Pour moi, c'est bien simple: l'un des plus beaux sur l'enfance. A ranger aux côtés d'un Moonfleet, Night of the Hunter, The Shining et Fanny och Alexander, l'Hispanique ne rougit en rien de la comparaison avec les frangins sus-cités.
Ana, 9 ans, ne dort plus la nuit dans la grande maison madrilène familiale. Ses parents sont morts récemment. Sa mère s'est éteinte de chagrin et de dépit amoureux, son père a succombé à une maîtresse vengeresse.
Témoin de ces deux morts malgré elle, Ana refuse le monde des adultes et s'invente son univers. Elle s'accroche à ses rêves et ses souvenirs pour faire revivre sa mère et retrouver son amour. Elle remplit son quotidien de jeux qu'elle partage avec ses soeurs.
En même temps qu'une parabole sur la perte de l'innocence, Cria Cuervos peut être vu comme une métaphore d'une Espagne nouvelle, qui sort enfin de la tanière obscure du franquisme pour s'ouvrir au monde (les filles se rendant à l'école dans la scène finale). Le caractère de chacunes des 3 orphelines représente d'une certaine manière des réactions face à l'injustice qui les entourent.
Une note finale optimiste pour un film extrêmement sombre, distillant une ambiance de malaise, un mélange de nostalgie et de claustrophobie. J'en suis sorti déconcerté, ne sachant quoi en penser, plongé dans une profonde mélancolie qui a mis plusieurs heures à s'étioler.
Cria Cuervos est une oeuvre unique, en grande partie grâce à ses acteurs. Géraldine Chaplin dans un double rôle magistral, la scène où elle couvre sa fille de baisers devant un miroir est pour moi la plus belle, Ana Torrent la plus grande actrice-enfant de la Terre et de l'Univers (mais pourquoi t'as grandi???). Et, aussi anecdotique cela semble-t-il, comment ne pas citer l'obsédant Porque te Vas? de Jeanette, qui offre tant au film et le définit si joliment: un moment figent entre innocence et perversité, cauchemar (bien réel ou profondément expressioniste) et joies simples d'une jeune fille pré-pubère. Un sommet du cinéma naïf, au grand sens du terme. Une oeuvre qui s'aventure là où le cinéma devrait plus souvent aller, l'ambition première de son cinéaste semblant être de re-créer un rêve. Voilà, Cria Cuervos est un film onirique, qui offre des seconds degrés de lectures passionants mais par lequel on n'entre qu'avec la simplicité et l'ouverture d'esprit d'un enfant. Un film qui -paradoxal!- se mérite, qui impose ses exigences et conditions mais s'avère au final un voyage d'une beauté fascinante.
J'ai l'impression de tomber dans l'emphase gratuite, mais qu'est-ce que je peux aimer ce film. Saura est grand.
J'ai découvert quelqu'un capable de mettre des mots et des images sur ce que j'ai moi même ressenti dans mon enfance, en partie face au deuil et ça, je lui en serais longtemps reconnaissant.
