Gordon Douglas (1907-1993)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Federico
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Federico »

Deux bons copains (Zenobia, 1939)
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La bonne surprise du coffret Shawshank (encore merci à Classik pour me l'avoir fait gagné :wink: ). A vrai dire, je ne m'y attendais pas, sinon à découvrir une curiosité et c'en est bien une. Si l'histoire, bon enfant, reste une comédie sociale très loin des chefs-d'oeuvre de Capra, McCarey ou Sturges, elle vaut le coup d'oeil pour au moins deux raisons.

L'action se situe dans le Deep South de 1870. Oliver Hardy (ici sans son complice Stanley* mais associé à un autre grand du slapstick, Harry Langdon) campe un médecin de petite bourgade, débonnaire et bon comme le pain. Un adorable père de famille marié à une Billie Burke qui fait cui-cui et dont la fille veut épouser un garçon de la haute société. Il exerce le plus souvent gratuitement et s'est volontairement aliéné une clientèle plus fortunée dont la future belle-mère hypocondriaque (Alice Brady, à la bouche de traviole) de sa fille. Son credo : la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis. Une belle occasion de découvrir qu'en plus d'un génie comique, Hardy pouvait aussi être un merveilleux acteur tout court.

Langdon, débarrassé de son maquillage de clown blanc, est un forain un peu roublard et pas toujours sympathique. Un vendeur de potion miracle assisté d'une jeune éléphante (la Zenobia du titre). Appelant Hardy à son chevet, la gentille bête s'entiche de son bienfaiteur et se met à le coller comme un toutou, jusque dans une party huppée. Avouez qu'aucun autre animal ne pouvait mieux s'associer avec le pachydermique et si gracieux Ollie. S'ensuit un procès campagnard pour vol d'animal qui évidemment dénouera tous les petits conflits, dont l'inévitable mariage des fades tourtereaux.
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Langdon & Hardy

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Deux gros copains
La séquence où Zeke, le gamin Noir (Phillip Hurlic, un jeune acteur étonnant qui fait oublier le personnage atrocement caricatural de son père**) récite par coeur le préambule du texte fondateur américain qui insiste sur la notion d'égalité des droits est un moment aussi émouvant que lorsque Laughton cite Lincoln dans Ruggles of Red Gap.

On y retrouve Hattie McDaniel, qui sera la même année oscarisée pour Autant en emporte le vent, cantonnée dans le sempiternel emploi de l'ample domestique Noire au fort caractère.

Rien de renversant mais un spectacle tout public et charmant. Les plus petits adoreront voir ensemble Hardy et l'éléphante et le gros Ollie dormir devant le perron de sa maison, blotti contre son confortable oreiller de 3 tonnes. Et, sans limite d'âge, les généreux dialogues entre le bon docteur (Hardy ressemble alors à un Père Noël sans costume) et le petit garçon de ferme.
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Phillip Hurlic & Hardy
Gordon Douglas fut décidément un artisan touche-à-tout, aussi à l'aise dans les petites productions western, fantastique, SF ou comme ici, familiale.



(*) Laurel, prévu pour le film était alors en bisbille avec les studios Hal Roach

(**) Ce grand dadais simplet, prénommé... Zero :shock: , véritable mélange d'Averell et de Ran-Tan-Plan est joué par Step'n Fetchit, une des premières stars Noires d'Hollywood. Son jeu comique, tout en bégaiements, regards abrutis et gesticulations de cartoon faisait beaucoup rire à l'époque mais certainement davantage les spectateurs Blancs que Noirs. :?

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Dernière modification par Federico le 21 mai 12, 17:05, modifié 1 fois.
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Rick Blaine
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :
The fiend who walked the west ( 1958 )

On savait Gordon Douglas capable du pire comme du meilleur. Ses remakes auront donné le pire. Avant le médiocre Stagecoach, il adaptait ici à la mode western l'étonnant Le Carrefour de la mort d'Hathaway et le résultat est "chiantissime", intempestivement bavard, sans rythme et surtout excessivement mal interprété. Hugh O' Brian est aussi terne que Robert Evans est un mauvais cabotin, c'est dire. Imitant Widmark, il n'arrive qu'à être ridicule. Très très mauvais et j'ai eu l'impression que le film durait 4 heures ! 1/10
Je te trouve un peu dur pour le coup. J'ai essayé de faire abstraction du Hathaway (que j'ai revu le lendemain), et j'ai trouvé au film de Douglas de bonnes qualités, notamment dans la mise en scène du premier tiers, qui est inventive et dynamique. Dans l'ensemble, le récit se tient bien, et je ne me suis vraiment pas ennuyé.
Par contre c'est vrai que le bat blesse côté interprétation et traitement des personnages. Evans en fait effectivement un peu trop, et surtout le personnage est trop présent à l'écran, ce qui le fait plus tendre vers le bouffon pathétique que vers le monstre inquiétant qu’interprétait Widmark (qui était de plus la symbolique d'un crime organisé pouvant frapper partout). Hugh O'Brian est également bien moins charismatique que Victor Mature (que je tiens en haute considération). Dans l'ensemble, le scénario du Douglas rend les personnages plus caricaturaux, on a moins peur du méchant, on est moins attaché au héros.
Le Carrefour de la Mort est un chef d’œuvre, qui monte crescendo vers un final tout en tension. Ce n'est évidement pas le cas du film de Douglas, dont la fin est ce qu'il y a de plus faible, mais j'ai trouvé que c'était tout de même un petit film très agréable, plein de bonnes idées.
Dernière modification par Rick Blaine le 21 mai 12, 12:57, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Jeremy Fox »

J'y reviendrais quand je lui aurais redonné sa seconde chance :wink:
daniel gregg
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par daniel gregg »

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Réalisé par Gordon Douglas (1950)
Interprété par Mark Stevens, Edmond O'Brien, Gale Storm et Donald Buka.
Le quotidien de deux policiers qui tombent amoureux de la speakerine des voitures de police, elle même orpheline d'un père policier tué dans l'exercice de sa fonction...
Comme quoi la filmographie de Gordon Douglas peut encore réserver de bonnes surprises.
Vu hier soir ce séduisant thriller au ton sec et tendu qui du point de vue des policiers rend un hommage touchant au travail de sape des hommes en uniforme.
Un peu à la façon de Naked city de Jules Dassin, produit par Mark Hellinger, le propos du réalisateur est constamment soucieux de réalisme et aborde en filigrane un sujet assez peu traité dans le film policier de l'époque : la difficulté pour les policiers d'établir sereinement une vie de famille.
Le scénario habilement construit est tiré d'une histoire de Leo Katcher, connu entre autre pour Party girl de Nicholas Ray et aussi pour l'adaptation du M de Joseph Losey, diffusé après demain au Cinéma de Minuit, que j'ai maintenant hâte de découvrir.
Interprétation digne et sobre de Mark Stevens et surtout Edmond O'Brien.
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Jack Carter
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Jack Carter »

daniel gregg a écrit :Image

Réalisé par Gordon Douglas (1950)
Interprété par Mark Stevens, Edmond O'Brien, Gale Storm et Donald Buka.
Le quotidien de deux policiers qui tombent amoureux de la speakerine des voitures de police, elle même orpheline d'un père policier tué dans l'exercice de sa fonction...
Comme quoi la filmographie de Gordon Douglas peut encore réserver de bonnes surprises.
Vu hier soir ce séduisant thriller au ton sec et tendu qui du point de vue des policiers rend un hommage touchant au travail de sape des hommes en uniforme.
Un peu à la façon de Naked city de Jules Dassin, produit par Mark Hellinger, le propos du réalisateur est constamment soucieux de réalisme et aborde en filigrane un sujet assez peu traité dans le film policier de l'époque : la difficulté pour les policiers d'établir sereinement une vie de famille.Le scénario habilement construit est tiré d'une histoire de Leo Katcher, connu entre autre pour Party girl de Nicholas Ray et aussi pour l'adaptation du M de Joseph Losey, diffusé après demain au Cinéma de Minuit, que j'ai maintenant hâte de découvrir.
Interprétation digne et sobre de Mark Stevens et surtout Edmond O'Brien.
je plussoie, tres bonne surprise (bruce randylan a crié au chef d'oeuvre, je n'irai pas jusque là, mais c'est vraiment tres bon)
sinon, tu occultes le fait que c'est un excellent film policier dans sa seconde partie, nerveux et surprenant :wink: (l'aspect documentaire que tu decris est surtout dans la 1ere partie du film)
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Rick Blaine
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

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C'est quoi? (je ne vois pas l'image.)

Avec un tel résumé et un tel avis, je suis à peu près sur que j'aimerais beaucoup.
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par daniel gregg »

Rick Blaine a écrit :C'est quoi? (je ne vois pas l'image.)

Avec un tel résumé et un tel avis, je suis à peu près sur que j'aimerais beaucoup.
Between midnight and dawn, diffusé en ce moment sur Classic. :wink:
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par daniel gregg »

Jack Carter a écrit :
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daniel gregg a écrit :Image

Réalisé par Gordon Douglas (1950)
Interprété par Mark Stevens, Edmond O'Brien, Gale Storm et Donald Buka.
Le quotidien de deux policiers qui tombent amoureux de la speakerine des voitures de police, elle même orpheline d'un père policier tué dans l'exercice de sa fonction...
Comme quoi la filmographie de Gordon Douglas peut encore réserver de bonnes surprises.
Vu hier soir ce séduisant thriller au ton sec et tendu qui du point de vue des policiers rend un hommage touchant au travail de sape des hommes en uniforme.
Un peu à la façon de Naked city de Jules Dassin, produit par Mark Hellinger, le propos du réalisateur est constamment soucieux de réalisme et aborde en filigrane un sujet assez peu traité dans le film policier de l'époque : la difficulté pour les policiers d'établir sereinement une vie de famille.Le scénario habilement construit est tiré d'une histoire de Leo Katcher, connu entre autre pour Party girl de Nicholas Ray et aussi pour l'adaptation du M de Joseph Losey, diffusé après demain au Cinéma de Minuit, que j'ai maintenant hâte de découvrir.
Interprétation digne et sobre de Mark Stevens et surtout Edmond O'Brien.
je plussoie, tres bonne surprise (bruce randylan a crié au chef d'oeuvre, je n'irai pas jusque là, mais c'est vraiment tres bon)
sinon, tu occultes le fait que c'est un excellent film policier dans sa seconde partie, nerveux et surprenant :wink: (l'aspect documentaire que tu decris est surtout dans la 1ere partie du film)
Oui en effet, avec des scènes de rue, notamment lors de la pousuite, très convaincants. :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Jeremy Fox »

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Le tigre du ciel (1955)

Message par pak »

Le tigre du ciel (The McConnell story, 1955) de Gordon Douglas.

Avec Alan Ladd, June Allyson, James Whitmore, Frank Faylen, Robert Ellis... Scénario de Ted Sherdeman et Sam Rolfe - Musique de Max Steiner - Production Warner Bros.
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La vie de Joseph McConnell, as de l'aviation américaine...


Le début du film fait craindre le pire pour la suite, puisque celui-ci commence avec un speech très patriotique (et très années 1950), dit par un solennel général assis derrière un bureau, sérieux comme un pape, où il est question d'hommes libres vaquant à leurs occupations, de femmes faisant la même chose mais dans leur cuisine, d'enfants à l'école, et bien-sûr d'églises dans lesquelles tout bon citoyen peut prier sereinement, civils inconscients qu'ils doivent ce mode de vie idyllique et leur liberté (donc d'aller travailler, de cuisiner, d'apprendre et de prier) au sacrifice et au dévouement de quelques hommes impliqués dans un combat incessant du bien (l'Amérique) contre le mal (tout ce qui est communiste à l'époque, mais ceux qui menacent des intérêts américains feraient bien d'y réfléchir à deux fois), l'histoire du film étant celle de l'un d'entre eux.

L'officier est authentique puisqu'il s'agit du général Otto Paul Weyland, qui fut entre autres le commandant des forces aériennes des Nations Unies durant la guerre de Corée. Donc pas exactement un rigolo. Cette patriotique mise en bouche, bien que désormais désuète, permet néanmoins de poser le contexte du tournage et de la sortie de ce long-métrage. En effet, l'armistice de Panmunjeom mettant fin à la guerre de Corée fut signé le 27 juillet 1953, soit un an environ avant le début du tournage, donc autant dire que ce conflit est alors encore frais dans les mémoires et l'opinion public. Armistice qui d'ailleurs n'en est pas un techniquement, puisque la Corée du Sud ne l'a en fait jamais signé (il a été ratifié par la Corée du Nord et l'organisation des Nations Unies à laquelle n'appartient pas la Corée sudiste), ce qui signifie que les deux Corée étaient encore en théorie en guerre (ce qui est toujours valable de nos jours ! ). De plus, la première moitié des années 1950, c'est aussi la première bombe H soviétique, c'est la guerre d'Indochine, prélude à celle du Vietnam, c'est Eisenhower qui fait du développement des armes atomiques une priorité de son gouvernement... Bref, c'est la guerre froide qui s'installe, avec les tensions que cela implique, même si le décès de Staline le 5 mars 1953 apporte un semblant d'accalmie très provisoire. Dans ce contexte particulier, les États-Unis ont plus que jamais besoin de héros, pour les célébrer et les monter en exemples, mais aussi pour faire passer des messages de peur et de paranoïa anti-communistes. A l'époque (et contrairement à ce qui se passera durant les années 2000 avec l'intervention en Irak), Hollywood est suffisamment malléable pour servir de vecteur de propagande, et est encore un des médias les plus aptes à diffuser massivement ces célébrations.

Le Tigre du ciel qui nous occupe ici est donc aussi bien une œuvre de propagande qu'un biopic, ayant pour sujet central un pilote américain, et pas un des moindres puisqu'il s'agit de Joseph C. McConnell, qui, avec ses 16 victoires, fut l'as des as de l'US Air Force (USAF) lors du conflit coréen. C'est aussi une histoire vraie, donc avec les contraintes de fidélité que cela comporte, autour desquelles les scénaristes ont tenté de broder un récit plus cinématographique. On notera que l'écriture est signée Ted Sherdeman, qui venait juste de collaborer avec le réalisateur sur le film Des monstres attaquent la ville (Them ! ), et Sam Rolfe, co-scénariste de L'appât (The naked spur) d'Anthonny Mann... Les deux hommes donneront par la suite encore dans le patriotique puisque le premier écrira Brisants humains (Away all boats de Joseph Pevney, 1956) et Saïpan (Hell to eternity de Phil Karlson, 1960), tandis que le second réitérera dans le film d'aviation avec Bombardier B-52 (Bombers B-52 encore avec Gordon Douglas, 1957) avant de travailler essentiellement pour la télévision.

Il y a plusieurs aspects intéressants dans ce film, et en premier lieu son personnage principal. Homme passionné, et même obsédé par le vol, déterminé à devenir pilote malgré le contexte : hiérarchie récalcitrante, âge du bonhomme (il deviendra pilote de chasse à 26 ans et en aura 28 lorsque la guerre de Corée éclate, ce qui est relativement âgé pour l'époque), et plus tard balbutiement de l'aviation à réaction. Nous suivons donc le parcours d'un obstiné qui malgré les obstacles n'a qu'un but en tête, incarnation du courage américain qui sait plier l'échine quand il faut sans pour autant céder... On le voit, de par son comportement, le personnage est le premier symbole évident de l'imagerie américaine des années 1950.

Autre aspect intéressant, les contextes historique et aéronautique. Le tournage étant quasi contemporain de l'histoire qu'il raconte, le film a acquis une certaine patine documentaire en montrant (tout en édulcorant tout de même un peu) la transition du passage de l'hélice au réacteur dans l'armée de l'air américaine, au sein de laquelle (comme dans toutes les forces aériennes franchissant ce pas) la période fut celle des interrogations, du doute, des inquiétudes mais aussi de la fascination et d'espoirs technologiques. La guerre de Corée est le premier conflit qui voit des chasseurs à réaction s'affronter (les jets de la fin de la deuxième guerre mondiale n'en eurent pas l'occasion, puisque que seule l'Allemagne en utilisa véritablement en opération, l'Angleterre y allant sur la pointe des pieds avec leurs Meteors en les cantonnant essentiellement à la chasse aux V1, les américains n'étant tout simplement pas près avec leur F-80 alors pas tout à fait opérationnel après un P-59 raté, les russes et les japonais n'en étant qu'au stade du prototype). Le film s'emploie à décrire ce qu'a été cette transition : des avions rapides, mais encore utilisés en combats tournoyants à coups de mitrailleuses et de canons, le missile air-air n'étant pas encore exploitable (pour cela il faudra attendre la seconde moitié des années 1950) ; une recherche de performance dans des vitesses alors inédites où les comportements des avions étaient ou inconnus ou mal maitrisés, imposant des essais en vol de plus en plus dangereux ; un besoin urgent de l'USAF d'acquérir de l'expérience et donc d'exploiter le savoir-faire des pilotes les plus doués de l'époque (d'où le retrait des opérations de McConnell). Il y a donc une certaine rigueur historique bienvenue dans ce film malgré la proximité des évènements relatés, essentiellement dans la seconde partie du film, car on aurait aimé que ce soit aussi le cas dans la première, lors de l'évocation de la seconde guerre mondiale. Si on peut passer sur le fait que McConnell fut navigateur, non sur B-17, mais sur B-24, on tique un peu plus lors du combat contre les jets allemands durant lequel nait la fascination du futur pilote pour ce genre d'avion. En effet, il est peu probable qu'il ait pu mitrailler un Me 163 qui n'était pas fait pour louvoyer entre les box de bombardiers, étant plus un avion fusée adepte de la ligne droite (en plus, les vues montrées sont celles du vol du prototype désarmé), mieux aurait valu un Me 262, même si, je le concède, c'est là du détail surtout relevé par les fans d'aviations.

Enfin, même si c'est pour des besoins évidents de montrer l'exemplarité du couple, le parti pris des auteurs de suivre les parcours parallèles des deux époux est à relever. Car finalement, le film est moins un film de guerre (très peu de scènes de combats) qu'un drame sentimental, opposant à l'enthousiasme d'un homme qui s'est construit seul l'angoisse d'une femme qui devine sans vraiment les connaître les risques que prend son mari et les dangers de son métier. Le réalisateur revient donc régulièrement sur le personnage de l'épouse, passive dans le sens où elle subit les aléas de la carrière de son homme (ainsi adieu le doux foyer espéré pour une vie presque de nomade dépendant des affectations de ce dernier), tout en exprimant de plus en plus violemment sa peur et son espoir d'une vie plus rangée, même si elle finit toujours par accepter son sort en épouse dévouée... On notera d'ailleurs la complicité entre Alan Ladd et June Allyson, couple de cinéma certes peu glamour à l'écran, mais cela sert le propos puisque permettant une certaine proximité avec le spectateur, dégageant une impression d'authenticité. Alan Ladd, bien que visiblement trop vieux pour le rôle, en est rendu plus crédible, car finalement assez en phase avec la réalité du personnage de ce point de vue. Il a rarement été aussi bon, presque détendu. Il faut dire aussi que durant le tournage, une idylle est née entre lui et June Allyson, ce qui provoqua un mini scandale, les deux étant mariés par ailleurs, anecdote assez cocasse puisque l'actrice sortait d'une succession de rôles similaires à celui qu'elle tient dans ce film, celui de l'épouse parfaite... Mais tout rentrera dans l'ordre à l'issue du tournage...
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C'est beau l'amour...
Pour rester dans l'interprétation, il serait peu juste d'oublier de mentionner James Withmore, jouant l'ami de McConnell, aux récurrentes interventions, en oiseau de mauvaise augure malgré lui, toujours porteur de mauvaises nouvelles, solide second rôle de films de guerre (Bastogne, La charge victorieuse, Le cri de la victoire, Tora ! Tora ! Tora ! ... ).

Pourtant, malgré les atouts précités, il est difficile d'adhérer pleinement à ce Tigre du ciel. Déjà parce qu'à vouloir décrire un héros exemplaire, les auteurs ont fait l'impasse sur les épisodes moins glorieux de la carrière du pilote, loupant de ce fait l'occasion de séquences dramatiques ou permettant de dynamiser un peu l'intrigue. Par exemple, McConnell fut abattu durant son tour d'opération par un avion ennemi. Épisode peu glorieux, bien-sûr, et peu politiquement correct, pudiquement annoncé par un flash radio. L'impression donnée par le film est d'ailleurs une domination des airs de l'USAF. Ce qui est loin d'être si évident, et même si les scores de certains pilotes ennemis (russes pour la plupart) sont sujets à caution, il y eut aussi de nombreux as portant l'étoile rouge durant le conflit. Mais là encore, nous restons dans le « titillage » d'aéronaute en herbe.

Plus gênant, ou plutôt plus lassant, c'est ce côté positive attitude permanent affiché par le rôle principal. Toujours de bonne humeur, rebelle juste ce qu'il faut mais qui sait rentrer dans le rang, jamais en panne d'idées pour abattre les obstacles, sans l'ombre d'un doute, ou presque... Ses rares écarts sont toujours justifiés et justifiables : s'il frappe un gradé, c'est parce que celui-ci a insulté sa future épouse, s'il fait le mur de sa caserne, c'est pour tenter de rejoindre sa femme sur le point d'accoucher... Et les punitions, il les subit toujours avec un sourire béat. Le G.I. Jo idéal, parfait rouage d'un idéalisme politisé, qui finit par agacer. Son épouse est son parfait double féminin, mais en plus artificiel encore. Car si le pilote a sa passion, elle est une coque vide. On ne sait rien d'elle, ni de ses aspirations autre que celle d'avoir une belle cuisine. D'ailleurs dès leur rencontre, elle est dans une cuisine, déjà conditionnée pour être la mère au foyer modèle, sorte de repos du guerrier modernisé, d'ailleurs on a l'impression que chaque permission est l'occasion de faire un enfant de plus, enfants utilisés comme repères chronologiques, les parents ne changeant guère physiquement, puisque le récit se concentre finalement sur une durée assez courte pour un biopic, à peine une quinzaine d'années. Comme son mari, elle se rebelle régulièrement, mais rentre tout aussi rapidement dans le rang, jusqu'à l'absurde, à l'image de la scène finale où en quelques secondes et mots, elle est convertie en veuve idéale plus fière de son mari que triste de son décès. Car la réalité va rattraper le tournage du film, McConnell se tuant lors d'un vol d'essai le 25 août 1954, ce qui provoqua une modification hâtive du scénario, et obligea surtout à transformer un récit mêlant comédie sentimentale et guerre en un drame de guerre, d'où une certaine rupture de ton entre les premières scènes du film plus proches de la comédie, et la fin nettement plus mélodramatique.
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Elle te plait ta nouvelle cuisine ma chérie ?

Donc rien ne nous est épargné du stéréotype de l'époque : héros qui ne doute de rien, femme fidèle, quota d'enfants, coiffures impeccables et combat pour la liberté pour protéger son mode de vie, même si cela conduit à faire la guerre à des milliers de kilomètres de ce fameux mode de vie... On échappe toutefois à la vindicte anti-rouge trop lourde. Les ennemis, allemands au début, communistes ensuite, ne sont que des cibles anonymes et à peine nommées, l'accent étant mis sur l'exemplarité du parcours d'un soldat américain plus que sur le discours idéologique.

Côté réalisation, on a connu Gordon Douglas plus inspiré. La vision du film donne l'impression que le réalisateur s'est peu impliqué dans ce projet assez impersonnel. Il y a quand même de beaux passages. La tentative de McConnell de traverser une grande partie des États-Unis pour rejoindre sa femme au risque de ruiner sa carrière, la déclaration de mariage durant un match de boxe, la maison offerte au couple... Des moments qui tirent leur force d'une certaine pudeur car simplement filmés, justement interprétés, hélas trop vite noyés dans un ensemble assez terne. Comme déjà dit, il y a peu de scènes d'action, et celles du début sont assez bâclées, avec force de stock-shots. Cela s'arrange nettement pour les parties entrainement et Corée, où le technicolor (ou plutôt le Warnercolor) s'exprime pleinement. Toutefois, pour les scènes de combat entre jets, on a le droit de préférer celles de Flammes sur l'Asie (The Hunters) qui évoque le même théâtre d'opération, réalisé en 1958 par Dick Powell, qui n'était autre que... le mari de June Allyson (évidemment, ça n'a aucun rapport). Pour revenir sur l'idylle de Ladd et Allyson, l'acteur aurait téléphoné durant le tournage à Powell pour lui déclarer : « je suis amoureux de votre femme », ce à quoi, pas démonté, Powell aurait répondu : « tout le monde est amoureux de ma femme ! »...

Et l'aviation ? Passons sur les quelques civils vaguement vus et les stock-shots du début pour aller au vif du sujet. Si les séquences n'occupent qu'une petite partie du film, tout fan d'aviation sera content de voir à l'écran et en couleur des F-80C, modèle sur lequel McConnell sera qualifié, et surtout de beaux F-86F Sabre, montures de l'as en Corée (ou presque, puisqu'il eut 3 avions, un E et deux F, mais là encore, on ne va pas chipoter). Le F-86 était le chasseur américain le plus performant de l'époque, et pourtant il avait un concurrent sérieux en face de lui, le soviétique Mig 15. Celui est absent du film, et pour cause, le seul exemple disponible fut livré par un pilote nord-coréen déserteur le 21 septembre 1953, pilote qui deviendra citoyen américain et ingénieur en propulsion thermodynamique (ne me demandez pas ce que cela signifie... ), quant à l'avion, il sera testé par des pilotes comme Tom Collins et Chuck Yeager, pour ensuite être examiné sous toutes les coutures et envoyé en 1957 au musée de Dayton, dans l'Ohio, où il est toujours visible... Bref, forcément, le Mig 15 ne courrait pas les rues. La production l'a donc remplacé par un F-84F Thunderstreak, contemporain aux protagonistes, et faisant assez l'illusion pourvu qu'on soit indulgent. Ce remplacement aurait été encore plus convainquant si la décoration de l'appareil avait été plus soignée, mais ce genre de détail a alors été jugé superflu, et donc on a droit à une robe grise mate au lieu de l'aluminium, avec en plus des étoiles rouges placées aux mauvais endroits. On verra les mêmes « ennemis » mal fagotés dans le film sus-nommé Flammes sur l'Asie, mais en nettement plus nombreux (on les reverra aussi brièvement en stock-shots dans quelques épisodes de la série des années 1980 Supercopter/Airwolf). A la fin on voit un F-86H, très proche du dernier avion que pilota notre héros. Il est à noter que les quelques scènes montrant Alan Ladd à bord d'un avion sont pour la plupart tournées en studio, l'acteur, contrairement à son personnage, détestant l'avion...

Au final, un film ni vraiment bon, ni totalement raté, tentant l'exercice périlleux de la propagande tout en ménageant l'aspect humain, ce qui donne des passages émouvants et réussis, mais aussi d'autres plus artificiels à la symbolique bien lourde. L'intérêt en devient dépendant, décroissant quand l'hagiographie se fait insistante, réveillé quand le cinéma reprend ses droits.


Étoiles : * * . Note : 10/20.
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Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Père Jules
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Père Jules »

Découverte hier soir de son Fauve en liberté. Un bon moment avec un James Cagney fiévreux, tout droit sorti de White Heat. Le mot "animalité" a été lâché dans ces pages, c'est tout à fait ça. Sa prestation confirme tout le bien que je pense de cet acteur capable de briller à la fois dans les coups de sang et dans les moments de vraie tendresse. Dans le rôle de Cutter/Murphy, il capte évidemment toute l'attention, de lui émane toute l'énergie nécessaire a faire de ce film une œuvre solide. Pour le reste, c'est bien écrit et le schéma narratif est intéressant (le point de départ est le procès de six hommes et une femme à partir duquel nous retraçons l'histoire de qui les a amenés à être jugés - trois flashs-back d'environ une demi-heure chacun, Jeremy sera ravi). Cagney est entouré d'acteurs d'un excellent niveau (je pense en premier lieu à Ward Bond, moins caricatural que dans ses prestations fordiennes) et le tout est filmé avec métier. Quelques défauts par-ci par-là comme le mariage rapidement annulé par exemple, qui n'apporte strictement rien à l'intrigue. Un film qui mérite le coup d'œil.
jacques 2
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par jacques 2 »

Je ne sais trop dans quel topic poser cette question donc pourquoi pas celui du réalisateur ?

Dans la collection Western de chez Sidonis, une édition de "Chuka le redoutable" serait elle programmée ?

J'en garde un excellent - et lointain -souvenir et je pense ne pas être le seul donc ... :| :wink:
Pat Wheeler
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Pat Wheeler »

jacques 2 a écrit :Je ne sais trop dans quel topic poser cette question donc pourquoi pas celui du réalisateur ?

Dans la collection Western de chez Sidonis, une édition de "Chuka le redoutable" serait elle programmée ?

J'en garde un excellent - et lointain -souvenir et je pense ne pas être le seul donc ... :| :wink:
Ce serait une excellente initiative en effet !
Un des meilleurs westerns du père Douglas, aussi bon que Rio Conchos.
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Jeremy Fox
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Jeremy Fox »

Il y a 30 ans en arrière, j'avais découvert Stagecoach en VF, probablement recadré et en noir et blanc... et j'avais trouvé le film nul.

Aujourd'hui, je me réjouis de pouvoir enfin le revoir, cette fois en VOSTF et en scope couleur à partir d'une superbe copie... et je trouve le film... toujours aussi nul, au point d'avoir fini le dernier quart d'heure en accéléré.

Critique complète dans quelques années si je poursuis mon parcours après 1959.
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Re: Gordon Douglas (1907-1993)

Message par Jeremy Fox »

Pendant ce temps là, nous attendons toujours en DVD français les très beaux Fort Dobbs et Les Loups dans la vallée ; mais comme ce sont des Warner, Sidonis n'a pas la main :(
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