre au bercail, il est trop tard. Elle nous gratifie dans ce film d'une scène de douleur durant laquelle son personnage explose et détruit des plantes pour extérioriser sa rage, faisant voler en éclats son apparence fragile, préfigurant de façon magistrale les scènes d'hystérie de Broken Blossoms(1919), les passages au bord de la folie dans The wind; on y découvre(Merci à Russel Merrit) que Griffith n'était pas inspiré par l'actrice, lui préférant sa soeur: leur premier film, An Unseen Enemy, nous montre Lillian en petite fille apeurée, et Dorothy prend l'initiative our les sauver toutes les deux. C'est Mothering Heart qui fera changer le metteur en scène d'avis... OUF! Sinon, Grapevine video a une copie de Romola et une de White Sister.... Mais les 7 derniers muets de Lillian Gish, White Sister, 1922 et Romola, 1923(King), The scarlet Letter, 1926 et The Wind, 1928(Sjostrom), The Enemy, 1927(Niblo), Annie Laurie, 1927(Robertson) et La Boheme, 1926(Vidor), sont tous la propriété de Turner, passent parfois sur TCM, et on murmure qu'un coffret TCM archives serait en préparation... Si seulement.
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Ravie de voir qu'il y a tant de fans de Gish sur le forum! :D
Merci à Allen John pour ses infos sur les DVD disponibles. On se demande ce qu'attend Warner/TCM pour sortir The Wind, The Scarlet Letter, La Bohème et The White Sister!!!! Pour le moment, ils sont très frileux en ce qui concerne le muet.....qui sont traités comme des suppléments :? comme Scaramouche de Ingram!!!
Mais, je voudrais enfoncer le clou pour The White Sister: n'acheter pas la version Grapevine, il existe une copie bien meilleure par Sunrisesilents:
http://www.sunrisesilents.com/TWSL_des.html
C'est une copie teintée 16 mm propre. Petit hic: le film passe à 24 images/sec, bien trop rapide. Il est bien mieux à 20 im/sec. Ce film est nettement moins connu que les autres, mais, il mérite amplement d'être découvert.
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Pour ce qui est de Dorothy Gish (effectivement une comédienne très drôle), j'ai découvert récemment un délicieux petit film Gretchen the Greenhorn de 1916 de S. et C. Franklin (surpervisé par Griffith) où elle est une immigrante hollandaise qui arrive à New york avec son petit canard sous le bras! La description de la vie des immigrants de toutes origines est très bien vue. On remarque aussi la présence d'Eugene Pallette (l'énorme Friar Tuck dans le Robin Hood de Curtiz ou le père de Gene Tierney dans Heaven Can Wait) extrèmement mince et fort inquiétant en trafiquant de fausse monnaie....
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allen john
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Message par allen john »

Comme le fait remarquer Ann à plusieurs reprises, on tient avec Lillian Gish un genre d'actrice rare: elle n'est pas à proprement parler réalisatrice(Dans son autobiographie, elle a un souvenir, disons mitigé de son unique expérience en ce domaine), mais elle se place clairement en auteur de ses films: elle choisit son metteur en scène, et ce avec une certaine exigence(Tiens donc!); lors de son arrivée à la MGM, elle demande à Thalberg qui vient de lui montrer The Big Parade de lui confier l'équipe de film et sa distribution, et obtient gain de cause! Ainsi, elle supervise La Bohême en véritable productrice, et obtient tout ce qu'elle veut de Vidor et de Gilbert, ainsi que de Thalberg. Si le studio finit par obtenir de retourner certaines scènes, le résultat final n'en reste pas moins "Gishien", ce que confirme Vidor: c'est le film de l'actrice. Elle reconnait elle-même avoir tourné The Enemy et Annie Laurie pour prouver sa bonne volonté, et être plus libre dans ses projets personnels, comme notre bon Clint aujourd'hui: le résultat, ce fut The Scarlet Letter et surtout The Wind,deux films sublimes, mais je me répète; elle révèle aussi, dans son indispensable autobiographie, le fait que Griffith la considérait souvent comme une véritable collaboratrice en matière de création, et la meilleure preuve en est sa présence qquasi constante sur les plateaux de Intolerance, un film dans lequel elle ne joue pas vraiment.
S'il fallait choisir un film et un seul, ce serait Le Vent. Objectivement, c'est le meilleur film de Sjöström, ce qui est déja un argument suffisant; ensuite, réalisé en 1928, il nous présente la MGM et le muet Américain à leur zénith, encore libres des contraintes du son. Et le film, en 75 minutes, nous détaille de façon hallucinante la transformation d'une femme déçue, une Bovary sudiste(Elle vient de Virginie!) qui doit affronter la crudité du monde, symbolisée par la tourmente incessante d'un vent et de tempêtes de sable, et s'éveiller aux sens, à son corps défendant d'ailleurs.
Qui peut nous émouvoir aussi bien que Lillian Gish lorsque, sommée de choisir un mari pour survivre elle trouve comme par hasard rapidement la perle rare dans la personne de l'élégant voyageur de commerce qui la fréquente avec une certaine assiduité depuis le début du film? Elle réussit à maintenir la naiveté de son personnage sans pour autant se priver de lui faire exprimer ses désirs(En écho au personnage d'Hester Prynne dans Scarlet Letter, qui conduit effectivement le pasteur vers des rapports charnels, sans hésitation aucune, et sans apparaître pour autant une femme de mauvaise vie...). Mais l'homme(Montagu Love, Mr Villain!)est déja marié, il lui faudra faire un autre choix. Et la scène de séduction finale, lorsque l'homme s'introduit dans la cabane de Letty Mason, toujours virginale, n'en prend que plus de poids: on peut dire que c'est un viol, mais le fait est que le personnage de Letty Mason consent et accepte son destin: elle choisit, entre la fuite et l'errance dans le vent ou le viol par un homme qui la séduit, le moins pire des deux, et scellera son choix en tuant l'homme. Elle le tuera dans un geste ô combien ironique, puisque le révolver est l'objet que Sjöström choisit de cadrer, dépassant de son holster, pour suggérer le rapport sexuel(On hésite à parler de nuit d'amour...)qui vient de se produire: après l'inévitable ellipse, on revient dans la cabane. L'homme se rhabille, ses armes sont sur la table. Letty les regarde, puis regarde l'homme au moment ou celui-ci se rhabille. Le regard qu'elle lui porte au moment ou il la presse de partir avec lui est sans ambiguité: la nuit n'a pas été pour elle la révélation d'un amour... Elle est prête à le tuer pour l'empêcher de la prendre avec lui.
On est loin des bluettes Griffithiennes... Le forte de Sjöström, l'utilisation des éléments du décor et des éléments tout courts, dans le but d'exprimer les passions humaines, trouve un écho formidable dans une Lillian Gish magnifiée par l'approche de la quarantaine(Il faut voir la scène, célèbre du reste, dans laquelle la jeune oie blanche se transforme d'un coup en créature plus charnelle, mais sans en avoir conscience, en se coiffant, révélant de façon troublante sa chevelure jusqu'ici contenue, qu'elle coiffe avec énergie... La répression des pulsions est au coeur de cette scène et de ce film...) et sa collaboration fantastique avec Lars Hanson, qui donne une impressionante consistance à son personnage de bouseux frustré: Lui qui croit que Letty le choisit par amour, il découvre à la faveur d'une scène magistrale de lune de miel maladroite(Sjöström ne cadre que les pieds des acteurs, exprimant leur désir, leur hésitation, leurs impulsions et leurs déplacements; une idée qui pourrait être attribuée à Lillian Gish, qui aimait les scènes d'amour les moins explicites possibles) qu'elle ne l'épouse que pour avoir un toit. Le personnage, jusqu'ici bouffon, va acquérir une véritable dimension tragique par le sacrifice auquel il consent: il va permettre à sa femme de partir et économise dans ce but.

Un beau film, donc.
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Merci à Allen John pour son beau texte sur The Wind. :)
Je n'ai presque rien à ajouter, seulement que la fin qui est un "happy end" ne correspondait pas aux intentions initiales de l'actrice qui voulait rester fidèle au roman où l'héroïne meurt dans le désert. Mais, on peut imaginer que la MGM a dû être totalement effrayée par la noirceur du film! Néanmoins, les metteurs-en-scènes (et les actrices) pouvaient se permettre des audaces qui vont être totalement tuées dans l'oeuf par l'arrivée du parlant. Les studios reprennent en main la production des films et ne la lacheront plus. On comprend que Gish se soit désintéressée du cinéma à ce moment-là.
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allen john
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Message par allen john »

C'est amusant: je viens de lire le texte d'Allen John et je constate qu'il a oublié la fin. Merci à Ann Harding d'avoir comblé le trou. Mais est-on donc distrait quand on aime le muet! :mrgreen:
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Message par Ann Harding »

Pour ceux qui n'ont jamais vu The Wind, on peut voir un extrait de 4min sur le site suivant:
http://www.doctormacro.com/Movie%20Summ ... %20The.htm
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