L'Ange ivre (Akira Kurosawa - 1948)

[Roy Neary]

On poursuit avec les DVD Wild Side consacrés à Akira Kurosawa.
Aujourd'hui : L'Ange ivre.

L'Ange ivre

[k-chan]

L'ange Ivre

Le 7ème film de Kurosawa, qui sans être aussi méconnu que Duel Silencieux, Scandale, Vivre dans la peur (3 films souvents jugés mineurs il faut dire) ou que ceux qui le précèdent, restait tout de même un peu trop oublié en comparaison de son importance. Avec la sortie du dvd, j'espère que cela sera bien réparé.
Pour moi, il s'agit d'un des films majeurs du cinéaste, et en fait un de mes préférés, à ranger du coté de Chien enragé et Vivre. Mise en scène, photographie, scénario, musique, acteurs, dialogues... tout y est admirables. Un film poignant, qui, à travers la description du milieu des yakuzas, et les portraits d'un jeune gangster tuberculeux et d'un vieux médecins alcoolique qui se confrontent, nous montre avec beaucoup de force le malaise social qui régnait dans le japon d'après-guerre. Pour se convaincre de l'authenticité de cet univers que nous décrit Kurosawa, il suffit de reprendre les propos d'un autre cinéaste majeur au japon, à savoir Shohei Imamura, pour qui L'ange ivre restait un film particulièrement marquant :
"Comme je passais ma vie au marché noir, j'ai retrouvé, dans ce film, ce que j'observais quotidiennement. Je connaissais des types comme ce personnage joué par Toshiro Mifune. C'était comme si je voyais un documentaire." ...

Dans le texte, on peut lire : "on y voit déjà cette imagerie proche du documentaire héritée du néo-réalisme italien et qu’il poussera encore plus loin dans Chien Enragé."
C'est un truc de critique, de toujours dire : "il a été influencé par ci, ou par ça." comme s'ils furent dans la tête du cinéaste au moment du tournage.
Kurosawa disait à ce propos : "des situations historiques et sociales similaires donnent naissance à des oeuvres similaires".
M'enfin...



Imamura disait aussi :
"C'était un film inoubliable. Je commencais à souhaiter pouvoir travailler avec ce réalisateur" ...
"Je savais que Toshiro Mifune venait d'être engagé par la Toho comme jeune premier. Mais les gens lui trouvaient un accent horrible, disons le dialecte de Kyushu. En voyant ce film, surtout dans la deuxième partie, on oublie cet accent. Il y a une fièvre qui émane de cet acteur. J'ai pensé qu'un réalisateur, qui pouvait le diriger jusqu'à ce point là, devait être quelqu'un d'exceptionnel."

On parle malheureusement moins de lui, mais face à Mifune, il faut quand même bien le dire, le superbe Takashi Shimura est génial. Son interprétation de vieux médecin alcoolique, faussement cynique, le Dr Sanada, "l'ange ivre" du titre, est absolument magnifique, même si Kurosawa avait coutume de dire que c'est surtout de Mifune dont on se souvient. Un peu exagéré, vu la performance de Shimura, mais en effet, comment ne pas être scié par la présence de Toshiro Mifune ? En ce qui me concerne, c'est une des interprétations les plus éclatantes que j'ai vu dans le cinéma mondial. D'ailleurs, par rapport à l'époque où fut tourné le film, le jeu de Mifune me semble d'une incroyable modernité. Intense, fiévreux... Mifune est un Matsunaga enragé. Il est assez drôle de savoir qu'il faisait peur aux comédiens qui lui faisaient face. Kurosawa lui même était complètement sidéré (et parfois effrayé) : "Il faisait des choses qui allaient plus loins que ce que j'avais imaginé". Son personnage a d'ailleurs pris bien plus d'importance que prévue. (les annecdotes sur cette rencontre sont nombreuses). Tout cela peut faire penser à cet autre acteur de prestige, que Mifune devance ici de 2 années, à savoir Marlon Brando, acteur que tous admireront et considèreront comme celui qui révolutionnera le jeu d'acteur, et pour lequel on a souvent tenu des propos similaires avec sa superbe interprétation du violent Stanley Kowalski, dans le film Un tramway nommé désir (1950) de Kazan, où il volait lui aussi la vedette à l'actrice principale, Vivien Leigh.
Bien sûr, Mifune et Kurosawa restaient en 48 encore totalement inconnu en occident, puisqu'il seront découvert seulement en 1951 avec Rashômon (1950). Quant à L'ange ivre, il fut certainement découvert encore bien plus tard.
Mifune et Shimura trouvent ici ce qui restent parmis leurs rôles les plus mémorables, et peut-être leur rencontre la plus inoubliable (la première d'ailleurs).
Superbes seconds rôles également : Reizaburo Yamamoto, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga

Une autre rencontre décisive pour le cinéaste : celle du génial compositeur Fumio Hayasaka et leur fameuse technique du "contrepoint", à savoir utiliser une musique opposée à ce que nous décrit l'image. Une musique gaie dans un moment qui ne l'ai pas, par exemple. Entre eux, ils désignaient cette technique : "tireur d'élite", en référence à un film russe qui selon Kurosawa, utilisait le contrepoint de la façon la plus belle qu'il n'eu jamais vu.
Outre cet aspect technique, les compositions de L'ange ivre sont merveilleuses. Inoubliable est le morceau que joue le personnage Okada à la guitare, tout comme le "Jungle Boogie" dans le night club.

Il y aurait beaucoup des choses à ajouter sur ce film merveilleux, où la violence est omniprésente et dans lequel on retrouve bien des thèmes chers à Kurosawa, comme celui du double, ou l'injustice et la misère, la maladie, la mort... et qui contient aussi son lot de scènes d'anthologies : le "Jungle Boogie", le cauchemard de Matsunaga, le combat entre Matsunaga et Okada...
Bref, pour moi, plus qu'un film charnière : un chef-d'oeuvre, et un de mes films préférés.


Merci pour cette chronique.

[Gounou]

Qu'il était beau ce Toshiro !

Sinon, j'ai bien envie de me le prendre celui-là...

[Gounou]

Au fait, ça me rappelle que Martin Scorsese avait soulevé l'idée d'en faire un remake (un remake à la Scorsese... j'anticipe... ).
Je ne sais pas où en est ce projet, pour l'heure.

[k-chan]

Qu'il était beau ce Toshiro !

Il est encore plus beau dans Scandale et dans Duel Silencieux.

Duel Silencieux (c'te classe ! )

[k-chan]

Au fait, ça me rappelle que Martin Scorsese avait soulevé l'idée d'en faire un remake (un remake à la Scorsese... j'anticipe... ).
Je ne sais pas où en est ce projet, pour l'heure.

Fut un temps, il semblerait qu'il aurait souhaité faire une remake de Entre le ciel et l'enfer. Puis on a parlé de L'ange ivre. Ca ne me réjouis pas beaucoup (non pas que je n'aime pas Scorsese, au contraire), mais si il passe à l'acte, je serais curieux de voir ça.

[Gounou]

Au fait, ça me rappelle que Martin Scorsese avait soulevé l'idée d'en faire un remake (un remake à la Scorsese... j'anticipe... ).
Je ne sais pas où en est ce projet, pour l'heure.

Fut un temps, il semblerait qu'il aurait souhaité faire une remake de Entre le ciel et l'enfer. Puis on a parlé de L'ange ivre. Ca ne me réjouis pas beaucoup, mais si il passe à l'acte, je serais curieux de voir ça.

Scorsese n'est pas du genre à abîmer les oeuvres qu'il vénère... il ne prendrait probablement que le postulat de base.

[Boubakar]

Deuxième Kurosawa consécutif que j'aime !! Comme quoi, tout arrive...
Ah oui, c'est très réussi, on a une dualité des rapports sociaux extrêment bien démontrée dans le film. Et Toshiro Mifune a la classe (américaine).

Plus d'une fois, les angles de vues, et l'utilisation du grand angle font penser que Kurosawa a été influencé par des films noirs américains.
L'annonce d'un remake américain ne m'étonne pas outre mesure, mais en l'état, c'est très réussi (et une belle édition dvd, malgré une image bien perfectible).

[Watkinssien]

C'est le premier film important de Kurosawa, un drame d'une finesse et d'une poésie rare, superbement interprété, qui rend un aperçu terrorisant des maux du Japon d'après-guerre.

Une bombe !

[Jeremy Fox]

Je crois que le Kurosawa des premières années n'est décidément pas fait pour moi. J'ai énormément de mal avec l'interprétation, le scénario ne m'a pas du tout captivé, bien au contraire, et même si je lui reconnais d'immenses qualités humaines et plastiques, c'est le plus profond ennui qui est passé par dessus tout ça.

[Rick Blaine]

Que l'on ne vienne plus me parler de clonage !

[Jeremy Fox]

Que l'on ne vienne plus me parler de clonage !

Oui, en cinéma japonais c'est un semi-échec. La preuve à propos également de Miyazaki

[Rick Blaine]

La preuve à propos également de Miyazaki