Nombreux spoilers !
Ruby Gentry – La Furie du Désir (1953)
Quelques années après
Duel au Soleil (1946), King Vidor reprend un thème d’amour tragique, contemporain cette fois, et en noir et blanc, avec Jennifer Jones dans le rôle principal. On retrouve dans ce film le thème du lien ou de l’opposition entre l’individu et la collectivité, présent dans nombre de ses films. Le grand intérêt de
Ruby Gentry est que la plupart des personnages principaux sont à la fois monstrueux ou pitoyables, tout en restant compréhensibles et attachants.
Nous sommes dans une petite ville côtière de Virginie, vraisemblablement à une époque contemporaine au film, dans les années d’après-guerre. Une réunion de chasse chez le père de l’héroine, Jewel Corey (James Anderson), est l’occasion de fêter le retour au pays de Boake Tackman (Charlton Heston) qui a connu une histoire d’amour adolescente avec la fille de la maison, Ruby Corey (Jennifer Jones).
Cette réunion amicale pourrait laisser penser que nous sommes au milieu d’une bande d’amis mais nous découvrons vite que cette cordialité de façade cache de très profondes fractures. Nous sommes au Sud des Etats-Unis. Corey est populaire mais c’est un ancien aubergiste et il vit dans les marais. Boake Tackman et Jim Gentry (Karl Malden) appartiennent à l’aristocratie locale, celle qui possède les terres, fréquente les clubs, joue au tennis et pratique la voile sportive tandis que Jewel Corey pêche pour vivre.
Ruby est fraîche, jeune et amoureuse de Boake Tackman. Ce dernier, très ambitieux professionnellement, possède de nombreuses terres en marais salants, emprunte pour les assécher et se lance dans l’agriculture industrielle. Son flirt avec Ruby ne tiendra pas la route bien longtemps quand son principal prêteur lui proposera d’épouser sa fille, Tracy McAuliffe (Phyllis Avery). Et puis, Ruby est une fille des marais, bonne comme maîtresse mais absolument pas présentable comme épouse.
Ce qui débute en mélodrame pourrait s’arrêter ici, avec une Ruby Corey abandonnée, séduite et sa réputation perdue. Le docteur Manfred, étranger à la région, est sérieusement amoureux de Ruby et cette dernière pourrait choisir de l’épouser, quitter sa région, changer de classe sociale sans scandaliser.
Mais justement, Ruby est scandaleuse, par sa beauté, sa violence et son ambition. Le docteur Manfred est trop fade pour elle et il en sera réduit à raconter l’histoire de
Ruby Gentry en voix-off plusieurs années après. Ruby Gentry parce que lorsque Jim Gentry, qui a contribué à l’éducation de Ruby adolescente, perd son épouse qui mourait d’un cancer depuis cinq ans, il se dit que lui, personnage le plus riche de la ville, a bien droit à une seconde vie quand le démon de midi le prend et il propose à Ruby de l’épouser.
Dans un de ses films précédents,
Stella Dallas (1937), King Vidor traitait déjà de la difficulté de se marier hors de sa classe sociale dans une société conservatrice. Le mariage de Ruby, loin de lui permettre de devenir l’égale de Boake Tackman, contribuera à l’isoler un peu plus maintenant qu’elle se trouve au sein d’une société qui la rejette.
Alors quand Jim Gentry meurt accidentellement, que toute la ville soupçonne Ruby de l’avoir tué, mais que cette dernière se retrouve à la tête de la fortune de son mari, auprès duquel toute la gentry locale était endettée, la foudre tombe sur la ville.
Chef d’œuvre des passions exacerbées,
Ruby Gentry brûle du regard passionné de Jennifer Jones. La réalisation est d’un classicisme absolu jusqu’à une immense séquence finale : marais, boue, brume, citations bibliques dans la bouche d’un tueur fou…
Ruby Gentry est un grand film sudiste.
Pas de zone 2, en VHS ou en DVD Z1 (avec stf, je crois).