Chronique également en ligne dans le topic consacré à Marcel Pagnol.
LA FILLE DU PUISATIER (1940) de Marcel Pagnol avec Josette Day, Raimu (Pascal Amoretti), Fernandel (Félipe), Fernand Charpin (Mazel)
Patricia, la fille du puisatier s'éprend de Jacques Mazel un aviateur bientôt appelé sous les drapeaux. Enceinte, elle avoue "sa faute" à son père qui se rend chez les Mazel (de riches quincaillers) dans l'espoir de laver l'honneur de sa fille et le sien.
Le tournage commence le 20 mai 1940, s’arrête un mois plus tard pour reprendre du 13 août jusqu’à novembre de la même année. Entre temps eu lieu l’invasion allemande de juin 1940, l’exode, la débâcle, l’armistice et la capitulation de la France.
Ici l’eau est source de vie dès les premières images. Lieu de passage, de rencontre entre Patricia et Jacques Mazel, gué entouré de roseaux symbole d’un jardin d’éden provençal. Pascal Amoretti le puisatier, creuse la terre pour y trouver de l’eau (scène émouvante où il évoque la naissance de sa fille qu’il a finie par aimer comme un garçon). Pascal et Félipe sont des terriens en opposition à Jacques Mazel (le fils du ciel).
Pagnol oppose l’authenticité, la naïveté et la simplicité de Félipe au mensonge et à la flagornerie de Jacques. Mais Patricia rejette l’amour simple de l’ouvrier de son père pour l’amour plus aérien, plus vaste, plus libéré de l’aviateur.
« Mon foulard c’est moi qui l’ai dénoué. Le vent m’a tourné la tête. » dit Patricia. Le vent, le ciel c’est Jacques. Jolie scène d’aveux fortement elliptique. Patricia s’est donnée à lui et parle de folie. Désormais elle se sent sale et grise comme cette amie qui batifolait avec un garçon et qu’elle avait bannie. Patricia exprime avec beaucoup de sincérité la naissance de son désir, d’abord réprimé puis de son abandon voulu. Elle n’est pas la victime innocente de Jacques mais une jeune fille qui voulait être femme et qui en assume les conséquences mais la voilà qui vacille quand elle dit : « Pour mon malheur vous êtes le mal et le pêché. » Elle est tiraillée entre le désir et l’idée encore vivace du pêché dans la France de 1940 où l’on parle de fille perdue et de bâtard.
La scène entre Félipe (en permission) et Pascal Amoretti à propos de l’enfant de Patricia et de son patronyme est révélatrice de la place de la femme dans la société de l’époque. L’enfant ne prend pas le nom de sa mère mais hérite de celui de son grand père.
Ordre de mobilisation. Départ de Félipe et de Jacques Mazel. Lointaine mais présente les échos de la guerre mêlent la grande histoire à la petite.
Patricia avoue sa bêtise à Félipe qui en accepterait volontiers de la prendre à son compte si elle voulait bien l’épouser. Belle déclaration d’amour d’une simplicité touchante :
« - J’ai remarqué quand vous apportez le dîner à votre père, moi pendant qu’il est dans le puits, je change mon pain contre le sien…parce que son pain vous l’avez touché alors je le mange volontiers et même je ramasse les miettes. »
Pagnol oppose les classes sociales, tape avec vigueur sur Mazel et sa femme, petits bourgeois arrivistes qui toisent Pascal Amoretti, le puisatier d’origine italienne avec mépris.
« -Maintenant je sais qu’il faut se méfier des gens qui vendent des outils et qui ne s’en servent jamais. » (Amoretti).
Ici on parle de la fille du puisatier parce qu’on assiste au cheminement d’Amoretti, le patriarche. Le film s’attache à sa vision d’une situation qu’il qualifie d’honteuse et finalement à son acceptation. Dans l’arrière pays provençal les mœurs n’ont guère évolué et être fille-mère c’est le déshonneur de toute une famille.
Amoretti c’est le père blessé, l’homme au cœur gros comme la montagne, qui grogne et qui tempête pour cacher sa peine et son déshonneur mais qui finit par pardonner Patricia et endosser avec un bonheur immense le rôle du grand-père. Pour aboutir à cela il lui faudra procéder par étapes. Quand les Mazel portant le deuil de leur fils viennent voir l’enfant autrefois banni, le géant se réveille à nouveau et rejette leur tentative de rapprochement comme ils l’avaient rejeté lui et sa fille à l’annonce de sa grossesse.
« - Moi, je suis pas charitable. C’est peut être à force de vivre au milieu des pierres. Non, gardez votre lait de riche, allez. Le meilleur lait c’est le lait des petits pauvres. C’est le vrai et voilà les enfants que ça fait. »
Mais la révolte s’amenuise, la protestation faiblit, le cœur gonflé d’amour déborde annonçant l’acceptation, la réconciliation et le pardon.
Dans l’univers minéral de Pagnol le drame éclate comme un orage en plein été et ravine les cœurs avec la violence du torrent mais l’eau finit toujours par laver les âmes et effacer les malheurs.
« - Il nous faut trouver des sources. Nous en avons déjà trouvé beaucoup mais les plus belles sont encore cachées parce que ce sont les plus profondes. Avec des pioches, des bras et de l’amour peut être qu’un jour elles sauteront au soleil. »